Macbeth (msc Dmitri Tcherniakov) à l'Opéra Bastille

Publié le 5 Avril 2009

Macbeth (Giuseppe Verdi)
Représentations du 04 et 13 avril 2009 à l'Opéra Bastille

Direction musicale Teodor Currentzis
Mise en scène Dmitri Tcherniakov

Macbeth Dimitris Tiliakos
Banco Ferruccio Furlanetto
Lady Macbeth Violeta Urmana
Dama di Lady Macbeth Letitia Singleton
Macduff Stefano Secco
Malcolm Alfredo Nigro
Medico Yuri Kissin

Coproduction avec l'Opéra de Novossibirsk

Violeta Urmana (Lady Macbeth) et Dimitris Tiliakos (Macbeth)

Dix ans nous séparent, depuis la création par Phyllida Lloyd à l’Opéra Bastille d’une vision esthétisée de Macbeth. Maria Guleghina y avait fait sensation par une démonstration de puissance, une lady qui « en a » comme on dit.

L’image du couple prisonnier d’une cage tournoyante, en prélude à la scène des apparitions, restituait avec force son enfermement mental.

La nouvelle production réalisée par Dmitri Tcherniakov se projette sur un terrain totalement différent.

Oublions toute la dimension fantastique, ce drame peut être le support d’une autre histoire, plus réelle et crédible, l’histoire d’un jeu qui tourne mal entre une société modeste et un homme qu‘elle porte sans méfiance dans son ascension sociale.
Ce nouveau riche finit par craindre d’être renversé par ceux qui l’ont soutenu. Il les agresse brutalement, ce qui conduit à une révolte générale.

Macbeth (msc Dmitri Tcherniakov) à l'Opéra Bastille

Le décor que choisit le metteur en scène alterne entre la banlieue noyée par la grisaille, où vit dans de petites habitations uniformes une classe sociale pauvre, et la demeure bourgeoise en pierre de taille de la famille de Macbeth.

Les transitions entre ces deux lieux s’opèrent par la projection sur grand écran d’une vision aérienne 3D type « google earth » de la cité.
Les mouvements prennent de la hauteur, parcourent la ville, puis plongent vers le point visé. Tout le suivi est réalisé de manière très fluide en suivant les formes des lignes musicales, mais cette vision des demeures suggère que l’idée de propriété est à la base de la division entre les hommes.

A la fois sorcières, brigands et armée, le peuple accepte cette division. Il porte aux nues Macbeth, et entretient une certaine connivence avec lui et Banquo, alors que ces derniers possèdent tout.

Le passage du meurtre de Banquo est habilement tourné, les mises en garde étant prises pour des plaisanteries par lui, ce qui innocente le peuple et permet à un meurtrier de se glisser parmi lui pour effectuer sa basse besogne.

Macbeth (msc Dmitri Tcherniakov) à l'Opéra Bastille

Lorsque l’on bascule au « Château », le spectateur est transporté dans un appartement bourgeois, espace très resserré sur scène, comme s’il était témoin d’un épisode de « Dynastie » devant son écran.

Le Roi n’est plus qu’un vieux chef de famille assez antipathique par sa désinvolture.

Lady Macbeth, n’est plus la femme dominatrice et même très masculine chez Shakespeare (« Come, you spirits that tend on mortal thoughts, unsex me here, and fill me, from the crown to the toe »), mais celle ci soutient son mari avec une fascinante propension à nier la réalité.

Violeta Urmana (Lady Macbeth), magicienne du banquet

Violeta Urmana (Lady Macbeth), magicienne du banquet

Cela donne une magnifique scène du banquet, quand la Lady se livre à des tours de magie pour amuser l’assistance, scène qui n’est pas sans rappeler le troisième acte de « La Cerisaie » : toute une haute société tente ainsi d’oublier que son déclin se profile.

A ce propos, la dernière pièce d’Anton Tchekhov pourrait, si les conditions financières le permettent, être adaptée à l'automne 2010 au Bolchoï sur une musique de Philippe Fenelon et un livret de Alexeï Parine, dans une mise en scène de Dmitri Tcherniakov, puis serait reprise à l'Opéra de Paris peu après.

D'ailleurs la ressemblance entre Madame Larine (mère de Tatiana) dans Eugène Onéguine à Garnier, Madame Andréevna (La Cerisaie) et le personnage de Lady Macbeth ici, n'est pas fortuite.

