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Publié le 20 Septembre 2023

Cassandra (Bernard Foccroulle - le 10 septembre 2023, La Monnaie de Bruxelles)
Livret Matthew Jocelyn
Représentation du 17 septembre 2023
Théâtre Royal de La Monnaie

Cassandra Katarina Bradíc
Sandra Jessica Niles
Hecuba / Victoria Susan Bickley
Naomi Sarah Défrise
Blake Paul Appleby
Apollo Joshua Hopkins
Priam / Alexander Gidon Saks
Marjorie Sandrine Mairesse
Présentatrice Lisa Willems

Direction musicale Kazushi Ono
Mise en scène Marie-Eve Signeyrole (2023)
Création mondiale

                                                                     Katarina Bradíc (Cassandra) et Joshua Hopkins (Apollo)

Successeur de Gerard Mortier à la direction du Théâtre Royal de La Monnaie de 1992 à 2007, puis successeur de Stéphane Lissner à la direction du Festival d'Aix-en-Provence de 2007 à 2018, Bernard Foccroulle a eu l’occasion de passer commande d’une trentaine d’œuvres lyriques, mais est avant tout un musicien, organiste de formation, qui a aussi composé nombre de pièces vocales et instrumentales.

Pour la première fois, il s’attache lui-même à la composition d’un opéra et s’associe à Matthew Jocelyn, directeur de 2009 à 2017 de la compagnie théâtrale contemporaine ‘Canadian Stage’, qui en a écrit le livret sur la base d’une des problématiques majeures du réchauffement climatique d’origine humaine, l’exploitation des énergies fossiles.

Jessica Niles (Sandra)

Jessica Niles (Sandra)

Le personnage mythologique de Cassandre est d’abord introduit pour rappeler la catastrophe de la prise de Troie par les Grecs, dont on estime qu’elle a pu se produire vers – 1250 av J.-C, et pour symboliser la malédiction de cette femme condamnée par Apollon à ne pas être écoutée et crue.

Puis, un autre personnage, contemporain cette fois, apparaît sous la forme d’une activiste écologique dénommée Sandra, qui intervient pour lancer un débat avec son public, puis son père et sa mère, respectivement acteurs de l’industrie d’exploitation et du monde financier, lors d’un dîner familial fort mouvementé, passionnant et parfois même très drôle.

Katarina Bradíc (Cassandra)

Katarina Bradíc (Cassandra)

La rencontre avec Blake, qui deviendra son fiancé, porte en elle les angoisses des générations actuelles qui se demandent s’il est raisonnable d’avoir des enfants. A l’inverse, Naomi, la sœur de Sandra, résiste à ce catastrophisme, mais en est indirectement punie par la perte de son enfant.

Sur le fond, le livret de Matthew Jocelyn aborde donc la problématique climatique du point de vue d’un milieu social aisé qui s’est enrichi grâce à l’exploitation des énergies fossiles, et dont une descendante se révolte, mais n’aborde pas la question des inégalités de développement humain dans le monde et de comment les réduire sans accroître la pression sur le système écologique.

Paul Appleby (Blake) et Susan Bickley (Victoria)

Paul Appleby (Blake) et Susan Bickley (Victoria)

C’est d’ailleurs l’attitude que l’on peut déplorer dans les pays riches, c’est à dire s’inquiéter des risques pour leur propre survivance, mais ne pas montrer suffisamment d’empathie pour la majorité du monde qui n’a pas le même niveau de vie mais qui a droit à se développer pour vivre mieux, et qui attend donc des solutions soutenables.

Au lieu de cela, l’activisme décrit ici se borne à parler d’’action’, mais sans dire ce que cela peut être, et laisse croire qu’il suffirait de dénoncer et de bloquer le déroulement des choses pour sauver le monde.

Un autre type d’action, plus efficace mais beaucoup plus ardu car inscrit dans la durée, pourrait tout aussi être de travailler à développer de nouveaux procédés, biens et services, nécessaires aux sociétés modernes mais moins demandants vis-à-vis de la nature.

Jessica Niles (Sandra)

Jessica Niles (Sandra)

On apprend cependant beaucoup de choses et notamment l’existence de la plateforme de glace de Bach, située sur l’île Alexandre en Antarctique, dont les reliefs portent des noms de compositeurs de musique classique tels Lully, Beethoven, Puccini, Mahler, Debussy et même Stravinsky.

Il y a donc une habilité certaine entre les choix de références du livret et les affinités musicales du compositeur.

Kazushi Ōno et l'Orchestre symphonique de La Monnaie

Kazushi Ōno et l'Orchestre symphonique de La Monnaie

Nommé par Bernard Foccroulle à la direction de l’orchestre symphonique de la Monnaie de 2002 à 2008, Kazushi Ono est donc tout désigné pour être le chef chargé de restituer la splendeur sonore de cette nouvelle création, ce qu’il fait avec un art magnifique pour rendre aux tissures orchestrales une patine ciselée avec une précision et un lustre d’orfèvrerie luxueuses.

