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Publié le 20 Juillet 2019

Dans la suite des articles sur Le répertoire de l'Opéra de Paris (salle Le Peletier) de 1821 à 1874 sous la Restauration et le Second Empire et sur Le répertoire de l’Opéra de Paris de l’inauguration du Palais Garnier (1875) à nos jours, le présent article rend compte du répertoire de l'Opéra de Paris après la Révolution, qui fut dénommé successivement, de 1794 à 1821, Théâtre des Arts, Théâtre de la République et des Arts, Théâtre de l'Opéra, et, en alternance, Académie Impériale de Musique et Académie Royale de Musique.

Il permet en un coup d’œil de comparer les œuvres les plus jouées du répertoire à cette époque, et de voir l'évolution jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.

Vue de la scène de l'Opéra de Paris, Rue Richelieu, Paris - Ecole française

Vue de la scène de l'Opéra de Paris, Rue Richelieu, Paris - Ecole française

Ces données sont à prendre dans un premier temps avec précaution car plusieurs périodes sont omises sur la source (Chronopera.free.fr), 1800 à 1801, 1803 à 1810 et 1817 à 1823, si bien que ces périodes manquantes ont été reconstituées à partir d'une autre source (https://opera1900.ovh/).

Le répertoire de l'Opéra de Paris de 1794 à 1939. Classement des œuvres les plus jouées.

Le répertoire de l'Opéra de Paris de 1794 à 1939. Classement des œuvres les plus jouées.

L’Opéra de 1794 à 1821 sous la Première République et le Premier Empire

Depuis les succès de Jean-Philippe Rameau et de Christoph Willibald Gluck, le répertoire de l’Académie royale de musique apparaît d’une indéniable richesse de genres : opéras, tragédies lyriques, ballets héroïques, comédies lyriques, intermèdes et pastorales, ballets pantomimes, sont parfois joués à travers deux ou trois œuvres différentes au cours de la même soirée.

Par la suite, après la Révolution de 1789, l’Académie de Musique, logée à la salle de la Porte Saint-Martin, passe sous la régie de la Commune de Paris.

Une comédienne et directrice de théâtre, Mademoiselle Montansier, fait alors construire en 1793 un vaste théâtre, rue de la Loi – l’actuelle rue Richelieu -, qu’elle nomme ‘Théâtre National’.  Mais, sous la Terreur, le comité de l’Opéra l’en dessaisit et y installe l’Académie de Musique.

Au cœur de cette salle, le répertoire de l’institution plus que centenaire s’apprête dorénavant à vivre une période de transition tout en assurant une continuité avec la seconde partie du Siècle des Lumières.

La tradition classique perpétuée par les protégés de Marie-Antoinette (Gluck, Sacchini, Piccinni, Salieri, Grétry)

Grâce au succès de ses opéras parisiens, Iphigénie en Aulide, Iphigénie en Tauride et Armide, Gluck avait considérablement gêné les compositeurs italiens tels Sacchini, Piccinni et Salieri. Mais après l’échec d’Echo et Narcisse qui entraîne son départ de Paris, ce sont les œuvres de ces compositeurs qui maintiennent en grande partie la tradition classique après la Révolution.

Le dernier opéra d’Antonio Sacchini, Œdipe à Colone (87), connait un succès posthume qui lui vaut d’être l’œuvre la plus jouée jusqu’à l’ouverture de la salle Le Peletier. Il se maintiendra au répertoire jusqu’en 1844 avec près de 600 représentations au total.

Plusieurs tragédies lyriques de Sacchini composées dans les années 1780 poursuivent par ailleurs leur carrière, Renaud (83), inspiré de la Jérusalem délivrée du Tasse, Arvire et Evelina (87), Dardanus (84). En revanche, Chimène, ou le Cid (84) est dorénavant oublié.

Et parmi les ouvrages de Niccolo Piccinni, seul Didon (83), le prédécesseur des Troyens de Berlioz, survit à cette rude concurrence. Et bien que Gluck n’exerce plus la domination absolue acquise sous Marie-Antoinette, ses deux Iphigénie font toujours partie des 10 ouvrages les plus représentés, et Alceste, Armide et Orphée et Eurydice, concurrencent encore les 20 ouvrages les plus représentés.

Quant à Salieri, en qui Beaumarchais avait cru voir le successeur de Gluck, le succès initial de Tarare (87) se prolonge à l’Académie de Musique, moyennant plusieurs remaniements entre 1795 et 1819, mais également au Théâtre des Italiens sous le titre Axur. Et Les Danaïdes (84), hérité d’un livret destiné à Gluck, continue de captiver un public avide de pompe et d’éclat.

Profitant de l’affaiblissement de Gluck et du désir d’alternance entre tragédie lyrique et comédie lyrique, André Grétry, qui fut le directeur de musique de Marie Antoinette, est à son apogée avec des ouvrages qui ne s’écartent guère des modèles établis par Lully et Rameau, compositeurs disparus de l’Académie peu avant la Révolution (si l'on exclut le succès du remake de Castor et Pollux par Pierre-Joseph Candeille). La Caravane du Caire (84) est le second titre le plus joué du répertoire, et Panurge dans l’Ile des lanternes (85), ainsi qu’Anacréon chez Polycrate (97), font eux aussi partie des 10 premiers ouvrages les plus interprétés. La Double Epreuve, ou Colinette à la cour (82) vit néanmoins ses dernières années de programmation.

Dans la même veine comique, mais il s’agit d’un compositeur français qui prétendait assurer à travers ses premières tragédies l’héritage de Gluck, Sacchini et Piccinni, Jean-Baptiste Moyne obtient son plus grand succès avec Les Prétendus (89), et le petit intermède de Jean-Jacques Rousseau, Le Devin au village (1753), continue à faire la première ou la seconde partie d’un grand nombre de représentations lyriques.

Le répertoire de l'Opéra de Paris de 1794 à 1939. Classement des œuvres les plus jouées.

Le répertoire de l'Opéra de Paris de 1794 à 1939. Classement des œuvres les plus jouées.

Mozart à l’Académie de Musique

Le public de la salle Montansier ne va découvrir Mozart qu’à travers deux adaptations françaises de La Flûte Enchantée et de Don Giovanni fort différentes des versions originales.

Les Mystères d’Isis, remaniement de Die Zauberflöte par Ludwig Wenzel Lachnith, entre au répertoire le 20 août 1801, et est une version qui conserve la plupart des airs tout en incorporant des airs empruntés à Don Giovanni et La Clémence de Titus.

Quant à Don Juan, réorchestré par Christian Kalkbrenner (l’auteur de Saül), sur un livret d’Henri-Joseph Thüring de Ryss et Denis Baillot, l’ouvrage entre à l’Académie le 17 septembre 1805. Il s’agit d’une version de Don Giovanni en français totalement modifiée, sans duel, et avec des ténors à la place des sopranos.

Auguste Blanchard, Vue du théâtre de l'Opéra et de la Bibliothèque du Roi (rue Richelieu). Estampe coloriée, 1807. BnF, département de la Musique, Bibliothèque-musée de l'Opéra

Auguste Blanchard, Vue du théâtre de l'Opéra et de la Bibliothèque du Roi (rue Richelieu). Estampe coloriée, 1807. BnF, département de la Musique, Bibliothèque-musée de l'Opéra

Le culte impérial à l’Opéra (Méhul, Le Sueur, de Persuis, Kreutzer, Catel, Le Brun)

Alors que la période révolutionnaire avait fait subitement apparaître nombre d’hymnes incitant à l’agitation politique, c’est à Napoléon que l’on doit la reprise en main de l’Académie de Musique, notamment à coups de décrets limitant le paysage théâtral parisien, et la mise en avant de compositeurs français engagés afin de remodeler le répertoire de l’Académie à sa gloire.

Etienne Nicolas Méhul, le plus important compositeur français de chants patriotiques sous la Révolution, fait triompher son Chant du départ, bien que ses opéras ne réussissent qu’à l’Opéra-Comique (Stratonice, La légende de Joseph en Egypte, Uthal).  Il obtient le départ de Giovanni Paisiello, compositeur italien que l’Empereur avait fait venir de Naples, ce qui profite à Jean-François Lesueur.

Jean-François Lesueur, maître de Chapelle de Notre-Dame de Paris (1786), puis nommé maître de Chapelle des Tuileries par Bonaparte (1804) pour succéder à Paisiello, devient membre de l’Institut en 1815.
Ossian ou les Bardes, inspiré du cycle de poèmes épiques de Macpherson, obtient un succès total. Le sujet évoque l’Ecosse, et l’apparition du surnaturel correspond au goût de Napoléon et du romantisme naissant. Les mythologies Celtes et Scandinaves rentrent à l’Opéra, mais l’Empereur rappelle que l’on ne bâtit pas un Empire en rêvant.

Des sujets plus réalistes sont en fait nécessaires à la propagande officielle.

Le Triomphe de Trajan (1807), avec ses défilés de chevaux, atteint l’invraisemblable. Un journaliste allemand constate ainsi que le premier théâtre de France est devenu un manège où la musique n’a plus qu’un rôle d’apparat. Les leçons de Gluck sont oubliées.

Cet ouvrage, ode excessive au règne de Napoléon, est cosigné avec le premier violon et chef d’orchestre Louis-Luc Loiseau de Persuis, auteur du Chant de la Victoire en l’honneur de Napoléon (1806). 
Louis-Luc Loiseau de Persuis se distingue plus particulièrement avec La Jérusalem délivrée (1812), qui vient rejoindre *Armide (Gluck), Renaud (Sacchini) et La Mort du Tasse (Manuel Garcia) parmi les œuvres inspirées du poème épique et de la vie du Tasse jouées sur cette période.

* Armide reste l’œuvre tirée de la Jérusalem délivrée la plus représentée à l'Opéra : voir " La carrière de six ouvrages lyriques tirés de la Jérusalem délivrée à l'Opéra de Paris (1686-1913) : Lully, Campra, Desmarets, Gluck, Sacchini et Persuis », Le Répertoire de l’Opéra de Paris (1671-2009). Analyse & interprétation. Actes du colloque de l’Opéra Bastille, Paris, Honoré Champion, 2011.

Issu également d’une famille de musiciens, Rodolphe Kreutzer est l’un des fondateurs de l’école française de violon moderne, auquel Beethoven, admiratif, dédira la sonate à Kreutzer. Avec l’âge, le compositeur prend avantageusement le dessus sur l’enseignant, si bien qu’il devient l’auteur de plusieurs opéras à succès, dont Aristippe (1808) et Astyanax (1801) restent les plus célèbres.

Autre figure majeure du nouveau régime, Charles-Simon Catel, chef assistant de Gossec dans sa jeunesse auprès de l’orchestre de la garde nationale, offre à l’Académie l’un de ses grands succès qui durera 17 ans, Les Bayadères (1811), et se permet même de prendre l’avantage sur Jean-François Lesueur qui voit sa version de Sémiramis rejetée au profit de celle de Catel (1802)

17 ans, ce sera aussi la durée de la carrière du Rossignol de Louis-Sébastien Lebrun (1816), chef de chant à la cour de Napoléon.

Sous Napoléon, l’Académie de Musique se révèle ainsi une institution prolifique, mais aucune œuvre lyrique de ces compositeurs français ne reste plus de 20 ans au répertoire. 

Le répertoire de l'Opéra de Paris de 1794 à 1939. Classement des œuvres les plus jouées.

Le répertoire de l'Opéra de Paris de 1794 à 1939. Classement des œuvres les plus jouées.

La Renaissance artistique : Gaspare Spontini

La véritable renaissance artistique de l’Opéra de Paris date, quant à elle, du 15 décembre 1807.
Gaspare Spontini en est l’artisan, auteur de 29 opéras, mais dont la réputation tient à La Vestale (1807), Fernand Cortez (1809) et Olympie (1819).

Ce fils de cordonnier fou de musique et créateur d’une douzaine ouvrages lyriques en Italie, arrive en 1803 à Paris et est nommé compositeur de la chambre de l’impératrice dès 1805.

Avec La Vestale qui, malgré le cadre antique, porte la grâce mélancolique du bel Canto romantique, et dont Maria Callas restera une inoubliable interprète de Julia à La Scala en 1954, Spontini renouvelle l’esthétique du spectacle lyrique. Orchestration somptueuse, décors monumentaux et soin du détail, caractérisent désormais le grand opéra français. Spontini est l’un des premiers chefs avec Spohr et Weber à se mêler de mise en scène dans un souci de cohérence.

Marias Callas (La Vestale) - Scala de Milan, 1954

Marias Callas (La Vestale) - Scala de Milan, 1954

Spontini présente ensuite Fernand Cortez le 28 novembre 1809, et sa version révisée le 28 mai 1817, pour lequel il a obtenu un budget généreux, d’après une idée de Napoléon qui espère que le choix historique de la Conquête du Mexique réconciliera les Français avec les Espagnols. Plusieurs scènes à grand spectacle sont incorporées, dont une charge de cavalerie.

Fernand Cortez se maintient au répertoire pendant 25 ans, et La Vestale près de 50 ans.

Mais le style musical de Spontini appartient au XVIIIe siècle, et dès qu’il quitte Paris en 1820 après l’échec d’Olympie, les sujets mythologiques sont délaissés au profit des mélodrames chargés en violence et passion de Delavigne, Hugo ou Scribe.

Le Duc de Berry, fils de Charles X et successeur légitime de la dynastie des Bourbons, agonisant chez lui à la suite de son attaque, par Edouard Cibot, circa 1830

Le Duc de Berry, fils de Charles X et successeur légitime de la dynastie des Bourbons, agonisant chez lui à la suite de son attaque, par Edouard Cibot, circa 1830

Le 13 février 1820, l’assassinat de Charles-Ferdinand d’Artois, Duc de Berry, par l'ouvrier bonapartiste Louis Pierre Louvel devant l'Opéra de la rue Richelieu précipite la fermeture de la salle Montansier. L’Académie de Musique se déplace à la salle Favart, et, un an plus tard, le 19 août 1821, la salle Le Peletier est inaugurée.

 

La suite : Le répertoire de l'Opéra de Paris (salle Le Peletier) de 1821 à 1874 sous la Restauration et le Second Empire

Précédemment : Le répertoire de l’Opéra de Paris de 1733 à 1794 du Siècle des Lumières à la Révolution

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Publié le 27 Octobre 2018

Dans son rapport d'activité 2017 / 2018, l'Opéra National de Paris consacre un chapitre au projet de salle modulable et des ateliers Bastille relancé par François Hollande en 2016. Afin de mesurer l'enjeu de ces deux équipements laissés en friche, l'article ci-dessous résume les principales étapes qui marquent leur développement depuis plus de trente ans.

La salle modulable était conçue originalement pour accueillir 1500 spectateurs et offrir un espace expérimental et de création chaleureux, mais elle reste toujours en 2018 construite à l'état brut.

Façade de l'opéra Bastille

Façade de l'opéra Bastille

Historique de la salle modulable de 1982 à 1989

8 mars 1982  François Mitterrand annonce la construction d’un nouvel opéra moderne et populaire sur la Place de la Bastille.
27 juillet 1982 François Mitterrand adresse à son ministre de la Culture, Jack Lang, une lettre de mission pour l'aboutissement de ce grand projet, un opéra comprenant une grande salle de 2 500 à 3 200 places, une salle à vocation expérimentale et divers espaces composant une « maison de l’Opéra »
6 septembre 1983 Par décret, Massimo Bogianckino est nommé administrateur général du Théâtre national de l’Opéra de Paris.
17 novembre 1983  François Mitterrand choisit le projet de l’architecte canadien Carlos Ott.
14-15 avril 1984  La décision d’ouvrir la salle modulable dès 1987 est prise, mais cette anticipation est abandonnée quatre mois plus tard.
Un symposium présidé par Pierre Boulez et Massimo Bogianckino tente de définir la vocation et la programmation artistique de la salle. Pour Gerard Mortier, la salle modulable ne peut avoir qu’une vocation expérimentale
06 septembre 1985  Gerard Mortier est nommé directeur artistique du projet Opéra-Bastille.
Il réclame la suppression de la cage de scène, jugée rétrograde, et des gradins fixes en fond de salle.
L’intervention de Pierre Boulez et la résistance des techniciens sauvent la cage de scène et la moitié des places fixes en gradins.
01 et 02 février 1986  Au Théâtre des Amandiers, chez Patrice Chéreau, les prévisions de programmation envisagées par Gerard Mortier, 200 à 250 spectacles dans la grande salle et 120 dans la salle modulable, sont entérinées. Mais Gerard Mortier se décourage et démissionne suite aux luttes politiques. En effet, Jacques Chirac, nommé Premier ministre le 20 mars 1986, souhaite abandonner ce projet et remplacer l'Opéra par un auditorium, mais François Léotard s’engage cependant à le sauver.
12 août 1986  François Léotard annonce l’abandon des ateliers et de la salle modulable.
Septembre 1986  Un dossier avec de nouvelles orientations afin de dissocier les fonctions acoustiques et scénographiques est rédigé et les fondations sont coulées malgré le souhait du Gouvernement d’arrêter. 
Début 1987  François Mitterrand visite le chantier Bastille et juge absurdes les mesures d’économie décidées par le Gouvernement, s’agissant notamment de la salle modulable.
Août 1987  Daniel Barenboim est nommé directeur artistique et musical.
10 décembre 1987  Matignon entérine la construction d’une version réduite des ateliers Bastille.
Février 1988  Incertitude sur le sort de la salle modulable, alors que la carcasse de béton et les façades sont déjà réalisées.

Carlos Ott, Jack Lang, François Mitterrand, Gerard Mortier, Robert Lion - Présentation du projet Bastille en septembre 1985

Carlos Ott, Jack Lang, François Mitterrand, Gerard Mortier, Robert Lion - Présentation du projet Bastille en septembre 1985

31 août 1988  Le nouveau gouvernement de Michel Rocard nomme Pierre Bergé président de l’Association des Théâtres de l’Opéra de Paris, qui réunit pour quelques temps les trois salles de Garnier, Favart et Bastille. Le projet initial englobant les ateliers et la salle modulable redémarre. La salle doit ouvrir ses portes au public en 1991.
Janvier 1989  Les dissensions entre Pierre Bergé et Daniel Barenboim concernant la politique artistique, le premier étant aligné sur une vision symbolique et populaire de son ouverture alors que le second privilégie la qualité contemporaine de la scène destinée à accueillir les œuvres du XXe siècle, entraînent la démission d’Alain Pichon, le directeur général, qui est remplacé par Dominique Meyer
Daniel Barenboim rompt alors la négociation sur les conditions d’exercice de sa fonction et est licencié ce qui provoque le départ de Patrice Chéreau puis Pierre Boulez, resté jusqu’à présent solidaire du projet Bastille. 
Le projet de salle modulable est cette fois condamné pour de bon. Georges François Hirsch (l'administrateur) s'exclame qu'elle seule justifie l’existence de l'opéra Bastille.
13 Juillet 1989  Concert inaugural d’ouverture de l’opéra Bastille, dirigé par Georges Prêtre.

17 mars 1990 L'opéra Bastille réussit brillamment son ouverture au public avec Les Troyens d'Hector Berlioz, pour la première fois en version intégrale.

