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Publié le 21 Août 2014

De Materie (Louis Andriessen)
Représentation du 15 août 2014
Kraftzentrale, Landschaftspark
Duisburg-Nord – Ruhrtriennale

Gorlaeus Robin Tritschler
Hadewijch Evgeniya Sotnikova
Madame Curie Catherine Milliken

Boogie-Woogie Tänzer Gauthier Dedieu
                                     Niklas Taffner

Mise en scène Heiner Goebbels

Direction Musicale Peter Rundel
Ensemble Modern Orchestra
ChorWerk Ruhr                                                         De Materie 1986-1987 Acte de La Haye

Dans les anciens complexes militaro-industriels gigantesques de Bochum, Essen et Duisburg - le cœur de la puissance stratégique allemande -, le grand mouvement culturel de la Ruhrtriennale permet aux acteurs majeurs et créatifs de l’art théâtral et musical européen de se retrouver chaque année depuis treize ans.

Ainsi, pendant plus de six semaines, quatre à huit spectacles sont joués et repris chaque jour sur les sites de ces trois grandes cités métallurgiques entourées par le Rhin et trois de ses affluents, l’Emscher, la Ruhr et la Lippe.

Contre jour sur le site industriel de Landschaftspark Duisburg-Nord

Contre jour sur le site industriel de Landschaftspark Duisburg-Nord

Et c’est à l’intérieur d’une ancienne centrale électrique, haute de 17m, large de 35m et d’une profondeur de 170m, que le festival crée l’évènement, dans la continuité du Sacre du Printemps chorégraphié par Romeo Castellucci.

En effet, depuis sa première mondiale à Amsterdam, en 1989, l’impressionnante œuvre musicale de Louis Andriessen, De Materie, n’avait plus été remontée sur scène, sinon en version de concert au Meltdown Festival (1994), au New York City Opera (2004) et à Los Angeles (avril 2014).

De Materie 1986-1987 Acte de La Haye (ChorWerk Ruhr)

De Materie 1986-1987 Acte de La Haye (ChorWerk Ruhr)

Cette composition est structurée en quatre parties de 25 minutes chacune, qui font revivre des personnages de l’histoire néerlandaise, célèbres pour leurs réflexions scientifiques, artistiques ou spirituelles sur leur rapport aux formes et à la constitution de la matière.

Mais avant de découvrir cette œuvre, chacun est frappé, en entrant dans l’immense usine, par l’ensemble orchestral majoritairement composé de cuivres, des saxophones, de deux pianos placés au centre, de guitares et de basses électriques, de synthétiseurs, de percussions flanquées sur la gauche, et d’une petite section de cordes située à droite.
Ainsi, la modernité et la puissance du métal sont naturellement disposées dans un espace qui corresponde à leur essence.

De Materie 1986-1987 Acte de La Haye

De Materie 1986-1987 Acte de La Haye

Et quand la musique commence, sur les premiers accords claquants et tranchants, sa résonnance dans la vastitude de ce qui n’est plus qu’un hangar saisit immédiatement le spectateur, tout en conscience de l’incroyable expérience acoustique qu’il va vivre.
Huit jeunes choristes, en magnifiques habits renaissance hauts en couleurs, récitent deux passages de l’Acte de La Haye par lequel les Provinces-Unies avaient obtenu leur indépendance de l’Empire espagnol.

 La répétitivité de leur langage mécanique rappelle tant celle du chœur d’Einstein on the Beach, la grande composition de Philip Glass, qu’il n’est pas étonnant d’apprendre plus tard, que Robert Wilson fut aussi le metteur en scène de la création de De Materie.

Hadewych 1987-1988 Septième vision de Hadewych

Hadewych 1987-1988 Septième vision de Hadewych

Mais le spectacle d’Heiner Goebbels, le directeur artistique de la Ruhrtriennale pour sa dernière année, est d’une invention prodigieuse.

Dans cette première partie, des tentes, telles des abris de camps de réfugiés, d’un bleu phosphorescent, campent sur la scène, tandis qu’un dirigeable les survole majestueusement, mystérieusement téléguidé. Et un second dirigeable surgit de dernière les auditeurs, en les survolant vers la scène comme dans les films de sciences fictions, qui débutent avec un imposant vaisseau spatial fonçant vers une planète habitée.

Un troisième dirigeable apparait enfin, plus large, et chacun admire pendant toute la durée de la pièce, leur ballet sur cet ensemble qui ressemble à l’intérieur d’une coque d’un navire géant, captés que nous sommes par le rythme haché de la musique.

