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Publié le 7 Décembre 2023

Les Contes d’Hoffmann (Jacques Offenbach – Opéra Comique, 10 février 1881)
Répétition générale du 27 novembre et représentations du 06 et 24 décembre 2023
Opéra Bastille

Olympia Pretty Yende
Antonia Rachel Willis-Sørensen
Giulietta Antoinette Dennefeld
La Muse / Nicklausse Angela Brower
Hoffmann Benjamin Bernheim (27/11 et 06/12) / Dmitry Korchak (24/12)
Luther / Crespel Vincent Le Texier
Lindorf / Coppelius / Dr. Miracle Christian Van Horn
Nathanaël Cyrille Lovighi
Frantz Leonardo Cortellazzi
Hermann Christian Rodrigue Moungoungou
Spalanzani Christophe Mortagne
Schlemil Alejandro Baliñas Vieites
La voix de la Mère Sylvie Brunet-Grupposo

Direction Musicale Eun Sun Kim
Mise en scène Robert Carsen (2000)

Diffusion sur France Musique le 20 janvier 2024 à 20h dans l'émission de Judith Chaine, 'Un samedi à l'opéra'.

Depuis son entrée au répertoire de l’Opéra national de Paris le 28 octobre 1974 dans la mise en scène de Patrice Chéreau, ‘Les Contes d’Hoffmann’ fait partie des incontournables de l’institution, seul opéra français avec ‘Carmen’, un autre opéra créé à l’Opéra Comique au cours de la décennie qui suivit la fin du Second Empire, qui ait rejoint les 10 titres les plus régulièrement interprétés.

Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Benjamin Bernheim (Hoffmann)

La particularité de la version proposée par Robert Carsen dans sa production présentée pour la première fois sur la scène Bastille au début du printemps de l’année 2000, est d’être une reprise musicale de la version du Festival de Salzbourg 1981 qui retenait le meilleur de deux versions officiellement reconnues aujourd’hui.

La première, celle de Choudens éditée en 1907, réintégrait une partie de l’acte de Giulietta, le septuor avec chœur (une nouveauté sans lien avec Offenbach composée sur une musique de Gunsbourg), et deux nouveaux airs pour Coppelius, ‘J’ai des yeux’, et Dapertutto, ‘Scintille diamant’.

En effet, Offenbach étant décédé avant la création, la version révélée au public à l’Opéra Comique en 1881 fut fortement tronquée par rapport à ses intentions, et ne comporta pas l’acte de Venise.

Christian Van Horn (Lindorf)

Christian Van Horn (Lindorf)

La seconde, celle élaborée en 1976 par le musicologue allemand Fritz Oeser, visait à revenir à l’original des ‘Contes d’Hoffmann’ de 1880 avec un acte de Venise le plus complet possible et un important travail de réorchestration.

La version de Robert Carsen en retient deux airs pour Nicklausse, ‘Voyez-là sous mon éventail‘ et ‘Vois sous l’archet frémissant’, le duetto Nicklausse/Hoffmann, le prologue, avec les couplets de la Muse, le Trio des yeux et l’apothéose finale ‘Des cendres de ton cœur’.

La Muse retrouve ainsi un rôle de premier plan.

Cette version qui réintègre tant de passages qui n’existaient pas à la création, ne comprend cependant pas tous les apports de l’édition critique de Michael Kaye basée sur des manuscrits découverts en 1984 et dont Kent Nagano a enregistré une version au disque avec Natalie Dessay et Roberto Alagna, mais de par son architecture composite, elle offre au public parisien une originalité musicale qu’il ne retrouvera pas sur d’autres scènes internationales.

Angela Brower (La Muse) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Angela Brower (La Muse) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

On imagine ainsi mal l’Opéra de Paris se défaire de ce spectacle, d’autant plus que la scénographie du metteur en scène est somptueuse et insère une importante réflexion sur la place du théâtre dans le rapport de l’être humain à l’illusion.

Le spectateur voit ainsi son regard évoluer autour d’une scène de théâtre, où Stella chante dans ‘Don Giovanni’, en partant des coulisses jusqu’à la scène surmontée de la statue du commandeur, l’acte de Venise plaçant, par effet miroir, le public sur la scène dans des poses très acrobatiques.

