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Publié le 19 Janvier 2017

Lohengrin (Richard Wagner)
Répétition du 14 janvier et représentations du 18, 21, 27 janvier et 11 et 18 février 2017
Opéra Bastille

Heinrich der Vogler         René Pape
                                         Rafal Siwek
(fev)
Lohengrin                        Jonas Kaufmann
                                         Stuart Skelton
(fev)
Elsa von Brabant              Martina Serafin
                                         Edith Haller
(fev)
Friedrich von Telramund Wolfgang Koch
                                         Tomasz Konieczny
(fev)
Ortrud                              Evelyn Herlitzius
                                         Michaela Schuster
(fev)
Der Heerrufer des Königs Egils Silins

Mise en scène Claus Guth (2012)
Direction musicale Philippe Jordan
Coproduction Scala de Milan

                                        Evelyn Herlitzius (Ortrud)

Probablement sans le savoir, Stéphane Lissner vient d’offrir, en moins d’un an, une nouvelle production pour chacun des trois opéras qui étaient les plus joués, après le Faust de Charles Gounod, de l’ouverture du Palais Garnier jusqu’à la rupture de la Seconde Guerre Mondiale.

En effet, après Samson et Dalila et Rigoletto, Lohengrin était le quatrième opéra le plus représenté à l’Opéra au début du XXe siècle – Les Huguenots, n°5 sur la liste, auront quant à eux leur nouvelle production en 2018.

 Evelyn Herlitzius (Ortrud)

Evelyn Herlitzius (Ortrud)

Mais depuis l’après-guerre, cette œuvre qui représente un sommet culminant de l’opéra romantique se situe à peine parmi les 50 œuvres phares du répertoire, et sa dernière reprise, dans la mise en scène de Robert Carsen, remonte à dix ans déjà, sous le mandat de Gerard Mortier.

Réalisée à la Scala de Milan en 2012, quand Stéphane Lissner en était le directeur, la production de Lohengrin par Claus Guth est aujourd’hui montée sur la scène de l’opéra Bastille.

Martina Serafin (Elsa)

Martina Serafin (Elsa)

Celle-ci se démarque immédiatement de l’univers originel de légende médiévale par la recréation d’un monde de fin XIXe siècle, coloré par le bleu-doré des costumes militaires, où la société masculine parade en hauts-de-forme noirs, et où les femmes doivent se plier aux us qui leurs sont dévolus.

Dans une cour carrée entourée d’un mur de portes stratifié sur plusieurs étages, une jeune femme, Elsa, trouve dans le rêve une échappatoire aux tensions engendrées par les désirs de représentations sociales et de pouvoir de son entourage.

 Jonas Kaufmann (Lohengrin) - Evelyn Herlitzius (Ortrud) - René Pape (Le Roi) - Tomasz Konieczny (Telramund)

Jonas Kaufmann (Lohengrin) - Evelyn Herlitzius (Ortrud) - René Pape (Le Roi) - Tomasz Konieczny (Telramund)

Ainsi, plutôt que de centrer la représentation sur l’incompatibilité entre les aspirations d’un surhomme, Lohengrin, et la société humaine telle qu’elle est, Claus Guth fait d’Elsa le véritable personnage principal, et de Lohengrin son pendant maladif tout aussi inadapté.

Lohengrin - inspiré, dans cette production, de la vie du personnage de Gaspar Hauser - semble une vision fantasmée de Gottfried, le frère disparu d’Elsa, et la mise en scène – qui laisse planer un doute sur la responsabilité d’Ortrud dans cette disparition - superpose au monde réel les souvenirs d’enfance de l’héroïne par l’incarnation d’une jeune fille accompagnée d'un autre rôle muet, celui du frère, mi- enfant, mi- cygne.

Martina Serafin (Elsa)

Martina Serafin (Elsa)

Et ces visions, isolées par des éclairages intimistes, réapparaissent à chaque angoisse.

De plus, le metteur en scène tisse des liens imaginaires entre Ortrud et Elsa, en montrant le pouvoir d’influence de la première sur l’adolescente, et sa haine inaltérable.

Un piano, situé en bord de scène – et basculé au sol au troisième acte -, renvoie à des désirs poétiques de rêves et de réconfort.

Nombre d’images et d’atmosphères révèlent leurs forces, le début du second acte, où l’on découvre Ortrud et Telramund s’apitoyant sur leur sort sous les ombres lugubres des murs de la ville qui sculptent les lignes mortifères de leurs visages, ou bien la grande scène de mariage flamboyante, et le regard illuminé et inconscient d’Elsa qui sourit à son bonheur sous les pluies de pétales filées par le chœur. 

Martina Serafin (Elsa)

Martina Serafin (Elsa)

Mais il y a aussi la violence scarificatrice d’Ortrud envers elle-même, l’étreinte entre Lohengrin et Elsa au milieu des roseaux sauvages du marais, lieu de refuge et du drame initial, et ces personnages tapis dans l’ombre et prêts à surgir à tout moment pour imposer leur regard oppressant.

Une dramaturgie qui, certes, ne parle pas du risque à s’élever au-delà de la nature humaine, mais qui raconte un drame lisible sur l’impossibilité à s’échapper d’un monde mentalement fermé.

Jonas Kaufmann (Lohengrin) et Martina Serafin (Elsa)

Jonas Kaufmann (Lohengrin) et Martina Serafin (Elsa)

L’interprétation musicale, impressionnante par ses accents perçants, son rythme acéré et son grand impact vocal, renforce la puissance théâtrale de la mise en scène.

La première distribution réunie au cours du mois de janvier reprend ainsi une partie de celle qui avait participé à la création de cette production à Milan en décembre 2012, avec Jonas Kaufmann, René Pape et Evelyn Herlitzius.

René Pape, la stature naturellement impérieuse et le regard clair de glace, la voix expressive d’une texture agréablement fumée, dépeint un roi inflexible mais non dénué de tendresse, toujours fascinant de prestance.

René Pape (Le Roi)

René Pape (Le Roi)

Tant attendu, Jonas Kaufmann est un émerveillement de douceur et de sensibilité.

Acteur total, adorable dans ce rôle de héros un peu perdu, il a retrouvé ce chant si fin et diffus qui porte en lui-même un cri de souffrance camouflé sous une sombre suavité, et qu’il sait libérer progressivement mieux que personne.

Ampleur mesurée, mais projection frontale d’une homogénéité parfaite, le balancement entre sentiment d’humilité et humanité profonde qui s’abandonne, dans la confrontation finale avec Elsa, décrit ainsi un Lohengrin assommé par le poids d’une société qu’il ne peut soutenir.

Quel spectacle que de regarder ainsi une salle comble, rivée à son fauteuil et recevant, comme d’un seul souffle, In fernem Land, chanté avec une telle délicatesse sous un faisceau lumineux qui efface tout ce qui entoure le chanteur!

Jonas Kaufmann (Lohengrin)

Jonas Kaufmann (Lohengrin)

En contraste total avec cette sensibilité recueillie, Evelyn Herlitzius, pour ses débuts sur la scène parisienne, est un constant vecteur de frissons d’effroi, invraisemblable hystérie arrogante.

Déclamation extraordinairement franche aux couleurs noires, clivées de furtives exclamations éclatantes, incarnation nerveuse, dominatrice, voix fabuleuse avec, parfois, d’étonnants graves couverts que l’on semble entendre rien qu’en lisant le visage de cette artiste hors-norme, on ne peut s’empêcher d’admirer cette énergie inimitable qui tend entièrement à une consumation autodestructrice.

 Evelyn Herlitzius (Ortrud)

Evelyn Herlitzius (Ortrud)

Voir ainsi une personnalité telle Evelyn Herlitzius se donner totalement à son Art, sans paraître affectée par tous ces rôles aussi incroyables qu’Elektra, Katerina Ismaïlova, Isolde ou Kundry, qu’elle interprète à travers le monde, c’est frapper à vie sa propre mémoire émotionnelle.

Son partenaire, Tomasz Konieczny, qui remplace pour la première représentation Wolfgang Koch dans le rôle de Telramund, est également un fauve scénique impressionnant. Baryton au mordant de bronze, menaçant, ce chanteur de caractère dégage une animalité stupéfiante, un brin caverneuse, le refus de la faiblesse malgré le rejet social de Telramund.

Tomasz Konieczny (Telramund)

Tomasz Konieczny (Telramund)

Dans une vocalité plus humaine mais très mature, Martina Serafin rayonne de toute la féminité idéaliste inhérente à la personnalité d’Elsa. Présence physique forte, texture du timbre dense et riche d’aigus acérés, elle n’exprime pas tout à fait une innocence lisse, mais plutôt une personnalité sanguine qui dépasse un peu Lohengrin.

Quant à Egils Silins, voix mâte et bien projetée, son assurance appuyée donne au Héraut d’armes une fermeté encore plus intransigeante que celle du Roi.

Martina Serafin (Elsa)

Martina Serafin (Elsa)

L’interprétation orchestrale de Philippe Jordan, patient travail sur les textures et les ornementations, s’accompagne d’une parfaite maîtrise de la théâtralité, y compris dans la marque des silences.

Moins centré sur la recherche du pur hédonisme sonore qu'il développe régulièrement, il s’empare de toute la violence contenue dans la musique pour l’exacerber en faisant résonner les percussions, avec une constante volonté d’insuffler au drame un élan porteur pour les chanteurs.

Il les tient du regard et canalise l’énergie des musiciens pour permettre à l’expression des artistes qui évoluent sur scène de briller avec le plus d’éclat possible. 

Philippe Jordan - final de la répétition générale du 14 janvier

Philippe Jordan - final de la répétition générale du 14 janvier

Ainsi, les cuivres claquent avec un tranchant extrêmement incisif, décrivent parfois de grands arcs lumineux étincelants, les violons strient en petites touches des ambiances glacées, et la pureté des lignes suffit à faire ressortir les instants les plus poétiques.

C’est cependant au troisième acte que le chef d’orchestre déploie le plus sa capacité à créer des espaces intemporels et immatériels fascinants.

Enfin, belle osmose avec le chœur, qui se traduit aussi bien par des passages chantés avec une présence qui permettrait presque de dissocier chaque choriste, que par de larges envolées lyriques où voix et musique se fondent en une élégie sonore grandiose. 

Tomasz Konieczny (Telramund) et Michaela Schuster (Ortrud) - le 11 février 2017

Tomasz Konieczny (Telramund) et Michaela Schuster (Ortrud) - le 11 février 2017

On aurait pu penser que l’aura dominante de Jonas Kaufmann sur cette première série de représentations aller faire de l’ombre à la seconde distribution réunie au cours du mois de février, pourtant, c’est une envolée galvanisante que celle-ci a réservé à ses auditeurs.

En effet, dans un total élan de libération, Philippe Jordan transforme littéralement l’orchestre en une machinerie dantesque mêlant sublime et énergie agressive pour repousser les limites de l’expressivité dramatique. Cordes amples aux couleurs profondes, cuivres fulgurants et explosifs, pléthore d’effets sonores inhabituels, une tempête souffle, une clameur lyrique envahit le théâtre, l’intimité se resserre, aucun répit n’est laissé à l’auditeur pris par une tension permanente.