Hadewych 1987-1988 Septième vision de Hadewych. A droite Evgueniya Sotnikova

Hadewych 1987-1988 Septième vision de Hadewych. A droite Evgueniya Sotnikova

Un ténor, Robin Tritschler, scandant avec panache la théorie sur les particules de David van Goorle, surgit en surplomb des spectateurs, avant que le chœur ne reprenne un air tout aussi rapide aux colorations mixtes.

La seconde pièce se déroule dans une toute autre atmosphère, une lenteur subtile qui s’installe sous les lumières d’automne et les filaments de brume d’un parc jonché de bancs. Apparaît Hadewijch d’Anvers, poétesse flamande du XIIIème siècle, dont le mysticisme est rendu autant par le mystère des teintes orchestrales, que par la voix aérienne d’Evgeniya Sotnikova, telle l’ange de Saint François d’Assise.

De Stijl 1984-1985 Principes mathématiques de Schoenmaeker (danseurs)

De Stijl 1984-1985 Principes mathématiques de Schoenmaeker (danseurs)

La musique est à nouveau composée par la répétition de motifs élémentaires changeant de tonalité graduellement.
La fusion avec le tableau visuel est d’un effet fantastique, car la scène est surmontée d’un soleil noir fixe et rayonnant, qui semble un moment rejoint par une immense boule d’or prolongée par son ombre. L’émotion est très proche de ce que l’on peut ressentir à l’éminence d’une éclipse solaire et de ses changements lumineux irréels, surtout lorsque la voix de la soprano atteint son paroxysme aigu, tout aussi surnaturel.

De Stijl 1984-1985 Principes mathématiques de Schoenmaeker (L'orchestre et Peter Rudel)

De Stijl 1984-1985 Principes mathématiques de Schoenmaeker (L'orchestre et Peter Rudel)

La troisième partie est la plus complexe musicalement, en introduisant des airs jazzy et de boogie-woogies entrainants, des accords de piano et de saxophone en mouvement de fond, qui évoquent la jeunesse musicale américaine. Deux danseurs,  Gauthier Dedieu et Niklas Taffner, apparaissent tout au loin, à une centaine de mètres des spectateurs, tandis que trois disques de couleurs changeantes se balancent aléatoirement au-dessus de leurs têtes, mus chacun par trois axes autour desquels leurs envols ralentissent ou s’accélèrent soudainement.


Ce cours de mécanique fascinant est accompagné par le chœur, qui récite un texte du mathématicien Schoenmaeker sur la pureté des lignes, jusqu’à ce qu’un effet scénique génial surprenne tout le monde : une partie de l’orchestre se détache alors pour rejoindre lentement, tout en jouant, le centre de la salle, s’éloignant ainsi du public.

Sonnets de Willem Kloos

Sonnets de Willem Kloos

Tout est en mouvement, mais la musique, elle, continue inexorablement à dispenser sa magie.

Et soudain, au dernier passage, le rythme des percussions, comme de légers et brillants coups de forge, résonnent dans un bleu nuit, où apparait un troupeau de moutons laissés seuls. Un dirigeable les surveille, semblant les guider, et le troupeau avance, par étape, vers l’avant-scène. Les bêlements amusent le public, notamment les jeunes enfants installés au premier rang.

A chaque coup de percussions, le piano répond subtilement, et tout le mystère nait de ces répétitions hypnotiques.

Catherine Milliken (Discours de Marie Curie)

Catherine Milliken (Discours de Marie Curie)

Le chœur revient ensuite, pour chanter progressivement et lentement un sonnet de Willem Kloos sur la force éternelle du désir et l’amour, et la musique devient épique, lourde et wagnérienne, une impressionnante marche impériale vers la mort.

Et le calme revient, pour accueillir Catherine Milliken qui, sous les traits de Marie Curie, reprend, avec une très grande profondeur, un extrait de son discours à la mémoire de son mari décédé, Pierre, dont elle prononce le prénom avec un amour et une affection magnifiques - my little Pierre.

A droite, Louis Andriessen (Compositeur)

A droite, Louis Andriessen (Compositeur)

Ce spectacle est tellement merveilleux – il le doit à l’osmose parfaite entre les artistes, l’imperturbable chef d’orchestre Peter Rundel, le compositeur, le metteur en scène et toute l’équipe technique – que l’on souhaiterait le faire connaître à tous ses proches.

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