L’intervention de la mère d’Antonia au second acte sera elle même une intrusion de la représentation de l’opéra de Mozart dans le récit d’Hoffmann.

Sylvie Brunet-Grupposo (La voix de la Mère)

Sylvie Brunet-Grupposo (La voix de la Mère)

On peut d’ailleurs remarquer que si les personnages sont contemporains, ceux du spectacle de ‘Don Giovanni’ participent à un spectacle ‘à l’ancienne’ avec costumes folkloriques, ce qui est aussi une amusante réflexion sur le passé des mises en scène, alors que certains, aujourd’hui, voudraient les ranimer.

Par ailleurs, l’intervention de la Muse, avec sa lyre, est une parfaite métaphore du rôle de la musique en tant que réconfort universel à la condition humaine, même si l’acte d’Antonia est aussi une réflexion sur le piège tendu par la société envers l’artiste qui le pousse à se consumer pour elle.

Habilement, Robert Carsen trouve un moyen de s’adresser à tous les publics, ce qui est une qualité rare. 

Eun Sum Kim et Benjamin Bernheim

Eun Sum Kim et Benjamin Bernheim

Et à l’occasion de cette neuvième série qui portera à plus de 80 le nombre de représentations de sa production des ‘Contes d’Hoffmann’, le public parisien découvre la cheffe d’orchestre Eun Sun Kim, directrice musicale de l’Opéra de San Francisco, dont la carrière internationale au sein des plus grands théâtres lyriques européens et américains est déjà bien étoffée.

Le style de sa direction est magnifiquement délié dès l’ouverture et sera préservé tout au long de la représentation. D’un excellent équilibre sonore entre la fosse d’orchestre et le plateau, fluide et entrelacée avec grande précision à l’action scénique, elle dispense nuances et mélanges de coloris métalliques et boisés rythmés avec un moelleux tonique, ce qui a pour effet d’accroire le sentiment de proximité du spectateur à la scène. 

Cette réalisation soignée et sans esbroufe est ainsi un support idéal pour les chanteurs, d’autant plus que nous tenons là une distribution de haut vol et d’une très belle homogénéité.

Angela Brower (Nicklausse), Christian Rodrigue Moungoungou (Hermann) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Angela Brower (Nicklausse), Christian Rodrigue Moungoungou (Hermann) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Après sa prise de rôle réussie à l’opéra de Hambourg en septembre 2021, Benjamin Bernheim retrouve sur la scène parisienne le personnage d’Hoffmann qui lui va naturellement comme un gant.

Il incarne une jeunesse romantique qui se laisse mener par les évènements, et sa voix assez légère au brillant très clair et son excellente diction ajoutent à son charme teinté d’idéalisme si bien que le classicisme de son personnage éclipse totalement le statut d’’étoile’ qui lui est de plus en plus associé. 

Mais lorsqu’il se pose face à la salle et qu’il laisse s’épanouir sa voix qui se gorge d’un rayonnement puissant et d’un timbre chaleureux, l’effet pour l’auditeur est absolument sensationnel.

Pretty Yende (Olympia)

Pretty Yende (Olympia)

Moins noire et tourmentée que d’autres interprétations de l’amoureux malchanceux, son incarnation s’apparie facilement au timbre blond et ombré d’Angela Brower qui fait vivre Nicklausse avec une densité acérée, une évidente netteté d’expression et une projection plus mesurée.

Ainsi, vive et incisive, elle est un contrepoint d’esprit très cartésien face à la malléabilité du poète Hoffmann. Sa Muse, elle, est assez distanciée mais avec un cœur prégnant, et l’on éprouve à nouveau une émotion profonde dans l’immensité de l’espace vide et débarrassé de toutes les illusions de théâtre quand elle se présente pour consoler le héros accompagné par le chœur à l’apogée de son inspiration élégiaque.

Pretty Yende (Olympia) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Pretty Yende (Olympia) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Les trois femmes dont il s’est épris sont fortement différenciées par les qualités vocales de leurs interprètes, et c’est un grand plaisir que d’entendre Pretty Yende dans le rôle d’Olympia dont non seulement elle joue sans hésitations les tendances libertines, avec toutefois tempérance, mais de plus lui prodigue une agilité qu’elle panache de fantaisies grisantes et une plénitude de couleur qui résonnent sans peine dans la grande salle Bastille, même si Natalie Dessay a façonné ce rôle de façon indélébile par son abattage.