Pierre Boulez et Daniel Barenboim

Pierre Boulez et Daniel Barenboim

Le projet de salle pour la Comédie Française de 2011 à 2012

Septembre 2011  Le projet d’ouverture d’une nouvelle salle de la Comédie-Française dans les espaces libres destinés initialement à la salle modulable de l'Opéra Bastille est annoncé par Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication.
Fin 2012  Pour cause de rigueur budgétaire, ce projet est cependant suspendu par la ministre de la Culture Aurélie Filippetti.

Plan de l'Opéra Bastille et salle modulable - niveau 2 (1989)

Plan de l'Opéra Bastille et salle modulable - niveau 2 (1989)

Le projet de Cité du théâtre, de la salle modulable et des ateliers de décors de l’opéra Bastille.

24 octobre 2016  Le président de la République François Hollande, accompagné d’Audrey Azoulay, la ministre de la Culture, annonce sa volonté de créer à horizon 2023 une Cité du théâtre, à l’image de la Cité de la musique du parc de la Villette, sur l’emplacement des ateliers Berthier.  L’Odéon bénéficierait d’une salle totalement modernisée (800 places), la Comédie-Française y trouverait sa salle modulable tant rêvée (650 places) et le conservatoire supérieur d’art dramatique, des locaux adaptés aux nouvelles exigences pédagogiques (salles de répétitions, bibliothèque).

A cette occasion, Stéphane Lissner, directeur de l’Opéra National de Paris, annonce que la salle modulable Bastille sera finalement construite dans les années à venir. 
Le projet de transformation des ateliers Berthier consiste en effet à rapatrier les décors de l’Opéra qui y sont stockés vers une zone laissée en jachère entre l’arrière de Bastille et la Coulée verte.

François Hollande et Stéphane Lissner - visite des Ateliers Berthier (2016)

François Hollande et Stéphane Lissner - visite des Ateliers Berthier (2016)

Les objectifs de la nouvelle salle modulable de l’Opéra 
Dans son rapport de saison 2017 /2018, l’Opéra National de Paris précise les objectifs de la salle modulable (capacité de 800 places, surface de 1200 m2 et hauteur de 41 m) :

  • Accueil de certains spectacles, par exemple de danse ou de musique des XXe et XXIe siècles, avec une jauge plus adaptée à la spécificité de ces propositions artistiques ;
  • Ouverture d’un nouvel espace d’expression aux jeunes artistes (artistes lyriques, chorégraphes, musiciens, metteurs en scène…) préparés au sein de l’Académie de l’Opéra
  • Accueil du jeune public et des actions conduites dans les programmes « Dix Mois d’École et d’Opéra », « Les Petits Violons » et « Opéra-Université » ;
  • Disponibilité à la location de nouveaux espaces pour des évènements variés (cocktails, défilés de mode, conférences d’entreprise) ;
  • Accueil de répétitions de spectacles destinés à la scène Garnier.

Ces deux derniers points permettront ainsi de dégager de nouvelles ressources propres et d’augmenter, par exemple, le nombre de représentations à Garnier.

La salle modulable Bastille en 2018

La salle modulable Bastille en 2018

Budget et calendrier de la salle modulable et des ateliers de décors de l’opéra Bastille
Le montant de l’opération s’élève à 59 millions d’euros, financée en partie par le mécénat.
Le cabinet d'architecture Henning Larsen est retenu depuis fin janvier 2019 - il est notamment le concepteur du Royal Danish Opera et de l'Harpa Concert Hall de Reykjavik. Il associera à la réflexion les représentants des salariés et des artistes, et les travaux démarreront au printemps 2020 pour une mise en service prévue initialement en janvier 2023, mais repoussée à début 2024 suite à la crise sanitaire de 2020.
Par ailleurs, de nouveaux espaces publics seront aménagés, avec l'ajout d'un nouveau hall d'accueil et d'un restaurant.

La salle modulable et les ateliers de l'opéra Bastille - Historique et projet d'achèvement (1982 - 2023)

Les premières orientations données par Alexander Neef après sa prise de fonction en septembre 2020
Suite à sa prise de fonction le 01 septembre 2020, le nouveau directeur de l'Opéra de Paris a confirmé que le projet de la salle modulable se poursuivait, la dernière tranche de 20 millions d'euros étant budgétée par le Ministère de la Culture :

D'abord nous ne voulions pas une troisième salle à l'italienne puisque nous en avons déjà deux, mais un grand volume beaucoup plus flexible, des configurations différentes pour produire ce que nous ne pouvons pas faire dans les grandes salles en termes de répertoire d'opéra et de créations. Ce qui m'intéresse beaucoup également, ce sont les formes de théâtre musical non-européennes qui répondent à la diversité de la société française aujourd'hui. Le travail que Bernard Foccroulle a fait par exemple au Festival d'Aix-en-Provence autour de la Méditerranée m'a beaucoup impressionné. C'est aussi le lieu et le moyen d'ouvrir l'opéra à ceux qui ne sont pas nos publics traditionnels. Nous avons surtout l'idée d'inviter des compagnies jeunes, lyriques et chorégraphiques (et pas uniquement parisiennes). Nous ferons ce travail avec les forces de la maison et la rencontre d'artistes invités.

Ce projet m'intéresse car il est complémentaire de celui de nos grandes salles, pour ouvrir plus largement l'éventail au public et pour créer une trajectoire d'accessibilité beaucoup plus décontractée, depuis cette salle modulable jusque vers les grandes salles.”

Le projet de salle modulable à nouveau mis en pause avant l'été 2021
Le 28 septembre 2021, un article dans Les Echos révèle que le projet de salle modulable est à nouveau à l'arrêt depuis la fin du printemps 2021, la direction de l'Opéra de Paris partageant avec l'Etat que ce n'est pas le moment de le faire après plus d'un an de pandémie.

La décision émane du ministère de la Culture – tutelle de l’institution –, qui estime plus urgent de « redresser la situation financière de la maison et le renouvellement de son modèle économique reposant sur l’excellence artistique ». « C’est compréhensible d’un point de vue économique, reconnaît Martin Ajdari, directeur général adjoint de l’Opéra. Le besoin auquel cette salle devait répondre demeure, mais il faut savoir choisir ses priorités. »

Il y restera une salle de répétition de l'orchestre et un espace brut pour y faire des défilés de mode.

Contraint de fermer ses portes au public entre mars 2020 et mai 2021, l’Opéra – dont les ressources propres telles la billetterie, la location d’espaces, les boutiques ou le mécénat, comptaient pour 59 % de son budget en 2020 – enregistrait fin novembre dernier 45 millions de pertes liées à la pandémie (contre 4 millions à cause des grèves). Et prévoit des pertes jusqu’en 2022.

À deux reprises depuis le début de la crise sanitaire, le ministère de la Culture a donc volé au secours de l'Opéra de Paris : 106 millions (incluant 25 millions prévu dans le second projet de loi de finances rectificative de 2021), dont 20 millions issus du plan de relance devaient solder le financement de la salle modulable. « Nous avons obtenu la garantie que cette somme restera acquise pour financer l’accueil des activités de Berthier et couvrir des investissements et travaux de rénovation auxquels ce bâtiment de trente-cinq ans doit faire face », explique Martin Ajdari.

Le vendredi 19 novembre 2021 matin, sur France Musique, Christian Merlin revient sur l'annonce de la suspension du projet de salle modulable, choix qu'il trouve bien dommage car il y a beaucoup de réflexions stimulantes des jeunes compositeurs, librettistes, metteurs en scène, sur les nouvelles formes à donner à l'opéra, qui est vraiment un genre très ancré dans le passé, et le musicologue rappelle qu'un certain Richard Wagner a toujours dit qu'il fallait repenser l'architecture du théâtre pour faire évoluer l'art

Vernissage de l'exposition du Grand Palais immersif  'Venise révélée', le 20 septembre 2022

Vernissage de l'exposition du Grand Palais immersif  'Venise révélée', le 20 septembre 2022

Un nouvel emploi pour la salle modulable
Si le projet de salle modulable est à nouveau repoussé, l'espace laissé existe toujours, si bien qu'il devient possible de l'aménager et de lui trouver une finalité temporaire.

Ainsi, le 20 septembre 2022, a lieu le vernissage de l'exposition du Grand Palais immersif  'Venise révélée' qui sera déployée dans les volumes de la salle modulable jusqu'au 19 février 2023, une présentation numérique de l'histoire de Venise et de ses trésors cachés.

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Publié le 24 Août 2018

Cet article présente l'évolution du répertoire du New York Metropolitan Opera de 1883 à nos jours.
3 périodes sont distinguées : 
1883 jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, dans le premier bâtiment construit par J. Cleaveland Cady.
1940 à 1965, dans ce même bâtiment .
1966 à nos jours, dans le nouveau bâtiment que nous connaissons aujourd'hui.

Détail du Wall of Fame du New York Metropolitan Opera

Détail du Wall of Fame du New York Metropolitan Opera

En introduction sont présentés les principaux théâtres et troupes qui firent la vie lyrique de New York avant la construction du MET.
Cette synthèse s'appuye principalement sur "Opera in America - a cultural history" de John Dizikes, et intègre nombre d'éléments provenant d'autres sources. Les statistiques du MET sont une compilation des archives publiques de l’institution disponibles depuis 2005.

How to View 26,000 Operas at Once
https://www.nytimes.com/2005/07/31/arts ... -once.html

METOPERA database

Le répertoire du New York Metropolitan Opera de 1883 à nos jours
Le répertoire du New York Metropolitan Opera de 1883 à nos jours

I) L’Opéra à New York avant le Metropolitan Opera

Le Park Theater et les Garcia

Pendant près de 30 ans, le Park Theater, bâtiment ouvert en janvier 1798 à l’intersection de Broadway et de Park Row (Financial District), est le seul théâtre de la ville. On y joue principalement des drames anglais, et toutes les couches sociales sont représentées parmi le public.

Le Park Theatre - 1822

Le Park Theatre - 1822

Lorenzo da Ponte, le célèbre librettiste de Mozart, est quant à lui installé à New York depuis 1805, et enseigne l’italien à Manhattan. Il désire faire connaitre l’opéra italien aux New-yorkais, et persuade le ténor Manuel Garcia, avec l’aide d’un ami anglais, de venir aux Etats-Unis.

Lorsque Manuel Garcia quitte le Théâtre des Italiens de Paris en 1825, pour entamer une tournée en Amérique avec sa femme, Maria Joachina, et leurs trois enfants, Maria Felicia (la future Malibran), Pauline (la future Pauline Viardot) et Manuel Junior, il est accueilli par le Park Theater où, de novembre 1825 à juillet 1826, il représente 9 opéras : Le Barbier de Séville, Tancrède, Otello, Il Turco in Italia, Cinderella, The Cunning lover (L’Amante astuto) et La Figlia dell’aria, opéras écrits pas les Garcia, Giulietta e Romeo (Zingarelli) et Don Giovanni

Malgré le succès, la troupe ne se maintient pas et retourne en France, mais les Garcia sont les premiers à avoir établi des liens forts entre les Etats-Unis et l’opéra italien.

Peu après, un théâtre concurrent apparaît, le Bowery Theater, inauguré le 22 octobre 1826. Quelques opéras en anglais y sont joués, Native Land, Guy Mannering, Rob Roy. Ce théâtre brûlera par 6 fois (1828, 1836, 1838, 1845, 1913 et définitivement en 1929).

Maria Malibran Garcia

Maria Malibran Garcia

Maria Malibran s’y produit et obtient un immense succès en chantant dans des comédies françaises et italiennes. On assiste à l’émergence du concept de ‘diva’ qui va scinder le monde de l’opéra en deux : ceux qui y cherchent à combler un désir d’unité où tous les éléments forment un tout, et ceux qui désirent mettre en avant un élément particulier, la diva, ce qui va être à l’origine de sa transformation en une forme de business. Maria Malibran revient à Paris à l’hiver 1828.

Lorenzo da Ponte (80 ans en 1829 !) négocie ensuite avec Montresor, un ténor bolonais, et sa compagnie, et ceux-ci arrivent à New York en 1832. Le seul théâtre disponible est la résidence de Aaron Burr, renommée le Richmond Hill Theatre. On y joue La Cenerentola, L’Italienne à Alger, Elisa e Claudio (Mercadante).

Lorenzo da Ponte

Lorenzo da Ponte

Dans le même temps, La Flûte Enchantée est jouée au Park en 1833, pour la première fois aux Etats-Unis. Ce Théâtre disparaîtra dans les flammes en 1848.

Après l’échec financier du Richmond Hill Theatre, da Ponte décide résolument de construire un véritable théâtre totalement dédié à l’opéra : Le New York’s Italian Opera House.

Le New York’s Italian Opera House

Le New York’s Italian Opera House est ainsi inauguré en novembre 1833, et l’on y joue principalement des œuvres de Rossini (La Gazza Ladra, Le Barbier de Séville, La Donna del Lago, Le Turc en Italie, Matilde di Shabran). Les comédies non rossiniennes sont un échec.

L’entreprise est cependant déficitaire et, en 1836, le théâtre est vendu à de nouveaux propriétaires.

Le New York’s Italian Opera House

Le New York’s Italian Opera House

Lorenzo da Ponte décède le 17 août 1838 et est enterré au cimetière catholique de la 3e avenue.

Niblo’s Theater

En 1834, un Irlandais qui souhaitait faire de l’argent dans le divertissement, William Niblo, ouvre le Niblo’s Theater qui comprend un jardin central (Niblo’s Garden) et un grand salon (Niblo’s Indoor). 

Dans les années 1830, des groupes de chanteurs s’y réunissent, dans les années 1840, les Minstrels shows (imitations de spectacles musicaux afro-américains en trois actes) dominent la scène, et dans les années 1850, on joue des musiques militaires. Et dans le jardin, on peut écouter des opéras de Donizetti ou d’Haendel.

Niblo’s Theatre - 1855

Niblo’s Theatre - 1855

En 1843, une compagnie française de la Nouvelle-Orléans vient chanter Auber, Halévy et Herold au Niblo’s Indoor, puis La Fille du Régiment au Niblo’s Garden. Elle revient en 1845 pour interpréter La Favorite, Les Huguenots, La Juive et La Muette de Portici.

Une troupe de chanteurs italiens, sur le chemin de La Havane, vient également en 1843 chanter au Niblo’s Garden Norma et Lucia di Lammermoor.

Castle Garden

En 1844, l’ancien Fort Clinton bâti pour défendre New York, et transformé en lieu de divertissement dès 1824, devient une salle de concert.

Mario et Giulia Grisi y donnent leur premier concert américain, et Henriette Sontag son dernier.

Entre 1847 et 1851, La Havana Company produit Lucreza Borgia, Ernani, Macbeth, Attila, I Puritani et Don Pasquale.

Intérieur de Castle Garden

Intérieur de Castle Garden

L’arrivée de Jenny Lind à New York, une des élèves de Manuel Garcia Junior, marque le début d’une tournée américaine qui part de Castle Garden pour visiter tous les USA. Elle ne chantera cependant pas un seul opéra.

Ce Gold Rush qui consiste à faire du profit sur la qualité exclusive des plus belles voix se révèle néanmoins destructif pour les artistes américains, qui ne peuvent rivaliser avec les artistes européens qui migrent en nombre vers l’Amérique du Nord. 

Jenny Lind

Jenny Lind

Palmo’s Opera House

En 1843, Palmo’s Opera House ouvre entre Broadway et Chambers Street, et l’on y joue le répertoire italien (Bellini, Donizetti, Rossini, Verdi) jusqu’à ce qu’il ferme en 1847, faute de s’être attaché une grande chanteuse de renommée internationale. 

Il ré-ouvre l’année d’après sous le nom de Burton’s Theatre, et reste dorénavant voué aux pièces en langue anglaise.

Astor Place Opera House

Une part de l’élite New Yorkaise, qui ne se résigne pas à abandonner l’opéra, regroupe ses forces afin d’établir un théâtre lyrique permanent. Une cinquantaine de notables réunissent rapidement les fonds nécessaires (1 000 $ chacun) et désignent Astor Place et la 8e avenue pour bâtir un nouveau théâtre. 

Le 22 novembre 1847, l’Astor Place Opera House est prêt et est confié à Edward Fry, le frère de William Fry, compositeur parti pour un temps en Europe après l’échec de son opéra ‘Leonora’.

Ernani, Macbeth, Nabucco y sont joués, mais à nouveau l’absence de grandes chanteuses populaires conduit au désintérêt du public. Les émeutes de 1848, sous l’influence de la situation politique en Europe, entraînent la destruction de ce théâtre.

Émeutes devant Astor Place Opera House - 1848

Émeutes devant Astor Place Opera House - 1848

The Academy of Music

Dans les années 50, des gens de Boston, Philadelphie et New York proposent de construire, dans chacune de ces villes, un opéra de taille sans précédent adapté à la culture locale.

En octobre 1854, à proximité de l4th street et d’Irving Place, l’Académie de Musique ouvre avec Mario et Giulia Grisi. Sont joués des opéras en français et en italien avec des stars, les prix sont le double de ceux de Boston, l’Académie est clairement une entreprise lucrative. Il s’agit d’assurer la prédominance de New York en Commerce et en Art.

The Academy of Music

The Academy of Music

Marx Maretzek devient le directeur musical permanent pendant 20 ans, et dirige les premières américaines de L’Africaine, Roméo et Juliette, Rigoletto, Traviata et Il Trovatore.

Il n’y avait quasiment aucun décalage entre les créations des œuvres de Verdi en Europe et leur création en Amérique. Verdi s’impose immédiatement dans les années 50, car Donizetti et Bellini sont décédés, et Rossini ne compose plus.

Le 25 novembre 1863, la première de Faust est chantée en italien, et devient un succès aussi populaire qu’en France. 

Toutefois, en 1866, un feu détruit l’auditorium, et celui-ci est reconstruit en peu de temps, mais à plus petite échelle.

The Grand Opera House

Construit en 1868 à l’intersection de la 8e avenue et de 23e street, le Pike’s Opera House est racheté en 1869 par Jim Fisk et Jay Gould qui le renomment The Grand Opera House. Ils décident de le spécialiser dans les opérettes d’Offenbach. La Périchole reçoit sa première américaine dans ce théâtre, et La Grande Duchesse de Gerolstein est jouée 5 mois et 2 semaines après sa création à Paris.

The Grand Opera House : avant et après

The Grand Opera House : avant et après

A cette époque, pas moins de 5 compagnies jouent les opéras d’Offenbach à New York.

Casino Theater

Localisé au 1404 Broadway, le Casino Theater ouvre en 1882 et est le premier théâtre totalement électrifié de New York.

Son directeur, Rudolph Aronson, en fait un second Niblo’s Garden en installant un jardin sur son toit, et plus de 4300 représentations seront données.

Lillian Russell chante La Grande Duchesse de Gerolstein, et la première américaine de Cavalleria Rusticana est jouée en 1891 dans ce théâtre.

Lillian Russell

Lillian Russell

Les comédies musicales et les opérettes en font le succès jusqu’à la dernière représentation, le 05 janvier 1930, dédiée à Faust.