Edith Haller (Elsa) et Stuart Skelton (Lohengrin) - le 11 février 2017

Edith Haller (Elsa) et Stuart Skelton (Lohengrin) - le 11 février 2017

Ce tournoiement orchestral pourrait mettre à dure épreuve les chanteurs, il semble en fait les enflammer. Tomasz Konieczny est toujours aussi colossal et grandiose, et Michaela Schuster révise le jeu théâtral d’Ortrud : par exemple, les incantations à Wotan, chantées debout de façon glorieuse, alors qu’Evelyn Herlitzius restait prostrée sur sa table. Ou bien, remarque t'on un peu moins de gestes sadiques totalement visibles - pas de rabattement violent du couvre clavier du piano sur les doigts d'Elsa -, mais des gestes mesquins plus dissimulés - elle s'assoie discrètement sur la robe d'Elsa pour l'empêcher de bouger. Il y a chez elle une manière de rendre Ortrud encore plus dissimulatrice de sa nature hypocrite et calculatrice.

Un grand travail de psychologie servie par une voix noire dont elle semble s’amuser de ses étranges modulations.

Edith Haller (Elsa) - le 11 février 2017

Edith Haller (Elsa) - le 11 février 2017

Et avec Edith Haller, on retrouve une Elsa radiante et rêveuse, une pureté de ligne mais aussi des inflexions plus en chair dans les rapports de confrontations où elle garde toujours une certaine mesure.

Inscrit dans la même tonalité fumée et douce de Jonas Kaufmann, Stuart Skelton dessine un Lohengrin merveilleux de poésie et de profondeur qui lui permettent de dépasser les limites de son jeu scénique, et qui contrastent fortement avec son allure de solide montagnard. Le timbre dense et riche, viril, les nuances filées, un liant superbe, il est véritablement un très bel interprète du rôle.

Quant à Rafal Siwek, il représente un roi sombre et bien incarné.

Philippe Jordan - le 11 février 2017

Philippe Jordan - le 11 février 2017

Chœur à son summum, mais comment pouvait-il en être autrement avec une équipe artistique d’un tel niveau ?

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Publié le 1 Août 2016

Die Meistersinger von Nürnberg (Richard Wagner)
Représentation du 28 juillet 2016
Bayerische Staatsoper
Opernfestspiele - Munich

Hans Sachs Wolfgang Koch
Veit Pogner Christof Fischesser
Kunz Vogelgesang Kevin Conners
Konrad Nachtigall Christian Rieger
Sixtus Beckmesser Martin Gantner
Fritz Kothner Eike Wilm Schulte
Balthasar Zorn Ulrich Reß
Ulrich Eißlinger Stefan Heibach
Augustin Moser Thorsten Scharnke
Hermann Ortel Friedemann Röhlig
Hans Schwarz Peter Lobert
Hans Foltz Dennis Wilgenhof
Walther von Stolzing Jonas Kaufmann
David Benjamin Bruns
Eva Sara Jakubiak
Magdalene Okka von der Damerau
Nachtwächter Tareq Nazmi

Direction musicale Kirill Petrenko                                     Jonas Kaufmann (Walther)
Mise en scène David Bösch  (2016)
Bayerisches Staatsorchester und Chor der Bayerischen Staatsoper

Aussi étonnant que cela puisse paraître, 'Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg' n'est pas l'opéra de Wagner le plus joué à l'Opéra de Munich, alors que la capitale de la Bavière n'est située qu'à 150 km au sud de la cité d'Hans Sachs.

En effet, 'Le Vaisseau Fantôme' et 'Lohengrin' restent, aujourd'hui, les deux piliers wagnériens du Bayerisches Staatsoper, et l'influence de Louis II de Bavière conserve toute sa prégnance.

Jonas Kaufmann (Walther) et Sara Jakubiak (Eva)

Jonas Kaufmann (Walther) et Sara Jakubiak (Eva)

La nouvelle production des 'Maitres Chanteurs' créée par David Bösch vient ainsi se substituer à celle de Thomas Langhoff, reprise il y a huit ans pour la dernière fois.

Elle se déroule dans les ruelles désenchantées d'un Nuremberg décrépit, et si le premier acte, avec son ring que l'on retrouvera pour le concours final, et sa petite camionnette de livraison de bière, évoque le même univers que celui de l'Italie des années 50 imaginé par Laurent Pelly pour l''Elixir d'amour' à l'Opéra Bastille, les deux autres actes semblent être le prolongement du 'Crépuscule des Dieux' mis en scène par Frank Castorf au Festival de Bayreuth.

Christof Fischesser (Pogner)

Christof Fischesser (Pogner)

Les habitations de Nuremberg reposent sur une architecture faite de blocs de béton gris et sans charme, Hans Sachs vit dans une camionnette désuette, et la ville s'est repliée sur elle même dans une obsession sécuritaire sans âme.

On ne peut qu'imaginer Wolfgang Koch parfaitement à l'aise dans ce monde décadent, lui qui incarnait Wotan à Bayreuth jusqu'à l'été dernier, dans un rôle similaire de looser.

Chant pathétique aux intonations qui frôlent des intentions de crooner, justesse des attitudes, son être ne se contente pas de jouer mais de vivre naturellement.

Jonas Kaufmann (Walther)

Jonas Kaufmann (Walther)

Dans la fameuse scène de chant, sous les fenêtres d'Eva, Martin Gantner est irrésistible.

D'une part, l'idée de David Bösch de le faire monter sur une grue mécanique ajoute une tension - car les machines sont parfois imprévisibles -, et, d'autre part, la clarté de sa déclamation lui donne une assurance décalée par rapport à ce que va vivre, peu après, son personnage de Beckmesser.

En effet, le dernier tableau du deuxième acte devient prétexte à un déferlement de violence et à un déchaînement de la foule, comme si la ville était mise à feu par des casseurs, montrant à quel point les valeurs défendues par le critique ne parlent plus au monde d'aujourd'hui.

Okka von der Damerau (Magdalene)

Okka von der Damerau (Magdalene)

La force de cette scène est cependant de faire sentir que si Beckmesser s'est fourvoyé dans son arrogance - parce qu'il y a une incompréhension de la part de ce peuple qui ne voit pas ce que l'Art peut lui apporter - , la nécessité de créer un lien fort entre l'héritage musical et le présent reste impérative, dans le but de donner au monde une raison de dépasser son quotidien.

Le rôle de Walther joué, et chanté, par Jonas Kaufmann, est alors celui d'un troubadour des temps modernes, un jeune loubard au coeur tendre qui frime avec sa guitare pour séduire Eva, la fille de Pogner.

Jonas Kaufmann (Walther)

Jonas Kaufmann (Walther)

Le ténor allemand, qui aborde enfin en version scénique ce personnage romanesque, y est renversant de jeunesse et d'insouciance. Il se comporte comme un adolescent fondamentalement spontané, et chante avec une douceur et une profondeur sous lequels la technique se rend invisible.

Pas le moindre trait d'arrogance n'en ressort - le fameux 'Fanget an' qui marque le début de la notation des juges reste mesuré -, et son art est voué à sublimer l'envoûtement que son timbre fumé peut induire.

Martin Gantner (Beckmesser)

Martin Gantner (Beckmesser)

Et, en le faisant jouer perpétuellement et réagir même lorsqu'il ne chante pas, David Bösch offre à Jonas Kaufmann un investissement scénique total pour la joie de celui-ci et du public conquis d'avance.

En revanche, le David de Benjamin Bruns  - plus 'Maître' qu''Ami' - est desservi par la mise en scène qui ne met pas suffisamment en avant sa simplicité et sa complicité avec Walther.

Mais le chanteur a une belle voix claire, incisive et nuancée, qui fait ressortir la chaleur de coeur de l'apprenti d'Hans Sachs.

Wolfgang Koch (Hans Sachs)

Wolfgang Koch (Hans Sachs)

En Eva, qui est l'enjeu de ce concours, Sara Jakubiak joue pleinement avec plus de vigueur et de personnalité à partir du second acte, tout en laissant transparaître une maturité illuminée par la finesse de son chant.

Le couple qu'elle forme avec Jonas Kaufmann est ainsi crédible et harmonieusement complice par leur commune délicatesse.

Et sous les traits de Pogner, son père, Christof Fischesser, offre une belle et généreuse ampleur vocale taillée à la stature aisée du notable qu'il représente.

Le Choeur du Bayerischen Staatsoper

Le Choeur du Bayerischen Staatsoper

Il apparaît ainsi, dans la grande scène finale du concours, comme celui qui met sa fille aux enchères - il est présenté en arbitre d'un match de boxe -, scène finale absolument jubilatoire, malgré un décor d'échaffaudages complexes, où la vie enthousiaste et bagarreuse submerge la scène avec une énergie communicative.

L'élan de Jonas Kaufmann escaladant le promontoire pour remettre une fleur à Sara Jakubiak est d'une touchante sobriété.

Jonas Kaufmann (Walther) et Sara Jakubiak (Eva)

Jonas Kaufmann (Walther) et Sara Jakubiak (Eva)

Ulrica la veille, dans 'Le Bal Masqué', Magdalene ce soir, Okka von der Damerau démontre enfin à quel point elle peut changer de personnalité avec sa voix douée d'un galbe sensuel dans le plus sombre de sa tessiture.

Et il va sans dire que cette réussite musicale repose sur le mouvement permament et détaillé de la direction chaleureuse de Kirill Petrenko.

C'est tout un discours en musique que l'orchestre nous raconte, et la multitude de leitmotivs vit en se détachant l'un après l'autre nettement de l'avancée mélodique, qui se régénère d'elle même sans cesse, entraînant ainsi la vie dans sa perpétuelle évolution sur scène.

Jonas Kaufmann (Walther)

Jonas Kaufmann (Walther)

Mais plus que la précision et le détail, on doit à Kirill Petrenko d'amplifier la présence de l'orchestre non pas en jouant sur son envahissement sonore, mais en développant ses gradations de couleurs et la profondeur de sa coulée.

C'est comme si, en architecture, il cherchait à varier pierres et matériaux pour construire une oeuvre d'une telle richesse pour les yeux que l'auditeur se sente totalement envahi d'une matière somptueuse afin qu'il puisse inconsciemment en absorber la force.

Le pouvoir sur les âmes d'une telle musique peut être sans limite quand, de plus, le choeur de l'Opéra de Munich allie autant puissance, justesse, nuances des timbres et engagement pour une oeuvre.

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Publié le 28 Janvier 2016

Capriccio (Richard Strauss)
Représentation du 27 janvier 2016
Palais Garnier

La Comtesse Emily Magee
Le Comte Wolfgang Koch
Flamand Benjamin Bernheim
Olivier Lauri Vasar
La Roche Lars Woldt / Franz Hawlata
Clairon Michaela Schuster
La chanteuse italienne Chiara Skerath
Le chanteur italien Juan José De León
Monsieur Taupe Graham Clark
Le Majordome Jérôme Varnier

Direction musicale Ingo Metzmacher
Mise en scène Robert Carsen (2004)                          Emily Magee (La Comtesse Madeleine)

La nouvelle reprise de Capriccio dans la mise en scène de Robert Carsen est une telle réussite artistique, qu’elle dépasse l’effet de ravissement simplement dû à une brillante interprétation musicale.

Car à une époque où une proposition scénique s’efface rapidement devant la suivante, celle du directeur canadien atteint un tel absolu dans la rencontre entre une œuvre lyrique et un lieu mythique de l’histoire de l’Opéra, que l’on n’imagine pas un seul instant qu’elle puisse être un jour remplacée.