Le ravissement reste intact, et quand on est un spectateur qui connaît bien cette production, il est aussi très agréable de sentir la joie de ceux autour de soi qui découvrent une telle scène délurée qu’ils n’auraient sans doute pas imaginée.

Rachel Willis-Sørensen (Antonia)

Rachel Willis-Sørensen (Antonia)

Dans une tout autre tessiture, Rachel Willis-Sørensen, en Antonia, est douée d’une largeur de voix qui dispense un flot d’une profonde noirceur dramatique avec des aigus qu’elle libère puissamment, une ampleur traversée de lignes ténébreuses qui évoque, il est vrai, de grands personnalités lyriques comme on les rencontre chez Verdi ou Wagner.

Sa très forte personnalité en rend même la voix de sa Mère, interprétée par l’inimitable sincérité touchante de Sylvie Brunet-Grupposo, plus apaisée. 

Rachel Willis-Sørensen (Antonia) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Rachel Willis-Sørensen (Antonia) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Et avec une excellente homogénéité de timbre, Antoinette Dennefeld dépeint une Giulietta très élégante aux aigus très fiers qui assoient son assurance, ce qui accrédite ainsi l’idée que cette courtisane aurait pu être l’amour idéal d’Hoffmann. D’ailleurs, n’est ce pas le personnage dont l’acte a connu le plus de remaniements et de multiples reconstitutions possibles, même si, dans cette version, l’original voulu par Offenbach semble assez éloigné?

Benjamin Bernheim (Hoffmann) et Antoinette Dennefeld (Giulietta)

Benjamin Bernheim (Hoffmann) et Antoinette Dennefeld (Giulietta)

Fortement reconnaissable à son timbre éloquemment sombre et caractérisé par le relief prononcé de ses graves, Christian Van Horn, sous les traits des différents visages du diable, a toujours autant de prestance dans les airs menaçants, de manière similaire au rôle de Méphistophélès du ‘Faust’ de Gounod qu'il incarnait la saison dernière.

Quant à Vincent Le Texier, il apporte une teinte noire et dépressive au pauvre père d’Antonia de façon très émouvante.

Christian Van Horn (Docteur Miracle)

Christian Van Horn (Docteur Miracle)

Tous les autres petits rôles confiés à quatre artistes du chœur (Cyrille Lovighi, Leonardo Cortellazzi, Christian Rodrigue Moungoungou, Christophe Mortagne) et un membre de la troupe (Alejandro Baliñas Vieites) sont très bien tenus, Christian Rodrigue Moungoungou et Leonardo Cortellazzi se démarquant un peu plus nettement du fait de la mise en avant de leurs personnages respectifs, Hermann, le boute-en-train de la taverne, et Frantz, qui cherche ‘la méthode’ pour bien chanter, avec un très bel éclat.

Dmitry Korchak (Hoffmann) et Antoinette Dennefeld (Giulietta)

Dmitry Korchak (Hoffmann) et Antoinette Dennefeld (Giulietta)

Et pour la matinée du dimanche 24 décembre, c'est le ténor russe Dmitry Korchak qui succède à Benjamin Bernheim.

Il approfondit la désespérance d'Hoffmann en le faisant se consumer avec une intensité dramatique à cœur écorché qui se révèle fortement poignante. Grande clarté de timbre qui lui permet de faire passer beaucoup de douceur, puissance du souffle pour exprimer l'idéalisme héroïque du poète, et une intonation plaintive qui signifie constamment la détresse de son personnage, il a du charme et de l'énergie à revendre, et même si l'intelligibilité de son phrasé pourrait encore gagner en précision, il s'affirme comme un des meilleurs tenants du rôle sur cette scène.