L’écriture musicale est continue afin de créer un climat sonore alliant subtilement tension et mystère avec un mouvement constant qui varie les atmosphères sans avoir besoin de recourir à des secousses trop brutales qui favorisent ainsi l’immersivité de l’auditeur.

Les couleurs et la dynamique des vents sont par ailleurs finement dosées afin de se fondre idéalement avec un chant déclamatoire séduisant, s'entendent beaucoup d’effets d’irisation quand il s’agit d’évoquer le vol des abeilles qui se réduit avec le temps, et l’insertion des jeux de percussions au fil du discours fait écho aux influences primitives et antiques de l'histoire humaine.

Joshua Hopkins (Apollo) et Katarina Bradíc (Cassandra)

Joshua Hopkins (Apollo) et Katarina Bradíc (Cassandra)

L’ensemble de l’ouvrage préserve ainsi une forme d’intimisme aux structures résolument détaillées et frémissantes, avec des inspirations très debussystes à certains moments – l’échange entre la Cassandre antique et ses parents qui comprennent trop tard qu’ils ne l’ont pas écoutée s’inscrit dans cette approche -.

Et lorsque le chœur commente en coulisse, il prend aussi une tonalité austère et allégée très bien fondue aux nappes orchestrales.

Gidon Saks (Priam) et Katarina Bradíc (Cassandra)

Gidon Saks (Priam) et Katarina Bradíc (Cassandra)

Tous les chanteurs apportent une personnalité et des couleurs bien distinctes à leurs personnages, ce qui permet notamment d’apprécier le dramatisme de Katarina Bradíc, qui ressemble beaucoup à l’inoubliable silhouette d’Anna Caterina Antonacci vue dans la version des ‘Troyens’ du Théâtre du Châtelet en 2003, mais avec un timbre plus noir et âpre.

Son jeu au tragique appuyé est contrebalancé par celui de Sandra que Jessica Niles anime avec une ferveur et une clarté vocale insolentes qui, quelque part, nous disent que le monde d’aujourd’hui requière d’autres postures. Des acteurs, disséminés dans la salle, réagissent aux propos de la jeune activiste, et même le chef d’orchestre intervient dans le jeu en demandant le silence aux spectateurs.

Le personnage de Blake incarné par Paul Appleby apparaît cependant comme le plus touchant, car il est dans un rapport très naturel aux autres, et à Sandra en particulier, et le timbre du jeune chanteur américain est agréablement chaleureux.

Jessica Niles (Sandra) et Katarina Bradíc (Cassandra)

Jessica Niles (Sandra) et Katarina Bradíc (Cassandra)

Mais décrit comme un être monolithique et figé, Apollon vaut surtout pour le poids autoritaire qu’il impose, Joshua Hopkins lui apportant une stature vocale nobiliaire d’une unité soignée.

Une très grande importance est donnée au personnage dual de Priam et Alexander qui représente le pouvoir et le conservatisme en résistance face à la jeunesse, et Gidon Saks offre un portrait éloquent qu’il dépeint en usant de toutes la palette de couleurs expressives dont il dispose. Il peut être aussi bien sarcastique que saisi d’effroi, et du fait qu’il incarne à la fois le père de Cassandra, qui regrette de ne pas l’avoir écoutée, puis le père de Sandra qui raille ses contradictions, il donne une grande impression de schizophrénie tout au long de la narration.

Quant à Susan Bickley (Hécube et Victoria), au réalisme bienveillant, et Sarah Défrise (Naomi), à la joie de vivre piquante et expansive, elles complètent toutes deux une distribution où chacun apporte un contrepoids qui modifie en permanence les équilibres relationnels.

Gidon Saks, Paul Appleby, Katarina Bradíc, Jessica Niles, Susan Bickley et Joshua Hopkins

Gidon Saks, Paul Appleby, Katarina Bradíc, Jessica Niles, Susan Bickley et Joshua Hopkins

Née à Paris mais œuvrant souvent à l’étranger, Marie-Ève Signeyrole signe une production d’une très belle esthétique léchée qui mêle élégamment monumentalisme antique et décors modernes, où la vidéo est utilisée à la fois pour lier une atmosphère scénique, c’est à dire créer une unité visuelle entre les décors, les costumes, le fond de scène et la dramaturgie, que pour illustrer le propos sociétal.

L’effondrement de la Troie moderne du début de l’ouvrage est ainsi représenté par des petites scènes de vie jouées par des acteurs qui vont disparaître lors de la destruction, et les images tournées vers les visages viennent augmenter l’horreur du drame.

Plus loin, le bleu de glace vient apporter de l’espoir avec le personnage de Sandra, et aussi  évoquer l’univers de l’Antarctique où se mesure le passé et se joue l’avenir, cette région polaire étant à la fois une mémoire du temps et une boussole pour le futur.