Benjamin Bernheim (Flamand)

Benjamin Bernheim (Flamand)

Ainsi, quand l’on repense au temps qu’évoque le livret, notre imaginaire se figure l'année 1775 dans un château inconnu proche de Paris, cinq ans après la reconstruction d’une nouvelle salle d’opéra au Palais Royal, sous la direction de l’architecte Pierre-Louis Moreau Desproux.

En ce temps, et après une longue carrière à Vienne, Christoph Willibald Gluck vient d’arriver dans la capitale, et est entré à l’Académie Royale de Musique sous la protection de son ancienne élève de Schönbrunn, Marie Antoinette, devenue Reine au même moment.

Il y crée ‘Iphigénie en Aulide’, opéra révolutionnaire par l’importance donnée à une musique savante, ce que le Directeur, dans la pièce Capriccio, déplore au début du livret.

La scène, avant le sextuor

La scène, avant le sextuor

Quant au château de la Comtesse Madeleine, Robert Carsen le transpose au Palais Garnier, bâtiment somptueux devenu, plus tard, le nouveau château de la bourgeoisie parisienne de la fin du XIXème siècle.

En nous montrant ainsi, en ouverture, l’arrière scène d’un théâtre où traîne une toile des Noces de Figaro mis en scène par Giorgio Strehler à Versailles puis Garnier au début de l’ère Liebermann (1973-1980)  – autre rapprochement frappant d’un Château Royal avec ce Théâtre Lyrique -, puis une reconstitution fastueuse des luminaires, glaces et colonnes dorées torsadées du Foyer de la danse, il avance ainsi sur scène une salle intime située en fait cinquante mètres en arrière vers le fond du bâtiment.

Nous ne la verrons, repoussée au loin, qu’à la toute fin, dans le prolongement du vide laissé une fois l’ensemble des décors retirés.

Emily Magee (La Comtesse Madeleine) et  Lauri Vasar (Olivier)

Emily Magee (La Comtesse Madeleine) et Lauri Vasar (Olivier)

Cet enfermement du théâtre dans le théâtre, dans lequel le public peut se voir aussi bien à travers les conversations des protagonistes que visuellement dans les reflets des miroirs, est la plus belle allégorie de l’amour du public parisien pour un art qui lui renvoie une image flatteuse de lui-même.

Voilà pourquoi réentendre cet opéra interprété par une équipe d’artistes aussi talentueux et aussi mélodieusement liés que ceux entendus ce soir ré-enchante profondément notre rapport à un lieu et à un art vivant fondamental.

Le Salon de la danse reconstitué en théâtre

Le Salon de la danse reconstitué en théâtre

Après l’ouverture du sextuor jouée d’une douce nonchalance, Benjamin Bernheim, le musicien Flamand, et Lauri Vasar, le poète Olivier, apparaissent d’emblée d’une sensibilité comparable.

L’un a évidemment un timbre plus clair que l’autre, des éclats du cœur plus piquants, mais tous deux se retrouvent dans une même tonalité tendre et directe. Tous deux semblent en permanence prisonniers d’un sentiment amoureux qu’ils tentent de vivre comme un défi qui les pousse à donner de façon exemplaire le meilleur d’eux-mêmes.

Benjamin Bernheim (Flamand)

Benjamin Bernheim (Flamand)

Le Comte de Wolfgang Koch, lui, révèle une douce humilité que l’on n’imagine pas naturellement quand on le connait dans les rôles plus brutaux que sont ceux de Wotan (Der Ring des Nibelungen) ou de Barack (Die Frau Ohne Schatten).

Et La Roche bénéficie exceptionnellement des talents de comédien de Lars Woldt, aphone ce soir, et de la voix mordante et chaleureuse de Franz Hawlata, planté stoïquement en doublure sur le côté de la scène, où il incarna ce rôle 12 ans auparavant.

Malgré leur distinction, la fusion entre les gestes de l’un et le chant de l’autre opère le plus souvent sans que l’on s’en rende compte.

Emily Magee (La Comtesse Madeleine) et son double
Emily Magee (La Comtesse Madeleine) et son double

Emily Magee (La Comtesse Madeleine) et son double

Et même si Michaela Schuster incarne une Clairon très sûre d’elle avec des traits déclamatoires véristes, elle s’insère en toute aisance dans ce jeu où elle représente l’actrice qui existe d’abord par son sens du langage du corps.

Rôle mis en valeur qu'à la fin de cette journée de conversation, le majordome de Jérôme Varnier, sérieux et droit, ajoute une nuance de classicisme à cet univers chargé de la pompe clinquante du Second Empire.

Emily Magee (La Comtesse Madeleine)

Emily Magee (La Comtesse Madeleine)

Depuis la création de ce spectacle en 2004, nous avons inévitablement le souvenir d’une Renée Fleming sophistiquée et glamour. Et bien, maintenant, nous avons avec Emily Magee la présence d’une Comtesse entièrement vraie, femme vivante qui ne s’enferme pas dans un style précieux, mais qui s'enrichit d'une spontanéité qui se retrouve dans le relief de la diction, très claire, une constance de couleur qui chante la simplicité du cœur, et une émission très canalisée, dénuée de l’évanescence que l’on associe aussi à ce rôle.

Elle a de la personnalité, et elle nous touche par à la générosité avec laquelle elle la partage.

Salut final avec, en fond de scène, le Foyer de la danse

Salut final avec, en fond de scène, le Foyer de la danse

Mais s’il y a une évidente accroche entre tous ces artistes qui fait que l’on vit constamment avec eux leurs émotions prises à ce jeu du théâtre, l’expression de leurs sentiments est cependant sublimée par la direction exceptionnelle d’Ingo Metzmacher. Il amène en effet l’orchestre de l’Opéra National de Paris à vivre en phase avec chaque chanteur, comme si le souffle de l’orchestre devait épouser fidèlement les débordements de leurs élans du coeur.

L’auditeur est donc doublement pris par les troubles en jeu, et par la musique qui les surligne dans un mouvement long, ondoyant, majestueux et presque subliminal par cette attention que le chef porte à soigner les détails tout en préservant le rayonnement de chaque être sur scène.  C’est magnifique et d’une beauté totalement irréelle.

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Publié le 8 Décembre 2015

La Damnation de Faust (Hector Berlioz)
Répétition du 02 décembre 2015 et                              Représentations des 11 & 13 décembre 2015

Opéra Bastille

Marguerite Sophie Koch
Faust Bryan Hymel (02) / Jonas Kaufmann (11&13)
Méphistophélès Bryn Terfel
Brander Edwin Crossley-Mercer
Voix Céleste Sophie Claisse

Stephen Hawking (Dominique Mercy)

Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène Alvis Hermanis

Vidéo Katrina Neiburga
Chorégraphie Alla Sigalova
Dramaturgie Christian Longchamp

                                                                                    Bryn Terfel (Méphistophélès)

Depuis plusieurs années, le physicien britannique Stephen Hawking prédit que l’homme devra coloniser la planète Mars d’ici un siècle, ne serait-ce que pour parer à la destruction de la Terre qui découlerait de l’extension des conflits armés ou du réchauffement climatique au cours du troisième millénaire.

Plusieurs programmes sont en cours, dont le plus sérieux, celui de la NASA, prévoit d’établir les premières colonies sur Mars dans les années 2030.

Bryan Hymel (Faust) et Dominique Mercy (Hawking)

Bryan Hymel (Faust) et Dominique Mercy (Hawking)

Il existe toutefois un autre projet, beaucoup moins coûteux, qui consisterait à envoyer des êtres humains sur Mars dès 2024, sans possibilité de retour.

Ce programme, dénommé Mars One, est jugé fantaisiste par une partie de la communauté scientifique, et a été imaginé par un ingénieur néerlandais, Bas Lansdorp, qui a reçu pas moins de 200.000 candidatures du monde entier. 200.000 personnes sont donc prêtes à se libérer définitivement de toutes attaches affectives vis-à-vis de leurs proches et de leur planète d’origine pour prendre un aller simple vers le Paradis du Dante. Seuls 50 hommes et 50 femmes ont cependant été retenus.

La Damnation de Faust (Kaufmann-Hymel-Koch-Terfel-Hermanis-Jordan) Bastille

Alvis Hermanis, metteur en scène letton qui fait son entrée à l’Opéra National de Paris, voit dans ce choix assumé un élan inexplicable qu’il compare à la signature du pacte de Faust avec le Diable. Tout son travail consiste ainsi à hybrider la logique de ce programme spatial avec la trame poétique et tragique de la Damnation de Faust.

Dès l’ouverture apparaît donc, sous les traits du physicien, le danseur bien connu de la troupe de Pina Bausch, Dominique Mercy. Il rêve d'avenir depuis le fauteuil roulant qui fait corps avec lui, et Faust (Bryan Hymel) devient alors l’expression de son âme mélancolique.

La Damnation de Faust (Kaufmann-Hymel-Koch-Terfel-Hermanis-Jordan) Bastille

Les projections vidéographiques présentent le projet Mars One, et, pour en souligner la réalité, certains profils des participants s’affichent. Une étudiante iranienne fait même partie des 100 personnes sélectionnées.

Par la suite, le spectacle fait la part belle à deux plans visuels, d’une part les vidéos qui illustrent le propos des scènes, et, d’autre part, le chœur et les danseurs qui représentent différents états d’évolution de la condition humaine.

Bryn Terfel (Mephistophélès)

Bryn Terfel (Mephistophélès)

Nous voyons ainsi ce peuple haut en couleur et exubérant – les paysans de la scène initiale – danser la vie devant une verrière représentant Adam et Eve dans les jardins d’Eden.

Puis, l’hymne de Pâques est chanté dans la pleine sérénité bleutée d’un lever de Soleil sur la Terre vu depuis l’Espace – l’évocation d’une montée vers les gloires éternelles, celle qu’espèrent les candidats au voyage – jusqu’à l’arrivée de Méphistophélès (Bryn Terfel) dissimulé sous les traits du médecin en chef du programme spatial, Norbert Kraft.

La Damnation de Faust (Kaufmann-Hymel-Koch-Terfel-Hermanis-Jordan) Bastille

Les vidéos et les danses évoluent pour montrer à quel point le regard de ce personnage sur les êtres est un regard manipulateur qui les considère comme des animaux – des rats - au cours de la scène de la cave d’Auerbach, avant que ne s’élèvent les premières images de Mars sur le rêve de Faust et l’Ode à des paysages bucoliques . Le ballet des Sylphes, puis celui des étudiants, devient une évocation sensuelle de corps entrelacés d’un charme plus charnel que chorégraphique.

Les dernières images convoquent avec surabondance et de façon décorative les machines préparatoires à la conquête de Mars, dont une machine gravitationnelle – l’alcôve embaumée – qui enserre Stephen Hawking, et le robot d’exploration Opportunity chargé de découvrir des sources d’eau.

Jonas Kaufmann (Faust) - le 11 décembre

Jonas Kaufmann (Faust) - le 11 décembre

Dans la seconde partie, l’impression générale de ce que l’on voit est une incitation à considérer la valeur et la beauté de la vie à partir d’un enchainement d’images qui exhibent les lignes et rondeurs des corps d’hommes et de femmes exposées dans des cages en verre, pour se poursuivre en imagerie spectaculaire sur la vie de la nature.

