Articles avec #py tag

Publié le 29 Avril 2015

Ariane et Barbe-Bleue (Paul Dukas)
Livret de Maurice Maeterlinck
Représentation du 26 avril 2015
Opéra national du Rhin (Strasbourg)

Barbe-Bleue Marc Barrard
Ariane Jeanne-Michèle Charbonnet
La Nourrice Sylvie Brunet-Grupposo
Sélysette Aline Martin
Ygraine Rocio Perez
Mélisande Gaëlle Alix
Bellangère Lamia Beuque
Alladine Délia Sepulcre Nativi
Un vieux paysan Jaroslaw Kitala
Deuxième paysan Peter Kirk
Troisième paysan David Oller

Direction musicale Daniele Callegari
Mise en scène Olivier Py                                            
Sylvie Brunet-Grupposo (La Nourrice)
Chœurs de l’Opéra national du Rhin
Orchestre symphonique de Mulhouse

Pour l’ouverture de sa quatrième saison à la direction de l’Opéra national de Paris, au début de l’automne 2007, Gerard Mortier fit découvrir au public de la grande salle Bastille l’unique opéra achevé de Paul Dukas, Ariane et Barbe-Bleue, cent ans après sa création à l’Opéra-Comique.

Dans la salle, un spectateur en particulier fut ébloui tant par la musique que par le livret de Maurice Maeterlinck, Olivier Py.

Olivier Py

Olivier Py

Moins de huit ans plus tard, l’Opéra national du Rhin lui offre naturellement la direction scénique de cette œuvre puissante et rarement jouée, ainsi que le pouvoir d’imaginer une théâtralité qui mette en relief le sens de la poésie des mots.

Et alors que l’on entend en fond sonore le souffle d’un vent lugubre, l’ouverture quelque peu cinématographique, proche en plus feutré de celle qu’écrivit Leos Janacek pour l’Affaire Makropoulos, nous entraine vers deux mondes, l’un souterrain, sur la partie inférieure de la scène, et l’autre, extérieur et fantastique, sur sa partie supérieure.

Dans le sous-sol délabré et faiblement éclairé, Ariane et sa nourrice sont à la recherche des portes du château parmi des décombres désolés, alors qu’en surface, le décor change incessamment en passant d’une forêt d’arbres blancs et fantomatiques à la chambre de Barbe-Bleue, éclairée en contre-jour par un lustre de cristal, pour tendre vers des scènes de plus en plus fantasmagoriques et érotiques.

L’intérieur du château de Barbe-Bleue

L’intérieur du château de Barbe-Bleue

Barbe-Bleue – chanté en quelques répliques par Marc Barrard – prend, par la suite, l’apparence d’un acteur au physique impeccablement sculpté, orné d’une tête de taureau, symbole évident du Minotaure, tapi au centre du labyrinthe intérieur, et de ses propres forces animales.

Ce magnétisme est ce qui a piégé les cinq premières femmes, et la lutte entre le seigneur et Ariane évolue en scène de séduction sexuelle. Mais cela ne change rien à la détermination de la jeune femme.

Olivier Py profite alors d’amples mouvements symphoniques pour représenter nombre de scènes de nus féminins ou masculins, superbement éclairées par des jeux d’ombres et de lumières irréels, une beauté des gestes souple et mystérieusement silencieuse.

Jeanne-Michèle Charbonnet (Ariane)

Jeanne-Michèle Charbonnet (Ariane)

Son décor réunit en un même monde la forêt extérieure où se sont retranchés les paysans en colère et les méandres glauques, rougeoyants, et violents de l’univers mental de Barbe-Bleue.

A travers les vitres brisées du château, la sensualité panthéiste des prisonnières sublimée par le chœur se mélange à des rites païens. Les danses exposent les corps, et la disposition des femmes, dans la scène finale, autour de Barbe-Bleue, nu, de dos, évoque très fortement les tableaux de Goya El Gran Cabron.- Le Sabbat des sorcières.

Car tout l’enjeu de la mise en scène, fascinante et réussie dans sa démonstration du pouvoir attractif d’un monde sinistre, est de révéler ces forces occultes qui vont étouffer tout désir de liberté et de vérité chez les victimes du monstre.

Combat de Barbe-Bleue et des paysans

Combat de Barbe-Bleue et des paysans

Elle interroge chacun sur sa propre situation face à toutes les libertés de mouvement, de rêve et de penser, et nous renvoie à notre propre constat que l’être humain ne souhaite pas nécessairement accéder, à des degrés divers, à une vie libre et indépendante psychologiquement des désirs d’autrui.

L’esthétique homo-érotique, contenue en partie dans le texte, imprime également des tableaux d’une beauté saisissante – la scène de lutte entre Barbe-Bleue et les paysans dans la clairière de la forêt -, loups et faucons vivants apparaissant même très furtivement pour accentuer le fantastique de la situation.

Il est d’ailleurs jubilatoire d’assister aux libertés signifiantes que prend Olivier Py, alors que la leçon de liberté d’Ariane vire à l’échec complet. La foi est impuissante face à l’obscurantisme choisi.

Ariane et Barbe-Bleue (J.M Chardonnet, S.Brunet, D.Callegari, Olivier Py) Strasbourg

Mais si nous nous laissons aussi facilement prendre par la scénographie, nous le devons à l’immédiateté de ses résonances avec la musique de Dukas. La patine de l’orchestre symphonique de Mulhouse a, certes, une pâte âpre, mais son énergie bouillonnante et flamboyante charrie des flots d’humeurs noires qui relancent le drame avec force, tout en lui donnant une opacité qui rappelle les couleurs qu’avait tiré Marc Minkowski de l’orchestre de La Monnaie, lorsqu’il dirigea le Trouvère de Verdi.

Daniele Callegari peut donc autant lâcher la bride que soigner les traits lumineux et éphémères de la partition, tout en privilégiant le vivant de cette masse orchestrale impressionnante. La qualité des drapés musicaux n’atteint cependant pas l’esthétique très germanique que Sylvain Cambreling avait sculptée précieusement avec les musiciens de l’Opéra national de Paris.

Jeanne-Michèle Charbonnet (Ariane) et Marc Barrard (Barbe-Bleue)

Jeanne-Michèle Charbonnet (Ariane) et Marc Barrard (Barbe-Bleue)

Car la musique est aussi considérée comme le souffle qui porte les chanteurs dans leurs élans exaltés. Jeanne-Michèle Charbonnet a ainsi une voix immense pour la salle, et un tempérament presque fanatique qui peut compter sur l’expressivité d’une tessiture grave complexe, et sur la puissance d’un vibrato qui dénature trop ses aigus.
Mais ce personnage d’Ariane lui convient bien, car elle incarne une solidité humaine, malgré les fragilités, et une forme de naïveté qui la rapprochent de l’Élisabeth du Tannhäuser de Wagner.

Olivier Py est, vraisemblablement, autant responsable de cette impression de similitude entre l’œuvre de Dukas et celle du musicien allemand.

Ariane et Barbe-Bleue (J.M Chardonnet, S.Brunet, D.Callegari, Olivier Py) Strasbourg

Seulement, une autre chanteuse éveille notre fibre dramatique, Sylvie Brunet-Grupposo. Depuis quelques années, nous avons l’impression d’assister chez elle à un épanouissement artistique très émouvant, car toutes ses incarnations – Geneviève, Azucena, Gertrude – allient expressivité vocale, unicité d’un timbre parfaitement identifiable, vérité du geste et sensibilité à l’urgence de situation.
La tessiture de sa voix, très homogène, permet pourtant de faire passer des sentiments très humains et très proches, comme peu de mezzo savent les communiquer avec autant de simplicité.

Et c’est parmi les femmes de Barbe-Bleue, Aline Martin, Rocio Perez, Gaëlle Alix, Lamia Beuque et Délia Sepulcre Nativi que l’on entend les éclats les plus purs de la langue française, sans la moindre altération.

Daniele Callegari, Olivier Py et Jeanne-Michèle Charbonnet

Daniele Callegari, Olivier Py et Jeanne-Michèle Charbonnet

Le chœur, lui, disposé dès l’ouverture dans les loges de côté, chante dans la même tonalité mystérieuse et virile de la musique. A son écoute, on pense beaucoup à l’écriture de Benjamin Britten, musicien pourtant postérieur à Paul Dukas.

La saison prochaine, au mois d’octobre, l’Opéra national du Rhin programmera Pénélope de Gabriel Fauré, poème composé six ans après Ariane et Barbe-Bleue. Olivier Py sera à nouveau à la mise en scène, et, à nouveau, on viendra y retrouver un univers intérieur dangereux et fascinant.

 

La dernière représentation sera diffusée en direct sur Culture Box le 6 mai à 20h (lien ci-dessous).

Ariane et Barbe-Bleue (Opéra de Strasbourg) à partir du 06 mai 2015

Voir les commentaires

Publié le 13 Avril 2015

Orlando ou l’Impatience (Olivier Py)
Représentation du 10 avril 2015
Théâtre de la ville

Le fou Jean-Damien Barbin
Ambre Laure Calamy
Le Ministre Eddie Chignara
Orlando Matthieu Dessertine
Le Père Philippe Girard
La Grande actrice Mireille Herbstmeyer
Le Pianiste Stéphane Leach
Gaspard François Michonneau

Mise en scène Olivier Py
Production Festival d’Avignon 2014

 

 

                                                                                  François Michonneau (Gaspard)

Quelle importance le théâtre a-t-il dans la vie de chacun en tant que spectateur, acteur ou créateur ?