Dimitris Tiliakos (Macbeth)

Dimitris Tiliakos (Macbeth)

La Lady devient un élément déterminant lorsque habillée en noir pour ne pas être reconnue (c'est aussi la face sombre de son âme qui prend le dessus), elle vient encourager Macbeth à éliminer tous les proches de Macduff, homme accepté par la haute société mais très lié à ses origines.
Macbeth bascule dans une folie criminelle.

Dans la scène de somnambulisme, Lady Macbeth tente à nouveau de se voiler la face en s’imaginant magicienne, remet inlassablement la nappe en place, pensant pouvoir continuer normalement sa vie, mais bute sur la réalité lorsque qu’elle confond sa Dame avec Macbeth.

Ce passage n’a rien de terrifiant, c’est en revanche d’une tristesse émouvante.

Quand à Macbeth, au paroxysme de sa paranoïa, ne lui reste plus qu’à subir le déchaînement de la foule, et la destruction de sa propriété.

Ironie de la situation, le chœur final s’achève fatalement sur la vue aérienne de toutes les maisons de la ville.

On pourrait voir dans la mise en scène de Dmitri Tcherniakov, une illustration de la citation d’Emil Cioran  : « Dans un monde de pauvres, les riches sont des criminels et les pauvres des imbéciles. » (La transfiguration de la Roumanie).

La qualité théâtrale de ce Macbeth, se mesure aussi bien par le soin apporté aux petits rôles des figurants muets, qu’à l’imaginaire induit par les scènes de famille et les multiples interactions de classe. Par exemple, la scène des apparitions fait surgir discrètement une bourgeoise de la foule, ce qui panique Macbeth prenant conscience de l'aspiration du peuple.

L’interprétation musicale n’est pas en reste non plus, à commencer par l’orchestre de l’Opéra National de Paris et l'électrisant Teodor Currentzis.
Ce dernier donne un coup de jeune et une modernité surprenants à la partition. Cela se joue dans les formes d’ondes, la manière de graduer leurs amplitudes, ou bien dans les soudaines accélérations.

Comme pour Don Carlo, les cuivres sont mis en valeur dans les passages les plus spectaculaires.

Il y a surtout une cohérence d’ensemble entre la scène et la fosse qui crée un tout prenant.

La version interprétée correspond à la version remaniée de 1865, sans le ballet et le choeurs des Sylphes (c'était déja le cas lors de la reprise du spectacle de Phyllida Lloyd en 2002), mais avec le rétablissement de la mort de Macbeth, air qui conclut la version florentine de 1847, et que Verdi supprima lors de la réécriture.

                                        Stefano Secco (Macduff)

Dans un rôle qui exige d’elle un jeu complexe, Violeta Urmana s’en tire très bien. Seulement si la beauté de son médium est indéniable, la voix globalement très claire et décolorée dans les aigus, nous offre un portrait sans noirceur de la Lady.

Elle ne se risque pas non plus au contre ré de la scène de somnambulisme.
Comme l’analyse psychologique de Dmitri Tcherniakov ne porte pas sur la caricature, ce n’est pas vraiment gênant, surtout qu’un tel travail théâtral force le respect.
Et encore une fois, bravo pour la scène du banquet.

Violeta Urmana : scène de somnanbulisme

Violeta Urmana : scène de somnanbulisme

Même chose pour Dimitris Tiliakos, qui compose un Macbeth névrotique ahurissant.
Comme Urmana, il a ses moments de faiblesses, ce qui ne l’empêche pas de retrouver de l’autorité. C’est un baryton plutôt clair, doué d’un timbre charnu, qui ne peut toujours éviter d’être couvert par l’orchestre.

Toutefois, ces réserves ne concernent que la première représentation, car lundi 13 avril, les chanteurs ont paru dans une forme éblouissante. Violeta Urmana nuance ce soir là presqu'à outrance, affirme beaucoup plus les aspects sombres du personnage, semble même mieux projeter sa voix hors de la pièce principale, et Dimitris Tiliakos dépeint sans faille tous les états d'âme de Macbeth, en conservant une sorte de candeur inhabituelle.

Ferruccio Furlanetto en fait peu mais bien, et Stefano Secco profite de n’avoir qu’un air à chanter pour irradier la salle. C’est comme si la frustration de ce rôle secondaire se libérait soudainement.

Letitia Singleton, au rôle enrichi, devient une Dame de Lady Macbeth fort touchante.