Des baleines évoluant majestueusement sur les appels plaintifs et mystérieux des cordes, une fascinante et drôle de scène d’amour entre deux escargots, une éruption volcanique pendant l’invocation à la nature, Alvis Hermanis réalise un des plus grandioses hommages à notre Terre jamais vu à l’Opéra.

Bryan Hymel (Faust)

Bryan Hymel (Faust)

Mais malgré la force de cette réalité, Faust finit par signer son pacte avec Méphistophélès et le suivre vers l’enfer, au cours d’un voyage accéléré à travers l’espace jusqu’aux limbes de Mars – des extraits du documentaire Roving Mars (2006) nous font vivre en accéléré ce périple qui durerait plus de six mois dans la réalité.

On comprend la crainte personnelle sous-jacente du metteur en scène, qui se demande si les terriens prennent encore conscience de la chance qu’ils ont à vivre sur leur planète, s’ils font sincèrement quelque chose pour la préserver, et qui ne comprend pas pourquoi certains auraient envie d’aller sur Mars, alors qu’ils ne savent même pas vivre en harmonie chez eux.

Bryan Hymel (Faust)

Bryan Hymel (Faust)

Et le double de Faust, Stephen Hawking, finit en état de jubilation devant ceux qui ont été sélectionnés pour ce voyage sans retour.

L’inconvénient majeur de cette production est qu’elle relègue les chanteurs à des animateurs vocaux, des commentateurs, plus qu’à des acteurs de la vie.

Dans son rôle de médecin diabolique, Bryn Terfel chante Méphistophélès avec une excellente diction sans que pour autant il dégage une noirceur insondable. Son relief est avant tout physique, et la perversion de son personnage indéniablement présente.

Sophie Koch (Marguerite)

Sophie Koch (Marguerite)

Face à lui, Bryan Hymel est un Faust profondément lunaire, hors du présent, dont le timbre a des couleurs d’automne comparables à celle de Jonas Kaufmann auquel il est régulièrement associé. En effet, ce jeune chanteur américain avait déjà remplacé le ténor allemand à Londres, dès 2012, dans le rôle d’Enée (Les TroyensBerlioz), et son intelligibilité non dénuée d’accent est appréciable dans un répertoire si difficile pour les chanteurs du monde anglo-saxon. Son personnage semble abandonné par la vie.

Lors de la seconde représentation, on retrouve cette attitude réflexive chez Jonas Kaufmann, mais alors qu'il débute sur une tonalité très sombre et que l'ampleur de l'orchestre prend un peu le dessus, il découvre progressivement l'immensité de son talent. Ce talent est d'abord vocal, une technique qui donne de la densité au son, une voix dont le charme vous prend par la main avec un gant de velour, puis qui achève de vous mettre à genoux quand des suppliques incroyablement filées confinent aux murmures les doux accords des musiciens. Il est par ailleurs un acteur extraordinairement naturel, et quand on le regarde, son jeu paraît toujours nuancé et vrai.

Jonas Kaufmann (Faust) - le 11 décembre

Jonas Kaufmann (Faust) - le 11 décembre

La Damnation de Faust est construite sur une première partie qui ne présente pas Marguerite – on la remarque passer furtivement en fond de scène.  L’apparition de Sophie Koch crée alors un véritable moment de rupture, d’autant plus que le romantisme de son rayonnement vocal ample et subtilement grave est l’expression même de l’amour proche à cœur battant. Elle représente ici toutes les valeurs humaines et affectives de la vie auxquelles Faust se rattache.

Il reste peu de champ pour les rôles secondaires, mais Edwin Crossley-Mercer, que l’on vient d’entendre à Strasbourg dans Pénélope (Fauré), est à nouveau d’une droiture parfaite.

Dans cet opéra, les chœurs ont une présence prédominante. La puissance qu’ils affichent aux premières scènes s’assouplit, pour exprimer par la suite des couleurs tout autant spirituelles dans les évocations religieuses, qu’elles se révèleront d’une densité et d’une espérance sensiblement humaine dans les scènes de vie.

Sophie Koch (Marguerite) et Bryan Hymel (Faust)

Sophie Koch (Marguerite) et Bryan Hymel (Faust)

Philippe Jordan débute donc par cette œuvre un cycle Hector Berlioz qui va s’étaler sur quatre ans. Aux commandes de l'orchestre de l’Opéra National de Paris, il n’a aucune difficulté à exalter la sensualité des moments lents et envoûtants, finement limpides et gorgés d’une chaleur parfois flamboyante. Il réussit également à restituer la tonalité intime de la partition dont il fait ressentir détails et impressions de fragilité.

Cependant, au cours des premières représentations, percussions et cuivres estompent l’effet de fluidité des cordes lorsque la dynamique de la musique s’accélère et prend de l’ampleur. Il en résulte une sensation clinquante et peu subtile des impacts dramatiques et un manque d'élan sensible pour l'auditeur.

Mais, lors de la représentation du 13 décembre, Philippe Jordan et l'Orchestre de l'Opéra National de Paris effacent totalement cette impression. Cette fois, une inspiration épique irise la partition à en donner le frisson, œuvre du temps et de l'expérience qui permet d'affiner l'interprétation orchestrale pour lui donner le souffle aéré et galvanisant des grands espaces.

Sophie Koch - Philippe Jordan - Jonas Kaufmann - le 11 décembre

Sophie Koch - Philippe Jordan - Jonas Kaufmann - le 11 décembre

Et dans leur ensemble, les images de ce spectacle ont un pouvoir suggestif car elles nous renvoient à des questions et des aspects de la vie qui nous intriguent depuis l’enfance. Elles sont comme un avertissement que l'homme est sur le point de signer un irréversible adieux à la nature dont il est issu.

Mais ce montage original de séquences ne fait pas oublier pour autant le travail riche, coloré et naïf de Robert Lepage, le réalisateur de l'ancienne production, certes dénué de sens politique, mais porteur d'une beauté poétique intemporelle.

 

Diffusion de la Damnation de Faust sur CultureBox à partir du 19 décembre, et retransmission sur Mezzo le 24 décembre 2015 à 20h30.

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Publié le 17 Mai 2015

Le Roi Arthus (Ernest Chausson)
Répétitions piano et générale des 09 et 13 mai 2015
Représentation du 16 mai 2015

Genièvre Sophie Koch
Arthus Thomas Hampson
Lancelot Roberto Alagna
Mordred Alexandre Duhamel
Lyonnel Stanislas de Barbeyrac
Allan François Lis
Merlin Peter Sidhom
Le laboureur Cyrille Dubois
Un Chevalier Tiago Matos
Un Ecuyer Ugo Rabec

Mise en scène Graham Vick
Direction musicale Philippe Jordan

Nouvelle production                                                        Roberto Alagna (Lancelot)

C’est à une semaine entièrement dédiée à la création du Roi Arthus sur la grande scène de l’Opéra Bastille que le public curieux a été convié depuis le week-end Tous à l’Opéra ! du 9 et 10 mai, jusqu’à la première représentation le week-end d’après.

Parrain de la neuvième édition d’une manifestation couverte par une centaine de maisons lyriques en Europe, le directeur musical de l’Opéra National de Paris et du Wiener Symphoniker, Philippe Jordan, s’est considérablement impliqué, aussi bien dans les médias que sur scène, pour faire partager sa passion de la musique.

Roberto Alagna (Lancelot)

Roberto Alagna (Lancelot)

Ainsi, a t-il proposé de mener une master-classe à l’amphithéâtre Bastille, afin de faire progresser au chant de Mozart des élèves de l’Atelier Lyrique, non sur le plan de la pure technique vocale, mais plutôt par l’analyse de la logique rythmique et expressive de son écriture musicale. Pour l’auditeur, la confrontation directe aux exigences de cet art fragile change le regard qu’il peut avoir sur l’interprète comme sur l’interprétation.

Mais la veille, durant tout le samedi après-midi, le public a eu également la chance d'investir les deux balcons de la salle principale, afin d’assister à la répétition piano des deux premiers actes du Roi Arthus, l’unique opéra d’Ernest Chausson.
Sans l’orchestre, et accompagnés seulement par une pianiste talentueuse jouant depuis la fosse déserte, les artistes ont donc pu répéter par intermittences, sous la supervision de Graham Vick, le metteur en scène, et sous le regard bienveillant de Philippe Jordan.

Adriana Gonzales (Soliste) et Philippe Jordan – Master-classe Tous à l’Opéra!

Adriana Gonzales (Soliste) et Philippe Jordan – Master-classe Tous à l’Opéra!

Roberto Alagna, chantant avec une aisance déconcertante, nous a prouvé avec quelle évidence il tient un rôle immense, à croire qu’il fut écrit pour lui.

Puis, quatre jours plus tard, la répétition générale publique permit de faire découvrir aux parisiens la version intégrale d’un opéra jamais représenté sur la scène de l’Opéra National de Paris. Le premier rapport avec cette œuvre, pour les connaisseurs de la musique de Wagner, est de constater dans quelle mesure l’imaginaire musical d’Ernest Chausson a subi l’influence prégnante de son modèle allemand, que ce soit par le duo de Tristan et Isolde au premier acte, les préludes névrotiques des seconds actes de Lohengrin et de Siegfried qui enchainent des motifs inquiétants de violoncelles et de contrebasses suivis des convolutions du basson dans le troisième acte, les enchantements lumineux inspirés par Parsifal ou Lohengrin, et par un enchevêtrement incessant de références sans, toutefois, la récurrence de leitmotivs facilement identifiables.

Stanislas de Barbeyrac (Lyonnel)

Stanislas de Barbeyrac (Lyonnel)

Le prolongement du Roi Arthus dans l’histoire de Tristan et Isolde est clair, comme le fut l'évolution de Tristan en chevalier de la cour du Roi par des poètes médiévaux. L’évocation des combats avec l’envahisseur saxon permet également de situer l’action au VIe siècle, et il n’est guerre question d’un filtre pour unir les deux amants, sinon, que l’amour de Lancelot et Genièvre prend sa source dans l’amour et l’admiration qu’ils portent à un même homme, un Roi.

Mais c'est à la première représentation du samedi 16 mai que nous allons entendre une restitution musicale miraculeuse.

Depuis son passage à Bayreuth, en 2012, où il dirigea Parsifal dans la dernière reprise de la mise en scène de Stefan Herheim – une lecture fantastico-historique de l’histoire allemande du XXe siècle -, Philippe Jordan a considérablement fait évoluer sa direction, et gagner en ampleur et richesse de timbres, ce qui nous a valu une reprise de l’Anneau des Nibelungen fabuleuse à l’Opéra Bastille l’année suivante.

Roberto Alagna (Lancelot) et Sophie Koch (Genièvre)

Roberto Alagna (Lancelot) et Sophie Koch (Genièvre)

Toutes ses interprétations d’opéras symphoniques tels Tristan et Isolde ou Pelléas et Mélisande en font des mondes immersifs fascinants, et le Roi Arthus est à nouveau un ouvrage dont sa lecture va rester dans les mémoires et l’histoire de l’Opéra.

Car dès l’ouverture, la fluidité allante de l’orchestre déroule une légèreté grisante, suivie par l’introduction d’un chœur éclatant et sans limites, encore plus puissant que dans Les Troyens de Berlioz. L’auditeur est alors saisi par un ensemble de plans sonores spectaculaires ou irréels, un univers qui démultiplie les mouvements instrumentaux tout en les unifiant par une architecture d’ensemble qui wagnérise considérablement la musique d’Ernest Chausson, sans l’alourdir pour autant.