Le répertoire du New York Metropolitan Opera de 1883 à nos jours
Le répertoire du New York Metropolitan Opera de 1883 à nos jours

II) Le New York Metropolitan Opera (MET)

The New York Metropolitan Opera de 1883 à 1939

Le grand opéra apparu dans les années 1830 à Paris, avec ses 4 à 5 actes, son ballet élaboré, l’absence de dialogues parlés, comblait une aspiration à la noblesse dans le traitement de l’histoire, et était sensé provoquer un sens de la grandeur morale.

Il fallait de grandes maisons d’opéras pour accompagner le rituel social qui allait avec ce genre, et c’est sur ce modèle que furent construits le Covent Garden de Londres (1858), L’Opéra de Vienne (1869), Le Palais Garnier (1875) ou l’auditorium de Chicago (1889).

Et partout aux Etats-Unis, les nouveaux riches challengeaient l’ancienne élite pour la prédominance sociale.

A la fin des années 1870, Mrs William Kissam Vanderbilt ne peut obtenir une loge à l’Académie de musique, ce qu’elle ne peut tolérer. Mais même l’ajout de 26 loges supplémentaires ne permet pas à l’Académie d’accueillir tous les notables qui le désirent.

Peu de temps après, en avril 1880, 55 personnalités souscrivent 10 000 $ chacune pour construire un nouvel opéra qui comblera les attentes de la nouvelle société. Josiah Cleveland Cady est retenu comme architecte.

Avec une capacité de plus de 3 000 places afin de pouvoir représenter de grands opéras, et 122 loges pour accueillir les sociétaires, le Metropolitan Opera ouvre ses portes le 22 octobre 1883 sur Broadway et 39e street avec Faust et Christine Nilsson en Marguerite. 

L'ancien New York Metropolitan Opera 

L'ancien New York Metropolitan Opera 

C’est un succès social et artistique immédiat.

Henry Abbey, le premier imprésario du MET, se voit cependant entraîné dans une rivalité inévitable avec l’Académie, car leur répertoire diffère peu. A Rigoletto, I Puritani, La Traviata, La Sonnambula, Lucia di Lammermoor, Don Giovanni, Carmen et Lohengrin (ces deux derniers étant chantés en italien), l’Académie oppose Martha, L’Elisir d’amore, Aida, Les Huguenots (en italien), Rigoletto et Faust.

Le MET introduit une nouveauté, La Gioconda, mais l’aventure tourne au désastre financier en 1884. Les loges qui valaient 15 000 $ à l’ouverture valent pourtant 22 000 $ un an plus tard.

Leopold Damrosch, ancien violoniste à la cour de Weimar dont la famille est amie avec Wagner, propose au MET de monter une saison allemande. Plus d’un million de catholiques et protestants allemands ayant fui l’Europe après la révolution de 1848, il doit bien exister à New York un public intéressé par ce répertoire.

Et effectivement, un nouveau public entre au MET, si bien que dès janvier 1885, La Walkyrie est un des sommets de la saison.

Les six années suivantes voient le triomphe de Wagner, ce qui aboutit à l’annulation de la saison 1886 de l’Académie, échec renforcé par l’absence de stars telle Adelina Patti

Neuf opéras de Wagner font partie des 30 titres les plus joués, et Lohengrin est à la première place au côté d’Aida de Verdi.

Emma Calvé

Emma Calvé

Dorénavant, le MET est sans concurrence sérieuse, mais il lui devient difficile de s’extraire de la vague Wagner. Les tentatives pour faire découvrir Fernand Cortez (Spontini) ou Le Barbier de Bagdad (Cornelius) sont vaines.

Pendant les années qui suivent, les noms les plus célèbres de l’art lyrique défilent à New York : Emma Calvé dans Carmen, Nelly Melba dans Lucia di Lammermoor, Victor Maurel dans Otello, les propriétaires des loges veulent des bijoux et des stars et ils obtiennent satisfaction.

Cette starisation de l’opéra a des conséquences destructives, car le MET se définit comme un modèle pour le reste du continent qui entend dimensionner le nombre de stars et de représentations de Wagner nécessaires pour réussir une saison. L’effet est encore plus destructif, car tout ce qui environne les chanteurs, c’est à dire la mise en scène, l’orchestre, le chœur, est négligé en comparaison de l’importance qu’il leur est donné dans les grandes maisons germaniques.

Victor Maurel

Victor Maurel

C’est l’âge d’or du chant, mais on est loin de l’âge d’or de l’opéra, comme le font remarquer plusieurs critiques. 

Au début du XXe siècle, le Wagnérisme se mesure au réalisme et au modernisme.

Le refus d’idéaliser ouvre la voie aux opéras réalistes auxquels trois italiens, Puccini, Mascagni et Leoncavallo, et un français, Charpentier (avec Louise), sont associés.

La nature réaliste de Puccini s’impose en quelques années. Entre 1900 et 1921, La Bohème est jouée 121 fois, Tosca 112 fois, Madame Butterfly 106 fois, alors que quatre opéras de Mozart totaliseront 65 représentations en tout. Ses airs italiens si familiers lui valent une gloire sans pareil. Mais la Jenufa de Janacek, traduite en allemand, n’est jouée que pour 5 représentations et n’est pas acceptée par le public.

Certains ouvrages doivent par ailleurs leur succès à la participation de grands artistes. Ainsi, celui de Mignon d’Ambroise Thomas est dû en grande partie à la présence de Christine Nilsson, et celui de Martha à la participation de Caruso.

Christine Nilsson

Christine Nilsson

Un autre mouvement, moderniste cette fois, joue un rôle majeur dans la recherche de nouveauté et la volonté d’oublier le passé. L’excellent accueil de Salomé et Elektra (Richard Strauss), Pelléas et Mélisande (Claude Debussy) montre qu’un nouveau public musicien se manifeste et se différencie de l’ancienne société hiérarchique et matérialiste. Ce public est cependant mal accueilli au MET

Der Rosenkavalier (Strauss), jouée pour la première fois en 1913, seule œuvre moderne qui comprenne des mélodies mémorisables, réussit à s’imposer durablement.

Ainsi, en prenant une part centrale dans le répertoire américain, les opéras réalistes provoquent la disparition des opéras français du début du XIXe siècle.

Cinq ans après sa première au Palais Garnier, dans la version révisée de Rimski-Korsakov, Boris Godounov entre au répertoire du MET en 1913, et débute une carrière sans la moindre faiblesse jusqu’à aujourd’hui.

Les années d’entre deux–guerres sont alors des années de survie pour l’opéra.

The Manhattan Opera House de 1906 à 1910

Immigrant juif allemand arrivé à New York en 1863, Oscar Hammerstein prospère dans un premier temps dans le commerce de cigares.

Mais il a également le goût pour la production d’opéras, et construit plusieurs théâtres, Harlem Opera House, Manhattan Theatre, Olympia Theatre, Victoria Theatre, pour finalement construire sur 7e avenue, vers 34th street, le Manhattan Opera House destiné à concurrencer le Metropolitan Opera.

The Manhattan Opera House de 1906 à 1910

The Manhattan Opera House de 1906 à 1910

Le MET réagit en obtenant de Ricordi les droits exclusifs sur les représentations des opéras de Puccini.

Hammerstein répond en embauchant comme directeur musical Cleofonte Campanini, et rallie des chanteurs tels Alessandro Bonci, Charles Dalmorès, Maurice Renaud, Nellie Melba.

I Puritani ouvrent ainsi la première saison le 03 décembre 1906, suivis par Carmen, Aida, Rigoletto, Lucia di Lammermoor. Cette saison profitable est suivie par une seconde saison axée sur des œuvres plus innovantes, La Gioconda, La Damnation de Faust, Les Contes d’Hoffmann, Pelléas et Mélisande, et plus tard, Le Jongleur de Notre Dame (Massenet), Salomé, Hérodiade, Sapho, Grisélidis, La Fille de Madame Angot, Elektra.

Au bout de 4 ans de soirées éblouissantes, Hammerstein et le MET entrent en négociations afin de mettre un terme à cette compétition extraordinaire. Hammerstein vend au MET les droits sur les opéras de Massenet et de Strauss pour 1,25 millions de dollars, et s’engage à ne plus produire d’opéras pendant 10 ans. Il décède en 1919.

Le répertoire du New York Metropolitan Opera de 1883 à nos jours
Le répertoire du New York Metropolitan Opera de 1883 à nos jours

The New York Metropolitan Opera de 1940 à 1965

Les années d’après-guerre connaissent la plus forte période d’expansion dans l’histoire de l’opéra aux Etats-Unis, mais, à l’instar à Paris, le grand opéra français (Les Huguenots, la Juive, L’Africaine, Le Prophète, La Reine de Saba, Guillaume Tell) disparaît de la programmation.

L’ancienne génération de chanteurs, Lehmann, Kipnis, Melchior, Pinza, Pons, Traubel, disparaît également.

Sortant d’un long silence depuis la période 1908-1915 pendant laquelle il dirigeait au MET, Arturo Toscanini entre au studio de la radio pour enregistrer avec le NBC Symphony Orchestra le grand répertoire, Fidelio (1944), La Bohème (1946), Otello (1947), Aida (1949), Falstaff (1950), Un Ballo in Maschera (1954).

La technologie permet de faire le lien entre le passé et le présent, et donne accès à bien plus d’auditeurs.

Succédant à Edward Johnson qui avait dirigé le MET depuis les dernières années de dépression jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, Rudolf Bing, l’un des fondateurs du Festival d’Edimbourg, prend la direction du MET en 1950, et reste à sa tête pendant 22 ans.

Le MET connaît sa période la plus excitante avec un nombre incomparable de grandes chanteuses, Callas, Tebaldi, Milanov, Rysanek, Sutherland, Nilsson, et une ouverture sans précédents aux artistes noirs, Anderson, Price, Verrett, Bumbry, Arroyo.

Rudolf Bing, Leontyne Price, Robert Merrill, sur le lieu de construction du nouveau MET

Rudolf Bing, Leontyne Price, Robert Merrill, sur le lieu de construction du nouveau MET

Il attire de jeunes chefs, monte des nouvelles productions imaginatives, Don Carlo, Don Giovanni, Die Fledermaus, La Perichole – ce qui prouve qu’Offenbach a sa place dans une grande salle comme celle du MET -, Cosi fan Tutte.

Verdi a dorénavant trois titres parmi les 10 premiers, autant que Puccini, et Don Giovanni et Les Noces de Figaro font partie des 15 premiers, alors qu’à l’inverse, plus aucun Wagner ne fait partie des 15 premiers.

Der Rosenkavalier triomphe.

Étrangement, Roméo et Juliette (Gounod) disparaît quasiment de la programmation, et Faust entame un déclin qui s’accentuera avec l’ouverture du nouveau Metropolitan Opera.

La Manon de Massenet poursuit sa belle carrière au MET débutée à la fin du XIXe siècle, avant que la construction du nouveau MET n’entraîne subitement la raréfaction de sa présence sur scène.

The New York City Opera (NYCO)

En 1943, en pleine Seconde Guerre Mondiale, une compagnie d’opéra soutenue par le maire de la ville, Fiorello La Guardia, est fondée dans un bâtiment existant, The Mecca Temple, contenant un auditorium de 2 692 places. 

The Mecca Temple

The Mecca Temple

Cette compagnie, baptisée New York City Opera, réussit à définir sa propre identité.

Mais au lieu de privilégier les splendeurs vocales, elle développe son talent dans la réalisation de productions d’une grande force dramatique.

Elle programme également des œuvres américaines et des œuvres européennes oubliées : The Pirate of Penzance, Show Boat, Eugène Onéguine, L’Amour des trois oranges – qui, en 2018, n’est toujours pas inscrit au répertoire du MET -, Le Château de Barbe-Bleue, Wozzeck.

Et 10 ans avant que toute autre compagnie fasse son examen de conscience sur la question raciale, Todd Duncan, baryton Afro-américain, fait ses débuts en 1945 dans I Pagliacci.

Une fois passées les difficultés du début des années 50, le New York City Opera s’engage dans une brillante décennie qui l’établit comme la plus américaine des compagnies : The Ballad of Baby Doe (Moore), Lost in the stars (Weill), Susannah (Floyd), Trouble island (Still) sont à l’affiche de la saison 1958.

En 1966, le NYCO se déplace au Lincoln Center for the performing Art et fait dorénavant face au MET qui tente d’en prendre le contrôle administratif, mais trouve une résistance forte.

The New York City Opera (NYCO)

The New York City Opera (NYCO)

Dans les années 70, le NYCO révèle nombre d’artistes qui auront une flamboyante carrière internationale : Beverly Sills, José Carreras, Shirley Verrett, Samuel Ramey, Placido Domingo, Carol Vaness, et bien d’autres.

Il connait malheureusement en 2008 la crise financière la plus redoutable de son existence, en voyant sa dotation passer de 48 à 5 millions d’euros, entraînant le retrait de Gerard Mortier engagé pour diriger l’institution new-yorkaise dès cette année-là. Le NYCO dépose le bilan en 2013, année la plus sombre du MET qui ne remplit plus sa salle qu’aux trois quarts.

Le répertoire du New York Metropolitan Opera de 1883 à nos jours
Le répertoire du New York Metropolitan Opera de 1883 à nos jours

The New York Metropolitan Opera de 1966 à nos jours

En 1966, l’ouverture du Nouveau Metropolitan Opera sur le Lincoln Center for the performing Art est rendue possible par l’intervention du secrétaire au Travail des Etats-Unis.

Wallace Kirkman Harrison, architecte en chef du Siège des Nations-Unis, est chargé de la conception de cette salle qui contient plus de 3800 places.

Le nouveau New York Metropolitan Opera 

Le nouveau New York Metropolitan Opera 

Très mal apprécié aux Etats-Unis depuis le XIXe siècle, sa musique étant jugée peu dramatique et dominée par la finesse des détails orchestraux au détriment des voix, Mozart est reconsidéré seulement à partir des années 1980.

Idomeneo et La Clemenza di Tito connaissent leur première américaine dans les années 60 et 70, mais le premier n’entre au MET qu’en 1982, et le second qu’en 1984.

La Flûte Enchantée rejoint enfin Don Giovanni et Les Noces de Figaro parmi les titres les plus représentés.

Puccini se renforce encore plus (5 titres dans les 30 premiers), Verdi également (12 titres dans les 50 premiers). Par ailleurs, Le Bal Masqué est l’ouvrage de Verdi qui aura réalisé la percée la plus importante du siècle (73e avant 1940, 16 e après 1966). Turandot découvre aussi que le MET est une salle idéale pour son grand spectacle. 

Un Ballo in Maschera - Metropolitan Opera (2015)

Un Ballo in Maschera - Metropolitan Opera (2015)

Et parmi les ouvrages français, Roméo et Juliette fait son retour parmi les 25 premiers, juste devant Faust, aux côtés des Contes d’Hoffmann en progression constante. Invariablement depuis un siècle, Samson et Dalila se maintient confortablement autour de la 35e place.

Quant à Wagner, seule La Walkyrie se maintient à la 25e place, Lohengrin, Tannhaüser et Tristan und Isolde étant les ouvrages du compositeur qui perdent le plus en représentations au cours du siècle.

Si l’opéra du XXe siècle a encore plus de mal à s’imposer qu’en Europe, on observe quand même que Wozzeck s’ancre durablement au répertoire, que Jenufa est l’opéra de Janacek le plus joué, et que Die Frau ohne Schatten fait jeu égal avec Il Trittico de Puccini créé à New York en 1918.

Enfin, Il Barbiere di Siviglia n’est plus l’unique opéra de Rossini qui réussit à s’imposer, et L’Italienne à Alger commence à faire partie du répertoire permanent du MET.

Intérieur du New York Metropolitan Opera

Intérieur du New York Metropolitan Opera

Pour conclure

Dès le début du XXe siècle, le MET est définitivement le lieu de représentation des opéras de Puccini, compositeur qui correspond le mieux au goût d’un public attaché au répertoire italien et aux mélodies populaires. Le mouvement de reflux du grand opéra français et de Wagner est similaire à ce que l’on observe à Paris, mais Mozart gagne en reconnaissance dans la dernière partie du siècle.

Verdi est dorénavant le compositeur le plus joué (20% des représentations) devant Puccini (16%) et loin devant Mozart (9%), et la langue italienne domine toujours la programmation avec plus de 60% des soirées. En pratique, le MET reconnait peu de chefs-d’œuvre avant Mozart et après Puccini

Mais le goût pour les nouveautés qui caractérise la période d’avant-guerre s’est considérablement estompé, car si plus de 100 ouvrages peu connus ont été joués sur moins de 10 soirées chacun entre 1883 et 1939, moins de 30 le sont depuis 1966.

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Publié le 15 Juillet 2018

Dans la suite de l'article sur le Le répertoire de l’Opéra de Paris de l’inauguration du Palais Garnier (1875) à nos jours, le présent article rend compte du répertoire de l'Opéra de Paris (qui fut dénommé successivement, Académie Royale de Musique, Théâtre de l'Opéra, Théâtre de la Nation, Théâtre Impérial de l'Opéra, Théâtre National de l'Opéra) depuis l'ouverture de la salle Le Peletier en 1821 à l'ouverture de Garnier en 1875.

La salle Le Peletier par Gustave Janet en 1858

La salle Le Peletier par Gustave Janet en 1858

Il permet en un coup d’œil de comparer les œuvres les plus jouées du répertoire à cette époque, et de voir l'évolution à partir de l'ouverture de Garnier.

Ces données sont à prendre dans un premier temps avec précaution car la source (Chronopera) ne permet pas facilement de distinguer les ouvrages joués partiellement (un ou deux actes par exemple), des ouvrages joués intégralement. Les chiffres sont donc très approximatifs (par exemple, on sait que Louis Véron a donné 60 représentations tronquées de Guillaume Tell dont il doutait des valeurs théâtrales).

Le répertoire de l'Opéra de Paris de 1821 à aujourd'hui. Classement des oeuvres les plus jouées.

Le répertoire de l'Opéra de Paris de 1821 à aujourd'hui. Classement des oeuvres les plus jouées.

L’opéra de 1821 à 1874 sous la Restauration et le Second Empire

Avec l’ouverture de la salle Le Peletier le 19 août 1821, construite en 12 mois après la fermeture de la salle Richelieu témoin de l’assassinat du Duc de Berry, en plein cœur de la Restauration, l’Académie Royale de Musique s’apprête à vivre une révolution esthétique et dramaturgique qui va en faire le reflet des mentalités de la société bourgeoise triomphante à l’aube de la monarchie de juillet.

 

La poursuite de la tradition classique (Spontini, Gluck, Sacchini, Grétry)

Dans les mois qui suivent cette inauguration, Aladin et la Lampe merveilleuse, opéra-féérie en cinq actes de Nicolas Isouard, joué seulement après sa mort, est la première création de la nouvelle salle et le premier spectacle représenté sous les lumières du gaz.

Toutefois, lors des premières années d’exploitation, sous la tutelle du Ministre de la Maison du Roi, la programmation de la salle prolonge pour un temps le mouvement de renouvellement esthétique de l’Opéra de Paris dont Gaspare Spontini est l’artisan depuis la création de La Vestale en 1807, et de Fernand Cortez en 1809, œuvres qui, avec leur orchestration somptueuse et leurs décors monumentaux, annoncent le grand opéra français.