Macbeth (msc Dmitri Tcherniakov) à l'Opéra Bastille

Le traitement du chœur devient un véritable sujet de polémique.
"Patria oppressa", chanté sur scène et enlevé par un orchestre volcanique, est le grand cri d'humanité attendu.

Mais pour des raisons théâtrales, les chanteurs doivent souvent rester en coulisse.
Ainsi, lorsque Macbeth craque devant les visions de Banquo, il paraît plus logique que les visiteurs excédés préfèrent quitter la réception. Le couple reste seul.

De même, la destruction de la demeure de Macbeth, vécue de l’intérieur sans voir d’où viennent les projectiles, donne plus de force au final.

Alors cela nécessite un difficile réglage de la sonorisation, et le recours à ce procédé peut paraître comme un outrage.
Mais l’expérience vaut vraiment la peine, car ce type de mise en scène développe la sensibilité au langage théâtral, art très régulièrement maintenu dans un périmètre fort conventionnel dans le milieu lyrique.

La reprise de cette production forte est d'ailleurs confirmée pour 2011, en espérant pouvoir retrouver Teodor Currentzis. Sa manière de faire ressortir les motifs de la partition font tellement rapprocher certains passages de Macbeth avec La Traviata ou bien Don Carlo, que cela risque de nous manquer.

Lire également Histoire de Macbeth.