Pourquoi est-il nécessaire, même aujourd’hui, de rappeler aux hommes et femmes publiques le devoir de préserver l’expression artistique vivante dans un environnement qui tend à limiter les engagements financiers publics et à aggraver les inégalités sociales ?

Pour Olivier Py, le théâtre est une recherche de soi, une aide à l’aboutissement humaniste de toute une société.

Matthieu Dessertine (Orlando)

Matthieu Dessertine (Orlando)

Le personnage romanesque et androgyne d’Orlando décrit par Virginia Wolf devient le souffle inspirant de sa nouvelle pièce.

Sur scène, nous nous retrouvons ainsi face à de larges toiles peintes d’ocre et de noir, qui dessinent l’architecture d’une grande ville moderne, avec ses buildings impersonnels, des ponts et un dense trafic automobile.

Au centre, une plateforme rotative, telle une cage cubique que les acteurs peuvent actionner eux-mêmes pour la faire pivoter, accueille les protagonistes de ce théâtre rudimentaire.

Philippe Girard (le Père) et Mireille Herbstmeyer (la Grande actrice)

Philippe Girard (le Père) et Mireille Herbstmeyer (la Grande actrice)

Déconnectés des grands espaces de la nature, ils doivent retrouver sens et espoir, malgré le malaise de leur propre vie, dans ce paysage urbain surréaliste.

La sensation d’enfermement est d’autant plus accentuée, qu’en arrière-plan, des néons rectangulaires concentriques créent une illusion de perspective qui tend vers un objectif infini noir et vide.

Matthieu Dessertine (Orlando), Laure Calamy (Ambre) et François Michonneau (Gaspard)

Matthieu Dessertine (Orlando), Laure Calamy (Ambre) et François Michonneau (Gaspard)

Apparaissent alors les acteurs fidèles au metteur en scène, en premier lieu la géniale et adorable Mireille Herbstmeyer.

Son langage outré bien connu est naturellement excessif quand elle dramatise ses incarnations, mais ce soir, dans un rôle où la comédie reste drôle et sensible, elle est la Reine, qu’elle soit femme de cabaret ou tragédienne shakespearienne.

Et sa présence est captivante tant elle rayonne généreusement d’une énergie vitale gaillarde qui ne se prend pas au sérieux.

Matthieu Dessertine (Orlando) et François Michonneau (Gaspard)

Matthieu Dessertine (Orlando) et François Michonneau (Gaspard)

On aime la manière avec laquelle elle joue de son physique et de son travestissement, et de ses déclamations franches.

Elle est surtout une actrice charismatique qui a le don d’imposer sans ambages son être tout entier à la face du monde.

Philippe Girard lui répond avec la même emphase. Il est la voix bienveillante des élans poétiques et désireux de liberté par laquelle Olivier Py s’exprime.

Philippe Girard (le Père) et Matthieu Dessertine (Orlando)

Philippe Girard (le Père) et Matthieu Dessertine (Orlando)

Il ose le désir d’évasion, la sagesse qui veut croire en un absolu d’éternité.

A ces deux comparses qui représentent deux forces parentales jubilatoires, s’ajoute le fou – de multiples professions – joué par Jean-Damien Barbin.
Il est un bouffon ré-enchanteur de la vie, qu’il nourrit de sa voix amusamment enveloppée d’impertinences.

Mireille Herbstmeyer (la Grande actrice)

Mireille Herbstmeyer (la Grande actrice)

Le Ministre de la culture, joué brillamment et sans artifices par Eddie Chignara, devient alors une façon de représenter celui qui n’arrive pas à être l’allié des artistes, et encore moins leur protecteur, trop éloigné de lui-même et trop identifié à son propre statut pour pouvoir le faire.

En se révélant à lui-même comme femme, on peut y voir le même leitmotiv identitaire qui a marqué constamment la vie d’Olivier Py depuis son adolescence, mais également une désignation satirique des ministres qui ne l’ont pas suffisamment soutenu.

Matthieu Dessertine (Orlando) et François Michonneau (Gaspard)

Matthieu Dessertine (Orlando) et François Michonneau (Gaspard)

Mais le dramaturge flamboyant a aussi le talent de trouver d’excellents acteurs au physique d’éphèbe. Matthieu Dessertine – Orlando – et François Michonneau – Gaspard –forment un couple de garçons que la grâce du corps transforme en langage sensuel, une des lignes de forces permanente de son travail théâtral.

Ce charme omniprésent permet plus facilement de suppléer à la forte dispersion du texte et de ses excès, qui sont l’aveu de la difficulté à faire ressentir cette quête de joie profonde qui dépasse le simple bonheur éphémère.

Matthieu Dessertine (Orlando)

Matthieu Dessertine (Orlando)

Dans sa définition de l’amour, par le négatif, il invite à ne pas le confondre avec la haine ou l’insatisfaction de soi.

Il y a d’ailleurs, quand les deux jeunes hommes se retrouvent avec Ambre – Laure Calamy cède un optimisme infaillible à ce rôle positif –, l’espérance d’une orgie finale, image osée pour traduire l’idéal d’une fraternité humaine enfin réalisée, en opposition totale avec les représentations picturales anciennes d’une apocalypse sordide.

Laurence Calamy (Ambre), Matthieu Dessertine (Orlando) et François Michonneau (Gaspard)

Laurence Calamy (Ambre), Matthieu Dessertine (Orlando) et François Michonneau (Gaspard)

Orlando apparaît en archange – figure habituelle du metteur en scène -, puis s’identifie à son père saltimbanque triste et multicolore. La chair et les corps entrent en lutte car ils sont une des clés de ce parcours perpétuel.

Olivier Py ne veut pas choisir entre corps et esprit, la provocation du désir est partie intégrante de la réponse, et le théâtre reste, à sa manière, un secoueur de la société pour qu’elle ne perde pas son rapport au divin, et à ce qu’il a de miraculeux.

Voir les commentaires

Publié le 22 Janvier 2014

La Force du destin (Giuseppe Verdi)
Représentation du  18 janvier 2014
Oper Köln (Cologne)

Il Marchese di Calatrava Wilfried Staber
Leonora di Vargas Adina Aaron
Don Carlo di Vargas Vladimir Stoyanov
Alvaro Burkhard Fritz
Padre Guardiano Young Doo Park
Fra Melitone Matias Tosi
Preziosilla Katrin Wundsam
Mastro Trabuco Ralf Rachbauer
Alcalde Marcelo de Souza Felix
Chirurgo Luke Stoker
Curra Andrea Andonian

 Chor der Oper Köln & Extra Chor
Orchester Gürzenich-Orchester Köln

Direction musicale Will Humburg
Mise en scène Olivier Py                                         Adina Aaron (Leonore)

Depuis le début de cette année 2014, Olivier Py est dorénavant totalement investi par sa mission à la direction du festival d’Avignon, et il laisse de côté, pour quelques temps, son travail de metteur en scène d’Opéra.

La production de La Forza del destino qu’il a réalisé pour l’Opéra de Cologne est donc une reprise qui marquait ses débuts dans un théâtre lyrique allemand. Elle fut suivie par une seconde mise en scène d’un opéra de Verdi, à l’ouverture du festival de Munich 2013 :  Il Trovatore.

Katrin Wundsam (Preziosilla)

Katrin Wundsam (Preziosilla)

Comme pour ce dernier, la dramaturgie de La Force du destin n’est pas facile à suivre, avec cette histoire improbable de deux ennemis qui deviennent, sans se reconnaître, les meilleurs amis du monde sur le champ de bataille. Sous l’angle de vue d’Olivier Py, ce destin prend la forme d’une force qui bouscule tout, entraîne tout un monde vers un chaos - l’apocalypse est proche - que même la foi religieuse ne peut contrer, si bien qu’aucun protagoniste, hormis le père, ne survit : Alvaro se suicide et Preziosilla finit même fusillée à la fin de farandole du troisième acte.
 

Cette œuvre de Verdi, composée quelques mois après que Victor-Emmanuel II soit devenu Roi d’Italie, se déroule pendant la Guerre de succession d’Autriche (1740-1748) sur un des fronts qui opposa les Espagnols et les Français aux Autrichiens dans la péninsule italique.

C’est une dénonciation de la fatalité humaine de la guerre qui transparait dans cette mise en scène extrêmement sombre : le drapeau nationaliste italien flotte au dessus des têtes pour galvaniser les foules, Preziosilla aguiche l’appétit sexuel des soldats, les décors n’arrêtent pas de se bousculer très loin dans l’arrière scène, et d’immenses roues tournent en permanence tandis que la présence d’un ange maléfique signe l’exécution du jugement final.

 

 

   Adina Aaron (Leonore)

Les décors sont massifs et se reconfigurent en permanence sous un ciel zébré d’éclairs, ce qui finit par faire ressentir une lourdeur assommante. Olivier Py donne surtout de la force aux grands mouvements de masses, les religieux, les militaires, la population paysanne qui finissent tous par s’opposer les uns aux autres. La rancune et l’histoire sentimentale qui lient les personnages principaux sont, elles, totalement défaites sous cette pression des évènements.