Dmitry Korchak (Hoffmann)

Dmitry Korchak (Hoffmann)

Par ailleurs, lors de la représentation du 24 décembre en matinée, toutes et tous ses partenaires se montrent également à leur meilleur, Pretty Yende d'une très impressionnante finesse dans sa maitrise du personnage d'Olympia en la rendant plus amusante que vulgaire, Rachel Willis-Sørensen au lyrisme débordant, Antoinette Dennefeld au glamour d'une parfaite netteté, Christian van Horn décidément amoureux de la langue française qu'il peaufine à chaque fois avec beaucoup de caractère, et Angela Brower très agile dans ses expressions.

Angela Brower (La Muse) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Angela Brower (La Muse) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Ce spectacle d’une harmonieuse unité se présente déjà comme une grande version de l’ouvrage et un des grands succès populaires de la saison 2023/2024 de l’Opéra de Paris.

Antoinette Dennefeld, Rachel Willis-Sørensen, Christian Van Horn, Eun Sum Kim, Benjamin Bernheim et Angela Brower

Antoinette Dennefeld, Rachel Willis-Sørensen, Christian Van Horn, Eun Sum Kim, Benjamin Bernheim et Angela Brower

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Publié le 23 Novembre 2013

I Puritani (Vincenzo Bellini)
Répétition générale du 22 novembre 2013 et représentation du 25 novembre 2013
Opéra Bastille

Elvira Maria Agresta
Lord Arturo Talbot Dmitri Korchak
Sir Riccardo Forth Mariusz Kwiecien
Sir Giorgio Michele Pertusi
Sir Bruno Roberton Luca Lombardo
Enrichetta di Francia Andreea Soare
Lord Gualtiero Valton Woljtek Smilek

Direction musicale Michele Mariotti
Mise en scène Laurent Pelly

Nouvelle Production

 

                                                                               Maria Agresta (Elvira) et Michele Pertusi (Giorgio)

 

A une époque où la représentation d’opéra a sensiblement évolué pour devenir une expérience autant théâtrale que musicale, la programmation d’une œuvre lyrique telle Les Puritains ne peut que satisfaire entièrement les amoureux du belcanto romantique italien, mais engendrer aussi quelques doutes chez celles et ceux qui veulent vivre une intense expérience dramatique.
 

Pour apprécier le spectacle qui se joue sur la scène de l’Opéra Bastille jusqu’au début de l’hiver, il est nécessaire de laisser tomber toute analyse psychologique des personnages, toute accroche à la logique dramatique, et se laisser prendre uniquement par l’atmosphère d’ensemble.

Le plus souvent, Laurent Pelly est un metteur en scène qui surcharge ses productions d’agitations excessives, pensant ainsi recréer artificiellement le flux de la vie.
Ce n’est pas du tout cet angle d’approche qu’il saisit pour Les Puritains, et son idée est plutôt de construire un visuel fluide, poétique et fin, qui s’allie subtilement à la délicatesse de l’orchestration et du chant.

Sur la scène, la dentelle en fer forgé d’une immense structure dessine les contours des tours, salles et chambres du fort puritain, l’action s’y déroulant à l’intérieur tout en laissant au chant l’ouverture totale sur l’extérieur pour qu’il rayonne dans l’immensité du théâtre.

                                                                                          Marius Kwiecien (Sir Riccardo Forth)

Le mouvement lent et tournoyant du plateau central suit l’évolution de l’action et des changements de tableaux, le chœur apparaît de manière figée et conventionnelle, et les solistes évoluent plutôt librement dans des poses qui les mettent à l’aise.


L’ambiance lumineuse est principalement d’une tonalité bleutée, ou aigue-marine, s’y disséminent des zones d’ombre et d’intenses points focaux sur les chanteurs, et le duo de Sir Riccardo et Sir Giorgio est chanté sur le plateau intégralement vide, sans décor, même latéral.

Dmitri Korchak (Lord Arturo Talbot) et Maria Agresta (Elvira)

Dmitri Korchak (Lord Arturo Talbot) et Maria Agresta (Elvira)

Une fois dépassées quelques imprécisions qui s’évanouiront dans le temps, la lecture orchestrale du jeune chef Michele Mariotti est d’une surprenante fraicheur et s’harmonise idéalement au charme vocal des chanteurs, avec de l‘élégance dans les enchainements, sans noirceur, un anti Evelino Pido en somme. Cette douce majestuosité oublie cependant, à quelques rares moments, la tonicité qui pourrait rendre, par exemple, le grand duo "Suoni la tromba" encore plus enlevé.