La tradition classique est maintenue avec les ouvrages parisiens de Gluck, et si Iphigénie en Tauride et Iphigénie en Aulide sont abandonnés au cours des deux premières années, Armide*, et surtout Alceste et Orphée et Eurydice, restent à l’affiche plus longtemps. On retrouve également l'Œdipe à Colone d'Antonio Sacchini qui poursuit sa brillante carrière jusqu’en 1844 avec 50 représentations.

* Armide reste l’œuvre tirée de la Jérusalem délivrée la plus représentée à l'Opéra : voir " La carrière de six ouvrages lyriques tirés de la Jérusalem délivrée à l'Opéra de Paris (1686-1913) : Lully, Campra, Desmarets, Gluck, Sacchini et Persuis », Le Répertoire de l’Opéra de Paris (1671-2009). Analyse & interprétation. Actes du colloque de l’Opéra Bastille, Paris, Honoré Champion, 2011.

Quant à André Grétry, compositeur qui vivait à Paris dès 1767, et toujours compositeur phare du Premier Empire, il se maintient pendant 8 ans avec son grand succès La Caravane du Caire joué 50 fois jusqu’en 1829, et il en va de même pour le Rossignol de Louis-Sébastien Lebrun, qui reste à l’affiche jusqu’en 1831 avec près de 100 représentations.

Le répertoire de l'Opéra de Paris de 1821 à aujourd'hui. Classement des oeuvres les plus jouées.

Le répertoire de l'Opéra de Paris de 1821 à aujourd'hui. Classement des oeuvres les plus jouées.

L’avènement de l’opéra historique (Rossini, Auber, Scribe)

Mais depuis que Spontini a quitté la capitale en 1820 suite à l’échec d’Olympie, le paysage musical parisien est en pleine mutation. Gioacchino Rossini arrive à Paris en 1823 pour diriger le Théâtre des Italiens installé au Théâtre Louvois, puis à la première salle Favart.

Ce n’est pas un inconnu puisque 12 de ses opéras y ont déjà été joués. Il réussit à créer à la salle Le Peletier, en 1826 et 1827, Le Siège de Corinthe et Moïse et Pharaon, adaptations françaises respectives de Maometto II et Mosè in Egitto. Il s’impose alors comme un précurseur de l’opéra historique. Les deux ouvrages totaliseront à eux-deux plus de 250 représentations.

Et l’année 1823 est véritablement celle des rencontres parisiennes déterminantes, car l’élève de Cherubini, Daniel-François-Esprit Auber, s’associe au librettiste Eugène Scribe pour créer des ouvrages à l’Opéra-Comique, mais également pour tenter de séduire le public bourgeois avide de pièces historiques.

La Muette de Portici, créée à Le Peletier en 1828, devient leur plus grand succès commun à l’Opéra avec près de 450 représentations en 50 ans.

Dans la foulée, Rossini crée la même année à l’Opéra le Comte Ory, son dernier opéra-comique et grand succès de la salle Le Peletier, en collaboration avec Eugène Scribe, puis en 1829 son chef-d’œuvre, Guillaume Tell, qui totalisera à l’instar de La Muette plus de 450 représentations.

La Muette de Portici et Guillaume Tell vont devenir les deux pierres angulaires du genre du grand opéra français, genre caractérisé par une veine historique déployée sur 4 à 5 actes, des lignes mélodiques écrites pour le goût français, et un grand ballet central.

Parallèlement à ces succès, Giacomo Meyerbeer, compositeur berlinois, arrive à Paris en 1825 pour superviser les répétitions d’Il crociato in Egitto au Théâtre des Italiens. Le succès est tel qu’il décide de s’installer définitivement dans la capitale, et se met à la recherche de librettistes.

Dès 1827, il annonce qu’il débute sa collaboration avec Eugène Scribe et Germain Delavigne pour composer Robert Le Diable.

Le répertoire de l'Opéra de Paris de 1821 à aujourd'hui. Classement des oeuvres les plus jouées.

Le répertoire de l'Opéra de Paris de 1821 à aujourd'hui. Classement des oeuvres les plus jouées.

L’âge d’or du grand opéra français (Meyerbeer, Auber, Halevy, Donizetti, Scribe)

Survient la révolution de juillet 1830 qui porte au pouvoir Louis-Philippe Ier.
Sous la monarchie de juillet, le 01 mars 1831, le gouvernement nomme à la tête de l’Opéra, nouvellement baptisé Théâtre de l’Opéra, un directeur-entrepreneur, Louis-Désiré Véron.

Il va s’agir pour lui de répondre aux attentes de la bourgeoisie parisienne tout en gérant l’institution comme une entreprise commerciale.

On peut lire en effet dans ses mémoires, au moment où il dut se décider à diriger l’Opéra, les propos suivants : « la révolution de Juillet est le triomphe de la bourgeoisie : cette bourgeoisie victorieuse tiendra à trôner, à s’amuser ; l’Opéra deviendra son Versailles, elle y accourra en foule prendre la place des grands seigneurs de la cour exilés.»

Robert le Diable de Meyerbeer, joué sans interruption de 1831 à 1860, devient le plus grand succès de l’histoire de la salle Le Peletier, et les Huguenots, créés en 1836, seront le deuxième grand succès de l’institution de toute son histoire après le Faust de Charles Gounod (1869), puisqu'ils totaliseront plus de 1000 représentations avant l’entrée dans la Seconde Guerre mondiale.

Le Prophète (1849) et L'Africaine (1865) sont également dans les 10 premiers au cours de cette période.

Préalablement au succès des superproductions de Giacomo Meyerbeer, 5 autres ouvrages de Daniel-François-Esprit Auber font partie des réussites de l’Opéra avec La Muette : Le Philtre (1831) – ouvrage basé sur le même livret que l’Elixir d’Amour de Donizetti créé l’année d’après à La Scala -, Le Dieu et la Bayadère (1830), Le Serment ou les Faux-monnayeurs (1832), Gustave III ou le Bal masqué (1833), L'Enfant prodigue (1850). Et avec 28 représentations, Le lac des Fées (1839) se situe tout juste dans les 50 premiers titres de la salle.

En 1833, Louis-Désiré Véron passe ensuite commande à Fromental Halévy, ancien chef de chant aux Italiens devenu chef de chant à l’Opéra depuis 1829, d’un opéra en cinq actes sur un livret de Scribe.

Ce sera La Juive (1835), un portrait de l’intolérance religieuse aussi puissant que celui des Huguenots programmé l’année suivante. La Juive atteint les 550 représentations à la fin du XIXe siècle.

Halévy n’en reste pas à un tel triomphe, et 5 autres ouvrages, Guido et Ginevra ou la peste de Florence (1838), La Reine de Chypre (1841), Charles VI (1843), Le Juif errant (1852), La Magicienne (1858) vont faire partie des 40 grands succès de la salle Le Peletier.

Cependant, si Scribe est l’auteur de tous les livrets des succès de Meyerbeer et Auber, seuls La Juive, Guido et Ginevra et Le Juif errant sont de lui.

Véron disait d’ailleurs de lui : "Je ne crains pas de le dire ici, M. Scribe est de tous les auteurs dramatiques celui qui comprend le mieux l'opéra."

Eugène Scribe est enfin l’auteur des livrets des deux grands opéras de Donizetti, La Favorite (1840) et Dom Sébastien, roi du Portugal (1843), et, au total, plus de la moitié des représentations d’opéras entre 1821 et 1873, et même 8 des 10 œuvres les plus jouées, permettent d'entendre ses vers, ce qui en fait une figure centrale du théâtre lyrique au XIXe siècle.

Même si Véron ne reste directeur que jusqu’en 1835, le fait qu’il mise sur Auber, Rossini, Meyerbeer, Halévy et Scribe, conditionne fortement la programmation que ses successeurs, Duponchel, Pillet et Roqueplan, vont prolonger jusqu’à la crise de 1854 – crise qui sera fatale à la carrière de La Nonne Sanglante de Charles Gounod, et qui va aboutir à une reprise en main du Théâtre Impérial par le gouvernement du second Empire -.

Le répertoire de l'Opéra de Paris de 1821 à aujourd'hui. Classement des oeuvres les plus jouées.

Le répertoire de l'Opéra de Paris de 1821 à aujourd'hui. Classement des oeuvres les plus jouées.

Les autres compositeurs de grands opéras français (Niedermeyer, Marliani, David, Poniatowski, Mermet, Verdi, Thomas)

D’autres compositeurs, Niedermeyer avec Stradella (1837), Marliani avec La Xacarilla (1839), David avec Herculanum (1859), Poniatowski avec Pierre de Médicis (1860), Mermet avec Roland de Roncevaux (1864), apportent leur pierre au grand opéra français, et obtiennent pour un temps la reconnaissance du public parisien.

Giuseppe Verdi arrive même par quatre fois, avec Jérusalem (1847) – adaptation française d’ I Lombardi alla prima crociata -, Les Vêpres siciliennes (1855), Le Trouvère (1857) – adaptation française d’Il Trovatore -, et Don Carlos (1867), à se faire reconnaitre dans le genre du grand opéra. Les deux premiers livrets sont de Scribe, mais seul Le Trouvère va dépasser les 200 représentations.

Enfin, Ambroise Thomas crée en 1868 Hamlet, un grand opéra dont la carrière va se prolonger jusqu’à l’approche de la Seconde Guerre mondiale pour plus de 350 représentations.

 

L’introduction du romantisme (Mozart, Donizetti, Weber, Gounod)

Afin de ne pas totalement décrocher du développement de l’opéra romantique italien et allemand qui gagne tous les théâtres concurrents, des ouvrages déjà anciens sont créés et adaptés aux goûts du public de la salle Le Peletier.

Don Giovanni, opéra de Mozart charnière avec l'époque romantique, fait son entrée le 10 mars 1834 dans l’adaptation française de Castil-Blaze, Don Juan, en version 5 actes, et Lucie de Lammermoor de Donizetti s’impose dès le 20 février 1846 pour plus de 240 représentations.

Après l’échec de Benvenuto Cellini en septembre 1838, Hector Berlioz obtient commande en 1841 pour monter en version française le Freischütz de Weber. Avec plus de 100 représentations, cet opéra se maintient au répertoire jusqu’à l’entre-deux guerres.

En revanche, l’échec retentissant de Tannhaüser en 1861 n’est que partie remise pour Richard Wagner, qui, trente ans plus tard, fera un retour triomphal au Palais Garnier avec Lohengrin.

L’appropriation du Faust de Charles Gounod créé au Théâtre Lyrique, et réarrangé pour sa création à la salle Le Peletier le 03 mars 1869, va devenir par la suite le plus grand succès de toute l’histoire de l’Opéra de Paris avec plus de 2500 représentations au début des années 2000.

Plans et vues de la salle Le Peletier.

Plans et vues de la salle Le Peletier.

La Concurrence des salles parisiennes

La programmation à la salle Le Peletier du genre dit 'noble' ne doit pas faire oublier le grand courant créatif qui s'empare des scènes concurrentes au même moment.

A L'Opéra Comique (Théâtre Feydeau) sont créées des œuvres de François-Adrien Boieldieu (La Dame Blanche), Le pré aux Clercs d' Herold, Le Chalet et Le Postillon de Lonjumeau d’Adolphe Adam, et Le Cheval de bronze et le Domino noir d’Auber.

Et c'est à la salle Favart II, louée pour l'occasion, que Berlioz crée La Damnation de Faust le 06 décembre 1846. L’œuvre est reprise le 20 décembre, mais le manque de public entraîne la ruine du compositeur.

Giacomo Meyerbeer présente également deux opéras comiques dans cette salle, L’Étoile du Nord (1854), à nouveau sur un livret de Scribe , et Le Pardon de Ploërmel (Dinorah) en 1859.

 

Au Théâtre des Italiens, Rossini monte le 19 juin 1825, Il Viaggio a Reims, et les premières parisiennes de Il barbiere di Siviglia (26 Octobre 1819), Otello (5 Juin 1821), et Tancredi (23 Avril 1822) y sont données également.

C'est dans ce théâtre, dorénavant installé salle Favart, que Bellini crée Les Puritains, le 25 janvier 1835, qui devient un immense succès populaire.

Stabat Mater, de Rossini, est créé en 1842 à la salle ventadour, et les œuvres populaires de Donizetti (Don Pasquale) et Verdi y sont régulièrement jouées - 3 ans après le scandale de sa création, La Traviata est montée aux Italiens, en 1856 -.

 

Enfin, depuis 1851, Le Théâtre Lyrique crée Si j’étais Roi d’Adolphe Adam (1852), Le Médecin Malgré lui (1858), Faust (1859) et Philémon et Baucis (1860) de Gounod .

Léon Carvalho, le directeur du théâtre depuis 1856, fait jouer les œuvres de Weber, Les Noces de Figaro et L’enlèvement au sérail de Mozart, Orphée de Gluck, Fidelio de Beethoven, tous en version française.

Puis on y entend des opéras italiens en version française, La Traviata, Rigoletto, Norma, et la version parisienne du Macbeth (1865) de Giuseppe Verdi.

C’est au cours de cette période faste que Les Pêcheurs de perles et La Jolie fille de Perth (Bizet), Les Troyens à Carthage (Berlioz), Mireille et Roméo et Juliette (Gounod) sont joués pour la première fois.
Enfin, la première française de Rienzi de Richard Wagner (1869) devient la production la plus importante des dernières années du Théâtre Lyrique.

 

Mais les Italiens ferment en 1871 à cause de cette concurrence, et la salle du Théâtre Lyrique est détruite la même année lors des combats de La Commune, deux ans avant que la salle Le Peletier ne soit emportée à son tour, dans la nuit du 29 octobre 1873, par un incendie qui va durer plus d’une journée.

La fin subite de ces théâtres survient ainsi à la fin d'une décade qui aura vu la disparition de tous les compositeurs et figures légendaires du Grand Opéra : Scribe en 1861, Halévy en 1862, Meyerbeer en 1864, Véron en 1867, Rossini en 1868, Berlioz en 1869, Auber en 1871.

Après un bref passage à la salle Ventadour, l’Opéra peut s’installer en janvier 1875 au Palais Garnier, monument initié sous le Second Empire, mais exploité au cours de la Troisième République.

L'incendie de la salle Le Peletier le 29 octobre 1873.

L'incendie de la salle Le Peletier le 29 octobre 1873.

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Publié le 17 Juin 2018

Stéphane Lissner « Pourquoi l’opéra aujourd’hui ? »
Conférence au Collège de France du 14 juin 2018 à 18h30

A l'initiative du Collège de France, Stéphane Lissner était invité à la veille de l'été 2018 à présenter les enjeux et les défis de l'Opéra de Paris au XXIe siècle.

Face au public de l'amphithéâtre Marguerite de Navarre, composé de membres du Collège, de journalistes, de personnels et d'amis de l'Opéra de Paris et de visiteurs passionnés, il a tenu une conférence pendant plus de 80 minutes dont l'enregistrement vidéo est disponible en accès libre sur internet selon le lien suivant :

Afin de faciliter la compréhension et la structure de son discours, celui-ci est fidèlement retranscrit ci-dessous en faisant apparaître les grands thèmes et en surlignant les idées clés. L'indicateur temporel sur l'enregistrement est également associé à chaque chapitre afin de permettre une réécoute immédiate.

Stéphane Lissner - Conférence au Collège de France du 14 juin 2018

Stéphane Lissner - Conférence au Collège de France du 14 juin 2018

Introduction - 05:10

Au moment de célébrer le 350e anniversaire de de l’Opéra Paris, la question du sens, de la mission de notre établissement se pose avec force. A quoi sert l’opéra aujourd’hui ? Quelles sont nos missions en ce début du XXIe siècle ? Et bien au-delà de cette question organique, j’ai eu envie d’interroger avec vous l’existence même du genre lyrique.

Cela m’a fait songer à un ouvrage récent du philosophe Francis Wolff, professeur émérite à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’ULM, intitulé « Pourquoi la musique ? » et au texte de Pierre Boulez de 1963 publié sous le titre « Penser la musique ».

Le philosophe et l’immense musicien disparu il y a deux ans m’ont ainsi soufflé le thème de la conférence de ce soir.

La question de « Pourquoi l’Opéra aujourd’hui ? » se pose indéniablement, et j’irai même jusqu’à dire que je suis chaque jour d’avantage surpris et heureux que ce genre, l’art lyrique, déchaîne les passions et remplisse les théâtres. Le 350e anniversaire de l’Opéra de Paris nous pousse à cet étonnement.

Certes, l’Ancien Régime a légué à notre pays des institutions solides, en particulier dans le domaine de la culture, mais si personne ne peut être surpris à l’idée qu’une Bibliothèque nationale, un musée de référence, le Théâtre français, le Collège de France bien sûr, traversent les siècles, s’agissant d’art lyrique l’étonnement est plus légitime.

L’opéra devrait avoir disparu depuis longtemps.

De fait, dans les années 1950 et 1960, le thème de la mort, ou de la disparition de l’opéra, comme genre, était assez répandu, et les moins jeunes dans l’assistance s’en souviendront

Pierre Boulez, dans un entretien devenu fameux à Der Spiegel, en 1967, avait lancé le débat en invitant à faire sauter les maisons d’opéra. Bien évidemment, Boulez ne voulait rien d’autre qu’appeler à la rénovation du système, à sa professionnalisation, et avertir des risques qu’un monde lyrique routinier et poussiéreux faisait courir au genre même. Boulez avait évidemment raison. Il s’en est expliqué plus en détail souvent.

La pauvreté du répertoire tourné vers le passé, l’absence de création et de renouvellement, l’escroquerie de certaines productions avec ce qu’il appelle des « fantômes de mises en scène », étaient selon lui à l’origine de la crise.

L’opéra était ainsi devenu une chose dévitalisée, par opposition du reste au théâtre où des artistes comme Patrice Chéreau ou Peter Stein réinterrogeaient le contrat entre le spectateur et la scène.

La Schaubühne à Berlin, le Piccolo Théâtre à Milan, le Théâtre de l’Odéon à Paris incarnaient cette modernité avec de véritables succès publics.

Le paradoxe était criant alors que l’Opéra ronronnait dans la routine avec une troupe faible et un répertoire atrophié, le théâtre incarnait l’ « Art total » avec une fusion profonde du texte, de la mise en scène, du jeu des acteurs, des décors ou de la scénographie.

Don Carlos - Saison 2017 / 2018, Opéra Bastille

Don Carlos - Saison 2017 / 2018, Opéra Bastille

Les contraintes et conventions de l'opéra et l'arrivée tardive de la théâtralité -08:56

Première étonnement : l’opéra me paraît concentrer toutes les caractéristiques du summum de la convention dans le domaine artistique.

Cela ne tient pas tant au fait que plusieurs centaines ou plusieurs milliers de personnes se réunissent dans un lieu fermé pendant plusieurs heures, parfois très longues, pour assister à un spectacle - après tout, en 1987, Le Soulier de Satin de Paul Claudel mis en scène par Antoine Vitez dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes à Avignon durait une nuit entière.

Et le magnifique 2666 présenté par Julien Gosselin tout récemment nous engageait aussi à un voyage d’une durée exceptionnelle.