Fond du décor acte I

Fond du décor acte I

Musicalement, la distribution est dominée par Adina Aaron. Elle est une Leonore éblouissante d’homogénéité et d’expressivité, et elle peut soutenir une musicalité qui perdure sans que le souffle ne semble se reprendre même dans les pianis les plus discrets.
  La projection est splendide, et rien ne laisse transparaître un tempérament de diva, sinon, plutôt,  une manière d’être sur scène assez franche. 

 Burkhard Fritz détonne considérablement dans cet opéra, car ce ténor wagnérien - il fut  Parsifal à Bayreuth au cours de l’été 2012 - a surtout la voix puissante et grimaçante de Mime ou de Loge. Rien d’italien, donc, dans son chant, mais, cependant, une certaine capacité à émouvoir qui trouve son accomplissement dans le grand duo du troisième acte avec Carlo.

Katrin Wundsam (Preziosilla)

Katrin Wundsam (Preziosilla)

Dans ce rôle, justement, Vladimir Stoyanov fait bien meilleure impression que dans la production de Jean-Claude Auvray qui fut créée à l’Opéra Bastille en novembre 2011 : ses inflexions verdiennes restituent les couleurs sanguines que cette œuvre porte en elle, sans qu’il soit pour autant le grand baryton pétrifiant qu’il devrait être.

Young Doo Park est, lui, un magnifique prêtre dont les intonations prennent, parfois, des teintes slaves, et Katrin Wundsam, à la voix très claire et dispersée, est surtout une Preziosilla fantastiquement exubérante.

Burkhard Fritz (Alvaro) et Vladimir Stoyanov (Don Carlo di Vargas)

Burkhard Fritz (Alvaro) et Vladimir Stoyanov (Don Carlo di Vargas)

Chœur fluide et à l’unisson, direction d’orchestre emportée par un chef, Will Humburg, qui ne ménage ni l’énergie ni la fougue des musiciens, la texture orchestrale est d’un esthétisme très allemand, affiné et sensuel, mais qui se dilue sensiblement dans l’acoustique réverbérée de cette salle musicale située en face de la cathédrale, le long du Rhin, et où se déroulent les représentations en attendant la fin de la rénovation de l‘opéra de Cologne.

Voir les commentaires

Publié le 22 Décembre 2013

Dialogues des Carmélites (Francis Poulenc)
Représentations du 10, 15 et 21 décembre 2013
Théâtre des Champs Elysées

Mère Marie de l’Incarnation Sophie Koch
Blanche de La Force Patricia Petibon
Madame Lidoine Véronique Gens
Sœur Constance Anne-Catherine Gillet / Sabine Devieilhe / Sandrine Piau
Madame de Croissy Rosalind Plowright
Le Chevalier de La Force Topi Lehtipuu
Le Marquis de La Force Philippe Rouillon
Mère Jeanne Annie Vavrille
Sœur Mathilde Sophie Pondjiclis
Le père confesseur François Piolino
Le premier commissaire Jérémie Duffau
Le second commissaire Yuri Kissin
Le geôlier Matthieu Lécroart

Direction musicale Jérémie Rhorer
Mise en scène Olivier Py
Philharmonia Orchestra                                                Patricia Petibon (Blanche de la Force)
Chœur du Théâtre des Champs Elysées

Après deux spectacles parisiens dont l’un,  Aïda, reste encore un sujet de profond désaccord, Olivier Py vient de signer une mise en scène qui restera comme la plus forte et la plus aboutie du Théâtre des Champs Elysées de ces dernières années.
A travers Dialogues des Carmélites il trouve une plénitude à évoquer les symboles inaltérables de sa foi catholique de manière très poétique, à travers quatre tableaux vivants, l’Annonciation, La Nativité, la Cène et la Crucifixion, reconstitués simplement, à des instants bien précis, par les sœurs avec des éléments en bois découpé, jusqu’à la dernière scène d’élévation, une à une, des Carmélites dans un ciel nocturne étoilé, bien loin de l’horreur sanguinaire et voyeuriste de la décapitation finale.

Rosalind Plowright (Madame de Croissy)

Rosalind Plowright (Madame de Croissy)

Le doute, lui, est représenté avec effroi lors de l’agonie de Madame de Croissy dans la cellule de l’infirmerie. La scène est vue de haut, si bien que La prieure se retrouve installée dans un lit vertical, debout, mais ligotée par les draps de son lit, privée fatalement de sa liberté.
Sous les faisceaux lumineux provenant du sous-sol, les ombres déformées de son corps grimacent sur la paroi, vision glaciale qui renforce ce sentiment d’absence de Dieu qu’elle ressent après tant d’années à toujours y avoir cru.
Ici, Olivier Py met en scène la conséquence du doute final en essayant d’être le plus effrayant possible.

Patricia Petibon (Blanche de la Force) et Sophie Koch (Mère Marie)

Patricia Petibon (Blanche de la Force) et Sophie Koch (Mère Marie)

Le décor fait également apparaître, en arrière plan, une forêt d’arbres morts, gris et blancs, un refuge pour le couvent des Carmélites, qui laisse place, au troisième acte, au chaos parisien figuré par des éléments de décors noirs virevoltants dans tous les sens.
Py, s’il n’a pu bénéficier d’un plateau tournant, pousse cependant la machinerie du théâtre à ses limites en imaginant un ensemble de tableaux qui s’articulent avec fluidité et ingéniosité, la croix christique étant cette fois définie à partir de quatre plans frontaux qui s’écartent face au public. Certaines scènes sont magnifiquement éclairées en jouant sur la projection des ombres et des interstices des murs sur le sol.
 

Topi Lehtipuu (Le Chevalier de La Force)

Topi Lehtipuu (Le Chevalier de La Force)

Et l’expressivité théâtrale des artistes est, cette fois, crédible et vivante : les peurs viscérales de Blanche, la sensibilité de son frère qui vient la rechercher, l’inquiétude lisible sur tous les visages, mais aussi la joie dithyrambique de Constance.

Dans ce rôle, le théâtre des Champs Elysées aura accueilli trois chanteuses, chacune avec une personnalité bien distincte : Anne-Catherine Gillet est la plus touchante immédiatement, présente et d’une belle juvénilité, Sabine Devielhe est, elle, débordante de vie avec un timbre plus acidulé, et Sandrine Piau, rétablie pour les deux dernières représentations, joue plus sur la douceur de caractère et l’émotion spirituelle de la jeune sœur tout en étant un peu plus confidentielle.

La Cène

La Cène

Rosalind Plowright, par ses changements brusques d’inflexions et de rythmes déclamatoires, traduit extraordinairement une personnalité en train de se fragmenter, avec un expressionnisme noir qui sacrifie nécessairement à la musicalité.
Son personnage a ainsi un impact assez fort, ce qui n’est cependant pas le cas du Chevalier de La Force de Topi Lehtipuu, sensible, certes, et très bien incarné, mais vocalement gâté par une diction et un timbre qui en réduisent toute tendresse, et c’est bien dommage.

Véronique Gens (Madame Lidoine)

Véronique Gens (Madame Lidoine)

Et Sophie Koch et Véronique Gens portent deux grands personnages, une Mère Marie digne et droite, un peu rêche toutefois, et une Madame Lidoine plus humaine et profonde, dont la tessiture convient bien à la soprano française.

Il y a très souvent, avec Olivier Py, une héroïne romantique, habillée tout en noir. C’est ainsi qu’apparaît Patricia Petibon. Blanche de la Force devient une jeune femme qui extériorise sans retenue ses propres peurs et conflits intérieurs avec un impact vocal saisissant, mais qui pourrait cependant être plus nuancé, comme dans l’échange sensible avec son frère.
On a ainsi l’impression d’assister au passage d’un stade encore adolescent à une maturité accomplie, ce qui correspond bien à l’image que renvoie la jeune chanteuse.

Crucifixion

Crucifixion

Dans la fosse d’orchestre, Jérémie Rhorer imprime une théâtralité un peu brutale qui a le mérite de maintenir un rythme dramatique prenant, réussissant tous les passages nimbés de mystère. Mais il se dégage une froideur moderne de cette texture de cordes qui, à la fois, manque de limpidité, tout en déployant, également, de très belles envolées lyriques. Peu subsiste du pathétisme de la partition.

Voir les commentaires

Publié le 10 Octobre 2013

Aida (Giuseppe Verdi)
Répétition générale du 07 octobre 2013 &
Représentations du 10 et 12 octobre 2013
Opéra Bastille

Aida Oksana Dyka / Lucrezia Garcia
Amneris Luciana d’Intino / Elena Bocharova
Radamès Marcelo Alvarez / Robert Dean Smith
Il Re Carlo Cigni
Ramfis Roberto Scandiuzzi
Amonasro Sergey Murzaev
Un Messaggero Oleksiy Palchykov
Una Sacerdotessa Elodie Hache

Mise en scène Olivier Py
Direction musicale Philippe Jordan

                                                                                                           Oksana Dyka (Aida) et un rebelle


Aida est le dernier d’une série de quatre opéras fastueux comprenant Le Bal Masqué (1859), La Force du Destin (1862) et Don Carlos (1867) composés par Verdi au cours d’une période où son goût pour les Grands Opéras s’est conjugué aux évènements qu’il avait évoqué dans nombre de ses opéras antérieurs, et qui se sont enfin accomplis.