Sophie Koch (Genièvre)

Sophie Koch (Genièvre)

Il suffit ainsi de se laisser submerger par le lyrisme de l’interlude du deuxième acte qui suit l’échange conflictuel et passionnel entre Lancelot et Genièvre, pour y vivre une émotion aussi puissante que celle des adieux de Wotan à Brunhilde dans la Walkyrie.

Énergie et hédonisme se rejoignent en une grande fresque épique et romantique peinte de couleurs flamboyantes et d’une profusion d’ornements, alors que la violence sous-jacente des sentiments sublime le rythme du discours musical qui aurait pu se complaire dans une esthétique purement poétique.

Le drame gagne en corps et en esprit, et il est fort probable que si le compositeur avait pu assister à cette représentation, ses propres débordements d’émotion lui auraient tiré des pleurs de joie.

Thomas Hampson (Arthus), Roberto Alagna (Lancelot) et Stanislas de Barbeyrac (Lyonnel)

Thomas Hampson (Arthus), Roberto Alagna (Lancelot) et Stanislas de Barbeyrac (Lyonnel)

Et ce Roi Arthus est de surcroît défendu par une distribution exceptionnelle qui se surpasse dès ce premier soir.

Roberto Alagna est d’une profondeur impressionnante, son chant, une référence à vie pour sa clarté de diction et ses belles couleurs fauves, et le personnage de Lancelot l’enrichit car il lui permet à la fois de jouer avec cœur les grands élans chevaleresques hors du temps qu’il affectionne, mais également de gagner en théâtralité par sa manière de décharger des accumulations de tension très crédibles et très surprenantes chez lui.

Il donne tout avec une intense générosité à laquelle se rallie Sophie Koch dans un état de surtension elle aussi incroyable. Les aigus flambent à travers la salle, sa fierté rayonnante imprègne Genièvre dès le duo du premier acte, puis, elle se transforme en une Vénus dominante et extraordinaire au deuxième acte quand elle sent qu’elle perd Lancelot, et livre un portrait pathétique et bouleversant au dernier acte comme l’était sa Charlotte dans Werther.

Thomas Hampson (Arthus)

Thomas Hampson (Arthus)

Ces deux immenses personnages gravitent autour d’un Thomas Hampson vaillant et vocalement intègre, chantant dans une langue qu’il a toujours affectionné au cours de sa carrière, depuis le Don Carlos interprété avec Roberto Alagna au Théâtre du Châtelet en 1996.

Il brosse une ligne noble, charmeuse et quelque peu innocente du Roi Arthus, ne lui laissant des noirceurs névrotiques qu’au cours de l’entrevue avec Merlin ainsi qu'au dernier acte. Ses affectations impressionnantes donnent cependant le sentiment qu’il recherche plus l’effet que le réalisme psychologique. Il a en fait quelque chose de Philippe II aussi bien au cours de sa rencontre avec l’enchanteur Merlin, tenu par un Peter Sidhom complexe et dépressif – un échange à la hauteur du duo Empereur/Inquisiteur de Don Carlos –, qu'à son grand moment d’abandon final.

Cyrille Dubois, Stanislas de Barbeyrac, Sophie Koch et Roberto Alagna

Cyrille Dubois, Stanislas de Barbeyrac, Sophie Koch et Roberto Alagna

Et les seconds rôles sont défendus par des chanteurs issus de l’Atelier Lyrique, tous resplendissants. Alexandre Duhamel est un jeune Mordred noir et humain, Cyrille Dubois un laboureur splendide et incroyablement poétique – son passage en arrière scène évoque l’appel lunaire du marin dans Tristan et Isolde -, et Stanislas de Barbeyrac offre une très belle émission colorée et légèrement sombre, dont il travaille maintenant la teneur dramatique, qui laisse présager un futur grand Cassio.

Avec un Orchestre et un Chœur de l’Opéra National de Paris monumentaux et inflexibles, tous ces artistes se surpassent pour une œuvre qui vaut un tel investissement musical et interprétatif.

Cyrille Dubois, Philippe Jordan, Sophie Koch, Roberto Alagna

Cyrille Dubois, Philippe Jordan, Sophie Koch, Roberto Alagna

Face à ce déferlement de beautés sonores, les décors, costumes et lumières de la mise en scène de Graham Vick jurent par leur contemporanéité et leur détachement avec ce que l’on entend. Rarement se fondent-ils dans la musique, mais le propos est cohérent.
Le régisseur britannique suit une logique qui montre comment le rêve de bonheur très bourgeois du Roi Arthus – la construction d’une maison, son ameublement avec son canapé et ses petits meubles en bois, son jardin de fleurs jaunes anecdotique – a quelque chose de dérisoire, et va être pulvérisé par l’histoire d’amour entre son ami et sa femme, puis par la guerre.

Philippe Jordan

Philippe Jordan

Au fur et à mesure des scènes, le décor éclate, l’illusion du sens de l’honneur explose – la demeure sort du champ d’épées entourant la table ronde – et ne restent que des débris et un canapé calciné à la fin.

On rêve d’un Bill Viola et d’un Peter Sellars à la mise en scène, tant Philippe Jordan aura été prodigieux.

 

Diffusion de la représentation du 02 juin en direct sur Culturebox, et en différé sur France Musique le samedi 06 juin.

 

 

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Publié le 23 Janvier 2015

Ariane à Naxos (Richard Strauss)
Représentation du 22 janvier 2015
Opéra Bastille

Le Majordome Franz Grundherer
Le Maître de musique Martin Gantner
Le Compositeur Sophie Koch
Le Ténor (Bacchus) Klaus Florian Vogt
Un Maître à danser Dietmar Kerschbaum
Zerbinette Elena Mosuc
La Primadonna (Ariane) Karita Mattila
Arlequin Edwin Crossley-Mercer
Naïade Olga Seliverstova
Driade Agata Schmidt
Echo Ruzan Mantashyan

Direction Musicale Michael Schonwandt                       Karita Mattila (Ariane)
Mise en scène Laurent Pelly (2003)

Souvenir des années fastes du second mandat d’Hugues Gall, directeur de l’Opéra National de Paris entre 1995 et 2004, la nouvelle production d’Ariane à Naxos dans la mise en scène de Laurent Pelly était d’un bel éclat musical quand les voix de Natalie Dessay, Sophie Koch et Stéphane Degout émerveillaient l’opéra Garnier.

Les temps sont un peu plus difficiles aujourd’hui, et le spectacle s’est déplacé à Bastille, mais la perspective de l’annonce prochaine de la première saison de Stéphane Lissner réchauffe le cœur, d’autant plus que la première représentation de cette reprise est d’une beauté orchestrale et vocale qui nous conforte dans notre sensibilité à une forme artistique qui nous dépasse.

Elena Mosuc (Zerbinette)

Elena Mosuc (Zerbinette)

On se souvient de la finesse avec laquelle Michael Schonwandt avait dirigé Lulu à l’automne 2011, lissant légèrement les sonorités dissonantes de la partition, il ne s’écarte pas plus de cette ligne chatoyante pour la musique d’Ariane à Naxos.
Ses talents de symphoniste devraient beaucoup plaire à Philippe Jordan, car le chef danois – il sera le nouveau directeur musical de l’opéra de Montpellier à la fin de l’été prochain - emplit la fosse d’un déploiement riche et chaleureux de cordes entremêlées d’étincelles et de sonorités chantantes. Le final du premier acte entre Zerbinette et le Compositeur prend même une profondeur poétique qui annonce le lyrisme pathétique de la seconde partie.

Karita Mattila (Ariane)

Karita Mattila (Ariane)

Cette volonté de lier par une même onde subliminale la vitalité musicale de l’actrice et le fleuve de désespérance d’Ariane se retrouve aussi dans la similarité des voix des deux chanteuses, Elena Mosuc et Karita Mattila. Car la soprano roumaine n’a pas uniquement de l’aisance dans les coloratures propres à son rôle ; elle a une voix profondément lyrique qui lui donne une épaisseur de caractère supplémentaire. Le contraste avec les lamentations de la princesse s’atténue donc sensiblement.

Mais la soprano finlandaise n’a, elle, rien perdu de son expressivité dramatique si touchante par la colère intérieure qu’elle révèle. Son chant est d’une beauté nocturne qui ne trahit aucune faille même dans la tessiture aiguë, et ce n’est qu’émerveillement sous ce charme de velours ample et envoutant. Avec, de plus, l’émotion à l’écoute d’une voix qui défie la vie et le passage du temps.

Karita Mattila (Ariane)

Karita Mattila (Ariane)

Ensuite, uniquement dans le prologue, nous retrouvons les deux chanteurs qui étaient sur scène dès la création de la production à Garnier, Martin Gantner, en maître de musique, et Sophie Koch, en compositeur.
Le premier, toujours aussi impressionnant de présence, est un baryton au chant de charme, très agréable à écouter, comme si sa tessiture se diluait dans l’atmosphère.
La seconde, qui fut sur cette même scène Fricka et Vénus, est confondante par son apparence masculine jeune et fine. Son incarnation brille d’impétuosité et de vitalité, et sa voix dirigée bien frontalement révèle uniquement des graves plus intimes.

Klaus Florian Vogt (Bacchus)

Klaus Florian Vogt (Bacchus)

Et comme il s’agit d’une soirée faite pour réunir des stars, Klaus Florian Vogt – qui surgit du devant de la scène pour révéler la vision de Bacchus à Ariane – est un véritable dieu dans ce rôle à sa mesure. Il n’est pas fait pour la comédie de boulevard, mais dès qu’il s’agit d’incarner un personnage à l’apparence de surhomme mais avec un cœur bien humain, la clarté et l’éloquence de sa voix, à la fois céleste et terrestre, est un éblouissement de l’âme.

Les trois nymphes, Olga Seliverstova, Agata Schmidt et Ruzan Mantashyan, composent avec bonheur un superbe ensemble enchanteur.

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Publié le 4 Août 2014

Der Ring des Nibelungen (Richard Wagner)
Bayreuther Festspiele 2014

27 juillet - Das Rheingold
28 juillet - Die Walküre
30 juillet - Siegfried
01 août - Götterdämmerung

Direction Musicale Kirill Petrenko

Mise en scène Frank Castorf
Décors Aleksandar Denic
Costumes Adriana Braga Peretzki
Lumières Rainer Casper
Video Andreas Deinert

 

                                                                                                   Elisabeth Strid (Freia)

 

Wotan / Der Wanderer Wolfgang Koch                Siegmund Johan Botha
Fricka / Waltraute / 2. Norn Claudia Mahnke      Sieglinde Anja Kampe
Loge Norbert Ernst                                             Brünnhilde Catherine Foster
Alberich Oleg Bryjak*                                        Hunding Kwangchul Youn*
Mime Burkhard Ulrich                                        Helmwige / 3. Norn Christiane Kohl
Fasolt Wilhelm Schwinghammer*                       Ortlinde Dara Hobs
Fafner Sorin Coliban                                            Grimgerde Okka von Der Damerau*
Freia Elisabeth Strid                                            Rossweisse Alexandra Petersamer
Erda / Schwertleite Nadine Weissmann                Gutrune / Gerhilde Allison Oakes
Donner Markus Eiche*                                      Woglinde / Waldvogel Mirella Hagen
Froh Lothar Odinius                                           Siegfried Lance Ryan
Flosshilde / 1.Norn Okka von Der Damerau      Hagen Attila Jun
Wellgunde / Siegrune Julia Rutigliano                 Gunther Alejandro Marco-Buhrmester

*changement d’interprète par rapport à 2013

Fortement chahuté lors de sa création, et à nouveau cette année, le Ring mis en scène par Frank Castorf oblige à réfléchir au sens que la Tétralogie de Wagner représente pour ses admirateurs : une grande saga épique et mythologique, une fresque d’une profondeur de sentiments exaltante, ou bien la narration d’un monde dominé par des forces cupides, violentes et détraquées où l’Amour n’est qu’un rêve idéal qui ne peut y survivre ?