Dmitri Korchak (Lord Arturo Talbot) et Andreea Soare (Enrichetta di Francia)

Dmitri Korchak (Lord Arturo Talbot) et Andreea Soare (Enrichetta di Francia)

Les deux principaux interprètes sont magnifiques. Maria Agresta n’est certes pas émouvante en soi, par son caractère trop naïf, mais elle est d’une aisance lumineuse qui se décline en une vaillance qui n’a d’égal que celle de son partenaire, Dmitri Korchak, archange splendide et attendrissant, franc et romantique, d’une tenue hautement fière à laquelle ne manque qu’un soupçon de sensualité vocale.

Tout lui réussit, depuis son serment d’amour « A te, cara, amor talora » phrasé avec grâce même dans le suraigu solaire, jusqu’au duo « Credeasi, misera » qui s’achève sur un alliage vocal parfait et puissamment projeté des deux artistes.

Maria Agresta (Elvira)

Maria Agresta (Elvira)

C’est cette façon qu’ils ont de jeter leur cœur sans retenue dans l’intensité du chant sans rechercher l’effet spectaculaire qui s’admire tant.

Avec son beau timbre brun, Andreea Soare est une Enrichetta di Francia grave et sensuelle, mais les hommes murs de la distribution s’insèrent moins bien dans le style de l’œuvre. Wojtek Smilek est une basse expressive à l’émission rocailleuse, Michele Pertusi se contente de chanter avec de beaux déroulés et un certain détachement le rôle de Sir Giorgio, et le timbre slave impressionnant de Mariusz Kwiecien ne suffit pas tout à fait à rattraper les imperfections, toutes relatives, de sa ligne vocale.

Dmitri Korchak (Lord Arturo Talbot) et Maria Agresta (Elvira)

Dmitri Korchak (Lord Arturo Talbot) et Maria Agresta (Elvira)

Ainsi, il faut véritablement vivre ce grand moment de finesse musicale et de légèreté visuelle, au cours duquel les personnalités se désincarnent pour ne devenir que de pures émanations vocales angéliques, en intériorisant profondément ce sentiment de retour à l’innocence poétique pour une oeuvre lyrique qui porte en elle quelque chose d'inévitablement spirituel dont on a pleinement besoin dans la vie.

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Publié le 12 Novembre 2010

Otello (Rossini)
Version de concert du 11 novembre 2010
Théâtre des Champs Elysées

Otello John Osborn                                  Iago Jose Manuel Zapata
Desdemone Anna Caterina Antonacci    Emilia José Maria Lo Monaco
Elmiro Marco Vinco                                 Le doge de Venise, le gondolier Tansel Akzeybek
Rodrigo Dmitry Korchak                         Lucio Fabrice Constans
Iago Jose Manuel Zapata
Emilia José Maria Lo Monaco

Direction Musicale Evelino Pìdo              Orchestre et Choeurs de l'Opéra de Lyon

José Maria Lo Monaco (Emilia) et Anna Caterina Antonaci (Desdemone)

José Maria Lo Monaco (Emilia) et Anna Caterina Antonaci (Desdemone)

Les quelques spectateurs qui murmuraient, au cours des discussions qui transforment les foyers du théâtre en petits salons mondains, que l’Otello de Rossini serait plus proche de Shakespeare que ne l’est l’Otello de Verdi, ont du rapidement revoir leur appréciation.

Si l’on exclut la chanson du Saule et le meurtre de Desdemone par Otello, l’ouvrage de Rossini se rapproche plutôt d’une situation bourgeoise, finalement toujours aussi actuelle, où un père tente de convaincre sa fille de ne pas épouser un étranger, noir de surcroît, et de lui préférer un fils de bonne famille bien plus convenable.

L’introspection haineuse d’Elmiro se change, en présence de sa précieuse enfant, en une ode à son amour de père, sur lequel il demande à sa fille de faire reposer toute sa confiance et de ne pas suivre l’instinct de son propre cœur.

Que l’hypocrisie humaine emprunte, pour masquer un sentiment négatif, un autre sentiment en apparence honorable est un mécanisme dangereux bien connu.