Lorsque l’Autriche déclare la guerre à la Sardaigne et envahit le Piémont à la fin du mois d’avril 1859, Victor-Emmanuel II, prince de Piémont, duc de Savoie, comte de Nice et roi de Sardaigne, appelle à la lutte pour l’indépendance de la patrie italienne.

Oksana Dyka (Aida)

Oksana Dyka (Aida)

La guerre tourne à l’avantage décisif des Français et des Piémontais (victoire de Solferino le 24 juin), ce qui entraîne le rattachement de la quasi totalité de la Lombardie au Royaume de Sardaigne. Mais l’insurrection des états se poursuit jusqu’au 24 mars 1860, jour où l‘Italie centrale est rattachée au Piémont.

Le 11 mai 1860, Garibaldi débarque alors avec ses « Mille » en Sicile, mate les forces des Bourbons, prend Palerme et entre à Naples en septembre. La prise du port de Gaète, le 13 février 1861 marque la fin du Royaume des Deux-Siciles et de la guerre.

Le premier parlement italien peut ainsi s’ouvrir avec la présence du député Giuseppe Verdi.
Le 17 mars 1861, Victor-Emmanuel II est alors proclamé roi par le parlement italien.

Un garde

Un garde

Mais la réunification italienne n’est pas encore achevée. En avril 1866, l’Italie s’allie à la Prusse qui s’apprête à retirer à l’Autriche l’hégémonie dans la confédération des états germaniques.
Le 3 juillet 1866, les troupes prussiennes écrasent l’Autriche à Sadowa.
La paix de Vienne est signée le 03 octobre 1866, et l’Italie obtient le reste de la province de Lombardie-Vénétie.

C’est alors dans le fracas de la guerre franco-prussienne de 1870 qu’Aida va être composée.
Arrivent les terribles journées de la bataille de Sedan qui voient l’encerclement des troupes françaises. Verdi termine le second acte à ce moment-là, la fameuse marche des trompettes notamment. La chute du Second Empire permet ainsi au Royaume d'Italie de prendre Rome le 20 septembre (Les derniers territoires de Trente et Triestre ne seront intégrés qu'après la dislocation de l'Empire Austro-Hongrois en 1919).

Carlo Cigni (Le Roi)

Carlo Cigni (Le Roi)

Il est cependant impossible de monter Aida en janvier 1871, Paris étant assiégée et les décors et costumes bloqués. C’est seulement la veille de Noël, le 24 décembre 1871, qu’Aida est créée au Caire avec un succès triomphal.

La capitale française doit ainsi attendre le 22 avril 1876 pour découvrir l‘ouvrage au Théâtre Italien. L‘Opéra Garnier l‘accueille quelques années plus tard,  en 1880, dans sa version française. Reprise régulièrement, presque chaque année, jusqu’en 1968, Aida n’a plus été représentée à l’Opéra National de Paris depuis donc 45 ans.

Oksana Dyka (Aida)

Oksana Dyka (Aida)

Son entrée au répertoire de l’Opéra Bastille, le jour et à l’heure même de l’anniversaire des 200 ans de la naissance de Verdi, est bien un événement, et, signe qui ne trompe pas, le public s’est précipité en nombre inhabituel à la dernière répétition.

Alors, ce récapitulatif historique permet de comprendre dans quel contexte de guerre d’indépendance cet opéra a été créé et en quoi l’interprétation d’Olivier Py, si elle éradique toute référence égyptienne contenue dans le texte alors que Verdi s‘était attaché à appréhender cette culture avec les connaissances de l‘époque, reste néanmoins fidèle à son esprit politique tout en le raccrochant à notre histoire la plus proche.

Roberto Scandiuzzi (Le Grand prêtre) et Marcelo Alvarez (Radames)

Roberto Scandiuzzi (Le Grand prêtre) et Marcelo Alvarez (Radames)

A contrario de sa mise en scène d’Alceste à l’Opéra Garnier, Py s’empare de la machinerie intégrale de l’Opéra Bastille, plateau tournant, vérins hydrauliques, profondeur de la scène, pour créer une superproduction dans la même veine que Mathis der Maler, l’opéra de Paul Hindemith qu’il a créé dans cette même salle en 2010.

L’avant-scène est sertie d’un grand cadre fait de colonnades permettant aux solistes, mais aussi au chœur, de prendre place en frontal avec la salle. Cet encadrement doré est comme l’écrin d’un enchaînement de tableaux spectaculaires en trois dimensions, et ce dispositif, s’il révèle le goût pictural du metteur en scène, permet également de créer un espace musical latéral en hauteur. Les cuivres y seront disposés lors de la marche victorieuse.

Oksana Dyka (Aida)

Oksana Dyka (Aida)

Dès l’ouverture, un drapeau italien déployé par un rebelle flotte au-dessus de l’orchestre. Le roi se présente avec le drapeau autrichien auquel est incorporé le blason apparu seulement après la Première Guerre mondiale, et le temple est surmonté des inscriptions Vittorio Emmanuel Re Di Italia. Sous la pression des militaires, le messager annonce alors à ce roi influençable que son pays est envahi par les étrangers.

Enfin, l’ombre d’une grande fresque d’une ville détruite par des bombardements s’étire en arrière-plan. Elle est reprise du décor de Mathis Le peintre à l’instar du char d’assaut du défilé béni par le Grand Prêtre.


Dans cet univers de palais monumentaux couverts de parois d‘or réfléchissantes, de terrasses et de lustres fastueux, la population oppressée est en fait occupée, et donc menaçante. Olivier Py ne prend aucun gant pour décrire la réaction violemment nationaliste de l’occupant qui brandit des pancartes « Vive les colonies », « Les étrangers dehors! », « A mort les étrangers! » ce qui ne peut qu’échauffer les esprits dans la salle, puisque ces slogans sont dans l’air du temps.

Pourtant, ce mélange historique a un sens.
La haine de l’étranger, de l’existence de celui qui dérange, a toujours été présente dans les civilisations même chez les pays occupés.

                                                                                          Luciana d'Intino (Amneris)

Verdi ne disait-il pas, après les tirs du général Bava Beccaris sur la foule milanaise excédée par la situation économique : à quoi sert le sang versé pour l’unification de la terre italienne, si ses fils sont ennemis entre eux?

Le défilé du retour de campagne, qui commence par la scène – naturellement second degré - des soldats exposant fièrement leurs muscles bien gonflés, un des repères esthétiques favoris du metteur en scène, s’achève alors sur l’apparition d’un arc de triomphe magnifique surplombé d’un soldat glorifiant, qui se soulève petit à petit pour laisser apparaître en sous-sol les cadavres glaçants d’un peuple exterminé.
Py déconstruit également, à sa manière, le machisme des discours guerriers en prétextant du ballet pour faire apparaitre un militaire envouté par la danse d’une ballerine.

L’anticléricalisme de Verdi est bien connu, on le retrouve donc très lisiblement dans la mise en scène, non seulement parce que le clergé est clairement associé aux militaires au point de pousser le père d’Aida, Amonasro, à encourager l’incendie du temple, mais aussi parce que la décision de l’emmurement vivant des deux amants provient de Ramphis lui-même. Cette scène spectaculaire se déroule sous une immense croix en flamme; il en était de même dans Il Trovatore dirigé par Olivier Py à Munich en juin dernier pour l’ouverture du festival.

Oksana Dyka (Aida) et deux gardes

Oksana Dyka (Aida) et deux gardes

A la vision de cette lecture impitoyable, on ne peut que souhaiter voir Stéphane Lissner, prochain directeur de l’Opéra National de Paris, lui confier une nouvelle mise en scène de Don Carlos, si sa disponibilité le permet après ses deux ou trois premières années à la direction du festival d’Avignon.

Mais si le poids écrasant de l’histoire et si la prévalence des symboles guerriers font la force visuelle de ce spectacle, le lien théâtral qui unit les solistes à la musique et à la scénographie, lui, reste faible et conventionnel. On peut le comprendre, certains chanteurs internationaux n’ont pas la même souplesse que des acteurs de théâtre, et le temps a été nécessairement limité.

Sergey Murzaev (Amonasro)

Sergey Murzaev (Amonasro)

De même, si le chœur est superbement employé lorsque l’on entend ses oraisons funèbres et, parfois même, l’accompagnement musical provenir des ombres lointaines de l’arrière scène, certaines entrées sont réalisées entre deux scènes sans musique, rompant ainsi la fluidité dramatique, alors que cette continuité est pourtant bien pensée avec l’utilisation du plateau tournant.

 Ce besoin de parachèvement s’entend aussi dans l’orchestre. Philippe Jordan déploie des couleurs rutilantes et sensationnelles dans certains passages, met toujours bien en valeur la rondeur des sonorités, la netteté et la précision des cuivres, mais la difficulté à construire une trame symphonique qui pourrait apporter un liant d’ensemble se fait encore sentir.

Oksana Dyka (Aida)

Oksana Dyka (Aida)

Plus problématique, il se comporte, lors de cette première représentation, comme un professionnel dépassionné qui débute avec Verdi et tue la théâtralité de la musique en éludant lourdement toutes les attaques saccadées et impulsives qui sont les véritables « coups de sang » du compositeur. Quelque part, il lâche le metteur en scène qui a pourtant besoin de toute l’énergie de cette partition si riche et complexe.