L’opéra se caractérise par la convention de la musique chantée, c'est-à-dire l’expression au moyen de paroles chantées qui, l’on en conviendra, n’est pas le mode le plus normal d’expression, que ce soit dans la vie quotidienne ou même dans l’art.

C’est la convention de la partition qui fixe le tempo, qui n’attend pas, et qui en réalité commande aux chanteurs ainsi qu’au metteur en scène. Celui qui imaginerait que Macbeth et sa Lady s’affrontent visuellement en silence pendant quelques secondes au milieu d’un duo devrait renoncer, la partition de Giuseppe Verdi ne le permettant tout simplement pas.

Cette contrainte est intéressante au regard des rapports qui se nouent entre le chef d’orchestre et le metteur en scène, et qui sont propres à l’opéra. Tous deux ont des contraintes, le chef est un interprète là où le metteur en scène doit écrire une page blanche, doit proposer sa vision, si l’on fait abstraction des indications que les compositeurs ont souvent prévu en marge de la partition.

Mais le chef a aussi à sa disposition des possibilités presque infinies d’interprétations.
Le tempo, et l’on sait qu’entre les interprétations de Parsifal de Pierre Boulez et d’Arturo Toscanini la durée varie de plus d’une heure, les nuances, les phrasés lui donnent une marge créative très large. J’avoue sans difficulté que pour Parsifal ma préférence va au tempo plus soutenu qui conserve tout le sens théâtral voulu par le compositeur.

Innombrables sont les auteurs qui, pour la plupart du temps, pour railler l’opéra ont pointé cette bizarrerie. Théophile Gautier, en écrivant cette convention qui nulle part n’est aussi forcée ni aussi éloignée de la nature, ironise, dans son Histoire de l’art dramatique en France en 1859, sur le conspirateur qui recommande le silence en chantant à tue-tête, ou la femme affligée qui exprime son désespoir par des cabrioles vocales.

Le dramaturge russe Vsevolod Meyerhold appelle de ses vœux un drame musical interprété de manière qu’à aucun moment l’auditeur spectateur ne se demande pourquoi les acteurs chantent au lieu de parler. Mais il me semble tout de même que la convention et le contrat avec le spectateur reposent précisément sur l’acceptation de cette bizarrerie.

Certes, l’absence de théâtralité jusqu’au début du XXe siècle explique pour une large part ces jugements. La notion de metteur en scène, elle-même, est tardive, le travail de Gustav Mahler pour la mise en scène à Vienne marque un tournant à l’aube du XXe siècle, mais avant cette période les spectacles étaient réglés par des régisseurs, dont leur rôle principal était d’organiser le bon déroulement du spectacle sans véritable intention dramaturgique.

Sur ce thème, Rousseau, un siècle plutôt, dans la Julie ou la Nouvelle Héloïse, notait déjà que ce mode d’expression constituait une barrière infranchissable pour la plupart des spectateurs, surtout quand l’opéra est chanté en français, les ‘r’ roulés, les finals en ‘e’ interminables, rebutent et excluent les oreilles modernes.

Dans une lettre à Julie, Saint Preux se moque des décors, des coulisses, des peintures dont on voit les effets, et plus encore des cris affreux, de longs mugissements dont retentit le théâtre durant la représentation. On voit les actrices presque en convulsion arracher avec violence ces glapissements de leurs poumons, les poings fermés contre la poitrine, la tête en arrière, le visage enflammé et les vaisseaux gonflés, l’estomac pantelant, on ne sait lequel est le plus affecté de l’œil et de l’oreille. Leurs efforts font autant souffrir ceux qui les regardent que ceux qui les écoutent.

Pour la majeure partie du public, l’opéra est un art impossible, un art qui exclut, un art inabordable qui ne parle plus au cœur et à la raison. C’est le syndrome de la Castafiore dans Tintin, qui avec l’air des bijoux de Faust devenu rengaine tourne l’opéra en ridicule.

Il faudra tenir compte de ce blocage notamment pour le public le plus jeune. Quant à la multiplication des effets bien connue depuis l’époque baroque, Saint Preux l’a regretté sévèrement, le merveilleux n’est fait que pour être imaginé, et l’opéra est un art la plupart du temps bien peu subtil, le plus ennuyeux des spectacles qu’il puisse exister. On montre, on se dépoitraille, on explique, on commente, on ne peut émouvoir.

C’est du reste un sujet d’interrogation pour moi ; je sais que le public aime passer derrière les coulisses découvrir les secrets de fabrication, voir l’artiste chauffer sa voix ou être maquillé.

Les captations pour le cinéma sont un excellent moyen d’atteindre un public le plus large, mais je regrette toujours un peu qu’à l’entracte, à peine les artistes sortis de scène, on les interroge sur leur prestation, sur leur préparation, sur leur agenda futur, la plupart du temps, reconnaissons-le, avec des échanges d’un intérêt limité.

Je considère qu’un spectacle réussi se suffit à lui-même, et qu’il n’a nul besoin de s’appuyer sur des explications, pire, sur des justifications.

Doit demeurer le mystère du spectacle éphémère.

Carmen - Saison 2016 / 2017, Opéra Bastille

Carmen - Saison 2016 / 2017, Opéra Bastille

Les particularités qui font que l'opéra coûte cher - 16:22

Deuxième étonnement, du fait même de cette débauche de moyens conventionnels, l’opéra coute cher, et cumule un nombre de difficultés extrêmement élevé pour qu’un théâtre parvienne à monter un spectacle sur scène.

C’est le cas à l’Opéra de Paris qui n’est pas le plus mal doté, même si l’autofinancement est maintenant supérieur à la subvention.

On imagine sans peine les difficultés souvent insurmontables de compagnies plus modestes, en particulier en région, les métiers sont multiples, il faut un orchestre, des chœurs – des opéras sans chœurs se comptent sur les doigts des deux mains –, il faut des équipes techniques, habilleurs, cintriers, machinistes, une centaine de métiers au total.

Il faut encore des semaines de répétitions, sept ou huit pour une nouvelle production, chaque soir un prototype.

A propos de ces sept à huit semaines de répétitions, il me vient un moment important pour moi lorsque je dirigeais le Théâtre des Bouffes du Nord avec Peter Brook ; Peter m’avait parlé de cette période des sept à huit semaines en me disant, vous voyez, c’est le moment le plus important, c’est le moment où vous devez être avec les artistes, vous devez créer des rapports humains,  et c’est ce moment-là qui reste. Et ce moment de répétition est encore plus important que la réussite elle-même du spectacle.

Exploiter un cinéma, ou un musée, présente aussi des difficultés, mais le spectacle vivant en concentre un très grand nombre, avec une pression et des enjeux particulièrement lourds.

Ces particularités sont inhérentes au genre même dès ses origines. A sa naissance, en Italie, l’opéra cherche à charmer, à enchanter, comme le décrit si bien Jean Starobinski.

Le poète Jean-Jacques Lefranc de Pompignan estimait en 1734 que le merveilleux est l’âme du spectacle lyrique, et l’encyclopédiste Louis de Jaucourt tente une définition dans le même sens : c’est le divin de l’épopée mis en spectacle. Le propre de ce spectacle est de tenir les esprits, les yeux, les oreilles dans un égal enchantement, résume Jean de La Bruyère en 1691.

Logiquement, produire un opéra a toujours été très cher. A l’époque baroque, ce sont les effets de lumière et la machinerie, au XIXe siècle, surtout avec le Grand Opéra de Meyerbeer, le nombre de figurants augmente, on va même chercher un spécialiste de patins à roulettes pour monter Le Prophète dans la salle Le Peletier.

On invente de nouveaux dispositifs d’éclairage, puis, au XXe siècle, c’est l’arrivée des décors en trois dimensions, qui supplantent les toiles peintes, et provoquent une inflation importante des coûts de production. Aujourd’hui, c’est la vidéo, les LED, etc.

L’économiste William Baumol a bien décrit en 1965 cette fatalité des coûts et cette absence de gains de productivité. Produire une Flûte Enchantée aujourd’hui ne coûte pas moins cher qu’à l’époque de Mozart, bien au contraire, alors que les prix des biens de consommation courante, pour ne prendre que cet exemple, s’est effondré. L’opéra coûte cher, et de fait est réservé à des structures faisant appel au soutien public, plus ou moins subventionné, plus ou moins directement, que ce soit par la subvention ou la dépense fiscale encourageant le mécénat.

Cela s’explique par le nombre d’artistes à rémunérer, à l’importance des décors et des costumes, par l’impossibilité de faire payer le prix de revient réel d’une place de spectacle.

A l’Opéra de Paris, s’il n’y avait aucune subvention de l’État,  le spectateur devrait payer sa place à peu près deux fois plus cher qu’aujourd’hui. Le prix moyen de la place d’opéra qui est environ de 100 euros devrait être supérieur à 200 euros, de 10 à 230 euros actuellement, les prix passeraient ainsi de 20 à 460 euros.

Ce coût du genre, très conséquent, est assimilé par le spectateur qui vient voir un spectacle complet et exceptionnel, et cela permet en large part de justifier des tarifs élevés.

Le rôle du metteur en scène dans la démarche créative - 21:30

Je note que le public confond d’ailleurs souvent décors et mise en scène, et que son appréciation se porte en réalité que sur les premiers.

Le metteur en scène est à la tête et au centre d’une équipe artistique, avec un dramaturge, un décorateur, un costumier et un éclairagiste. Tout part en principe de la vision du metteur en scène, de ce qu’il souhaite transmettre au public. Le dramaturge l’aide à formaliser cette vision que le décorateur, le costumier et l’éclairagiste vont concrétiser et mettre en œuvre.

Après avoir travaillé en Espagne, en Italie, en Autriche et bien sûr en France, je suis frappé par les différentes approches entre les latins et les anglo-saxons.

Dans les pays du sud, la démarche créative qui consiste à monter un opéra part d’une approche esthétique et de la recherche de la beauté, c’est le beau qui guide la compréhension de l’œuvre.

Dans les pays anglo-saxons, et plus particulièrement germaniques, c’est le concept de l’œuvre qui conduit à l’esthétique qui est soumise pour ainsi dire au sens. L’esthétique devient alors secondaire et déconcerte encore d’avantage.

Deux exemples me viennent à l’esprit : Giorgio Strehler, pour lequel j’ai une grande admiration, nous a légué quelques productions mythiques. Son Simon Boccanegra est resté dans les mémoires en particulier pour son utilisation de la mer, des voiles et des lumières, et il est difficile de proposer un décor aussi beau et juste. La dramaturgie qu’il a imaginé, son travail de direction d’acteur, s’inscriront dans cette esthétique.

A l’inverse, Claus Guth a bâti son Rigoletto autour d’une idée de Flash-Back et de souvenir du père déchu quant à l’éducation de sa fille. Il a déduit de cette déchéance l’esthétique d’une boite en carton que le clown, fidèle à Victor Hugo, ouvre au début du prélude. La vidéo lui a aussi permis de montrer Gilda depuis son enfance.

Il s’agit bien là d’un concept qui sous-tend toute sa dramaturgie, et cette boite en carton qui représentait le décor, toute simple, a déconcerté le public.

A contrario, ce même public aurait été davantage rassuré par une proposition moins radicale.
Anne Teresa de Keersmaeker, avec Cosi fan tutte, est allée encore plus loin dans la réinvention de la mise en scène. Chaque personnage est joué par deux interprètes, un chanteur et un danseur. Il y a le paraître, ce qui est dit, et l’être qui est la musique et le décor.

On est au cœur du processus de création et, tels les mouvements de l’âme, la musique jaillie.

Cette production, présentée il y a quelques mois au Palais Garnier, était dirigée par Philippe Jordan.

Cosi fan tutte - Saison 2017 / 2018, Palais Garnier

Cosi fan tutte - Saison 2017 / 2018, Palais Garnier

La question des surtitres dans le rapport à la musique et à la mise en scène - 28:29

La relation du public avec la mise en scène a beaucoup évolué depuis plusieurs années, en particulier du fait du développement des surtitres dans les théâtres à propos desquels je voudrais partager mes doutes.

Auparavant, le spectateur regardait et écoutait. Maintenant, il lit également.

Cela pose un problème physique, je dirais presque neurologique, l’opéra exige déjà beaucoup du spectateur, plus que le ballet où il n’y a pas de texte, et plus que le théâtre où il n’y a pas de musique, et voilà que l’on ajoute une sollicitation de plus, puis une supplémentaire avec la vidéo qui se différencie encore de ce qui se déroule sur le plateau.

En un sens, la compréhension du texte est un plus, naturellement, et le jeu des chanteurs sera d’autant plus suivi et apprécié que l’on comprendra les mots prononcés.

A l’inverse, on peut estimer que l’attention du public et sa concentration sur la musique seront détournés par l’écran de sur-titrage sur un axe éloigné de la scène.

Pour forcer le trait, je dirais que par le passé le spectateur préparait d’avantage sa venue dans le théâtre, par une écoute de l’œuvre, la lecture du livret ou au moins d’une analyse.

Le fameux Tout l’Opéra de Gustave Kobbé, pourtant bien incomplet, a formé depuis le début du XXe siècle des générations de spectateurs.

Aujourd’hui, une logique plus consommatrice s’est imposée.

Il faut aussi avouer que bien souvent les livrets ne sont pas d’une qualité poétique extraordinaire, et que suivre mot à mot les échanges de Tosca et Cavaradossi du premier acte de l’opéra de Puccini n’ajoute fondamentalement ni à l’intérêt ni au plaisir.

Avec Patrice Chéreau nous avions trouvé une solution de compromis qui consistait, pour éviter que le regard ne s’évade trop de la scène, à placer les surtitres dans les décors, c'est-à-dire à la hauteur des yeux des spectateurs.

Mais je reste convaincu, comme ce grand metteur en scène, qu’une mise en scène réussie se passe de commentaires, d’intermédiaire, de vecteur, quelle que soit la langue du livret, même si l’on n’en comprend pas chaque mot.

En témoigne l’un des plus beaux spectacles du Palais Garnier donné au cours de ces 30 ou 40 dernières années, l’Orphée et Eurydice de Pina Bausch, une des exigences de la chorégraphe étant qu’aucune de ses œuvres ne soit jamais sur-titrée.

La difficulté à atteindre la perfection en une seule soirée - 31:27

Un troisième étonnement me semble devoir être mentionné ; il vient qu’avec cette somme de contraintes invraisemblables on est presque certain de ne jamais réussir le spectacle.

Car il faut que tous ensemble, au même moment, le chef d’orchestre, les musiciens, les artistes des chœurs, les solistes également acteurs, les équipes techniques à la machinerie ou à la lumière principalement s’approchent d’une forme de perfection.

Moi qui ai commencé ma carrière dans le monde du théâtre, je dois avouer que réussir un spectacle d’opéra est beaucoup plus difficile que réussir une soirée théâtrale ; les paramètres sont très nombreux et les facteurs de problèmes sont innombrables, surtout en tenant compte du tempo et de la partition qui n’attendent pas.

Le problème est que cette perfection est rare, il faut bien le reconnaître, rare pour les artistes - la mezzo-soprano Christa Ludwig affirmait qu’elle n’avait vécu une soirée parfaite que trois ou quatre fois dans toute sa carrière -, rare pour les spectateurs aussi, même si pour la plupart d’entre eux les problèmes techniques, les mille petites difficultés surmontées au cours d’une soirée, passent inaperçus.

Orphée et Eurydice - Saison 2013 / 2014, Palais Garnier

Orphée et Eurydice - Saison 2013 / 2014, Palais Garnier

La tentation d'un regard sur le passé qui ignore le monde contemporain - 32:47

Dernier étonnement, alors que le public est toujours attentif aux nouveautés, l’opéra court le risque, surtout depuis le XXe siècle, de regarder pour l’essentiel vers le passé.

Prenons les compositeurs les plus joués sur les scènes d’opéras, Verdi, Mozart, Puccini, Rossini, Donizetti, Wagner, Bizet, Johan Strauss, Tchaïkovski, et le seul compositeur vivant, Philip Glass, né en 1937, parvient à se glisser parmi les cinquante compositeurs les plus joués.

Côté titres, La Traviata, La Flûte Enchantée, Carmen, La Bohème trustent les premières places.

Certes ces données peuvent varier selon les pays et les époques, Janacek est plus donné au Royaume-Uni qu’en France, les opéras de Franz Schreker tels Die Gezeichneten (Les Stigmatisés) ou Der ferne Klang (Le Son lointain) sont largement inconnus ici et sont très représentés en Allemagne.

Quant à la mode, elle peut contribuer à la reprise de certains titres, les directeurs d’opéras n’hésitant pas à se copier les uns les autres.

Les coproductions internationales, qui voient les théâtres accueillir à tour de rôle le même spectacle, participent de cette homogénéisation regrettable à plusieurs égards, mais souvent indispensable pour des raisons économiques.

Le patrimoine du répertoire pèse lourd, plus lourd me semble-t-il que dans le domaine des arts créatifs et visuels où les musées d’art du XXe siècle et contemporains se sont multipliés.

Rien de tel en matière d’opéra où, au contraire, les grandes redécouvertes esthétiques des cinquante dernières années ont plutôt consisté à remettre au goût du jour le baroque ou même la Rossini Renaissance dans les années 1980.

Comme l’a si bien dit Gustav Mahler, le problème avec l’opéra est que la tradition ressemble plus à l’adoration des cendres qu’à l’entretien du feu sacré.

La frilosité face aux créations contemporaines - 35:03

La création dans le domaine de l’opéra est un vaste sujet. Les opéras de la seconde partie du XXe siècle et à fortiori ceux d’aujourd’hui ont plus de difficultés à trouver leur public et surtout à rester au répertoire lorsqu’il s’agit de création.

Une fois créé, un opéra a du mal à être repris, cela pose sans doute la question de la frilosité des théâtres bien d’avantage que celle des spectateurs qui démontrent un intérêt pour les créations.

Ce poids du répertoire passé dans le domaine de l’opéra est une des particularités du monde contemporain. Pendant tout le XIXe siècle, les créations sont prédominantes et les reprises des plus grands succès minoritaires. Cette inversion des proportions est tout à fait frappante.

De nos jours, la création dans le domaine lyrique, comme plus largement dans le domaine musical, pose il est vrai de sérieuses difficultés.

En peinture, l’abstraction a été admise dans le courant du XXe siècle, elle est pour une large part plus facile à accepter qu’en matière musicale. Il y a dans la peinture, ou la sculpture non figurative, une matérialité en deux ou trois dimensions, une immédiateté de perception.

La musique sollicite d’autres sens et d’abord l’ouïe, plus théorique, plus abstraite, et l’auditeur spectateur perd ses repères harmoniques, et il a du mal à admettre d’autres échelles de son.

A l’écoute d’une partition de Karlheinz Stockhausen, l’auditeur peut accepter de se livrer à des impressions, mais il doit renoncer au plaisir plus immédiat de l’appréciation d’une phrase et encore plus d’une mélodie.

Tout cela explique une partie de la frilosité face aux créations lyriques dans le monde d’aujourd’hui. Fi Nixon in China de John Adams, Quartett de Luca Francesconi ou encore Les Trois sœurs de Péter Eötvös sont entrés au répertoire des opéras du monde, il ne s’agit malheureusement que de très peu d’exceptions.