Dans cet esprit là, la simple représentation de cet opéra en version de concert, sans la moindre mise en espace, nous convie à l’atmosphère austère d’un enterrement où règnent vestes et robes noires.

Dmitry Korchak (Rodrigo)

Dmitry Korchak (Rodrigo)

Et la distribution contient un lot de surprises et de découvertes totalement inattendues.

Dmitry Korchak avait laissé un bon souvenir à l’Opéra Bastille lors de la reprise de l’Elixir d’Amour à l’automne 2007, même si le timbre avait paru plutôt banal, et moins marqué dans Demofoonte.

Ce soir, le personnage de Rodrigo est apparu non pas comme un prétendant de pâle figure, mais comme un amoureux plein de fougue, sanguin, auquel les fins traits de visages féminisent pourtant l’allure, et la voix de Dmitry, dense, projetée en hauteur avec parfois un peu de rudesse, a tenu le choc face à une écriture qui transcende les expressions viriles en aigus surhumains.

John Osborn, Otello plus névrosé, révèle lui aussi de grands passages violents et de subtiles sentiments passés en voix de tête, avec aussi des moments plus faibles, lorsque le Maure s’exprime dans une tonalité sombre.

Les chanteurs semblent véritablement choisis pour leur adéquation au caractère vocal des différents rôles, car il y a dans la voix de Jose Manuel Zapata le tempérament affirmé, même dans la simple déclamation, qui donne une dimension sûre et dirigiste à Iago, alors que le style doux et angélique de Tansel Akzeybek fait du gondolier un rêveur en souffrance.

Evelino Pìdo

Evelino Pìdo

Plus sommaire, Marco Vinco laisse le personnage d’Elmiro vivre dans ses bassesses spirituelles, alors que la tragédienne que l’on aime, en Anna Caterina Antonacci, apparaît enfin au final du second acte, comme pour se libérer du poids de ce monde masculin qui la sclérose depuis le début. Ses regards froids et l’élégance de sa silhouette ne découvrent cependant pas la petite faille qui devrait faire vaciller la force de sa droiture dans « assisa a’pie d’un salice », et nous toucher bien plus.

Le phrasé est magnifiquement sculpté, les graves toujours aussi expressifs, la virtuosité plus coincée, et les emportements spectaculaires. Celle qui fut Timante dans Demofoonte en 2009 à Garnier, José Maria Lo Monaco, accompagne dignement les angoisses de Desdemone.

Toute l’énergie d’un tel drame repose aussi sur un chef inspirant, dynamique, variant les attentions sur un champ en demi-cercle, de chaque musicien à chaque chanteur, qu’il dirige aussi bien d’un regard clairement posé et de la proximité de la main, sans oublier les larges brassés d’ensemble incluant le chœur.
Evelino Pìdo est ce type de chef, théâtral sans complexe, mais capable ensuite de stabiliser les nappes orchestrales pour les fluidifier.

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Publié le 14 Juin 2009

Demofoonte (Jommelli)
Représentation du 13 juin 2009 (Palais Garnier)

Direction musicale Riccardo Muti
Orchestra Giovanile Luigi Cherubini
Mise en scène Cesare Lievi

Demofoonte Dmitry Korchak
Dircea Maria Grazia Schiavo
Timante José Maria Lo Monaco
Matusio Antonio Giovanni
Creusa Eleonora Buratto
Cherinto Valentina Coladonato
Adrasto Valer Barna-Sabadus
                            

                                           

                               Maria Grazia Schiavo, Riccardo Muti, José Maria Lo Monaco

Il est un peu ridicule de comparer la musique de Jommelli à celle de Mozart (près d‘un demi siècle d‘écart), car c’est avec le point de vue de l’archéologue qu’il faut aller écouter cet ouvrage, et y déceler ce qu’il peut contenir comme constructions harmoniques stimulantes encore aujourd’hui, et surtout pour le siècle de création (1743).

Il est un peu ridicule de comparer la musique de Jommelli à celle de Mozart (près d‘un demi siècle d‘écart), car c’est avec le point de vue de l’archéologue qu’il faut aller écouter cet ouvrage, et y déceler ce qu’il peut contenir comme constructions harmoniques stimulantes encore aujourd’hui, et surtout pour le siècle de création (1743).