 On retrouve alors le chef subtil et sensuel dans l’intimité de la grande scène entre Aida et son père, quand les réminiscences des archets s’élèvent progressivement pour subjuguer d’émotion le déchirement qui s’installe entre eux.

Comme pour Lucia di Lammermoor, deux distributions sont réunies en alternance pour chanter les rôles principaux et assurer les 12 représentations prévues jusqu’à mi-novembre. Dans un premier temps, seule celle de la première est commentée ci-après.

Oksana Dyka (Aida) et Sergey Murzaev (Amonasro)

Oksana Dyka (Aida) et Sergey Murzaev (Amonasro)

Oksana Dyka est apparue à l’Opéra de Paris en une saisissante Giorgetta (Il Tabarro). Aida est pour elle un rôle qui lui permet de projeter ses aigus métalliques qui ne dépareillent absolument pas avec la tonalité d’ensemble de la production,  mais cette froideur d’Europe centrale est un peu inhabituelle car l’esclave éthiopienne est l’âme de cette histoire. Elle devrait être plus sombre, expressive et souple quand la voix se fait basse. 
En fait, c’est son regard un peu ailleurs, sa belle féminité et sa distance qui la rendent intrigante.

 Toute la passion humaine se trouve alors concentrée dans le personnage d’Amnéris.  Luciana d’Intino est sans doute la seule grande chanteuse verdienne de la soirée, opulente dans les graves et soudainement très focalisée dans ses aigus voilés et satinés, où l‘on perçoit des reflets d‘une très grande clarté. Elle a bien sûr la gestuelle ampoulée des grandes divas classiques, mais sa présence est la seule à dominer la scène.

Marcelo Alvarez (Radames)

Marcelo Alvarez (Radames)

Même Marcelo Alvarez, dépassé par un concept trop peu conventionnel pour qu’il puisse pleinement exister, chante un Radamès un peu sur la réserve. Il s’accommoderait sans doute mieux de metteurs en scène tels Gilbert Deflo ou Giancarlo del Monaco.
Il a un style poétique, mais pas le sens dramatique et la profondeur que vient de révéler Michael Fabiano au cours de sa formidable interprétation romantique d’Edgardo dans Lucia.

Parmi les voix de baryton/basse, Roberto Scandiuzzi est un très beau Ramfis, voix presque de crème qui adoucit fortement les traits pourtant terribles du Grand Prêtre. Carlo Cigni, en roi, est plus neutre dans son interprétation, et Sergey Murzaev, le grand baryton russe que Nicolas Joel distribue régulièrement dans le répertoire italien, a pour lui une noblesse interprétative qu’il tient autant de la dignité de son allure que de la solidité de son timbre chaleureux. La diction, elle, reste peu contrastée.

Roberto Scandiuzzi (Le Grand prêtre)

Roberto Scandiuzzi (Le Grand prêtre)

Du début à la fin, les voix du chœur sont d’un magnifique raffinement surtout lors qu’il chante en arrière-scène. L’effet liturgique est saisissant.

De même, le messager d’Oleksiy Palchykov est très bien chanté et la prêtresse d’Elodie Hache est tout autant angélique, bien qu’elle reste dans les coulisses.

Mais tout ceci n’est-il pas vain, quand au salut final on entend des spectateurs huer des figurants, huer Roberto Scandiuzzi simplement parce qu’il est habillé en prêtre, et qu’une dame outrée que je puisse applaudir Olivier Py me demande si j’ai bien mon propre billet? Quel est ce public menaçant fasse à tout ce qui le gène? Il est sans doute nécessaire de rappeler que Py revendique sa foi catholique, ce qui ne l'empêche pas d'avoir le recul suffisant par rapport au comportement de l'église et de certains de ses fidèles. Si tout le monde avait son intelligence, la vie serait bien meilleure pour tous.

Marcelo Alvarez, Luciana d'Intino et Olivier Py

Marcelo Alvarez, Luciana d'Intino et Olivier Py

Passons sur ce public de première très particulier, pour appréhender la deuxième représentation qui repose sur une distribution des trois rôles principaux différente.

Aida est cette fois interprétée par Lucrezia Garcia, une soprano vénézuélienne régulièrement invitée à Vérone pour y apparaître dans ce rôle et celui d’Abigaille, ou bien à la Scala de Milan pour y être Odabella et Lady Macbeth.

Elle a une émission souple et musicale, un art du chant fin, sombre et aéré et surtout très homogène. Son timbre a quelque chose de surnaturel qui la désincarne un peu, d’autant plus qu’elle ne possède aucun jeu théâtral qui ne lui soit un peu personnel.

Elle est donc uniquement une voix immatérielle fascinante.

Elena Bocharova (Amnéris) et Lucrezia Garcia (Aida)

Elena Bocharova (Amnéris) et Lucrezia Garcia (Aida)

Son partenaire dans Radamès est un chanteur que nous connaissons à Paris depuis l’arrivée de Nicolas Joel, le directeur artistique. Robert Dean Smith fait son apparition en laissant entendre un chant aux lignes fluides et enveloppé d’un timbre doux et pacifiant. Son personnage est peu complexe, naïf et sincère, mais il perd en consistance et en séduction dans les aigus. Son duo final avec Lucrezia Garcia est cependant d’un naturel émouvant.

Quant à Elena Bocharova, son chant voluptueux, du à une noirceur qui fait presque d’elle une contralto, atteint une bien meilleure homogénéité dans les deux derniers actes. Elle aborde le personnage d’Amnéris avec superficialité en la rendant inutilement sympathique. En revanche, elle a des comportements sanguins qui peuvent lui donner une dimension qui impressionne, comme lorsqu’elle renvoie dans sa colère Ramfis et les prêtres pour leur condamnation de Radamès.

Lucrezia Garcia (Aida) et Robert Dean Smith (Radamès)

Lucrezia Garcia (Aida) et Robert Dean Smith (Radamès)

Mais la grande surprise de la soirée est le superbe déploiement orchestral tant attendu de la part de Philippe Jordan, deux jours après une première représentation qu’il avait beaucoup trop tenue sous contrôle.

Ce soir, les tissures orchestrales n'étaient pas à un seul instant noyées dans la fosse, les timbales dévalaient sur toute la longueur de la scène pour entraîner le drame, des ondes noires et fantastiques traversaient la grande scène du jugement qui n’aurait sinon jamais parue aussi forte que celle de l’autodafé de Don Carlos, avec la magnifique croix en flamme imaginée par Olivier Py.

On a entendu des rafales de vents, des flûtes traçant des traits filants, un éclat constant qui s’unissait au brillant du décor, et des alliages de percussions et de cuivres qui en magnifiaient les couleurs. Un grand, très grand Verdi moderne.

Philippe Jordan

Philippe Jordan

Voir les commentaires

Publié le 27 Septembre 2013

Alceste (Christoph Willibald Gluck)
Répétition générale du 09 septembre &
Représentations du 22 et 28 septembre 2013

Admète Yann Beuron
Alceste Sophie Koch
Le Grand Prêtre Jean François Lapointe
Hercule Franck Ferrari
Coryphées Stanilas de Barbeyrac
                 Marie-Adeline Henry
                 Florian Sempey
                 Bertrand Dazin
L’Oracle François Lis

Mise en scène Olivier Py
Direction musicale Marc Minkowski
Chœur et Orchestre des Musiciens du Louvre

                                                                                                        Dionysos

La détermination d’Alceste à rejoindre les enfers pour éviter de vivre avec l’absence de son homme aimé est une force romantique que l’on retrouve dans le personnage de Juliette, l’héroïne de Shakespeare.
Alors, en faisant tant ressembler la femme d’Admète à sa Juliette telle qu’il l’avait représentée à l’Odéon, avec son long manteau noir et sa chevelure si féminine, Olivier Py ne fait que révéler cette similitude entre le compositeur allemand et le dramaturge anglais.

Sophie Koch (Alceste)

Sophie Koch (Alceste)

Pour le spectateur d’opéra curieux de bon théâtre, c’est-à-dire de cet art qui s’intéresse à la vie de l’esprit avec tous ses méandres sombres et inextricables, et accoutumé à l’univers du metteur en scène, la poésie visuelle qui émane de ces décors éphémères dessinés si finement à la craie sur de larges pans noirs devant lesquels les personnages vivent la joie et la douleur du drame dans leur vérité simple et touchante, est une très belle manière de rendre le classicisme de l’œuvre plus proche de lui.

Sophie Koch (Alceste)

Sophie Koch (Alceste)

On se laisse aller à admirer les détails de la façade de l’Opéra Garnier, le temple d‘Apollon, maître de la Poésie et de la Musique, la reconstitution des rues de ce qui semble être Venise, les forêts torturées, la nuit étoilée derrière laquelle le chœur murmure un magnifique chant élégiaque, les symboles évidents du Cœur et de la Mort, et Olivier Py réussit naturellement à saisir l’essence du texte et la transcrire dans une vision qui lui ressemble, jusqu’aux garçons toujours physiquement parfaits, qu’il s’agisse des enfants d’Alceste, ou bien de cet Apollon dansant et solaire que l’on retrouvait dans sa pièce Die Sonne.
Ainsi, s’opposent à travers la sensualité de ce même danseur, les forces tentatrices dionysiaques, lors du banquet que célèbre le peuple à la joie de savoir Admète sauvé, et les forces inspiratrices du lyrisme, Apollon, qui l‘emportent à la fin.