L’opéra devrait donc avoir disparu depuis longtemps.

La diversité de l'opéra et de son public comme explication de sa survivance - 37:20

Et pourtant ça marche!

Il faut en premier lieu mesurer qu’il est abusif de parler d’opéra comme un genre unique ; l’opéra n’est pas une réalité unitaire. L’opéra est un genre varié presque autant que la littérature, la peinture ou le cinéma, au sein de la musique qui en elle-même pose question de ce point de vue ; l’opéra n’est pas un genre uniforme.

Quel rapport entre le Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, l’opéra baroque et ses Aria da capo, Karlheinz Stockhausen, Giuseppe Verdi, Giacomo Meyerbeer, Philippe Manoury ou Thomas Adès ?

Cela fait partie sans doute des stéréotypes trop nombreux, qui circulent à propos de l’art lyrique, trop cher, toujours plein, nos théâtres accueilleraient des spectacles longs, difficiles à comprendre, mais de quoi parle-t-on ?

Si l’opéra existe encore et que les salles sont bien remplies, c’est bien heureusement parce que le public le plébiscite. A l’Opéra de Paris et depuis de nombreuses années, le taux de remplissage moyen est toujours supérieur à 90%. Certes cette moyenne cache des réalités variées, il est vrai que le Wozzeck d’Alban Berg remplit moins bien que La Traviata.

Mais quelques exemples récents comme Only the sound remains de Kaija Saariaho, le Lear d’ Aribert Reimann, ou la création de Trompe-La-Mort de Luca Francesconi atteignent des jauges élevées qui rendent optimistes pour le futur.

La réalité de l’offre lyrique est donc celle de la diversité.

La diversité c’est aussi celle du public. Je ne me lancerai pas dans une forme de typologie, à laquelle un sociologue Claudio Benzecry s’est livré de manière remarquable pour le public du Teatro Colon de Buenos Aires,  mais il est vrai que le fan de Belcanto n’a souvent pas grand-chose en commun avec l’amateur d’opéras du XXe siècle, que certains privilégient Verdi à tout autre compositeur, et que d’autres ne rateraient pour rien au monde un cycle complet de l’Anneau des Nibelungen de Richard Wagner.

Le plaisir particulier de l'opéra et sa secrète alchimie - 39:40

Une fois cette question de la diversité posée, l’opéra me semble présenter une caractéristique fondamentale qui explique sa survivance ou sa vivacité.

L’opéra est un genre qui donne un plaisir particulier, des émotions esthétiques fortes, du moins quand tout fonctionne bien, quand se réalise la secrète alchimie, des alliages heureux, selon l’expression de Francis Wolff.

L’opéra est le mariage de la musique, qui en soit peut donner un grand plaisir, avec d’autres formes artistiques, au point qu’il est difficile de faire la part des choses. On pourrait même ajouter le film, aujourd’hui, avec les vidéos de plus en plus présentes.

Cette alchimie intéresse beaucoup les philosophes, car elle est chimiquement passionnante.

Par cet adverbe, je veux dire que les images, les sons, celui des instruments de l’orchestre, celui des voix chorales ou des solistes chantant seul ou ensemble, le jeu des artistes, des décors, des costumes, des lumières, tout cela se mêle dans le cerveau du spectateur, jusqu’à rendre impossible l’analyse du détail.

Il faut de la part du spectateur une concentration certaine, de la volonté et de la tolérance, pour accepter l’ensemble de ces éléments sans chercher à les différencier, pour faire abstraction, ou même accepter les défauts qui peuvent survenir au cours de la représentation.

Certes, après une soirée réussie on aime détailler les différents facteurs de ce succès, l’orchestre et la lecture du chef, tel ou tel soliste, la puissance de telle scène.

Mais en réalité, l’émotion est d’autant plus forte que l’esprit critique et analytique est pour ainsi dire désarmé et désactivé.

On peut ressentir une émotion particulière à l’écoute de la 7eme symphonie de Beethoven, d’un quatuor de Chostakovitch, du fait que la musique elle-même ne verbalise rien mais sollicite notre imagination.

Grande salle du Palais Garnier

Grande salle du Palais Garnier

Le rapport du texte à la musique - 42:00

A l’opéra, l’émotion vient du mélange de la partition orchestrale et du texte chanté, qui d’une certaine manière contraint d’avantage l’imaginaire du spectateur, plus passif.

Le rapport du texte et de la musique (Melos) est un sujet inépuisable. A son origine, l’opéra veut renouer avec l’expressivité communicative des anciens, avec le spectacle des Grecs où la musique doit représenter et susciter certains états d’âme. La musique est alors une partie d’un art plus vaste fait de poésie et de danse.

Pour Platon, dans La République, la musique est faite de trois éléments, l’harmonie, le rythme et les paroles, et cela donne la force de l’expression.

Cette volonté d’établir un lien entre le texte et la musique est à l’origine de l’opéra, du Recitar cantando. Et dans la préface de son cinquième livre de madrigaux, Monteverdi s’inscrit dans cette lignée de Platon et d’Aristote pour subordonner la forme à l’expression. Le texte doit être le maitre de la musique et non son serviteur.

Monteverdi était étonnamment moderne, on le voit.

Du fait, de nombreux artistes lyriques le soulignent, pour bien chanter ils doivent dire le texte, le porter, le faire comprendre.

Mieux, leur chant est modifié par la parole. C’est vrai pour le lied, la mélodie qui reposent sur la poésie et donc sur les mots, mais c’est vrai également pour l’opéra.

Le travail réalisé en répétition par les solistes, le chef d’orchestre, le metteur en scène, est la clé d’un spectacle réussi. Les plus grands artistes, chefs d’orchestre et metteurs en scène notamment, le savent, et passent énormément de temps avec les artistes, et certains consacrent plusieurs jours à lire le livret avec les solistes sans qu’ils ne chantent une note.

Je me souviens, lorsque nous avions présenté Wozzeck avec Daniel Barenboim et Patrice Chéreau au Théâtre du Châtelet, Patrice est resté une petite semaine avec les chanteurs, autour de la table, à lire le texte, approfondir les personnages, et je dois vous avouer que certains chanteurs sont venus dans mon bureau et m’ont dit ‘Mais on ne chante pas ! il faut que vous lui demandiez que l’on chante !’. En réalité, ce travail qu’il a fait avec ces chanteurs est bien sûr une des clés de la réussite de cette magnifique production.

De la fin du XVIIIe siècle, l’opéra a évolué vers la mélodie avec un poids moins important pour le texte, et on peut même dire que de grands librettistes tels Felice Romani, Eugène Scribe n’étaient pas des génies de la poésie mais plutôt des littérateurs au kilomètre, ce qui a sa noblesse.

Mais dans une certaine mesure la musique instrumentale a suivi la même voie, déconnectée de tout texte, en particulier de tout texte religieux, elle met en avant la composition elle-même, une forme de musique pure. Cette évolution-là n’a pas lieu d’être regrettée, me semble-t-il, elle est aussi à l’origine du plaisir d’une large partie du public.

Ceux qui aiment le plaisir sonore, le belcanto, comme Saint Preux qui décrit à Julie le plaisir de la musique italienne, de la mélodie, de la sensation voluptueuse, ce que j’appelle moi la jubilation vocale, si certains évoquent volontiers cet âge d’or  de l’opéra, force est de constater qu’il s’agit plutôt d’une parenthèse, car dès la fin du XIXe siècle, l’art lyrique évolue vers plus de théâtre avant l’abandon pur et simple des grands arias.

La diversité des plaisirs dans l'opéra - 46:00

Alors pourquoi choisir ?

Rousseau dans son Dictionnaire de la Musique donne sa propre définition de l’opéra qui est holistique. Les parties constitutives d’un opéra sont le poème, la musique et la décoration.

Par la poésie on parle à l’esprit, par la musique à l’oreille, par la peinture aux yeux. Et le tout doit se réunir pour émouvoir le cœur et porter à la fois la même expression par divers organes.

Alors, la question que Richard Strauss pose dans Capriccio, dans la prééminence de la musique ou du texte - Musik nur als Vorwand!, dit Flamand à l’acte I - est largement théorique, et n’est là que pour faire disserter. Prima la musica, Poi le parole !, opéra composé par Salieri en 1786, passe à côté de la réalité de l’opéra.

Une soirée réussie est nécessairement une soirée où les deux se mêlent.

Vaut-il mieux une formidable partition avec un livret raté, ou un sujet puissant que le compositeur aurait maltraité, une mise en scène réussie avec des chanteurs médiocres, ou des artistes lyriques extraordinaires au service d’une dramaturgie bâclée ?

Chaque spectateur se pose la question, lorsque quelque chose n’a pas fonctionné pendant la soirée. Chacun apportera sa réponse, selon ses goûts, car la aussi la diversité est de mise.

De fait, l’opéra comme genre artistique donne des plaisirs de natures très différentes.

Il y a d’abord le plaisir d’une expérience physique, loin de tout esthétisme, à l’opéra on accepte de s’immerger dans une expérience, Tristan und Isolde, la Tétralogie de Richard Wagner sur quatre jours, Moise et Aaron d'Arnold Schönberg, où l’esprit doit accepter de se détacher de la phrase et de la mélodie pour s’immerger dans un bain sonore.

Mais Les Huguenots de Meyerbeer et Les Troyens de Berlioz sont aussi de longs voyages, et je ne suis pas loin de penser que la longueur, si elle rebute certains, est aussi un facteur d’explication de la satisfaction de ceux qui sont arrivés au bout.

Il y a ceux qui ont fait l’Everest, et ceux qui ont expérimenté Einstein on the Beach de Philip Glass sans sortir de la salle.

L’expérience ne vient pas de la durée d’ailleurs ; Elektra de Richard Strauss est un coup de poing dans le ventre en moins de deux heures, sans entracte. Donc si la soirée est réussie, les spectateurs sortent bouleversés. N’est-ce pas le plus extraordinaire de tous les opéras ?

Les chanteurs y participent pleinement, d’abord parce que leur moyen d’expression est physique, la voix et le timbre sont des phénomènes mesurables, qui provoquent une réaction dans les oreilles et le cerveau de leur auditoire.

Et lorsque l’on ajoute l’intensité d’un jeu d’acteurs puissant, l’effet est saisissant.

Moïse et Aaron - Saison 2015 / 2016, Opéra Bastille

Moïse et Aaron - Saison 2015 / 2016, Opéra Bastille

La diversité des publics selon les pays et l'ouverture à tout le répertoire - 49:13

L’opéra est divers, tel est le public.

Certains viennent pour le plaisir du chant et de la mélodie – ils se satisfont d’une belle version de concert, mais ce n’est pas de l’opéra au sens où je viens de le définir, mais de l’art lyrique -, d’autres recherchent la puissance théâtrale et se moquent de la note ratée, de la variation réussie, de la virtuosité. Tous participent au monde de l’opéra aujourd’hui.

Pour continuer à manier le paradoxe, j’oserais dire que la méconnaissance musicale d’une grande partie du public, l’ouverture d’esprit du néophyte peuvent être des atouts. Elle empêche d’être blasé, de passer sa soirée à analyser, à comparer, à critiquer dans tous les sens du terme.

La connaissance de la musique, et encore plus de la voix, joue trop souvent un rôle d’écran entre le spectateur et le spectacle, elle restreint la spontanéité de l’auditeur. 

La perfection vocale est rarissime, et il y a fort à parier que celui qui prête une attention excessive à la note ajoutée, à la variation réussie, à l’intonation à tel instant précis de la partition sera régulièrement déçu, voir frustré.

C’est du reste une des difficultés pour les directeurs de théâtres, comment fabriquer sa propre programmation, quels équilibres, quelles audaces ? Là encore, le paysage est diversifié car une maison d’opéra ne peut être l’égale d’un festival où la prise de risque peut être plus grande, les missions de ces deux types d’institutions sont d’ailleurs différentes.

Mais les différences sont très grandes aussi entre les maisons d’opéra, car le public présente des caractéristiques variées d’un pays à un autre, d’une ville à une autre.

Le public viennois n’a rien à voir avec le public parisien, pour ne prendre que cet exemple.

Le premier retourne volontiers voir le même opéra dans la même production avec ou sans la présence de grands noms du chant, le second aime davantage le spectacle, qu’il ne reviendra pas revoir même deux ou trois saisons plus tard.

Le prix du billet influe naturellement sur ces comportements, et les pays germaniques où les subventions représentent encore les 2/3 des ressources, et permettent donc des prix modérés, encouragent davantage les publics à venir régulièrement dans les théâtres.

Les traditions culturelles jouent enfin un rôle déterminant, notamment par rapport au répertoire. Il y a selon les pays un véritable attachement à certains compositeurs et à leurs œuvres : Verdi à la Scala de Milan, Mozart à Salzbourg, Britten, Haendel en Angleterre ont une place à part.

A Paris, il me semble que c’est le spectacle que l’on attend, donc avant tout le théâtre, sans considération particulière pour tel ou tel compositeur et pour sa nationalité.

Une des difficultés pour donner à l’Opéra de Paris une identité forte vient de là, d’un manque de repères musicaux en France, où nous avons toujours privilégié l’accueil de compositeurs étrangers sans montrer autant de considération pour les compositeurs français.

Hector Berlioz, l’un des plus grands compositeurs français, a été redécouvert au XXe siècle en Angleterre, et représenté principalement dans ce pays depuis. Peut-être sommes-nous, musicalement, les moins nationalistes des européens.

Une chose est certaine, les goûts du directeur ne doivent en aucun cas primer sur le projet et l’institution, qu’il faut se garder de ne programmer pour soi, même s’il faut reconnaître que lorsque l’on aime profondément une œuvre, le choix du metteur en scène et du chef est plus naturel.

Les échanges avec les équipes de productions, depuis la remise de maquettes jusqu’aux derniers réglages des lumières sont plus substantiels et plus enrichissants.

Car le directeur d’un opéra ne doit pas s’arrêter au choix des titres et des artistes, il doit les accompagner, valider leurs choix ou pas, échanger et les soutenir jusqu’à la première.

Il faut que l’opéra tienne compte de la diversité des attentes du public également respectables, il faut proposer du divertissement, l’Élixir d’amour, du Grand Opéra spectaculaire, Don Carlos dans sa version française, du mélodrame, Madame Butterfly,  du théâtre chanté, Wozzeck, de l’opéra russe, tchèque, anglais, à côté des grands titres du répertoire.

La diversité doit guider les choix de programmation d’une maison d’opéra, et il faut absolument se garder de tout dogmatisme et de tout systématisme qui exclut là où, au contraire, l’on doit ouvrir.

Dans les titres, comme dans le recrutement des équipes artistiques, la programmation doit parler au plus grand nombre. Cela ne signifie en aucun cas viser le plus petit dénominateur commun, l’eau tiède, le spectacle passe-partout vu aux quatre coins de la planète, mais aucune proposition, aucune audace, aucun genre ne doit par principe être exclue.

Cela vaut pour toutes les démarches artistiques les plus profondes, les plus intellectuelles même, qui mettent en relation les grandes œuvres et le monde d’aujourd’hui.

Mais j’insiste, les opéras dont l’objectif principal est de divertir et de donner du plaisir par la voix, la mélodie, le lyrisme ont toute leur place.

J’admets qu’il est difficile avec un livret comme celui de l’Élixir d’Amour de proposer une transposition audacieuse et pertinente, une mise en abîme complexe ou une démarche psychanalytique approfondie.

Grâce à cette diversité, il n’est pas interdit d’espérer qu’une partie du public fasse preuve de curiosité, dépasse les préjugés sur tel ou tel répertoire, et aille au-delà de ses préférences naturelles, pour découvrir des titres inconnus.

La relation d’un public avec un directeur de théâtre est une chose très particulière qui se construit dans la durée, je l’ai observé à chacun de mes différents postes. On se découvre, on apprend à se connaître, on s’affronte, on s’apprivoise.

Le risque de la routine existe aussi bien, et j’admire d’une certaine manière un Rudolf Bing qui est resté directeur du Metropolitan Opera de New-York pendant 22 ans ou, mieux encore, un Maurice Lehmann qui dirigea quelques années à l’Opéra de Paris et le Théâtre du Châtelet pendant 36 ans.

Wozzeck - Saison 2016 / 2017, Opéra Bastille

Wozzeck - Saison 2016 / 2017, Opéra Bastille

L'enjeu économique de l'opéra et son expansion dans le monde - 56:40

On estime environ à 23 000 représentations d’opéras données chaque saison dans le monde entier, ce qui fait tout de même, en excluant les intersaisons, près de 100 représentations chaque soir. Chaque saison, l’Allemagne donne 7 000 représentations, les États-Unis 1 700, la Russie 1 500, l’Italie 1 400, l’Autriche 1 200 et la France un peu plus d’un millier dont près de 200 à l’Opéra de Paris.

L’enjeu économique est bien évidemment important, les 14 plus grandes maisons d’opéras du monde cumulent un budget de 1 milliard et 200 millions d’euros.

La Scala de Milan et quelques autres institutions ont réalisé des études qui montrent que chaque euro investi dans le fonctionnement d’une maison d’opéra en rapporte 3 ou 4 fois plus, grâce aux dépenses connexes, nuits d’hôtels, restaurants, etc.

Ces résultats sont saisissants et je regrette qu’ils soient peu pris en compte par les décideurs politiques, quelles que soient les majorités, qui ne voient le spectacle vivant souvent que comme un poste de dépense, et jamais comme un investissement économique donc, mais surtout social.

Au début du XIXe siècle, les titres et les nouveautés s’enchainaient sur les scènes plus ou moins importantes, circulaient de manière incroyable à travers les continents, jusqu’à New-York ou Mexico.

Aller au spectacle était pour la noblesse d’abord et la bourgeoise, à partir de la Monarchie de juillet, et plus encore du Second Empire, l’activité sociale et mondaine principale.

Aujourd’hui, si la situation a très profondément changé, l’art lyrique, certes majoritairement subventionné, représente un enjeu économique réel.

Je suis frappé de voir qu’un véritable besoin d’opéra s’exprime du reste dans le monde entier, bien au-delà de notre Vielle Europe ou du continent nord-américain, et cela signifie quelque chose pour répondre à notre question « Pourquoi l’opéra aujourd’hui ? ».

Les théâtres lyriques ont ouvert en grands nombres ces dernières années, en Chine, notamment à Pékin, Harbin et Shanghai, à Taïwan, en Algérie, au Maroc, dans les pays du Golfe, Oman et Qatar, au Kazakhstan, en Arabie Saoudite et bientôt en Égypte.

Si le Palais Garnier était emblématique de l’aura parisienne à l'heure du second Empire et de l’Exposition universelle, c’est maintenant dans ces pays que ces moyens sont mis sur la table pour créer des opéras.

La raison de cet engouement n’est pas parfaitement évidente, l’intérêt pour l’opéra, notamment en Asie, n’est pas tout à fait nouveau puisque la Scala de Milan a organisé des tournées devenues mythiques, dès les années 50 au Japon, et des villes comme Almaty ou Hanoï ont des théâtres à l’italienne construits il y a d’ailleurs plusieurs décennies, où l’on peut entendre depuis fort longtemps Le barbier de Séville ou Carmen dans la langue locale.