D'autant plus que ce Demofoonte est prétexte à un déferlement de sentiments exprimés par des airs étendus, et soutenus par une distribution féminine forte.
Quatre femmes, toutes émotionnellement investies, qui rendent vivants autant que possible Timante - José Maria Lo Monaco lui donne les couleurs et la douleur de celui qui pourrait être le futur Idamante de Mozart-, Dircea - Maria Grazia Schiavo vit sa spontanéité en mélangeant les caractères d’une Suzanne et d’une Fiordiligi -, Creusa - Eleonora Buratto ennoblit expression corporelle et vocale avec une luminosité qui en ferait une Despine luxueuse, Cherinto - Valentina Coladonato sensibilise son chant au point de lui donner un naturel poignant avec ce petit plus d’un bel éclat dans l’aigu.

Les hommes touchent beaucoup moins, Dmitri Korchak impressionne tout de même au second acte à travers un air violent et puissant auquel il ne cède rien.

                                                                                        Eleonora Buratto (Creusa)

Il peut paraître comme cela un peu placide Riccardo Muti - nous lui excusons cette manière solennelle de se faire désirer au début de chaque acte - mais il est le support indispensable à ce spectacle, non seulement par la manière de donner un mélange de rigueur et de gestes caressants aux musiciens, mais aussi par l’accroche que l’on peut lire dans le regard des chanteurs. Il est clairement le maître du plateau.

La mise en scène se distingue par un décor de colonnes orientées dans toutes les dimensions, aussi extravagant que le livret - une histoire où le fils de Demofoonte et la fille de Matusio vont se révéler être des enfants échangés à chaque parent, ce qui permet de lever une malédiction qui obligeait le Roi à sacrifier des jeunes filles chaque année.

José Maria Lo Monaco (Timante)

José Maria Lo Monaco (Timante)

Le niveau théâtral est d’époque, ce qui n’aide pas à prendre tout cela au sérieux, mais même Gerard Mortier n’aurait pu faire accepter au chef italien de diriger un opéra dans une mise en scène à la Emilio Sagi.

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Publié le 12 Septembre 2007

L'Elixir d'Amour (Donizetti)

Répétition générale du 11 septembre 2007 à l'Opéra Bastille
 
Mise en scène Laurent Pelly
Direction Evelino Pidò
Adina Désirée Rancatore
Belcore Laurent Naouri
Dulcamara Ambrogio Maestri
Nemorino Dmitry Korchak
 
Avec cette 4ième série de représentations réparties sur trois saisons, la lassitude risque fort d'être la fidèle compagne du soir, même si de petites loufoqueries viennent s'improviser.
 
Heureusement, Evelino Pidò distille toujours un piquant dans ses interprétations. L'ouverture peut sembler exagérément dramatique, mais très vite le chef aligne l'orchestre sur un discours rythmé avec le soucis de ne jamais ralentir l'entrain.
 
Laurent Naouri reprend avec facilité un Belcore grossier et étranger à toute délicatesse.
 
Reconnaissons que la manière de caler sa gestuelle sur la musique est réjouissante.
 
 
Il y cependant des chanteurs qui laissent perplexes et Dmitry Korchak fait parti de ceux-là. Honnêtement le timbre est sans intérêt, presque amer. En revanche, la justesse est irréprochable et le jeune homme, au physique plutôt agréable, porte son personnage à un niveau de gaucherie qui ne le rend jamais ennuyeux.
Désirée Rancatore (Adina)

Désirée Rancatore (Adina)

Également présent lors de la création avec Laurent Naouri, le gigantesque Ambrogio Maestri, tant par les proportions physiques que vocales, emballe la salle dès son arrivée à la cinquième scène.
Mais il va se faire voler la vedette par Désirée Rancatore. Adina fort honnête, aux graves parfois étranges, c'est une formidable transformation qui s'opère lorsqu'elle retrouve son amoureux désabusé après "Una furtiva lacrima".
"Nel dolce incanto del tal momento" initie un festival de vocalises, clin d'oeil à l'esprit de la poupée Olympia d' Offenbach, un feu d'artifice qui paraît sans limite et laisse le spectateur complètement ahuri.

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