Wilhelm Schwinghammer (Fasolt)

Wilhelm Schwinghammer (Fasolt)

C’est ce dernier point de vue que le directeur de la Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz de Berlin a choisi, et, en raccrochant la légende des Nibelungen à l’histoire récente, depuis les premières exploitations du pétrole du Caucase, jusqu’à l’avènement du système financier mondial, il s’évertue à montrer comment l’humanité, dans sa plus banale vie, avance alors que des forces politiques et idéologiques la contraignent au point de faire de ses sentiments humains une valeur éphémère.

Das Rheingold

Dans Rheingold, situé dans un petit motel doté d’une station-service et d’une piscine bordant une autoroute du Texas, Frank Castorf reconstitue tout un univers foisonnant où les dieux, géants et nains sont tous ramenés à des personnages humains : filles du Rhin et Freia en filles faciles, Erda en maîtresse des lieux qui dame le pion à Fricka, Wotan en grand jouisseur, Fasolt et Fafner en casseurs etc..

Norbert Ernst (Loge)

Norbert Ernst (Loge)

Chez ces dieux on picole beaucoup, on se bat pour les filles, on recherche le profit - Alberich entasse minutieusement son or pendant que chacun règle ses comptes – et le pétrole est une nouvelle richesse introduite dans ce prologue comme point de départ d’une course à la maitrise des richesses énergétiques qui deviendra le fond historique des trois journées suivantes.

Wolfgang Koch (Wotan) et Nadine Weissmann (Erda)

Wolfgang Koch (Wotan) et Nadine Weissmann (Erda)

La force de ce premier volet réside dans l’incroyable cohésion dramaturgique qui unit tous les artistes, qui doivent jouer en permanence sur scène même lorsqu’ils ne chantent pas, car des caméras filment l’arrière scène autant que l’intérieur du bâtiment. Le spectateur est saturé d’actions et d’images, mais ce qui le captive le plus est la manière dont tous ces personnages semblent si vrais, comme si le metteur en scène avait demandé aux chanteurs de penser à leurs propres scènes intimes, avec leurs moments de paniques, de cacophonies, mais aussi leurs instants de rêveries.

Der Ring des Nibelungen (Petrenko - Castorf) Bayreuth 2014

Ainsi, Norbert Ernst est un Loge toujours aussi émouvant et conciliateur, aux faux-airs de Candide, Sorin Colban un impressionnant Fafner, Wilhelm Schwinghammer un Fasolt au chant agréablement langoureux, Elisabeth Strid une Freia de feu, et les voix des trois filles, Okka von Der Damerau, Mirella Hagen et Julia Rutigliano s’harmonisent merveilleusement.

Quant à l’Alberich d’Oleg Bryjak, son indéniable présence ne fait cependant pas oublier le charisme de Martin Winkler.

Die Walküre
 

Le premier volet de cette tétralogie, déjà bien commenté l’année précédente, se déroule à Bakou, au moment où les compagnies pétrolières occidentales vont devoir céder leur monopole pétrolier à la révolution russe. Le décor est un monumental fort en bois qui cache un puit de forage, et les éclairages qui l’enveloppent évoquent des horizons sombres et flamboyants visuellement fantastiques.

On l’a déjà dit, Frank Castorf a la prudence de ne rajouter aucun effet distrayant aux deux premiers actes, où se déroulent des scènes intimes entre frère et sœur, mari et femme et père et fille. Seule entorse dramaturgique, la scène entre Wotan et Fricka est présentée comme une scène de couple d’exploitants, sans lien entre les deux personnages de Rheingold.

                                                                                           Kwangchul Youn  (Hunding)

Quant à Brunnhilde, elle prépare elle-même les charges de nitroglycérine qui serviront à l’excavation des zones pétrolifères.

Le troisième acte correspond à l’attaque de ce fort, la scène des Walkyries est bien mieux intégrée théâtralement que le livret de Wagner, qui en fait une scène à part, et Wotan reprend son rôle dominant.

Claudia Mahnke (Fricka)

Claudia Mahnke (Fricka)

Wolfgang Koch paraissait un bien meilleur Wotan dans Rheingold que l’année précédente, il impose dorénavant un grand rôle, pour lequel il est à la fois un interprète non pas dépassé par la situation, mais volontaire, comme s’il ne voulait pas lâcher de son pouvoir, avec hargne et séduction dans le timbre.

Et à nouveau, Claudia Mahnke est une magnifique Fricka, impériale avec sa voix aux mille reflets chatoyants.

 Anja Kampe (Sieglinde) et Johan Botha (Siegmund)

Anja Kampe (Sieglinde) et Johan Botha (Siegmund)

Le couple formé par Anja Kampe et Johan Botha fonctionne tout aussi bien, mais la chanteuse allemande a un tempéramment expressif et une franchise passionnée dans les attaques en décalage complet avec l’immobilisme corporel du ténor, plus convaincant dans les passages héroïques que pour la tendresse intime des sentiments.

Kwangchul Youn est un splendide et presque trop noble Hunding, mais ce n’est plus une surprise.

Catherine Foster (Brunnhilde)

Catherine Foster (Brunnhilde)

Elle avait eu quelques difficultés à démarrer dans son rôle en 2013, Catherine Foster est cette année une très grande Brunnhilde, une très belle voix claire et dorée avec des inflexions violentes et attendrissantes, qu’elle ne fait qu’enrichir jusqu'à la scène finale du Crépuscule des Dieux.

Et Kirill Petrenko emmène l’orchestre vers des sommets où la musique de Wagner devient un art multidimensionnel dont on ne compte plus la pluralité des plans sonores. Le spectacle est pris dans un univers musical profond, un bouillonnement magmatique dont l’énergie ne cesse de se regénérer par ce que l’on aurait envie d’appeler un 'miracle'.

Les Walkyries

Les Walkyries

Les couleurs des cuivres, amples et parfaitement lissées, émergent d’une fantastique atmosphère de cordes vivantes et mues par de grands mouvements tout en contrastes et nuances. C’est quelque chose d’inouï à entendre, une expérience d’une densité inimaginable, qui ne laisse aucunement transparaître la difficulté du travail nécessaire pour y arriver. Wotan en sort encore plus magnifié dans ses grands monologues.

Siegfried

Burkhard Ulrich (Mime)

Burkhard Ulrich (Mime)

S’il n’y avait qu’un volet à revoir de cette tétralogie, Siegfried serait l’incontournable.
C’est, en premier lieu, l’occasion de découvrir l’incarnation démente qu’en fait Lance Ryan.
Son personnage porte en lui une ambiguïté extrême, une allure romantique mais une voix large au timbre ingrat qui, pourtant, caractérise à merveille cet homme déterminé, attendrissant par sa méconnaissance de ses origines, et violent dans toute son ignorance.

Et au réveil de Brunnhilde, il est même incroyablement touchant d’incrédulité au pied de cette femme qui chante sa joie de revivre enfin.

Der Ring des Nibelungen (Petrenko - Castorf) Bayreuth 2014

Il est très proche, vocalement, du Mime d’ Burkhard Ulrich, lui aussi excellent acteur et chanteur, et Frank Castorf situe leur logis au pied d’un Mont Rushmore sculpté par des visages de grands idéoloques communistes.
L’image est saisissante en ce qu’elle porte comme symbole pesant sur la destinée humaine.

Le combat entre Siegfried et Wotan, livré au sommet de cette montagne dominée par les ombres de la nuit, n’en est que plus dramatique.

Mirella Hagen (L'oiseau) et Lance Ryan (Siegfried)

Mirella Hagen (L'oiseau) et Lance Ryan (Siegfried)

Grand moment de paroxysme, le meurtre de Fafner sur Alexander Platz à coups de mitraillette, suivi de l’assassinat au couteau de Mime, soigneusement replié par Siegfried, se déroule dans des relents orchestraux d’une noirceur suffocante qui en mettra mal à l’aise plus d’un.

Mais il y a également le très bel air de l’oiseau, sous les traits d’une danseuse de cabaret aux splendides volutes de plumes, chanté avec magie par Mirella Hagen, puis l’arrivée d’Erda où, à nouveau, Nadine Weissmann interprète une femme forte et bafouée mais encore soumise à Wotan. Comme dans Rheingold, ses mimiques, quand elle se prépare en essayant toutes sortes de perruques avant de retrouver Wotan, sont génialement drôles. L’argent coule à flots, mais plus pour longtemps.

Catherine Foster (Brunnhilde) et Lance Ryan (Siegfried)

Catherine Foster (Brunnhilde) et Lance Ryan (Siegfried)

Quant au duo d’amour final de Siegfried et Brunnhilde, il est démythifié par Castorf, les deux crocodiles de l’année précédente qui s’agitent à leurs pieds ayant même donné naissance à un petit qui viendra se faufiler parmi le couple. Tout est fait pour distraire de la musique de Wagner, ce qui peut agacer.

Götterdämmerung
 

Cette démythification de l’Amour se prolonge au début du premier acte du Crépuscule des Dieux, même si l’on peut croire à cet échange timide et banal sur un simple banc.

Les trois Nornes chantent magnifiquement, mais Siegfried est cette fois bien plus violent et détraqué que dans la version 2013 du Ring, au milieu de ce décor désolé en briques rouges de l’usine pétrochimique de Schkopau, autant évocateur d’un château en ruine que d’un univers apocalyptique.

Claudia Mahnke est à nouveau une flamboyante Waltraute qui nous engloutit dans un intense et bouleversant moment d’émotion, et elle ne sera dépassée que par Catherine Foster dans la grande scène des adieux, un monument de désespoir humain inoubliable tant elle y met du coeur jusqu'au bout.

 

                                                                                           Alejandro Marco-Buhrmester (Gunther)

 

Dans ce monde finissant, les services de restauration rapide ont remplacé les grands restaurants du système capitaliste post-communiste d'Alexander-Platz, la population noie son ennui dans l'alcool - le choeur en habits bariolés de toutes les couleurs est encore une fois puissant et enjoué - et les caïds dominent l'économie.

Avec Attila Jun, Hagen manque, certes, de noirceur rocailleuse, mais son personnage sordide et révolté est très bien joué et chanté, tout comme le Gunther d’Alejandro Marco-Buhrmester, très bel homme à l’allure androgyne sur cette scène.

Catherine Foster (Brunnhilde)

Catherine Foster (Brunnhilde)

Ensuite vient le meurtre de Siegfried, après son incroyable délire, tué sauvagement à coups de batte de baseball dans les lueurs d’un feu désolé. La marche funéraire est rendue vulgaire pour ne pas glorifier le pseudo-héros, et Brunnhilde incendie le bâtiment néoclassique de Wall Street, avant de rendre l’anneau aux filles du Rhin qui le jettent définitivement au feu. Le monde est détruit dans une totale absurdité, et une dernière vidéo montre un incongru Hagen se laissant entrainer, au gré du courant, sur une barque le long du Rhin.

