Samson et Dalila (Rachvelishvili-Antonenko-Jordan-Michieletto) Bastille
Publié le 5 Octobre 2016
Samson et Dalila (Camille Saint-Saëns)
Répétition générale du 28 septembre et représentation du 04 octobre 2016
Opéra Bastille
Dalila Anita Rachvelishvili
Samson Aleksandrs Antonenko
Le Grand Prêtre de Dagon Egils Silins
Abimélech Nicolas Testé
Un Vieillard hébreu Nicolas Cavallier
Un Messager philistin John Bernard
Premier Philistin Luca Sannai
Deuxième Philistin Jian-Hong Zhao
Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène Damiano Michieletto (2016)
Coproduction avec le Metropolitan Opera, New York
Diffusion sur Arte Concert dès le 14 octobre 2016. Philippe Jordan
Malgré une entrée tardive au répertoire de l'Opéra National de Paris - le chef-d’œuvre de Camille Saint-Saëns dut attendre 15 ans pour faire son entrée au Palais Garnier en 1892 -, 'Samson et Dalila' devint, pendant près d'un demi-siècle, l'opéra le plus joué par l'institution parisienne après le 'Faust' de Charles Gounod.
Mais depuis la seconde guerre mondiale, l'oeuvre a entamé un lent déclin pour disparaître totalement des planches depuis la prise en main de la scène Bastille par Hugues Gall en 1995.
A l'instar de 'Rigoletto', la saison passée, et de 'Lohengrin', l'hiver prochain, la nouvelle production de 'Samson et Dalila' est donc, avant tout, un hommage à la mémoire des oeuvres d'avant-guerre les plus représentées à l'Opéra de Paris.
On peut même y voir une continuité avec la nouvelle production de ‘Moïse et Aaron’ créée à l’Opéra Bastille en octobre dernier, qui donne le sentiment que les œuvres bibliques vont s’inscrire en filigrane dans la programmation de Stéphane Lissner.
Et en confiant la direction orchestrale d’une œuvre aussi symphonique à Philippe Jordan, la promesse d’une lecture puissante qui accorde la part belle à la clarté, aux reflets de métal, à la délicatesse des motifs réminiscents, et qui réserve des passages d’une intemporalité sublime, est implacablement tenue.
Cet art de l’envoutement atteint naturellement son paroxysme quand il se lie à l’expressivité du chœur ou à l’élégie d’un artiste.
Ainsi, rien que le premier acte est d’une beauté à couper le souffle au moment où des vieillards viennent soutenir le très émouvant Nicolas Cavallier dans son invocation à la révolte, et surtout lorsqu’il s’achève sur la rêverie de Dalila, ‘Printemps qui commence, portant l’espérance’ chantée par une Anita Rachvelishvili merveilleuse de finesse.
Son air est non seulement d’une irréalité hypnotisante, mais allié de cette manière aux tissures frémissantes et immatérielles de l’orchestre, l’auditeur est immanquablement transporté hors de lui-même en toute inconscience.
Philippe Jordan ne perd cependant pas prise avec le théâtre musical, et sa lecture gradue les enchaînements dramatiques, nuance les transitions et colore la peinture harmonique d’une patine cuivrée qui ne recouvre pas la boiserie des cordes, mais qui s’y mêle pleinement.
Les grandes fresques majestueuses de l’opéra russe ne sont plus très loin.
Et même l’agitation de la bacchanale exalte la sensualité des ornements et une intensité tumultueuse où chaque percussion résonne avec une netteté magnifique.
Le directeur musical est en compagnie d’une équipe qu’il apprécie, et cela se voit.
Anita Rachvelishvili ne réalise pas seulement une inoubliable démonstration de sensibilité lorsqu’elle incarne la Dalila séductrice – subtiles descentes chromatiques d’un charme fou -, mais se révèle totalement terrestre et d’une violence passionnelle saisissante quand elle se livre à ses intentions manipulatrices et vengeresses au début du second acte.
Sa tessiture projette une noirceur sauvage qui s’oppose à sa douceur initiale, comme si elle levait brutalement un voile sur sa personnalité. Véritablement, elle est un animal scénique fascinant.
Son partenaire, Aleksandrs Antonenko, a un timbre moins séducteur, mais il tire son charisme d’un intense engagement dramatique, d’aigus pénétrants, et d’une détresse qui d’emblée lui donne une dimension tragique. Sa confrontation vocale avec le chœur est donc toujours triomphante, et ses intonations de bête mortellement blessée portent une âme inévitablement touchante au dernier acte.
Le Grand Prêtre de Dagon, incarné par Egils Silins, rappelle beaucoup son Wotan autoritaire mais quelque peu agité pour installer une stature solide, malgré quelques interactions théâtrales fortes avec Dalila, au second acte.
Et Nicolas Testé, dans une mise en scène qui accentue l’inhumanité d’Abimélech, sert un portrait encore plus insoutenable du satrape de Gaza.
D’une coproduction avec le Metropolitan Opera de New York on pouvait s’attendre à une mise en scène peu évocatrice, le travail de Damiano Michieletto réussit pourtant à actualiser un propos qu’il n’est pas évident d’illustrer à partir d’un livret au contenu faiblement dramaturgique.
Le premier acte ouvre sur une muraille éclairée d’une lumière bleu-gris acier, derrière laquelle les chœurs israélites se lamentent, et apparaissent vêtus d’habits pauvres. Samson est leur lueur d’espoir, et ils sont très bien dirigés afin de communiquer visuellement cette attente qu’ils posent sur lui.
Les soldats Philistins, en noir et armés de fusils d’assaut, brutalisent à outrance ce peuple, et la danse des prêtresses est utilisée pour jouer un rêve prémonitoire, véritable mise en garde pour le héros.
Dalila, elle, apparaît dans une chambre dont la forme en parallélépipède rappelle celle de ‘Lady Macbeth de Mzensk’ dans la mise en scène érotique de Martin Kusej. Mais le mobilier luxueux et les adolescents qu’incarne le chœur des Philistines la font plutôt apparaître comme la femme d’un dictateur, vivant à l’écart de la violence de ses exactions.
Damiano Michieletto donne beaucoup d’intensité et de tendresse à la rencontre entre Samson et Dalila, mais il fait également évoluer leur personnalité au cours du drame.
Ainsi, Samson se détruit lui-même en se coupant les cheveux après avoir évité le (faux) suicide de Dalila, armée d’un couteau.
Et dans le troisième acte, c’est Dalila qui, prise de remord, prépare l’incendie du temple.
Le temple de Dagon est par la suite envahi par le chœur des Philistins qui se laisse aller à une fête dionysiaque richement habillée et colorée, petit monde qui n’est obsédé que par l’or et l’argent.
A la déviance de Samson vis-à-vis de son Dieu israélite, le metteur en scène oppose ainsi l’unique Dieu que connaissent les philistins, l’argent, argent sous lequel ils finiront tous recouverts lors du cataclysme final. Il s’agit ici de l’évocation d’une société actuelle matérialiste qui ne croit plus en rien.
Le couple, lui, finit enlacé dans une ultime image qui évoque une inévitable Rédemption.
Et le chœur, puissant acteur, aura été de bout-en bout passionnant d’expressivité, volontaire dans les envolées épiques, et profondément poétique dans ses moments de douceurs.
Diffusion au cinéma le 13 octobre, sur Arte Concert à partir du 14 octobre, et sur France Musique le 23 octobre.