Yann Beuron (Admète)

Yann Beuron (Admète)

Dans le troisième acte, il fait également un très bel usage de l’éclairage néon pour induire une atmosphère crépusculaire dans la salle même, alors qu’Alceste se présente aux portes des enfers, devant l’orchestre, situé sur la scène, laissant ainsi la fosse se transformer en Styx symbolique, embrumé tout en chantant, par l’intermédiaire du chœur, la voix lugubre des morts.

Il saisit ainsi la beauté essentielle de la musique, la délicatesse des sentiments humains, tout en laissant, de ci de là, surgir les thèmes qui lui tiennent à cœur, le désespoir politique que suscite le sort funeste d’Admète, la noirceur romantique d’Alceste, la vitalité insolente d’un éphèbe couvert des lauriers de la poésie et du chant, et, enfin, les symboles chrétiens qui sauvent de tout.

Le Banquet (deuxième acte)

Le Banquet (deuxième acte)

Tout en osmose avec son orchestre, Les Musiciens du Louvre, Marc Minkowski insuffle à la musique de Gluck une tension vivifiante dont il exalte la modernité des couleurs, une grâce éthérée que l’on ne lui connaissait pas, sans accentuer pour autant le pathétisme de la partition.
Et il est au cœur du drame, de la vie intérieure de chaque chanteur, ce qui l’oblige à une attention de toute part, jusqu’aux chœurs, importants acteurs de la pièce, superbes de nuances, de tonalité profonde si changeante, qui peuvent autant exprimer la force de l’espoir que les tristes murmures des adieux.
Tout cela est véritablement très beau à voir et à entendre, austère diront certains, ou terriblement vrai comme le ressentiront bien d'autres.

Sophie Koch (Alceste)

Sophie Koch (Alceste)

Tragédienne classique, Sophie Koch est donc une Alceste faite pour se fondre dans ce théâtre moderne. Elle ne domine pas Yann Beuron, mais se situe dans un échange à part égale, sa voix plutôt claire, révélant des graves magnifiquement dramatiques dans « Divinités du Styx »,  tout en lui permettant de conserver une netteté de diction qu’elle gomme parfois quand les noirceurs lyriques l’emportent.

C’est cependant dans toute la détermination du premier acte qu’elle est la plus impressionnante.

Florian Sempey, Stanilas de Barbeyrac, Bertrand Dazin, Marie-Adeline Henry (les Coryphées)

Florian Sempey, Stanilas de Barbeyrac, Bertrand Dazin, Marie-Adeline Henry (les Coryphées)

Yann Beuron, ténor poétique tel qu’on aurait si bien envie de le décrire, est d’une humaine évidence, un charme vocal sombre qui, lui, reflète le fatalisme de la musique avec un sens de l’intériorité pathétique que peu de chanteurs français peuvent atteindre.

Et de cette distribution entièrement francophone qui intègre les jeunes fleurons de l’Atelier Lyrique, Stanilas de Barbeyrac, Marie-Adeline Henry, Florian Sempey, tous excellents, Jean François Lapointe y trouve, en Grand Prêtre, un rôle dont il soigne la prestance et le langage.

Apollon

Apollon

 Franck Ferrari, lui, se démarque toujours aussi bien dans les opéras de Gluck, doué d’une vérité expressive naturelle à la fois forte et inquiétante qui, même dans des rôles courts, lui donne une présence qui marque bien au-delà de la représentation.

Et se conjuguent ainsi à cet ensemble si homogène, les éclats de voix baroques du contre ténor Bertrand Dazin, et les noirceurs détachées de François Lis.

Alceste (Koch-Beuron-Lapointe-Minkowski-Py) Palais Garnier

A l'entracte, le rideau se baisse sur une reproduction inspirée de La montée des âmes vers l'Empyrée de Jérôme Bosch, chef d'oeuvre de l'Art flamand conservé au Palais des Doges, dont la lumière fait écho aux derniers mots gravés sur le décor : La Mort n'existe pas

Voir les commentaires

Publié le 30 Juin 2013

Il Trovatore (Giuseppe Verdi)
Représentation du 27 juin 2013
Bayerische Staatsoper München

Ferrando Kwangchul Youn
Inez Golda Schultz
Leonora Anja Harteros
Count di Luna Alexey Markov
Manrico Jonas Kaufmann
Azucena Elena Manistina

Direction musicale Paolo Carignani
Mise en scène Olivier Py

 

                                                                                                           "Di quella Pira"

 

Olivier Py, nouveau directeur du Festival d’Avignon et metteur en scène pour lequel Paris vient de commander pas moins de trois nouvelles productions au cours de l’automne prochain, Alceste à l’Opéra Garnier, Aïda à l’Opéra Bastille et Dialogues des Carmélites au Théâtre des Champs Élysées, fait sa première apparition à l’Opéra de Munich en ouvrant la première journée du festival avec Il Trovatore de Giuseppe Verdi.

Jonas Kaufmann (Manrico)

Jonas Kaufmann (Manrico)

Son univers noir, l’esthétique homo-érotique qui lui est chère quand il s’agit de faire intervenir des combattants torse-nus, la figure finale de la mort - un homme en noir qui rode autour de Léonore - et sa revendication chevillée au corps de sa foi catholique, renvoient des images qui, dans l’ensemble, s’insèrent bien dans le climat sordide de l’œuvre.

Ferrando, ce superbe Kwangchul Youn qui fait ressortir tous les angles saillants et inquiétants du récit d’introduction, raconte l’histoire devant un rideau de théâtre, comme un acteur partie prenante du drame, car Olivier Py en fait, à la toute fin, le meurtrier de Manrico.

Choeur des forgerons (début Acte II)

Choeur des forgerons (début Acte II)

Il fait apparaître un personnage généralement jamais représenté, la mère d’Azuzena, vieille femme défigurée par toutes les souffrances qu’elle a enduré, brûlée vive dans une forêt incendiée blanche de cendres, qui pèse comme une malédiction sur les protagonistes du drame.

Cependant, les images ne suffisent pas à créer une cohérence dramaturgique, et l’on s’y perd un peu avec cette actrice sensuelle qui danse sur une locomotive, à l‘arrivée d‘Azuzena, qui charme le Comte sur son lit et qui offre, en conclusion, une très belle icône d’une femme en désir d’enfant sur un fond de toiles ondoyant. L'analyse psychologique se fond ainsi à l'action, la relation fusionnelle entre Azucena et Manrico étant très nettement soulignée.

Martyre de la mère d'Azucena

Martyre de la mère d'Azucena

Le couple que forme Manrico et Leonore est bien mis en valeur, mais un peu à la façon dont le metteur en scène avait traité le romantisme sans issue de Roméo et Juliette. Il commet même une erreur en faisant surgir Jonas Kaufmann, idéal de musicalité et d’un charme sombre au point de gommer légèrement l’héroïsme flamboyant de ce rôle de ténor italien impétueux, en le faisant surgir au moment où Anja Harteros est emportée dans les subtilités éthérées d’ « E deggio, o posso crederlo». Olivier Py, à ce moment précis, n’a pas l’humilité de s’effacer devant la musique. Car, si le timbre de la cantatrice allemande est un peu froid dans son premier air, sa splendeur vocale repose sur la précision de sa projection, lancée comme un intense faisceau saisissant, et, surtout, sur la finesse des lignes dont la grâce est trop inhabituelle pour ne pas y réagir avec une extrême sensibilité.

Anja Harteros (Leonora)

Anja Harteros (Leonora)

Dans la seconde partie, Anja Harteros est encore plus impliquée dramatiquement, parfois même avec violence, et laisse une impression terrible en se retirant prise par des spasmes de folies dans un très bel effet visuel angoissant.
Cette dernière scène s’achève d’ailleurs par un impressionnant trio avec Elena Manistina, bien plus noire et hallucinante qu’en première partie, alors que le jeune couple l’accompagne d’effets véristes très appuyés qui annoncent la mort.

Alexey Markov, avec ses intonations russes élégantes mais hors sujet dans ce répertoire, campe un Comte dont il manque la stature à la fois sensible et dominatrice pour imprimer un caractère qui s’impose avec suffisamment de force face à un Jonas Kaufmann qui chante dans une tessiture proche de celle du baryton.

Elena Manistina (Azucena)

Elena Manistina (Azucena)

Après un spectaculaire numéro de foire, deux bébés gigantesques et grotesques gesticulant sur le plateau circulaire du théâtre, Olivier Py devient plus mesuré dans les changements de décors, beaucoup trop nombreux et rapides en première partie. Il crée ainsi une atmosphère plus prenante, faite d’enchevêtrements mécaniques complexes et sombres qui concordent avec le climat musical nocturne de ces deux derniers actes.

Le bûcher d’Azucena laisse place à une magnifique croix ardente, l’inévitable expression de la ferveur religieuse de Manrico, mais surtout du metteur en scène.
 