Kirill Petrenko est un chef immense, sa modestie l’est tout autant.

Kirill Petrenko

Kirill Petrenko

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Publié le 22 Décembre 2013

Dialogues des Carmélites (Francis Poulenc)
Représentations du 10, 15 et 21 décembre 2013
Théâtre des Champs Elysées

Mère Marie de l’Incarnation Sophie Koch
Blanche de La Force Patricia Petibon
Madame Lidoine Véronique Gens
Sœur Constance Anne-Catherine Gillet / Sabine Devieilhe / Sandrine Piau
Madame de Croissy Rosalind Plowright
Le Chevalier de La Force Topi Lehtipuu
Le Marquis de La Force Philippe Rouillon
Mère Jeanne Annie Vavrille
Sœur Mathilde Sophie Pondjiclis
Le père confesseur François Piolino
Le premier commissaire Jérémie Duffau
Le second commissaire Yuri Kissin
Le geôlier Matthieu Lécroart

Direction musicale Jérémie Rhorer
Mise en scène Olivier Py
Philharmonia Orchestra                                                Patricia Petibon (Blanche de la Force)
Chœur du Théâtre des Champs Elysées

Après deux spectacles parisiens dont l’un,  Aïda, reste encore un sujet de profond désaccord, Olivier Py vient de signer une mise en scène qui restera comme la plus forte et la plus aboutie du Théâtre des Champs Elysées de ces dernières années.
A travers Dialogues des Carmélites il trouve une plénitude à évoquer les symboles inaltérables de sa foi catholique de manière très poétique, à travers quatre tableaux vivants, l’Annonciation, La Nativité, la Cène et la Crucifixion, reconstitués simplement, à des instants bien précis, par les sœurs avec des éléments en bois découpé, jusqu’à la dernière scène d’élévation, une à une, des Carmélites dans un ciel nocturne étoilé, bien loin de l’horreur sanguinaire et voyeuriste de la décapitation finale.

Rosalind Plowright (Madame de Croissy)

Rosalind Plowright (Madame de Croissy)

Le doute, lui, est représenté avec effroi lors de l’agonie de Madame de Croissy dans la cellule de l’infirmerie. La scène est vue de haut, si bien que La prieure se retrouve installée dans un lit vertical, debout, mais ligotée par les draps de son lit, privée fatalement de sa liberté.
Sous les faisceaux lumineux provenant du sous-sol, les ombres déformées de son corps grimacent sur la paroi, vision glaciale qui renforce ce sentiment d’absence de Dieu qu’elle ressent après tant d’années à toujours y avoir cru.
Ici, Olivier Py met en scène la conséquence du doute final en essayant d’être le plus effrayant possible.

Patricia Petibon (Blanche de la Force) et Sophie Koch (Mère Marie)

Patricia Petibon (Blanche de la Force) et Sophie Koch (Mère Marie)

Le décor fait également apparaître, en arrière plan, une forêt d’arbres morts, gris et blancs, un refuge pour le couvent des Carmélites, qui laisse place, au troisième acte, au chaos parisien figuré par des éléments de décors noirs virevoltants dans tous les sens.
Py, s’il n’a pu bénéficier d’un plateau tournant, pousse cependant la machinerie du théâtre à ses limites en imaginant un ensemble de tableaux qui s’articulent avec fluidité et ingéniosité, la croix christique étant cette fois définie à partir de quatre plans frontaux qui s’écartent face au public. Certaines scènes sont magnifiquement éclairées en jouant sur la projection des ombres et des interstices des murs sur le sol.
 

Topi Lehtipuu (Le Chevalier de La Force)

Topi Lehtipuu (Le Chevalier de La Force)

Et l’expressivité théâtrale des artistes est, cette fois, crédible et vivante : les peurs viscérales de Blanche, la sensibilité de son frère qui vient la rechercher, l’inquiétude lisible sur tous les visages, mais aussi la joie dithyrambique de Constance.

Dans ce rôle, le théâtre des Champs Elysées aura accueilli trois chanteuses, chacune avec une personnalité bien distincte : Anne-Catherine Gillet est la plus touchante immédiatement, présente et d’une belle juvénilité, Sabine Devielhe est, elle, débordante de vie avec un timbre plus acidulé, et Sandrine Piau, rétablie pour les deux dernières représentations, joue plus sur la douceur de caractère et l’émotion spirituelle de la jeune sœur tout en étant un peu plus confidentielle.

La Cène

La Cène

Rosalind Plowright, par ses changements brusques d’inflexions et de rythmes déclamatoires, traduit extraordinairement une personnalité en train de se fragmenter, avec un expressionnisme noir qui sacrifie nécessairement à la musicalité.
Son personnage a ainsi un impact assez fort, ce qui n’est cependant pas le cas du Chevalier de La Force de Topi Lehtipuu, sensible, certes, et très bien incarné, mais vocalement gâté par une diction et un timbre qui en réduisent toute tendresse, et c’est bien dommage.

Véronique Gens (Madame Lidoine)

Véronique Gens (Madame Lidoine)

Et Sophie Koch et Véronique Gens portent deux grands personnages, une Mère Marie digne et droite, un peu rêche toutefois, et une Madame Lidoine plus humaine et profonde, dont la tessiture convient bien à la soprano française.

Il y a très souvent, avec Olivier Py, une héroïne romantique, habillée tout en noir. C’est ainsi qu’apparaît Patricia Petibon. Blanche de la Force devient une jeune femme qui extériorise sans retenue ses propres peurs et conflits intérieurs avec un impact vocal saisissant, mais qui pourrait cependant être plus nuancé, comme dans l’échange sensible avec son frère.
On a ainsi l’impression d’assister au passage d’un stade encore adolescent à une maturité accomplie, ce qui correspond bien à l’image que renvoie la jeune chanteuse.

Crucifixion

Crucifixion

Dans la fosse d’orchestre, Jérémie Rhorer imprime une théâtralité un peu brutale qui a le mérite de maintenir un rythme dramatique prenant, réussissant tous les passages nimbés de mystère. Mais il se dégage une froideur moderne de cette texture de cordes qui, à la fois, manque de limpidité, tout en déployant, également, de très belles envolées lyriques. Peu subsiste du pathétisme de la partition.

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Publié le 10 Décembre 2013

La Femme sans ombre (Richard Strauss)
Représentation du 07 décembre 2013
Bayerische Staatsoper (Munich)

Der Kaiser Johan Botha
Die Kaiserin Adrianne Pieczonka
Die Amme Deborah Polaski
Der Geisterbote Sebastian Holecek
Hüter der Schwelle des Tempels Hanna-Elisabeth Müller
Erscheinung eines Jünglings Dean Power
Die Stimme des Falken Eri Nakamura
Eine Stimme von oben Okka von der Damerau
Barak, der Färber Wolfgang Koch
Färberin Elena Pankratova
Der Einarmige Christian Rieger
Der Einäugige Tim Kuypers
Der Bucklige Matthew Peña
Keikobad Renate Jett

Direction musicale Kirill Petrenko
Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Décors et costumes Malgorzata Szczesniak
Bayerisches Staatsorchester
Chor und Kinderchor der Bayerischen Staatsoper

Quand Krzysztof Warlikowski mit en scène Parsifal à l’Opéra Bastille, au printemps 2008, il divisa un public pris entre subjugation et exaspération car, au lieu de simplement représenter le testament chrétien de Richard Wagner, il voulut montrer comment cet ouvrage annonçait, par anticipation, la catastrophe vers laquelle le monde du XXème siècle allait être entraîné. Depuis, sa production a été détruite par l’actuelle direction de l’Opéra National de Paris.

Adrianne Pieczonka (L'Impératrice)

Adrianne Pieczonka (L'Impératrice)

On comprend alors pourquoi Die Frau Ohne Schatten, confiée à son regard toujours aussi acéré, résonne comme une revanche. Il peut à nouveau remettre sur la scène lyrique le thème d‘un monde en perdition, sauf que, cette fois, l’œuvre est directement liée à l’effondrement des Empires. Elle fut créée à Vienne au sortir de la Première Guerre mondiale, en 1919, et elle fit également l’ouverture du Bayerischen Staatsoper, reconstruit après la Seconde Guerre mondiale, en novembre 1963, et dont on célèbre, aujourd‘hui, le cinquantenaire de l’inauguration.

Elena Pankratova (La Teinturière) et le jeune homme

Elena Pankratova (La Teinturière) et le jeune homme

La grande réussite de Krzysztof Warlikowski, pour cette nouvelle production de La Femme sans Ombre, est d’avoir abouti à un spectacle parfaitement en ligne avec le sens premier du texte d’Hugo Hofmannsthal, tout en cherchant à rester le plus proche possible de son propre univers intérieur, et en reprenant, sous une autre forme, des thèmes qu’il avait déjà travaillé dans Parsifal. On peut citer la correspondance entre la tension croissante de la tentation de Parsifal pour les Filles Fleurs et celle de la Teinturière pour le jeune homme, le déclin d’un monde mourant symbolisé, dans ces deux opéras, par un vieillard joué silencieusement par Renate Jett, les destructions de la guerre au début du troisième acte - on se rappelle les réactions hostiles du public face au film de RosselliniAllemagne année zéro’ projeté dans un silence absolu - noyées, ici, dans un fleuve numérique, et une sincère et touchante image du bonheur familial, commune et idéalisée, sans doute, mais inéluctable comme condition de la survie humaine.

Deborah Polaski (La Nourrice)

Deborah Polaski (La Nourrice)

Il y a toujours un film de référence qui se rattache à l’œuvre choisie par Warlikowski. Le destin de l’Impératrice est ainsi présenté comme le prolongement du mystère envoutant lié à la jeune Femme brune du film d’Alain Resnais, ’L’Année dernière à Marienbad’, tourné pour partie dans les jardins du château de Schleissheim, ancienne résidence d’été des rois de Bavière.
 

Ce décor baroque projeté sur toutes les parois de la scène est une magnifique introduction à la musique de Richard Strauss et, surtout, à la plasticité volubile de la direction musicale de Kirill Petrenko.

De bout en bout, le chef d’orchestre russe modèle le son de l’orchestre en dégageant une variété de plans sonores prodigieux comprenant une nappe de cordes souples et extrêmement diffuse et étendue depuis la salle jusque sur la scène, des volumes modelés et colorés, bardés de stries vivantes, s’élevant ou redescendant latéralement avec une saisissante impression de compacité. Les cuivres, disposés de part et d'autre de l’orchestre, coulent le son d’une inaltérable chaleur rougeoyante, toujours en mouvement, si bien que l’on a la sensation de passer d’un monde en fusion aux profondeurs sombres et inquiétantes.

 

Elena Pankratova (La Teinturière)

 

Warlikowski sait jouer de ces atmosphères fantastiques et théâtrales pour insérer des scènes vidéographiques sophistiquées et dynamiques, projetées sur toutes les dimensions de la scène, et qui suggèrent, par exemple, une fuite à travers une forêt fantomatique, la traversée d’un temple irréel, autour d’une toute petite fille perdue, telle une revenante, le visage à peine visible, l’univers mental d’une Impératrice hors du monde.

