Fidelio (Cambreling / Simons) à l'Opéra Garnier
Publié le 29 Novembre 2008
Fidelio (Ludwig van Beethoven)
Représentation du 28 novembre 2008 (Garnier)
Direction musicale Sylvain Cambreling
Mise en scène Johan Simons
Dialogues de Martin Mosebach
Don Fernando Paul Gay
Don Pizarro Alan Held
Florestan Jonas Kaufmann
Leonore Angela Denoke
Rocco Franz-Josef Selig
Marzelline Julia Kleiter
Jaquino Ales Briscein
L’article sur la Présentation de Fidelio est une introduction à ce spectacle.
On ne pouvait pas trouver opéra plus proche de notre actualité que celui là, que ce soit à propos du problème de surpopulation carcérale en France et des conditions de détentions amenant certains prisonniers au suicide, ou bien encore plus inquiétant, la manière dont la grande démocratie américaine autorise la torture (bien entendu hors de son territoire) à Guantanamo ou Abu Ghraid, en totale contradiction avec les principes fondamentaux de la déclaration universelle des droits de l’homme.
Nous savons également que beaucoup de citoyens préfèrent fermer les yeux sur ces sujets, et élire des hommes politiques d’abord sur leur capacité à améliorer leur petit confort quotidien, même si ce dernier est déjà largement supérieur à celui des 9 dixièmes de la population mondiale.
Pour ce Fidelio, Sylvain Cambreling a donc rétabli la structure de Leonore (air, duo, trio, quatuor), ce qui laisse plus de temps et de cohérence à la construction des liens entre Jaquino, Marzelline, Rocco et Fidelio.
Le texte de Martin Mosebach marque une première idée sous-jacente : « la prison est pour nous atelier, bureau et machine ». La prison est dans la quotidienneté et le spectateur est ici pris à partie.
Les chanteurs évoluent dans un espace restreint (le poste de surveillance ressemble à une cage) sans lumière naturelle, et scéniquement Johan Simons insiste sur leur mal-être, leurs gestes conditionnés, commandés ou bien limités par leur univers.
Bien que Julia Kleiter et Ales Briscein tiennent des personnage simples, leur interprétation est sans reproche.
L’arrivée de Don Pizarro est portée par un Alan Held féroce, avec une voix « coup de poing » qui concoure à faire du gouverneur un homme en rapport violent avec l’autre comme preuve de sa liberté conquise.
La convergence scénique, vocale et orchestrale dans son air implacable est une réussite indiscutable.
Petit à petit, la scène se retrouve rayée de toute part par les ombres des barreaux de la prison, jusqu’à l’ouverture sur la cour des prisonniers, illuminée par une lumière naturelle devenue leur seul espoir.
Dans tout ce premier acte, Sylvain Cambreling donne une épaisseur à la musique et une expressivité théâtrale sans relâche assez inattendue car l’on imagine mal en 1H30 qu’il n’y ait quelques passages qui traînent (critique qui avait été faite à Beethoven).
Ce n’est pas le cas ici et il faut en être reconnaissant au chef.
Angela Denoke est d’ailleurs une Leonore émouvante rien que par son regard (et l‘on fait grâce à Simons d‘avoir aussi bien magnifié son humanité), et dans son timbre se mélangent froideur et profondeur psychologique.
Elle ne cède qu’à quelques aigus qui pourraient être plus puissants et lancés plus sèchement.
Alors naturellement, l’ouverture du IIème acte saisit la salle entière, car Cambreling accroit la tension à partir d'une atmosphère déja bien préparée au Ier acte.
Il est impossible de ne pas penser que la capacité de la peinture musicale à décrire le milieu dans lequel est détenu Florestan, ainsi que sa détérioration intérieure, donne à Beethoven un demi siècle d’avance (Verdi et Wagner n’étaient âgés que d'un an en 1814!).
Sous une lampe éblouissante, le prisonnier politique est ici livré à des spasmes où l’on pressent que le passage à l’état animal est proche.
Jonas Kaufmann souffle un « Gott! », non pas hurlé, mais piano pour ensuite l’enfler progressivement et le projeter dans un temps hors du commun.
Jonas Kaufmann (Florestan)
Désolé pour les fans de son physique, il est ici aveugle, les yeux bandés, et il faudra attendre la fin pour voir son visage.
Sa voix puissante, au médium riche, et sa passion visible du théâtre dessinent un homme déchiré qu’il faut absolument avoir vu. Le jeu, fouillé et subtile, évite toute dérive vers l’exposition de bête de foire.
Franz-Josef Selig est un Rocco très intéressant par les ambiguïtés de l’humanité que suggère son timbre, passant du grave large à la douceur de la voix de tête. Parfois celle ci perd ses couleurs mais cela ne gêne pas outre mesure. Il représente ici l’homme désireux d’améliorer son quotidien quitte à devenir l’instrument de l’oppresseur.
Le texte de Mosebach devient dans cette partie une dénonciation de la logique du pouvoir, pour lequel compte d'abord le fonctionnement de son système au mépris de la vie humaine.
Simons n'épargne aucun détail pour susciter l'effroi jusqu'aux craquements du plancher, seule musique sur laquelle Pizarro élabore son plan d'extermination.
Alors quand arrive le Ministre, Paul Gay paraît un peu terne, ce qui quelque part convient car son rôle de gouverneur n’en sort pas grandi quand il se tient droit face à la salle, consterné par la responsabilité qu’il a eu dans ce drame.
La scène finale est une exaltation de l’espérance, la montée du chœur s’accompagnant de manière plutôt attendue d’une lumière qui offre une vision magnifique sur tout le public de Garnier, mais une ombre reste sur les solistes, le gouverneur désemparé, et le couple uni dans la douleur.
La direction de Sylvain Cambreling, violente et à charge débridée, est sur ces dernières minutes excessive.
Il est rare de voir l'ensemble de l'orchestre applaudir autant les artistes d'autant plus que l'angoissant second acte incite à la retenue.