Kazushi Ōno et Bernard Foccroulle

Kazushi Ōno et Bernard Foccroulle

La direction d’acteur atteint ses meilleurs points de vérité dans les moments très intimes et cherche à rester juste tout en suivant les lignes de la musique.

Globalement, on assiste à un spectacle où toutes les composantes fonctionnent très bien ensemble, et où quelques objets symboliques tels un cube de glace ou bien les alvéoles géantes des ruches démontrent la perfection géométrique de la nature.

C’est beau, parlant, autour d’un sujet qui suscite réflexions et soulève des contradictions, l’une des plus belles créations contemporaines que l'on puisse voir actuellement.

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Publié le 26 Mars 2017

Béatrice et Bénédict (Hector Berlioz)
Version de concert du 24 mars 2017
Palais Garnier

Don Pedro François Lis 
Claudio Florian Sempey 
Héro Sabine Devieilhe 
Béatrice Stéphanie d'Oustrac 
Béatrice (rôle parlé) Julie Duchaussoy 
Bénédict Paul Appleby 
Bénédict (rôle parlé) Fitzgerald Berthon 
Ursule Aude Extrémo 
Somarone Laurent Naouri 
Léonato (rôle parlé) Didier Sandre 
Un Prêtre (rôle parlé) Frédéric Merlo

Direction musicale Philippe Jordan
Mise en espace Stephen Taylor                                
           Sabine Devieilhe (Héro)

Béatrice et Bénédict a l'apparence d'une oeuvre légère et raffinée inspirée de Much ado about nothing de William Shakespeare, une oeuvre qui condense en elle-même une fraîcheur mélodique qui manque aujourd'hui au répertoire contemporain. Néanmoins, elle porte en son essence le tragique de la condition humaine, à savoir que l'orgueil et les postures sociales peuvent empêcher deux êtres faits pour se rejoindre de jouir de leur concordance.

Stéphanie d'Oustrac (Béatrice)

Stéphanie d'Oustrac (Béatrice)

L'unique soirée programmée par l'Opéra de Paris afin de faire revivre cet opéra composé à la suite des Troyens a, certes, joliment servi son écriture délicate, mais a également laissé un peu trop de place à un jeu ultra conventionnel, au cours des scènes parlées. Peut-être que le choix d'une unique récitante de talent aurait pu suffire à lier avec profondeur les passages vocaux et musicaux de cette histoire qui laisse plutôt songeur.

Le Choeur de l'Opéra National de Paris et son chef, José Luis Basso

Le Choeur de l'Opéra National de Paris et son chef, José Luis Basso

Hormis le recours à cet artifice scénique, le public, venu en nombre au point d' investir les moindres recoins des stalles du Palais Garnier, s'est laissé enjôler par le chant impeccablement soigné d'une distribution exclusivement francophone, si l'on omet le remplaçant de Stanislas de Barbeyrac, le ténor américain Paul Appleby, qui a fait honneur à la douceur de la langue française.

Stéphanie d'Oustrac (Béatrice)

Stéphanie d'Oustrac (Béatrice)

Stéphanie d'Oustrac, artiste forte qui aime se mettre en scène, a révélé une Bérénice particulièrement sûre d'elle, au point de rendre une résonance cruelle et vraie au vœu de sa cousine, Héro, de la voir sous un visage plus humain. 
Mais quand on est une mezzo-soprano glamour au caractère incendiaire et indestructible, le beau timbre dense et précieusement patiné ne souhaite pas forcément voir vaciller son intimité.

Stéphanie d'Oustrac (Béatrice) et Paul Appleby (Bénédict)

Stéphanie d'Oustrac (Béatrice) et Paul Appleby (Bénédict)

Sabine Devieilhe, jouant ce soir l'innocence gentille, se fit confidentielle et tout aussi pure et charmante dans ses airs mélodieux, et son duo avec Aude Extrémo fut comme un rêve de temps suspendu sous les lumières nocturnes de la scène du Palais Garnier.

Laurent Naouri, lui, fit des tonnes de comédies, et Florian Sempey, déjà investi de ses futurs Figaro et Malatesta qu'il incarnera prochainement à l'Opéra de Paris, ne laissa que deviner les tonalités jeunes et séductrices qui colorent son souffle fier.

Laurent Naouri, Sabine Devieilhe et Philippe Jordan

Laurent Naouri, Sabine Devieilhe et Philippe Jordan

Soirée particulière, donc, inscrite dans le cycle Berlioz entamé depuis La Damnation de Faust et livrée aux ornements lissés par la main charmeuse de Philippe Jordan, l'orchestre et le chœur furent ainsi dirigés d'un geste qui préserva la fluidité et l'équilibre de leurs lignes musicales tout au long de la représentation.
 

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