Jonas Kaufmann (Manrico) et Anja Harteros (Leonora)

Jonas Kaufmann (Manrico) et Anja Harteros (Leonora)

Comme on a pu l’entendre dans Tosca à l’Opéra Bastille, Paolo Carignani est un chef qui soigne les lignes musicales. Les lignes des cordes sont toujours aussi séduisantes, des reflets métalliques et élégants en émanent magnifiquement, mais, pendant les deux premiers actes, la tension théâtrale est trop faible pour soutenir l’action scénique. Le son semble même confiné en sourdine dans la fosse d’orchestre. Par la suite, le rayonnement musical est bien meilleur, le volume prend de l’ampleur, et les tableaux retrouvent une beauté sonore sombre captivante.

Voir les commentaires

Publié le 4 Mai 2012

Hamlet (Ambroise Thomas)
Représentation du 30 avril 2012
Theater an der Wien
Das neue Opernhaus

Hamlet Stéphane Degout
Ophélie Christine Schäfer
Claudius Phillip Ens
Gertrude Stella Grigorian
Laërte Frédéric Antoun
Le Spectre Jérôme Varnier
Polonius Pavel Kudinov
Horatio Martijn Cornet
Marcellus Julien Behr

Coproduction Théâtre de la Monnaie

Mise en scène Olivier Py
Direction musicale Marc Minkowski
Wiener Symphoniker
Arnold Schoenberg Chor
Saxophone Michaela Reingruber            Stéphane Degout (Hamlet) et Stella Grigorian (Gertrude)

Lorsque l’on s’intéresse de près au travail d’un metteur un scène, il devient passionnant de suivre la logique qui le guide dans le choix des œuvres, les techniques théâtrales et les sentiments personnels développés au fil de ses créations.

Pour l’ouverture de sa dernière saison à la direction du Théâtre de l’Odéon, Olivier Py a porté sur la scène - avec un immense succès - le Roméo et Juliette de Shakespeare, et s’est attaché à décrire la dérive romantique mortelle des jeunes amants.

Puis, au cours de l’hiver, son adaptation française de sa propre pièce créée à Berlin peu avant, Die Sonne [Le Soleil], est apparue comme un manifeste des thèmes qui lui sont chers, signification et sublimation de la souffrance, sens du théâtre, goût pour la beauté classique, prégnance de la culpabilité et du désespoir, identité de genre.
 

Et même si le Hamlet d’Ambroise Thomas est une adaptation lyrique remaniée de la pièce de Shakespeare, la substance philosophique est suffisamment préservée pour y trouver des ressorts psychologiques à éclairer.

La scénographie repose sur un imposant décor de briques modulable en forme de grand escalier, en dessous duquel se révèle un large plateau pivotant pouvant supporter les cloisons et les estrades des différents appartements du palais.

L'architecture souterraine devient un complexe enchevêtrement d'arceaux, et ses éléments que l'on retrouve fréquemment dans les pièces d'Olivier Py engendrent inévitablement la question du lieu original qui en est l'inspiration.

                                                                                          Stéphane Degout (Hamlet)

Pas de sites champêtres, de jardins en fleurs, de ciel ensoleillé, tout se passe dans cet espace fermé sur lequel pèse l'ombre du meurtre, et Hamlet hante les lieux d'une pénombre à une autre.

Dans ce rôle, Stéphane Degout dessine un Prince saisissant de présence et de mélancolie, mais aussi de froideur.
Son timbre est toujours aussi homogène, soutenu par un souffle et un superbe legato qui en font le charme unique. Néanmoins, ce sentiment d'émotions retenues et de détachement provient aussi du manque de contraste des inflexions vocales.

Christine Schäfer (Ophélie)

Christine Schäfer (Ophélie)

Acteur simple et convaincant, aucun geste n'est inutile et faux, il est confondant de réalisme au troisième acte, le plus théâtral de l’œuvre.
Car, si depuis le prélude les propres scarifications d‘Hamlet - image habituelle chez Olivier Py - répondent au paroles « Je suis le roi de mes propres douleurs » de Richard II, un autre personnage de Shakespeare en proie au doute existentiel, l’impossibilité d’aimer Ophélie du fait de la culpabilité de son père, Polonius, fait perdre toute son âme à Hamlet.

Ce passage symbolique est figuré par la baignoire dans laquelle le Prince se lave de ses blessures, totalement nu, avant d’affronter sa mère. Cette scène ambigüe, on pourrait croire à une scène de purification alors qu'elle en est le contraire, est d’une force étonnante par sa violence et sa dimension œdipienne, la marque d’une damnation irréversible.

Le Meurtre de Gonzague. Au saxo solo, Michaela Reingruber

Le Meurtre de Gonzague. Au saxo solo, Michaela Reingruber

Stella Grigorian n’a peut être pas une fluidité musicale parfaite, mais elle compense cela par une intense expressivité, quoique un peu surjouée. Elle a de la personnalité, cela se ressent, et son portrait de Gertrude en femme aimante - de tous ses proches - et déchirée est d’une profonde authenticité.

Par de subtils jeux d’ombres, la lutte verbale et physique avec la baryton français préserve autant que possible la pudeur du chanteur, mais le plaisir de la contemplation esthétique pour les admiratrices et admirateurs n’est pas oublié pour autant, une autre valeur incontournable du metteur en scène.

Christine Schäfer (Ophélie) et Stéphane Degout (Hamlet)

Christine Schäfer (Ophélie) et Stéphane Degout (Hamlet)

De cet enchaînement de tableaux sans temps morts, la scène reconstituant « Le meurtre de Gonzague » est une saisissante démonstration de la force de vie du théâtre - la pièce se joue sur un théâtre miniature évocateur de la Grèce classique - avec, encore et toujours, les codes d’Olivier Py.

On y retrouve la spiritualité du féminin – c'est une très belle femme, Michaela Reingruber, qui interprète le solo de saxophone, instrument nouveau et moderne à l'époque d'Ambroise Thomas – et ce bâtiment est surplombé d'un Dôme sur lequel un personnage travesti joue le rôle de la reine.

 Autre très belle scène, celle du suicide d'Ophélie dans le lac simplement représenté par le plateau pivotant qui emporte Christine Schäfer et son air de folie dans la grisaille, un adieu d'une tristesse irrésistible.

Stella Grigorian (Gertrude)

Stella Grigorian (Gertrude)

C'est à ce moment précis que la soprano allemande est la plus émouvante, même si la légèreté des coloratures lui échappe, car elle a la sincérité de l'expression et le pathétique d'un timbre singulier avec elle.

Plus avant, son esprit semble un peu ailleurs, moins impliqué, alors qu'on l'avait connue si bouleversante dans La Traviata à l'Opéra Garnier.

Parmi les interventions marquantes, l'humaine douleur de Claudius effondré au pied du mur doit autant à la force de l'image qu'au sens tragique de Phillip Ens, et Jérôme Varnier, dont le diadème est devenu un masque scintillant, révèle la diction la plus claire et incisive de la scène, mais elle est presque trop présente pour suggérer idéalement l'âme surnaturelle du revenant.

On peut imaginer plusieurs raisons au peu de reconnaissance de l'Hamlet d'Ambroise Thomas.

Le drame de Shakespeare y est simplifié et modifié, la musique comprend des platitudes, et les coloratures d'Ophélie sont antithéâtrales. Et en même temps, sa poésie mélancolique, la force théâtrale du 3ème acte et les réminiscences de motifs raffinés le rendent attachant.

Stéphane Degout (Hamlet)

Stéphane Degout (Hamlet)

Ainsi, Marc Minkowski oriente son interprétation musicale vers une théâtralité prenante et peu modérée. Elle se conjugue relativement bien avec la mise en scène d'Olivier Py en mettant en valeur la dimension dramatique de l'opéra.
C'est un travail sur les couleurs et l'énergie musicale plus que sur la finesse du tissu orchestral, qu'il sera possible de réentendre au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles à partir de l'automne 2013.

Voir les commentaires

Publié le 17 Mars 2012

Die Sonne - Le Soleil - (Olivier Py)
Représentation du 09 mars 2012
Odéon Théâtre de l’Europe

En allemand, avec les acteurs de la Volksbühne de Berlin

Axel Sebastian König
Josef Lucas Prisor
Santa Mandy Rudski
Matthias Ingo Raabe
Charlie Uli Kirsch
Elena Ilse Ritter
Le Directeur Uwe Preuss
Bobby Claudius von Stolzmann

Piano Mathieu El Fassi

Mise en scène Olivier Py                                             Ingo Raabe (Matthias) et Uli Kirsch (Charlie)

Malgré ses allures outrées et sa vitalité débridée, Die Sonne [Le Soleil] est une pièce sur l'intime, une confrontation humaine des "moi" pluriels qui s'abîment dans l'âme d'Olivier Py.

Et il revient au spectateur de se laisser happer par les personnages et les scènes qui entrent en résonnance avec sa vie même, ou bien de placer son esprit sur une ligne compassionnelle quand lui échappe et devient opaque la nature humaine.

Dans cet espace, la parole est souvent rêveuse et mystérieuse - un feu au cœur d'un océan scintillant-, mais elle retrouve également des expressions crues comme la chair, et engage toujours des débats philosophiques sur le sens et l’attente du théâtre.

