Die Sonne [Le Soleil] de & mise en scène Olivier Py (Odéon)
Publié le 17 Mars 2012
Die Sonne - Le Soleil - (Olivier Py)
Représentation du 09 mars 2012
Odéon Théâtre de l’Europe
En allemand, avec les acteurs de la Volksbühne de Berlin
Axel Sebastian König
Josef Lucas Prisor
Santa Mandy Rudski
Matthias Ingo Raabe
Charlie Uli Kirsch
Elena Ilse Ritter
Le Directeur Uwe Preuss
Bobby Claudius von Stolzmann
Piano Mathieu El Fassi
Mise en scène Olivier Py
Malgré ses allures outrées et sa vitalité débridée, Die Sonne [Le Soleil] est une pièce sur l'intime, une confrontation humaine des "moi" pluriels qui s'abîment dans l'âme d'Olivier Py.
Et il revient au spectateur de se laisser happer par les personnages et les scènes qui entrent en résonnance avec sa vie même, ou bien de placer son esprit sur une ligne compassionnelle quand lui échappe et devient opaque la nature humaine.
Dans cet espace, la parole est souvent rêveuse et mystérieuse - un feu au cœur d'un océan scintillant-, mais elle retrouve également des expressions crues comme la chair, et engage toujours des débats philosophiques sur le sens et l’attente du théâtre.
Joseph, auteur taciturne, sombre comme le passé de son pays d’origine, l’Allemagne - il en a intériorisé la culpabilité-, a trouvé en Axel un acteur fascinant de liberté et de folie, un idéal physique de la beauté classique grecque -Nietzche n’écrivait-il pas « la Grèce a pour nous la valeur qu’ont les saints pour les catholiques »?-.
Elena, la mère vieillissante de l’écrivain, voit en Axel celui qui peut lui réapprendre à vivre, et Matthias, jeune homme qui recherche la Joie mystique par la scarification au point d‘en devenir une sorte de Saint Sébastien entaillé de toutes parts, pense ainsi pouvoir captiver l’attention de l’acteur.
On trouve en Charlie, travesti en femme, une autre composante vitale de la personnalité d’Olivier Py, une volonté de vivre qui dépasse la simple envie de changement de sexe, et le Directeur, chargé de monter la pièce de Joseph, perméable au discours politique sur le devoir de moralisation du théâtre, se laisse lui-même submerger par la personnalité flamboyante d’Axel.
Enfin Senta, la mère de l’enfant décédé - elle l'a eu avec Axel dans la pièce écrite par Joseph-, fantasme son aspiration à l’harmonie avec la mort, et Bobby apparaît plus comme quelqu’un qui ne croit plus en rien, au point de trouver son plaisir dans un style de vie sans structure personnelle et sans espoir, livré aux addictions.
Ilse Ritter (Elena)
Un des leitmotivs réminiscent du texte, comme dans la musique de Wagner, est le rapport à la souffrance intérieure et sa sublimation à travers des personnages qui, pour faire de leur vie une œuvre d’art, trouvent chacun à sa manière une forme qui lui ressemble, quitte à se transformer physiquement.
Qui ne connaît pas dans sa vie, par exemple, une Elena, c’est-à-dire une femme ayant toute une vie derrière elle, rayonnante et scintillante, mais portant en elle les souvenirs douloureux d’êtres chers disparus?
Tous ces attachants acteurs, Lucas Prisor, Mandy Rudski, Ingo Raabe, Uli Kirsch, Ilse Ritter, Uwe Preuss, Claudius von Stolzmann forment un univers humain complémentaire et fort, en interaction constante, mais il y en a bien sûr un qui se détache, Sebastian König.
Olivier Py a trouvé en lui un idéal théâtral au regard malicieux et perçant - l’artiste est très beau physiquement et joue de sa nudité avec une telle apparente facilité qu‘elle crée un sentiment admiratif d‘envie de liberté-, aussi juvénile qu’il peut être ténébreux ou rêveur, et qui s’empare de tout l’espace jusque dans la salle pour provoquer le spectateur.
Mais, pour un non-germanophone, la disposition des surtitres, trop hauts au centre et trop peu lisibles sur les côtés, oblige à faire un choix entre suivre constamment des yeux le texte, qu’il sera toujours possible de relire après le spectacle en acquérant la traduction française, ou suivre du regard ce fabuleux acteur qui entretient une tension sensuelle et érotique constante avec le public. Et c’est bien entendu la vie, telle qu’elle se présente, éphémère, qui l’emporte.
Le décor scénique, pivotant à 360° et construit sur deux niveaux, est lui aussi très caractéristique de l’univers du metteur en scène, avec ses zones d’ombres, les couleurs des murs en briques allemands, et la force d’un cheval noir antique.
Au centre, Mathieu El Fassi, pianiste discret jouant des accompagnements romantiques, parfois d’opéras comme « O du mein holder Abendstern » interprété par Ilse Ritter, ou bien « Träume » extrait des Wesendonck Lieder, entraine encore plus le passionné lyrique dans cet univers poétique.
Construite en cinq actes, du Printemps à l’Hiver puis retour au Printemps, la pièce s’achève sur un grand monologue en forme d’extase, quand Axel, seul et tournoyant au milieu de la scène nue, lui-même nu, devient le soleil vital, l’attente théâtrale en une ode emphatique comme dans la Mort d’Isolde Sebastian König(Axel)
On sort d’un tel spectacle heureux d’avoir réussi à s’extraire du quotidien prégnant et de ses superficialités, et d’avoir abordé des questions qui touchent à l’être le plus intime, une fois que l’énergie enivrante des acteurs ait décapé la vie de ses entraves. Et même si la relecture de la pièce, dans un second temps, laisse encore des formules bien énigmatiques, la fraîcheur des mots, elle, est intacte.