Doit-on voir dans cet intérêt renforcé depuis quelques années une forme d’impérialisme culturel qui reviendrait à exporter nos titres, nos productions et parfois nos chanteurs ?

Un intérêt de ces pays jeunes, et en croissance, pour le dialogue des cultures, un investissement d’avenir dans d’autres formes de tourisme et de développement dont Abu Dhabi serait le fer de lance, la question reste mystérieuse pour moi, même si ce dynamisme est évidemment un élément réjouissant, on le voit pour un art moribond, ou qui devrait être moribond, l’opéra se porte plutôt bien.

Le Barbier de Séville - Saison 2014 / 2015, Opéra Bastille

Le Barbier de Séville - Saison 2014 / 2015, Opéra Bastille

Préférer l'expression à la virtuosité pour attirer de nouveaux spectateurs - 1:00:20

Alors quel avenir, et quel opéra pour demain ?

La question de l’avenir de l’opéra en recouvre en réalité quatre autres.  Quels spectateurs, quel public, quelle proposition artistique, et quel soutien de la puissance publique ?

Quels spectateurs ?

Si je pose la question c’est parce que je suis convaincu, que plus pour tout autre forme d’art, le spectateur, son identité, sa sociologie jouent un rôle majeur et ont responsabilité même dans la réponse que l’on peut formuler.

Comme le genre lui-même, le public, et je l’ai dit, est assez varié. Pour le cœur de notre public, le plus fidèle, les abonnés, les fans d’opéra, je dirais qu’il y a une caractéristique essentielle qui est à la fois un grand défaut et une grande qualité.

Quitte à vous choquer, je pense en effet que le spectateur d’opéra est en moyenne assez conservateur, tout en étant épris de nouveautés et de découvertes dans le même registre, c'est-à-dire, sans trop de surprises qui pourraient le faire sursauter, voir le choquer.

Le spectateur d’opéra compare les versions discographiques, celles qu’il a vu et entendu, et il recule jamais devant le fait d’assister à la vingt-cinquième représentation de son titre préféré, souvent, mais pas toujours, il regrette le passé qui était toujours mieux.

Au stade pathologique, les callasiens, par exemple, renoncent à se rendre au théâtre au prétexte qu’il n’est plus possible de chanter après la Divina Anna Bolena, la Sonnanbula, la Traviata, spécialement à Milan.

J’ai un jour qualifié ces spectateurs de spécialistes de la spécialité, mais il y en a pour tous les arts, il y en a pour certains sports, pour toutes les passions. Ces spectateurs sont minoritaires, mais peuvent contribuer à former l’opinion. Ils peuvent aussi déstabiliser une représentation, je pense en particulier aux partis-pris, et aux comportements de certains spectateurs, on les appelle les loggionisti à la Scala, car ils occupent les loggione, c'est-à-dire la partie la plus élevée de la salle qui, dans l’anonymat de la salle obscure, n’hésitent pas en huant à détruire le travail d’équipes artistiques et celui d’artistes lyriques.

Ce faisant, ils gâchent aussi le plaisir du reste du public, complexé, culpabilisé d’avoir apprécié, et qui au lieu d’applaudir se pose des questions, « ai-je mal compris quelque chose ? », « aurais-mieux fait de ne pas apprécier ? ». Siffler à l’opéra, au-delà des jugements moraux, la question est délicate.

Dès lors qu’une salle ne manifeste jamais par le silence sa désapprobation, je comprends, dans une certaine mesure, que certains ne s’en satisfassent pas et veuillent protester coûte que coûte y compris en hurlant. C’est une réalité humaine qu’il ne sert à rien de regretter.

Pour ces spécialistes, l’esprit de comparaison d’une version à l’autre, d’un spectacle à un autre, s’appuie sur le plaisir de réécouter, de retrouver ce que l’on connait, à l’identique, mais avec quelques altérations.

C’est à chaque fois la même partition, mais c’est toujours différent. Pour reprendre la formule de Bernard Sève, au devenir autre de la musique répond le devenir autre de l’auditeur et du spectateur qui s’enrichit, spectacle après spectacle.

Cette attitude peut parfois surprendre l’observateur, et je fais ici allusion autour du débat des interprétations philologiques de Verdi : on a d’un côté ceux qui souhaitent revenir à la partition expurgée de pratiques plus ou moins ancrées comme celle qui à ajoute, par exemple, un contre-ut à la fin de Di quella pira ! du Trovatore, de l’autre, on a ceux pour lesquels ces pratiques font partie des attentes et du plaisir du public, et probablement des artistes lyriques.

Mais je pose la question : qui s’intéresse au moyen d’attirer un nouveau public et de susciter son intérêt ?

Supprimer ou maintenir un contre-ut est-il un élément de réponse à la question « Pourquoi l’opéra aujourd’hui ? ».  Il me semble pour ma part que non.

J’ajoute qu’il faut toujours penser et décider en fonction de l’artiste.

Je voudrais prendre l’exemple du rondo final du Barbier de Séville que chante le comte Almaviva dans « Cessa di più resistere ». Ces quelques pages, extrêmement difficiles à chanter, ont été remises à l’ordre du jour, je m’en souviens bien au Châtelet, dans les années 1980 par le ténor américain Rockwell Blake. Faut-il donner cet air à tout prix, quitte à mettre l’artiste en danger ? Ou si le soliste ne peut assumer cette page, vaut-il mieux la couper ce qui déplait aux puristes, mais ne porte en réalité pas atteinte à l’œuvre ?

Boulez avait exprimé ces constations de façon imagée, en particulier à partir des amateurs de Meyerbeer ou de Rossini : « ce public fanatique m’évoque une espèce de bourgeoisie Louis-Philipparde qui se réfugie dans un magasin d’antiquité ».

Il est frappant de voir la proximité entre Boulez et Theodor Adorno qui, en 1955, écrivait déjà dans l’Opéra Bourgeois « la plupart du temps la scène d’opéra est comme un musée d’images et de gestes passés auquel se raccroche le besoin de regarder en arrière. C’est ce besoin qui caractérise ce genre de public d’opéra qui veut toujours entendre la même chose, qui subit l’inhabituel avec hostilité ou, pire encore, avec passivité et manque d’intérêt simplement parce que l’abonnement l’y condamne. ».

Bien évidemment je ne reprends pas à mon compte cette provocation, je suis convaincu que l’opéra dans sa diversité à sa place sur les scènes, y compris les compositeurs que Boulez cite, mais ce qui est vrai en revanche c’est qu’il faut absolument rompre avec la logique du magasin d’antiquités, qui n’intéresse pas grand monde, et convaincre avec un projet artistique ambitieux de l’abandonner.

Un autre trait saillant mérite d’être relevé ; le fan d’opéra aime la performance, il ne place pas le théâtre au même niveau que la musique, et redoutent les transpositions proposées par certains metteurs en scène.

Philippe Beaussant a écrit leur manifeste « La Mal-scène » qui dénonce le metteur en scène totalitaire.

Pourquoi cela ? Pourquoi cela ne se passe pas ainsi pour le théâtre dramatique où le public admet que des chefs-d’œuvre comme Bérénice ou Tartuffe soient présentés dans des versions transposées reliées à notre monde contemporain.

La question ne se pose même pas.

Mais, à l’opéra, j’allais presque dire « quoi que l’on fasse », une partie du public manifeste ; une production trop conventionnelle « aucune réflexion, aucune imagination !», une transposition audacieuse « scandale, sacrilège ! ».

La seule explication que j’ai trouvé jusqu’ici est que le public lyrique aime l’odeur du souffre, la cruauté, et c’est notamment le cas dans les opéras latins comme à Milan, le public aime que le prototype échoue, il aime que le chanteur fasse quelque chose d’exceptionnel, ajoute une note, invente une nouvelle variation, ou rate l’air tant attendu.

Le parallèle avec le cirque s’impose. On applaudit le trapéziste moins pour la performance elle-même, à laquelle on s’habitue, que pour le frisson qu’il nous a donné en risquant la chute, voir en tombant. La peur fait vibrer, et l’accident peut rendre le plaisir encore plus pervers, le contrat avec le spectateur est fondamentalement différent de celui qui existe au théâtre, car il y a cette performance, et cette performance je la rapproche, dans une certaine mesure, de la virtuosité.

Depuis l’opéra baroque, on s’interroge sur l’adoration que suscite le virtuose ; il y a eu Farinelli, Paganini, Liszt, dans le domaine de la musique instrumentale, ou les sopranos, Joan Sutherland, Natalie Dessay, Cecilia Bartoli. Le chanteur virtuose dénaturalise la voix qui parle, comme le note Francis Wolff, et on en revient au merveilleux, à l’éblouissant, à la jouissance, guerre musicale souvent, qui rapprochent l’art lyrique de prouesses gymnastiques.

Naturellement, les plus grands, dont ceux que j’ai cités, dépassent la virtuosité propre pour mettre la technique au service de l’expression et donc de la musique.

Rigoletto - Saison 2015 / 2016, Opéra Bastille

Rigoletto - Saison 2015 / 2016, Opéra Bastille

L'élargissement du public et la question du prix à payer - 1:09:50

Quel public pour demain ?

La question du public doit être distinguée de celle du spectateur, qui représente une caractéristique plus globale, par-delà les individus.

Le prix à payer constitue un premier point inévitable, la détermination des tarifs est stratégique dans la volonté d’élargir le public.

Les études démontrent qu’il y a une élasticité prix forte, dès que les prix augmentent l’opéra perd du public ou, du moins, a davantage de difficultés à remplir certains spectacles, et l’élasticité est asymétrique. En d’autres termes, on perd beaucoup plus vite de spectateurs lorsque l’on augmente les prix, qu’on ne les regagne en les baissant.

Quant à la cherté des places, nous nous heurtons à certains préjugés ; bien sûr le prix maximum est toujours trop élevé, 210 euros à Paris, 250 euros à la Scala, 300 au MET à New-York, 320 euros à Covent Garden.

Mais j’insiste sur la relativité de ces jugements, en particulier si l’on compare avec le prix des billets des stades de football ou avec ceux des concerts pop. Peu d’entre eux, qui regrettent les prix trop élevés de l’opéra, savent que sur le million de places proposées à la vente à l’Opéra de Paris, 40% sont vendues à un prix inférieur à 70 euros.

J’ai, dans chacun des théâtres où j’ai servi, mis en œuvre une politique artistique volontariste pour élargir le public, je n’ai donc pas supprimé des pans entiers du répertoire, mais recherché la diversité à travers une exigence théâtrale et musicale.

L’objectif n’a jamais été de remplacer un public par un autre, mais d’adresser des propositions à un public toujours plus large susceptible d’être intéressé.

Il s’agit ainsi moins de renouveler le public, ce qui laisse penser à une forme d’éviction, que de l’élargir. Je l’ai indiqué un peu plus tôt, chaque directeur de maison d’opéra se demande comment il va composer ses saisons et ce qu’il va proposer au public.

L'élargissement du public et la démarche artistique - 1:12:20

Outre la question du répertoire, la démarche artistique me semble fondamentale, pour élargir le public, pour créer de nouvelles œuvres, et aussi pour donner des titres du répertoire.

Alors, quelle proposition pour demain ? 

L’élément essentiel est de rompre avec toute logique muséale. Cela suppose de choisir des titres, avec des équipes artistiques susceptibles d’avoir un regard, d’apporter une vision, de toucher le public. Il est fondamental que les équipes artistiques, et surtout le metteur en scène, parlent au public d’aujourd’hui.

La Traviata, avec la question du conformisme social, Rigoletto, avec la question des rapports entre les hommes et les femmes, sont des questions d’aujourd’hui, pour ne prendre que ces deux exemples verdiens, alors, autant vous le confesser, les seules mises en espace traditionnelles, les mises en scène purement figuratives, malgré une débauche d’effets, de figurants, de décors sont guerre intéressantes, et je ne suis pas sûr non plus qu’elles aident à élargir le public.

Elles reproduisent, pour l’essentiel, une imagerie du passé, et ne montrent en rien comment les grands thèmes évoqués par les librettistes et les compositeurs sont susceptibles d’enrichir le spectateur.

Les transpositions contemporaines ou les mises en scène qui apportent un regard peuvent plaire, intéresser ou déplaire franchement, mais je crois qu’il est dans notre mission de montrer au public que ces œuvres nous parlent, plus d’un siècle après leur création.

Il est vrai que certains cherchent à prendre des libertés invraisemblables avec la partition et les livrets, et j’en ai fait l’expérience souvent dans ma carrière.

Dernièrement, pour préparer Les Huguenots, qui ouvrira la prochaine saison à l’opéra Bastille, j’ai été confronté à un metteur en scène qui voulait couper des passages entiers de la partition, inverser des scènes, pire encore, supprimer un des rôles essentiels, intervertir des parties chantées par des personnages, et bouleverser la partition au final. Nous avons décidé avec le chef d’orchestre de recruter un autre metteur en scène.

Les balcons de la grande salle de l'Opéra Bastille

Les balcons de la grande salle de l'Opéra Bastille

La répartition du lyrique et du chorégraphique entre Bastille et Garnier - 1:14:37

A l’Opéra de Paris, nous avons la chance de disposer de deux théâtres extrêmement différents, qui permettent au directeur de choisir le meilleur écrin pour les œuvres programmées ; la question de la décoration de la salle est un premier facteur.

Au Palais Garnier et à l’opéra Bastille, l’architecture, les volumes, les couleurs de la salle ne sont pas étrangers à la manière avec laquelle le public reçoit le spectacle.

Si en 1875 les journaliste présents lors de l’inauguration avaient critiqué la taille impressionnante du Palais Garnier, en 1989, le curseur s’est déplacé vers le gigantesque vaisseau Bastille encore plus grand. Une répartition hermétique des deux salles entre le lyrique et la danse ne peut légitimement s’ancrer.

Ces architectures résonnent avec des époques, des répertoires, des genres propres au lyrique ou chorégraphique. Le répertoire lyrique continue d’avoir besoin du Palais Garnier, tandis que l’art chorégraphique trouve sur la scène de l’opéra Bastille de nouvelles potentialités, et un public plus large, plus familial, notamment pour le grand ballet classique.

En choisissant de programmer une trilogie Mozart-da Ponte au Palais Garnier, j’ai tenu à sertir les opéras de Mozart dans un cadre acoustique et spatial qui leur conviennent parfaitement, ou en demandant à un metteur en scène de réinscrire La Traviata dans les murs conçus par Charles Garnier, j’ai fait primer un choix artistique; rendre au chef-d’œuvre de Verdi l’intimité de son propos permettra au public de partager la mélancolie de Violetta et la petitesse des sentiments qui l’étouffent.

J’ajoute qu’au Palais Garnier et à Bastille ne se jouent pas les mêmes réflexes culturels, ce qui permet là encore d’élargir la proposition du public. L’opéra Bastille, imaginé et vendu comme un opéra populaire, a formidablement assumé ce rôle en multipliant le nombre de places chaque saison, et en encourageant un public néophyte à oser franchir les portes du Palais Garnier quelques stations plus loin sur la ligne n°8 du métro.

Et la 3e scène, plateforme digitale de création que nous avons initiée en 2015, est un tremplin supplémentaire vers l’une comme vers l’autre.

Face aux enjeux de l‘opéra de demain, Paris et la France ont la très grande chance de disposer d’un tel instrument de création au service de l’art lyrique.

La volonté de la puissance publique de soutenir un service public - 1:17:15

Reste une dernière question fondamentale elle aussi : la puissance publique, en Europe et en France, veut-elle vraiment un opéra pour demain ?

Si l’on est convaincu que l’opéra a un avenir et un public, pour peu que l’on sent donne les moyens dans les choix artistiques, subsiste la question la plus lourde de conséquence, en Europe et tout particulièrement en France.

Est-on certain que l’État veut et va continuer à vouloir subventionner les maisons d’opéra ? On a compris que la réponse à cette question est déterminante.

Aucune entreprise, aucun capital ne viendra s’investir dans une activité structurellement déficitaire et in-susceptible de devenir rentable.

Pour que l’opéra existe dans quelques années, la puissance publique doit admettre qu’il s'agit encore d'un service public, et qu'il ne peut s'agir que d'un service public.

Snegourotchka (La Fille de neige) - Saison 2016 / 2017, Opéra Bastille

Snegourotchka (La Fille de neige) - Saison 2016 / 2017, Opéra Bastille

Pour conclure - 1:18:24

Il me faut conclure.

Par ces propos, j’ai voulu partager une conviction, celle que l’opéra a un avenir, en France, en Europe, et peut-être surtout ailleurs dans le monde, comme de nombreux exemples le montrent à Shanghai ou au Caire.

Pour que l’avenir de l’opéra soit à la hauteur de son histoire, de ses traditions, et surtout pour qu’il relève les quelques défis que j’ai décrit, il faut que les institutions, même les plus anciennes, adoptent une attitude d’ouverture résolue et de modernité. Il faut que tout soit mis en œuvre pour que les plus jeunes bénéficient d’une éducation musicale, et pour faciliter l’accès à ces maisons souvent encore trop intimidantes.

Il faut encore que les équipes artistiques tournent le dos à une logique purement patrimoniale et visent l’excellence, l’innovation, la pertinence et qu’elle refuse toute frilosité.

J’ai donc choisi pour terminer cette intervention un extrait de La Fille de Neige de Rimski-Korsakov, mis en scène par Dmitri Tcherniakov, et dirigé par Mikhail Tatarnikov à l’opéra Bastille.

Cette production incarne à mes yeux ce que l’opéra peut offrir de plus beau au public, la découverte d’une œuvre transposée avec fidélité, pertinence et poésie, par un metteur en scène d’aujourd’hui, et servie par des musiciens d’exception.

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Publié le 10 Mai 2017

Dans le prolongement de l’article sur l’importance et la popularité de l’opéra dans le monde, et afin de rendre plus impressif la réalité de la diffusion de l’art lyrique, le présent article classe sous forme de carte les villes par nombre de représentations d’opéras qui y sont jouées chaque année. La taille des symboles et leur couleur donne ainsi bonne indication de la fréquence des spectacles. Toutefois, la jauge des théâtres n’est pas prise en compte.

Ces données ont été compilées à partir des informations du site Operabase sur la période 2011-2016 (5 saisons), et deux cartes principales sont comparées à la même échelle, l’Europe incluant la Russie européenne, et l’Amérique du nord.

L'art lyrique en Europe et en Amérique du nord

L'art lyrique en Europe et en Amérique du nord

Cette cartographie met en évidence la prépondérance de l’opéra dans les pays germaniques et de l’Italie du nord. Son rayonnement donne l'impression de se diffuser à un millier de kilomètres autour d’un épicentre situé en Bavière, près de Bayreuth.

C’est toute l’Europe centrale qui est irradiée par les théâtres lyriques.

Car bien qu’apparu en Italie, l’Opéra s’est vite diffusé dans les capitales européennes, et l’axe nord-sud du Rhin qui relie l’Allemagne du nord à la péninsule italienne est parfaitement identifiable.

On peut ainsi contempler cette carte en remarquant les pays qui concentrent la majorité de la vie lyrique dans leur propre capitale.