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D
<br /> Merci, la longue mise au point artistique de ce DVD aura donc abouti.<br /> Un indispensable qui devrait être diffusé à la télévision si je ne me trompe.<br /> <br /> <br />
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B
<br /> Ah zut, on ne peut pas poster de vidéo?<br /> La bande annonce est disponible sur le site de Bel Air Classiques ainsi que sur le site de Bel Air Media<br /> <br /> <br />
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B
<br /> Bonjour à tous. Soyons clairs: Tcherniakov, on adore ou on déteste!<br /> Je me permets de vous informer du fait que cette production est disponible depuis aujourd'hui en DVD et Blu Ray chez http://www.belairclassiques.com<br /> Voici la Bande annonce pour vous donner envie ;-)<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> null<br /> <br /> <br /> <br />
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D
Bonjour,<br /> <br /> Il existerait donc des gens capables de s'enthousiasmer et d'apprécier un travail artistique qui fait sens, sans se parer d'une posture faussement assurée du genre "vous voyez, je connais par cœur le sens profond de Macbeth, donc je vais vous expliquer ce que nous aurions du voir et entendre."?<br /> Bravo et merci pour votre témoignage!<br /> <br /> J'ai inévitablement raté beaucoup de détails, et je ferai donc plus attention au traitement de Macduff lors de la dernière représentation. Car il faut que j'y retourne.<br /> <br /> Concernant Larissa Gogolevskaia, il s'est simplement passé qu'elle a été prise de trac alors que les répétitions s'étaient bien passées. Quelques aficionados sont allés la réconforter dans sa loge pendant l'entracte (elle était effondrée), mais le public ne l'a pas suffisamment soutenue.<br /> Pourtant, c'est ce dont elle avait le plus besoin.
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R
Je découvre ce blog et j'en profite pour saluer l'intérêt et la pertinence de votre évocation de ce passionnant Macbeth. Un spectacle constamment stimulant, un vrai et grand travail de théâtre (le traitement des foules, à la fois masse puissante et rassemblement d'individualités nettement singularisées dans les postures et les réactions, comme déjà dans le magnifique Onéguine de septembre, m'a particulièrement impressionné; belle idée aussi, entre tant d'autres, de faire adopter à Macduff triomphant la même gestique saccadée que Macbeth lorsqu'il s'exalte à l'idée du pouvoir) comme malheureusement selon moi (mais d'autres s'en réjouiront) on risque de ne plus guère en voir à Bastille ou Garnier dans les saisons à venir. Mon seul regret en cette soirée du 29 avril aura été la catastrophique Lady de Larissa Gogolevskaia, au matériau imposant mais déséquilibré et rebelle, courant à toute force vers l'inévitable accident vocal à la fin de La luce langue. Quant à la direction de Currentzis, on peut lui reprocher beaucoup de choses sans doute, mais que de couleurs, que de frémissements et que de tension! Irrésistible!
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G
Un spectacle qui suscite autant de passions doit être un spectacle réussi......
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D
Attends, je te suis dans la tombe - Signé : le chat qui expire
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P
Dmitri Tcherniakov m'a tueR !<br /> signé : Verdi
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D
Votre réaction confirme une chose : vous manquez d'humour.
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R
Ma précédente (et dernière intervention) était, elle, un commentaire sur le message de David.
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R
Commenter étant, par définition, "expliquer, exposer", j'avais formulé une remarque sur la discussion accompagnée de mon opinion sur le spectacle.
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D
Visiblement, vous avez estimé que oui.
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R
Sincèrement cette imbécillité navrante mérite-t-elle un commentaire ?
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D
Il me semble que vous êtes très sensibles à l'aspect esthétique. Mais ce qui est intéressant avec Tcherniakov, au delà de la cohérence de sa vision, est la manière dont les personnages deviennent réels, tous ces petits détails qui les rendent vivants (les faux semblants qui laissent penser qu'il y a connivence entre Macbeth, Banco et le reste de la population par exemple), et qui nécessairement ne permettent pas aux chanteurs de se figer dans une pose statique plus confortable pour chanter. C'est ce langage théâtral qui compte, c'est à dire être capable de faire passer une idée, une émotion, une réalité humaine par ce genre d'expressions.<br /> <br /> Concernant l'adéquation de l'idée générale avec le détails du texte, je n'ai effectivement pas suivi les surtitres car je connais très bien l'ouvrage, et je me doute qu'il y a peu d'adéquation au 1er degré.<br /> <br /> Mais que le texte parle 'd'épée', et que l'on voit 'un pistolet ou un revolver' ne change rien : Macbeth reste un fou meurtrier.<br /> S'il avait à ce moment là sorti un archer pour jouer du violon, là effectivement ce serait du n'importe quoi.
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H
Si je n'ai pas entendu les bravo pour la mise en scène c'est peut-être simplement parce que je n'étais plus dans la salle. J'ai parlé de dimanche, mais c'était en fait samedi soir que j'ai assisté à la représentation. J'étais très pressé et j'ai dû partir précipitamment après que le salut des chanteurs. Dans le couloirs j'ai entraperçu le chef d'orchestre qui a reçu une ovation bien mérité. Mais c'est seulement une fois dans les escaliers que les bouh se sont manifesté. Nul doute en revanche concernant l'identité de leur destinataire.<br /> <br /> Pour en revenir à la mise en scène franchement faire chanter Secco hors scène à travers des hauts parleurs c'était insupportable et vu la réaction qui a suivi, je ne pense pas être le seul à l'avoir pensé. <br /> <br /> Parce qu'il faut toujours rester critique, je concède qu'il y avait de bonnes idées dans cette mise en scène, même si à mon sens elle n'ont pas été suffisamment poussées et ne suffisent pas à racheter les horreurs de cette mise en scène. J'ai bien aimé l'idée de montage à la Google Earth. Maintenant pourquoi tout faire tourner ? J'en avais la nausée et ma voisine également. J'ai aussi bien apprécié la composition graphique qu'offrait la vue du salon à travers la fenêtre. Mais le salon était vraiment trop dépouillé à mon gout. Peut être aussi parce n'ayant pas la chance d'observer le spectacle du parterre mais du deuxième balcon, l'angle de vu ne présente alors qu'un immense parquet et une cheminée.<br /> <br /> Par contre, la réalisation de cette "banlieue" grisouille me laisse vraiment sur ma fin. Cette enfilade de cabane de plage, vraiment pas terrible. Et puis les sorcières qui ne sont plus que les "femmes du peuple". La non. Quand en plus MacBeth s'écrit qu'il pendre son épée et qu'on voit Dimitris Tiliakos sortir un pistolet, je trouve que c'est pousser le bouchon un peu loin et ça dénature l'œuvre.<br /> <br /> Pourquoi rechercher à tout pris des mises en scène plus intellectuelle qu'intellectuelle ?
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D
Mais enfin, vous savez très bien qu'il existe une part du public qui est prête à crier au scandale dès qu'un metteur en scène qui a de l'imagination et du talent s'écarte de la représentation qu'elle se fait d'une œuvre.<br /> <br /> Les "Bouh !!!" sont bruyants, mais il y a beaucoup de "bravo" également (pourquoi ne les mentionnez vous pas?).
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H
"ce type de mise en scène développe la sensibilité au langage théâtral" ? Vraiment drôle cette sensibilité qui pousse le public à irradier la salle de "Bouh !!!" en réponse à l'outrage provoqué par une telle mise en scène. Conclure l'opéra sur un Stefano Secco (d'ailleurs formidable dimanche soir et le public le lui a bien rendu) amplifié est une honte.
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