Johan Botha (L'Empereur)

Johan Botha (L'Empereur)

Et l’ampleur sonore de l’orchestre, dense mais jamais confuse, même dans les moments les plus intenses, surcharge tant d’ornements incroyables, qu’il arrive parfois qu’ils prennent le dessus sur l’espace expressif laissé aux chanteurs. La méditation de l’Impératrice, juste avant l’apparition de l’Empereur pétrifié, est un exemple de passage où l'exubérance des instruments dépasse la présence de l’interprète.

Elena Pankratova (La Teinturière) et les enfants

Elena Pankratova (La Teinturière) et les enfants

L’opposition entre univers symbolique et monde terrestre prend la forme, chez Warlikowski, d’une scène d’intérieur unique représentant, pour moitié, le monde aristocratique de l’Impératrice, pour l’autre moitié, un monde humain où les coucheries l’emportent sur les sentiments, et, en arrière plan, un espace reposant sur un grand miroir qui réfléchit l’illusion d’un monde irréel en suspension.

Dans la fauconnerie, ce sont les enfants qui se déguisent en oiseaux de proies maléfiques, et ils sont rejoints, plus tard, par des adultes, image démultipliée des hommes avec lesquels l’humaine Teinturière rêvera de vivre ses fantasmes révélés insidieusement par la Nourrice. La scène sensuelle de la rencontre avec le jeune homme au corps fin et musclé est amenée jusqu’au début de l’approche sexuelle, avant que la nourrice ne refuse l’acte comme Parsifal repoussa le baiser de Kundry.

Elena Pankratova (La Teinturière) et le jeune homme

Elena Pankratova (La Teinturière) et le jeune homme

Avec un sens de la fidélité littérale qu’on ne lui connaissait pas, Warlikowski aborde le début du troisième acte avec l’ombre d’un cheval, celui de l’Empereur, se noyant dans le fleuve, suivi par les corps d’hommes morts au combat. La pétrification de cet Empereur renvoie l’image d’un homme mourant sur une table d’opération, symbole d’une société malade, notre propre société occidentale

Mais c’est le sort des enfants qui intéresse le metteur en scène, lui qui reconnaît regretter de ne pas en avoir. Ces œuvres, telles Parsifal, ou le Rake's progress, s'achèvent de la même manière, c'est à dire avec une représentation du bonheur conjugal qu'il sait, ou qu'il estime, ne pas être pour lui, mais qui a de la valeur à ses yeux, à n'en pas douter. La Femme sans ombre se conclut donc sur cette même scène réunissant les deux couples, impérial et humain, et leurs enfants autour d‘une table.

Renate Jett (Keikobad)

Renate Jett (Keikobad)

Et les représentations iconographiques du dernier tableau peuvent ainsi se lire sous l'angle de la signature du metteur en scène (c'est à dire 'Warlikowski' en hiéroglyphes modernes), ou bien, plus largement, comme une représentation des mythes que l'homme moderne s'inventera après l'effondrement d'un monde obscur, les héros de cinéma, Marilyn, le bouddhisme ou bien Freud.

Dans cet univers toujours aussi théâtral et détaillé, Elena Pankratova est l’artiste qui se démarque le plus. Non seulement elle dispose de facilités expressives aussi bien dans la noirceur que dans l’exultation d’aigus souvent très pénétrants, et quelques fois un peu couverts, mais, surtout, elle est une interprète profonde et entière de la Teinturière en complète possession de son corps qu’elle assume et embellit de son humanité.
 

Adrianne Pieczonka n’a pas cette même unité, confinée à un rôle de bourgeoise malade repliée sur elle-même, bien qu’elle démontre qu’elle a tous les moyens techniques pour le rôle de l’Impératrice. Mais l’on ressent une absence d’intégration profonde de sa propre douleur, de ce manque qui devrait être sa force, et qui réduit ainsi l’impact de sa personnalité.

Johan Botha n’est pas mieux avantagé, et même s’il dégage une certaine puissance, son chant ne révèle pas un caractère complexe qui pourrait émouvoir.

Wolfgang Koch est, lui, doué d’une présence beaucoup plus forte, les lignes vocales sont fluides et constantes tant qu’elles ne sont pas amenées à changer rapidement de tonalité, et c’est pourquoi le couple qu’il forme avec la teinturière d’Elena Pankratova est si humain dans sa caractérisation.

  Sebastian Holecek (Le Messager) et Deborah Polaski (La Nourrice)

 

En nourrice, Deborah Polaski est avant tout une actrice vive et hallucinée. Son personnage, masculinisé par un costume blanc uni, fait beaucoup penser à la vision tout aussi froide de Despina (Cosi fan tutte) par Michael Haneke. Mais si les déchirements de la voix lui assignent une certaine animalité, ne subsiste plus la moindre rondeur vocale.

Scène finale

Scène finale

Seulement, quand on est pris par un tel spectacle qui unifie les chanteurs dans un drame lyrique aussi fantastique, les réserves tombent naturellement, d’autant plus qu’il règne, dans une ville comme Munich, une atmosphère positive et sereine qui se ressent à  l’intérieur même du théâtre.

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Publié le 27 Septembre 2013

Alceste (Christoph Willibald Gluck)
Répétition générale du 09 septembre &
Représentations du 22 et 28 septembre 2013

Admète Yann Beuron
Alceste Sophie Koch
Le Grand Prêtre Jean François Lapointe
Hercule Franck Ferrari
Coryphées Stanilas de Barbeyrac
                 Marie-Adeline Henry
                 Florian Sempey
                 Bertrand Dazin
L’Oracle François Lis

Mise en scène Olivier Py
Direction musicale Marc Minkowski
Chœur et Orchestre des Musiciens du Louvre

                                                                                                        Dionysos

La détermination d’Alceste à rejoindre les enfers pour éviter de vivre avec l’absence de son homme aimé est une force romantique que l’on retrouve dans le personnage de Juliette, l’héroïne de Shakespeare.
Alors, en faisant tant ressembler la femme d’Admète à sa Juliette telle qu’il l’avait représentée à l’Odéon, avec son long manteau noir et sa chevelure si féminine, Olivier Py ne fait que révéler cette similitude entre le compositeur allemand et le dramaturge anglais.

Sophie Koch (Alceste)

Sophie Koch (Alceste)

Pour le spectateur d’opéra curieux de bon théâtre, c’est-à-dire de cet art qui s’intéresse à la vie de l’esprit avec tous ses méandres sombres et inextricables, et accoutumé à l’univers du metteur en scène, la poésie visuelle qui émane de ces décors éphémères dessinés si finement à la craie sur de larges pans noirs devant lesquels les personnages vivent la joie et la douleur du drame dans leur vérité simple et touchante, est une très belle manière de rendre le classicisme de l’œuvre plus proche de lui.

Sophie Koch (Alceste)

Sophie Koch (Alceste)

On se laisse aller à admirer les détails de la façade de l’Opéra Garnier, le temple d‘Apollon, maître de la Poésie et de la Musique, la reconstitution des rues de ce qui semble être Venise, les forêts torturées, la nuit étoilée derrière laquelle le chœur murmure un magnifique chant élégiaque, les symboles évidents du Cœur et de la Mort, et Olivier Py réussit naturellement à saisir l’essence du texte et la transcrire dans une vision qui lui ressemble, jusqu’aux garçons toujours physiquement parfaits, qu’il s’agisse des enfants d’Alceste, ou bien de cet Apollon dansant et solaire que l’on retrouvait dans sa pièce Die Sonne.
Ainsi, s’opposent à travers la sensualité de ce même danseur, les forces tentatrices dionysiaques, lors du banquet que célèbre le peuple à la joie de savoir Admète sauvé, et les forces inspiratrices du lyrisme, Apollon, qui l‘emportent à la fin.

Yann Beuron (Admète)

Yann Beuron (Admète)

Dans le troisième acte, il fait également un très bel usage de l’éclairage néon pour induire une atmosphère crépusculaire dans la salle même, alors qu’Alceste se présente aux portes des enfers, devant l’orchestre, situé sur la scène, laissant ainsi la fosse se transformer en Styx symbolique, embrumé tout en chantant, par l’intermédiaire du chœur, la voix lugubre des morts.

Il saisit ainsi la beauté essentielle de la musique, la délicatesse des sentiments humains, tout en laissant, de ci de là, surgir les thèmes qui lui tiennent à cœur, le désespoir politique que suscite le sort funeste d’Admète, la noirceur romantique d’Alceste, la vitalité insolente d’un éphèbe couvert des lauriers de la poésie et du chant, et, enfin, les symboles chrétiens qui sauvent de tout.

Le Banquet (deuxième acte)

Le Banquet (deuxième acte)

Tout en osmose avec son orchestre, Les Musiciens du Louvre, Marc Minkowski insuffle à la musique de Gluck une tension vivifiante dont il exalte la modernité des couleurs, une grâce éthérée que l’on ne lui connaissait pas, sans accentuer pour autant le pathétisme de la partition.
Et il est au cœur du drame, de la vie intérieure de chaque chanteur, ce qui l’oblige à une attention de toute part, jusqu’aux chœurs, importants acteurs de la pièce, superbes de nuances, de tonalité profonde si changeante, qui peuvent autant exprimer la force de l’espoir que les tristes murmures des adieux.
Tout cela est véritablement très beau à voir et à entendre, austère diront certains, ou terriblement vrai comme le ressentiront bien d'autres.

Sophie Koch (Alceste)

Sophie Koch (Alceste)

Tragédienne classique, Sophie Koch est donc une Alceste faite pour se fondre dans ce théâtre moderne. Elle ne domine pas Yann Beuron, mais se situe dans un échange à part égale, sa voix plutôt claire, révélant des graves magnifiquement dramatiques dans « Divinités du Styx »,  tout en lui permettant de conserver une netteté de diction qu’elle gomme parfois quand les noirceurs lyriques l’emportent.

C’est cependant dans toute la détermination du premier acte qu’elle est la plus impressionnante.

Florian Sempey, Stanilas de Barbeyrac, Bertrand Dazin, Marie-Adeline Henry (les Coryphées)

Florian Sempey, Stanilas de Barbeyrac, Bertrand Dazin, Marie-Adeline Henry (les Coryphées)

Yann Beuron, ténor poétique tel qu’on aurait si bien envie de le décrire, est d’une humaine évidence, un charme vocal sombre qui, lui, reflète le fatalisme de la musique avec un sens de l’intériorité pathétique que peu de chanteurs français peuvent atteindre.

Et de cette distribution entièrement francophone qui intègre les jeunes fleurons de l’Atelier Lyrique, Stanilas de Barbeyrac, Marie-Adeline Henry, Florian Sempey, tous excellents, Jean François Lapointe y trouve, en Grand Prêtre, un rôle dont il soigne la prestance et le langage.

Apollon

Apollon

 Franck Ferrari, lui, se démarque toujours aussi bien dans les opéras de Gluck, doué d’une vérité expressive naturelle à la fois forte et inquiétante qui, même dans des rôles courts, lui donne une présence qui marque bien au-delà de la représentation.

Et se conjuguent ainsi à cet ensemble si homogène, les éclats de voix baroques du contre ténor Bertrand Dazin, et les noirceurs détachées de François Lis.

Alceste (Koch-Beuron-Lapointe-Minkowski-Py) Palais Garnier

A l'entracte, le rideau se baisse sur une reproduction inspirée de La montée des âmes vers l'Empyrée de Jérôme Bosch, chef d'oeuvre de l'Art flamand conservé au Palais des Doges, dont la lumière fait écho aux derniers mots gravés sur le décor : La Mort n'existe pas

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