Sebastian König (Axel)

Sebastian König (Axel)

Joseph, auteur taciturne, sombre comme le passé de son pays d’origine, l’Allemagne - il en a intériorisé la culpabilité-, a trouvé en Axel un acteur fascinant de liberté et de folie, un idéal physique de la beauté classique grecque -Nietzche n’écrivait-il pas « la Grèce a pour nous la valeur qu’ont les saints pour les catholiques »?-.

Elena, la mère vieillissante de l’écrivain, voit en Axel celui qui peut lui réapprendre à vivre, et Matthias, jeune homme qui recherche la Joie mystique par la scarification au point d‘en devenir une sorte de Saint Sébastien entaillé de toutes parts, pense ainsi pouvoir captiver l’attention de l’acteur.
 

On trouve en Charlie, travesti en femme, une autre composante vitale de la personnalité d’Olivier Py, une volonté de vivre qui dépasse la simple envie de changement de sexe, et le Directeur, chargé de monter la pièce de Joseph, perméable au discours politique sur le devoir de moralisation du théâtre, se laisse lui-même submerger par la personnalité flamboyante d’Axel.

Enfin Senta, la mère de l’enfant décédé - elle l'a eu avec Axel dans la pièce écrite par Joseph-, fantasme son aspiration à l’harmonie avec la mort, et Bobby apparaît plus comme quelqu’un qui ne croit plus en rien, au point de trouver son plaisir dans un style de vie sans structure personnelle et sans espoir, livré aux addictions.

                                             Ilse Ritter (Elena)

Un des leitmotivs réminiscent du texte, comme dans la musique de Wagner, est le rapport à la souffrance intérieure et sa sublimation à travers des personnages qui, pour faire de leur vie une œuvre d’art, trouvent chacun à sa manière une forme qui lui ressemble, quitte à se transformer physiquement.

Qui ne connaît pas dans sa vie, par exemple, une Elena, c’est-à-dire une femme ayant toute une vie derrière elle, rayonnante et scintillante, mais portant en elle les souvenirs douloureux d’êtres chers disparus?

Tous ces attachants acteurs, Lucas Prisor, Mandy Rudski, Ingo Raabe, Uli Kirsch, Ilse Ritter, Uwe Preuss, Claudius von Stolzmann forment un univers humain complémentaire et fort, en interaction constante, mais il y en a bien sûr un qui se détache, Sebastian König.

Lucas Prisor (Josef) et Sebastian König (Axel)

Lucas Prisor (Josef) et Sebastian König (Axel)

Olivier Py a trouvé en lui un idéal théâtral au regard malicieux et perçant - l’artiste est très beau physiquement et joue de sa nudité avec une telle apparente facilité qu‘elle crée un sentiment admiratif d‘envie de liberté-, aussi juvénile qu’il peut être ténébreux ou rêveur, et qui s’empare de tout l’espace jusque dans la salle pour provoquer le spectateur.

Mais, pour un non-germanophone, la disposition des surtitres, trop hauts au centre et trop peu lisibles sur les côtés, oblige à faire un choix entre suivre constamment des yeux le texte, qu’il sera toujours possible de relire après le spectacle en acquérant la traduction française, ou suivre du regard ce fabuleux acteur qui entretient une tension sensuelle et érotique constante avec le public. Et c’est bien entendu la vie, telle qu’elle se présente, éphémère, qui l’emporte.

Le décor scénique, pivotant à 360° et construit sur deux niveaux, est lui aussi très caractéristique de l’univers du metteur en scène, avec ses zones d’ombres, les couleurs des murs en briques allemands, et la force d’un cheval noir antique.
Au centre, Mathieu El Fassi, pianiste discret jouant des accompagnements romantiques, parfois d’opéras comme « O du mein holder Abendstern » interprété par Ilse Ritter, ou bien « Träume » extrait des Wesendonck Lieder, entraine encore plus le passionné lyrique dans cet univers poétique.

Construite en cinq actes, du Printemps à l’Hiver puis retour au Printemps, la pièce s’achève sur un grand monologue en forme d’extase, quand Axel, seul et tournoyant au milieu de la scène nue, lui-même nu, devient le soleil vital, l’attente théâtrale en une ode emphatique comme dans la Mort d’Isolde                        Sebastian König(Axel)

On sort d’un tel spectacle heureux d’avoir réussi à s’extraire du quotidien prégnant et de ses superficialités, et d’avoir abordé des questions qui touchent à l’être le plus intime, une fois que l’énergie enivrante des acteurs ait décapé la vie de ses entraves. Et  même si la relecture de la pièce, dans un second temps, laisse encore des formules bien énigmatiques, la fraîcheur des mots, elle, est intacte.

Voir les commentaires

Publié le 26 Septembre 2011

Roméo et Juliette (Shakespeare)
Représentations du 21 et 24 septembre 2011
Odéon-Théâtre de l’Europe

Roméo Matthieu Dessertine
Juliette Camille Cobbi
Mercutio Frédéric Giroutru
Benvolio Benjamin Lavernhe
Capulet/Paris Olivier Balazuc
Frère Laurent Philippe Girard
La Nourrice Mireille Herbstmeyer
Tybalt Quentin Faure
Le Prince/Clown… Bathélémy Meridjen
Le Musicien/Abraham Jérôme Quéron

Mise en scène Olivier Py

                                

                                                                                                      Frédéric Giroutru (Mercutio)

Avec une grande économie d’accessoires, un miroir de loge de théâtre serti d’ampoules et de masques de mort, quelques plans noirs, verticaux et usés, qui serviront de support aux dessins et tournures tracés à la craie, une grande toile rouge transparente qui sépare la vie de la mort, un mobilier qui figure la chambre élevée où vit Juliette, le regard d’Olivier Py sur l’émouvante tragédie de Shakespeare prend un immense plaisir à animer un ensemble de personnages frénétiques, exaltés ou même fous.

Naturellement, on va voir cette pièce en ayant la tête chargée des élans épiques et des cavatines éthérées de l’opéra de Charles Gounod, des pulsations soupirantes de la musique d’Hector Berlioz, et des voix consolatrices écrites par Vincenzo Bellini.

Matthieu Dessertine (Roméo)

Matthieu Dessertine (Roméo)

On en oublie, et la relecture du texte lors de l’entracte permet de s’en assurer, que le discours sensible et les allusions licencieuses sont intimement liés, comme dans la vie.
La traduction en français introduit donc des éléments de langage moderne, et Olivier Py explicite clairement les jeux de mots et des situations obscènes qui aboutissent à une scène remplie de mimiques homosexuelles, lorsque Roméo retrouve Benvolio et Mercutio après sa rencontre avec Juliette.
C’est tellement excessif, et pourtant le texte de Shakespeare peut se lire ainsi, que l’on en rit autant que l’on en admire le courage des acteurs, Frédéric Giroutru en particulier.
Il y a chez ce comédien un naturel impulsif très fortement en prise avec le spectateur.

La façon dont est représenté Roméo est également captivante. Sa démarche évoque la femme dans un corps d'homme telle que Frère Laurent en fait l'observation, mais sans que l'élément féminin ne prenne pour autant le dessus.
Cela enrichit son humanité, en souligne les faiblesses, et lui apporte une légèreté fantaisiste lorsqu'il devient amoureux.
Même si sa voix n'est pas aussi suave, elle jaillit comme extirpée d'un abdomen qui revendique en force son désir de vivre, et Matthieu Dessertine se révèle un interprète furieusement vivant, physiquement idéal dans la logique de perfection classique si chère à Olivier Py.

Camille Cobbi (Juliette)

Camille Cobbi (Juliette)

Plus réaliste, le portrait de Juliette évoque celui d'une jeune femme lucide qui recherche l'exaltation du corps à corps, une personnalité entière pour laquelle Camille Cobbi prète une interprétation très spontanée, et un peu extérieure.

Il manque cependant quelque chose dans ce couple de jeunes amants, il manque cette force impalpable qui les unit, la subtilité dans la rencontre qui devrait donner un sens profond à leur rapprochement, et faire que l'on croit à leur amour. En tout cas, quelque chose dans le jeu scénique du metteur en scène peine à traduire cette émotion.

Il semble plutôt vouloir traiter leur rapport à la religion face aux obstacles qui les séparent, comme cette croix noire qui reflète le tempérament mélancolique et suicidaire de Roméo.  D'où sa défiante exaltation dans les derniers instants avant la mort, qui rappelle l‘attente impatiente de Kirsten Dunst face à la planète Melancholia, dans le dernier film de Lars von Triers.

Parmi tous ces acteurs et actrices qui forment une troupe engagée et en osmose, au point d’interpréter eux-mêmes les passages choraux, on peut remarquer Olivier Balazuc, Capulet dont la violence détraquée s’emballe crescendo contre sa propre fille sur les accords pianistiques de l’Appel de Hagen (Le Crépuscule des Dieux-Wagner), mais aussi la bienveillante parole de Philippe Girard, et l’énergie déjantée de Mireille Herbstmeyer, au service d’un emploi comique cette fois ci.

Au piano, Jérôme Quéron charge l’atmosphère d’airs nostalgiques (Valse du Chevalier à la Rose), autant qu’il évoque les états d’âme les plus sombres (Introduction du second acte du Crépuscule des Dieux), toujours dans l’esprit d’appuyer et d’amplifier le sens des mots.

Voir les commentaires