Détail de la cartographie sur l'Europe centrale

Détail de la cartographie sur l'Europe centrale

C’est le cas de tous les pays de moins de 25 millions d’habitants, à part la Suisse et la Belgique.
En effet, Vienne, Prague, Budapest, Bratislava, Minsk, Oslo, Stockholm, Copenhague, Amsterdam, Sydney accumulent de 40 à 60% des représentations données dans leur pays.

Dans les pays de plus de 40 millions d’habitants – hors Allemagne et Italie -, Russie, Angleterre, France, Etats-Unis, Espagne, Pologne et Ukraine concentrent dans leur capitale environ 30% des représentations nationales.

En revanche, moins de 10% des représentations nationales sont données à Berlin, Venise et Milan, car le réseau de grandes villes est plus dense dans leurs pays respectifs.

Mais en Allemagne, 60 villes affichent plus de 50 représentations par an (contre 2 seulement en Angleterre et en France).

Enfin, la Suisse suit le modèle de l’Allemagne : Zurich, Basel, St Gallen, Luzern, Bern et Genève affichent plus de 50 représentations par an.

Vienne, Berlin et Moscou constituent le haut du palmarès et comptent chacune plus de 450 représentations par an.

Puis suivent Londres, St-Petersbourg, Prague, Paris, Budapest, New-York et Hambourg avec plus de 300 représentations par an tous théâtres confondus.

Hors continent européen, l'art lyrique subsiste en Australie (Sydney, Melbourne principalement) et en Amérique du Nord, à travers un très fin réseau de villes fortement distantes.

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Publié le 2 Janvier 2017

L'article qui suit (initié en janvier 2017) est une proposition ludique qui met en avant cinquante ouvrages lyriques absents de la programmation de l'Opéra National de Paris, soit depuis sa création, soit depuis au moins cinquante ans.

La sélection proposée est totalement subjective et prend en compte les sources littéraires, les qualités orchestrales ou la valeur historique des ouvrages dans l'histoire de l'institution, tout en ne proposant pas plus de deux œuvres d'après le même compositeur.

Sont également prises en considération les proportions de programmation de l'institution, qui limite à 20% la présence du répertoire baroque et classique, mais j'insiste ici un peu plus sur le répertoire du XXe et XXIe siècle qui représente plus de 35% des ouvrages parmi les propositions qui suivent. La part des opéras slaves et anglo-saxons est par ailleurs bien supérieure aux habitudes de la maison, dont la moitié des œuvres concerne habituellement le répertoire italien.

Cet article est donc avant tout un prétexte pour rappeler l'existence, ou bien découvrir, des œuvres parfois oubliées. Certaines n'ont pas eu de succès à cause des incohérences de leur livret, malgré une musique raffinée, mais l'apparition de metteurs en scène de théâtre dans l'univers lyrique, depuis quelques décennies, peut tout à fait être la solution pour les rétablir sur scène.

L'article est mis à jour au cours du déroulement des saisons de l'Opéra de Paris. Ainsi, depuis 2017, 'Prince Igor' d' Alexandre Borodine,  'Œdipe' de George Enescu, 'Hamlet' d'Ambroise Thomas et 'Castor et Pollux' de Jean-Philippe Rameau ont connu une nouvelle production, respectivement en 2019, 2021, 2023 et 2025, et sont donc retirés des suggestions au profit de quatre autres ouvrages.

50 Opéras du XVIIe au XXIe siècle à programmer à l'Opéra de Paris

L’Opéra à Venise

Il Ritorno d'Ulisse in patria Claudio Monteverdi (1641)
Œuvre baroque écrite pour les théâtres publics de Venise quand Monteverdi avait plus de soixante-dix ans, à l’instar de l’Incoronazione di Poppea, Il Ritorno d'Ulisse in patria emprunte un sujet à la Grèce classique (L’Odyssée d’Homère). Les récitatifs expressifs mettent le drame au premier plan.

50 Opéras du XVIIe au XXIe siècle à programmer à l'Opéra de Paris

L’Opéra en France et en Angleterre avant la Révolution

Armide Jean-Baptiste Lully (1686)
Armide, d’après La Jérusalem délivrée (1581) du Tasse, est le dernier opéra de Lully. Le récitatif est la pierre angulaire de ses tragédies, mais la danse se voit accorder une place qui va conditionner l’évolution de l’opéra français. Les chœurs jouent également un rôle considérable, et la structure décorative de l’orchestre sera imitée, plus tard, par Haendel, Rameau, Gluck et Mozart.

Rinaldo Georg Friedrich Haendel (1711)
Jusqu’à la création de Rinaldo, les londoniens n’avaient guère eu l’occasion d’entendre des opéras entièrement chantés en italien. Inspirée d’un épisode de La Jérusalem délivrée (1581), l’œuvre réutilise plusieurs éléments des compositions antérieures de Haendel.

Jephté Michel Pignolet de Montéclair (1732)
Jephté est le premier opéra biblique français entré au répertoire de l'Académie Royale de Musique. Il y fut joué plus d'une centaine de fois jusqu'au déclin de la monarchie. Et c'est subjugué à l'écoute de cet ouvrage unique que Jean-Philippe Rameau se mis à la composition de son premier opéra : Hippolyte et Aricie.

Scylla et Glaucus Jean-Marie Leclair (1746)
L'unique tragédie du violoniste Jean-Marie Leclair connut 17 représentations à l'Académie Royale de Musique en 1746, puis disparut injustement de l'affiche. La virtuosité de son écriture et l'élégance de son orchestration rapprochent cet ouvrage des tragédies de Rameau, d'autant plus que son dénouement est particulièrement malheureux.

Les Fêtes de l'hymen et de l'amour, ou les Dieux d’Egypte Jean-Philippe Rameau (1747)
Créé le 15 mars 1747 dans le Manège de la Grande Écurie de Versailles, cet opéra-ballet héroïque connut plus de 150 représentations au fil des reprises jusqu’en 1776. Jean-Philippe Rameau, continuateur le plus brillant de Lully, enrichit l’orchestre de couleurs et d’alliages fastueux et novateurs pour l’époque.

L’Opéra séria. L’Opéra de cour

Mithridate, re di Ponto Wolfgang Amadé Mozart (1770)

Sur un livret inspiré d’une traduction italienne du Mithridate de Jean Racine, Mozart, âgé de seulement quatorze ans, composa pour le Teatro Regio Ducal (la future Scala de Milan) un opéra séria qui remportera un succès retentissant. Cet opéra de jeunesse, redécouvert en 1971 au Festival de Salzbourg, est de retour sur de grandes scènes (Londres, Munich, Zurich) dans des mises en scènes inventives, mais n’a été accueilli à Paris qu’au Théâtre des Champs-Élysées.

Lucio Silla Wolfgang Amadé Mozart (1772)
A la suite du succès de Mithridate, Milan passa commande à Mozart d’un nouvel opéra. Ce sera Lucio Silla, du nom du dictateur romain contemporain de Mithridate VII. L’œuvre témoignait de la maturité musicale de l’adolescent et préparait ses futurs grands chefs-d’œuvre tels Idomeneo ou La Clémence de Titus.

Iphigénie en Aulide Christoph Willibald Gluck (1774)

Premier de ses opéras parisiens, le sujet d’Iphigénie en Aulide emprunte à Racine et Homère (L’Iliade), et poursuit l’investissement délibéré de Gluck dans le développement du drame lyrique. A sa création, l’œuvre remporta un succès triomphal à la salle des Tuileries de l’Académie Royale de Musique. Le final était heureux, et Diane finissait par sauver et permettre l’union d’Achille et Iphigénie (final révisé de 1775).  Cette version se maintint au répertoire parisien jusqu’en 1824.

Plus tard, en 1847, Richard Wagner signa une version remaniée qui revint à Euripide avec un final qui voyait Diane emporter Iphigénie sur l’ile de Tauride. Version plus amère, elle permet un enchaînement naturel vers une autre œuvre tragique de Gluck, Iphigénie en Tauride (1779) qui, elle, est toujours au répertoire de l’Opéra de Paris dans une mise en scène de Krzyzstof Warlikowski.

Armide Christoph Willibald Gluck (1777)
Reprenant le même livret de Philippe Quinault que Lully avait utilisé pour son Armide (1686), l’Armide de Gluck devint un opéra-spectacle qui donna à l’orchestre un pouvoir émotionnel fascinant là où l’œuvre du compositeur baroque confiait ce rôle aux voix seules.
Armide a disparu du répertoire parisien à la veille de la Grande Guerre, en 1913.

L’Opéra post-révolutionnaire en France, en Italie et en Allemagne

Lodoiska Luigi Cherubini (1791)
Cet ouvrage mélodramatique situé en Pologne, près de la frontière russe, s’achève par un dénouement wagnérien, mais présente, tout au long de son développement, nombre d’analogies avec Mozart, inconnu à Paris, à cette époque, où Cherubini réside. 
L’invention musicale et les qualités dramaturgiques de la pièce peuvent donner matière à un passionnant déploiement théâtral.

Tancredi Gioacchino Rossini (1813)

Si le succès des opéras bouffes de Rossini n’a jamais faibli, ses opéras séria sont tombés dans l’oubli entre les deux guerres mondiales. Premier du genre pour le compositeur, Tancredi est inspiré de la tragédie de Voltaire, Tancrède (1760).  

La virtuosité de ses airs requiert des interprètes doués d’une capacité d’ornementation hors pair. 

Il n’en existe pas moins de 3 versions : celle de la création vénitienne de février 1813, celle révisée de Ferrare un mois plus tard, fidèle au final tragique de Voltaire, et dont on n’a retrouvé la partition qu’en 1974 (c’est la version la plus jouée aujourd’hui), et la version de Milan, de décembre 1813, qui revient au final heureux avec l’addition de nouveaux airs.

Der Freischütz Carl Maria von Weber (1821)

Très influencé par les écrivains de son temps qui, pour beaucoup, étaient de ses amis, Carl Maria von Weber participa au développement d’un romantisme allemand naissant, mouvement essentiellement spirituel qui se démarquait des nouvelles valeurs sociétales issues de la Révolution Française. 
Der Freischütz, inspiré d’une nouvelle fantastique de Johann August Appel, découle de ces influences, et la prégnance, dans cette œuvre, de forces surnaturelles et de l’opposition entre bien et mal se démarque de l’humanisme du Fidelio de Beethoven.

En 1841, l’ouvrage fit son entrée à l’Opéra de Paris, dans une version française pour laquelle Hector Berlioz réécrivit les récitatifs et ajouta quelques pages du compositeur. Cette version, qui sera jouée jusqu’à Berlin, restera au répertoire de l’institution jusqu’en 1927.

Il Viaggio a Reims Gioacchino Rossini (1825)
Créé au Théâtre des Italiens, Il Viaggio a Reims a été composé à l’occasion du Sacre de Charles X à Reims. L’œuvre nécessite une distribution pléthorique – 18 chanteurs –, et concentre le meilleur de l’écriture musicale de Rossini, bien qu’il s’auto parodie pour le plaisir de la dérision.

Oberon Carl Maria von Weber (1826)

Le dernier opéra de Carl Maria von Weber, adaptation d’un poème de Wieland, fut créé à Londres, dans la langue de Shakespeare. Maria Callas a elle-même enregistré ‘Ocean, thou mighty monster’, mais aucun enregistrement en langue originale n’existe toujours aujourd’hui.

L’œuvre, complexe musicalement, exige également un metteur en scène imaginatif pour adapter à la scène une œuvre difficile théâtralement parlant.

L’Opéra de Paris programma l’œuvre en 1954, dans une mise en scène de Maurice Lehmann et avec Denise Duval dans le rôle de Fatima.

Il Pirata Vincenzo Bellini (1827)
Adapté de la pièce Bertram ou le Pirate créée au Panorama-Dramatique – un théâtre parisien du boulevard du Temple -, Il Pirata témoigne de la première coopération entre le célèbre librettiste italien du moment, Felice Romani, et le compositeur italien.

Cet opéra, comme les suivants, I Capuleti e i Montecchi, La Sonnanbula, Norma, I Puritani, nécessite une équipe entière d’excellents chanteurs.

L’Opéra romantique italien et ses grandes scènes de folie seront dorénavant promis à un avenir prolifique.

Anna Bolena Gaetano Donizetti (1830)
C’est avec Anna Bolena que le public parisien a découvert Gaetano Donizetti au Théâtre des Italiens, premier opéra où il donna la pleine mesure de son talent, après une série de farces et d’opéras bouffes. L’œuvre s’inspire d’Enrico VIII, d’Ippolito Pindemonte, et d’Anna Bolena d’Alessandro Pepoli. La qualité des ensembles et l’aspect spectaculaire de certains airs ne trouvèrent qu’en 1957 une interprète comme Maria Callas pour les faire revivre.

Lucrezia Borgia Gaetano Donizetti (1833)

Adaptée du drame de Victor Hugo, Lucrèce Borgia (1833), par Felice Romani - drame qui forme un ensemble avec Le Roi s’amuse (1832) -, la création parisienne de l’œuvre, en 1840, déclencha les poursuites judiciaires de la part du dramaturge français. L’œuvre fut alors jouée jusqu’en 1845 sous le titre La Rinegata

Lors de reprise à La Scala, Donizetti apporta des modifications importantes dont la suppression du grand air final de Lucrezia, remplacé par un air pour le ténor.

L’Opéra en Europe et en Russie, des nationalismes à la chute des Empires

Une vie pour le Tsar Mikhaïl Glinka (1836)
De 1830 à 1833, Mikhaïl Glinka parcourut l’Europe puis rentra en Russie, décidé à composer un opéra réellement national. Le poète Vassili Joukovski lui proposa un sujet historique dont il tira Ivan Soussanine (ou Une vie pour un Tsar), créé avec grand succès au Bolshoï sur une musique d’une indéniable facture italienne.

Rienzi Richard Wagner (1842)

Wagner composa à Riga son troisième opéra, Rienzi, adaptation d’un roman de Bulwer Lytton du même titre. Il rêvait d’être joué à l’Opéra de Paris et donna à cette œuvre les dimensions monumentales de Guillaume Tell ou des Huguenots. L’ouvrage sera créé à Dresde et non à Paris. Rienzi est la dernière œuvre des années de formation de Wagner, durant lesquelles ce dernier tenta de s’imposer dans l’opéra conventionnel italien ou français.

Ruslan and Lyudmila Mikhaïl Glinka (1842)
Dans Ruslan et Lyudmila, le style russe de Mikhaïl Glinka est manifeste. L’œuvre recèle vigueur, élan, couleur harmonique et orchestrale que l’on retrouvera chez tous les compositeurs postérieurs comme Borodine, Moussorgsky ou Tchaïkovski.

I Lombardi alla Prima Crociata Giuseppe Verdi (1843)

Basé sur un poème héroïcomique de Tommaso Grossi, I Lombardi alla Prima Crociata profita du succès de Nabucco pour porter un thème religieux fort sur la scène de Milan. Mais son succès purement italien souligna à quel point la dimension patriotique du livret primait sur son intérêt dramaturgique.

Verdi adapta son quatrième opéra milanais pour Paris, en 1847, sous le titre de Jérusalem. Il fut repris une dernière fois au Palais Garnier en 1984.

Ernani Giuseppe Verdi (1844)
Incontournable du répertoire verdien inspiré du roman de Victor Hugo, Ernani n’a jamais été représenté à l’Opéra de Paris, sinon au théâtre des italiens sous le titre Il proscritto. Le dynamisme de l’intrigue et la fougue de la musique portent au sommet la nature agitatrice du jeune Giuseppe Verdi. 

Le Prophète Giacomo Meyerbeer (1849)

De son vrai nom Jakob Beer, Giacomo Meyerbeer était un berlinois qui faisait partie de l’entourage de Weber. Il avait fait jouer plusieurs opéras en Allemagne et en Italie avant d’arriver à Paris en 1826. Sa réputation repose essentiellement sur les pièces qu’il composa avec Scribe pour l’Opéra de Paris, principalement dans le genre historique.
Le Prophète, qui évoque la révolte des Anabaptistes de Hollande au XVIe siècle, une secte allemande qui souhaitait établir une théocratie dans la ville allemande de Münster, fut joué 565 fois à l’Opéra de Paris, jusqu’en 1912.

La Nonne sanglante Charles Gounod (1854)
Sur un livret d’Eugène Scribe, basé sur une nouvelle de Matthew Lewis, The Monk, passée dans les mains de huit compositeurs tels Berlioz, Verdi et Meyerbeer, Gounod a finalement créé une œuvre qui lui a valu bien des louanges sur le plan musical. L’œuvre fut jouée 11 fois à la salle Le Peletier en 1854, mais n’a jamais été reprise, suite au changement de directeur de l’institution à cette époque.

Hérodiade Jules Massenet (1881)
Inspirée de l’Hérodias de Gustave Flaubert, à l’instar de la tragédie Salomé d’Oscar Wilde, l’œuvre n’est entrée au répertoire de l’Opéra de Paris qu’en 1921, bien après Milan, Bruxelles et Budapest, à l’initiative de Jacques Rouché. Elle y est restée jusqu’en 1947, après 180 représentations. Massenet n’a cessé de remanier sa partition jusqu’en 1895, réduisant le rôle d’Hérodiade mais ne parachevant pas le lien dramatique entre l’ensemble des tableaux.

Mazeppa Piotr Ilitch Tchaïkovski (1884)
A nouveau, c’est un poème de Pouchkine, Poltava, qui est l’inspirateur d’un opéra de Tchaïkovski.

L’histoire d’amour entre le vieux Mazeppa, chef des armées d’Ukraine, et Maria, la fille de Kotchoubeï, gouverneur de Poltava, se déroule sur fond d’alliance avec la Suède et la Pologne, vers 1708, pour séparer l’Ukraine de la Russie de Pierre le Grand.

Mazeppa est également un poème qui fait partie des Orientales de Victor Hugo.

Sigurd Ernest Reyer (1884)

Basé sur les mêmes légendes nordiques que l’Anneau du Nibelung de Richard Wagner, Sigurd est une épopée que l’Opéra de Paris refusa à deux reprises de représenter, en 1866 et 1870, avant que la Monnaie de Bruxelles n’accepte d’en porter la création sur sa propre scène à l’instar d’Hérodiade de Massenet.
La puissance de l’œuvre ne s’installera finalement au Palais Garnier, en version intégrale, qu’à partir de 1892, après la version abrégée de 1885, pour un total de 252 représentations jusqu’en 1935.

 

Frédégonde Ernest Guiraud et Camille Saint-Saëns (1895)

Initialement titrée 'Brunhilda', ce drame lyrique initié par Ernest Guiraud, achevé par Camille Saint-Saëns, et orchestré par Paul Dukas pour les 3 premiers actes, relate les luttes de pouvoir à l'époque mérovingienne, après la mort de Clovis, entre la reine de Neustrie, Frédégonde, et la reine d'Austrasie, Brunhilde. L'œuvre fut représentée pour la première fois au Palais Garnier le 14 décembre 1895 et ne sera reprise que pour 8 représentations jusqu'au 14 février 1896.

L'Opéra de Dortmund a confié en novembre 2021 une production à Marie-Eve Signeyrole, qui fut récompensée par la revue 'Opernwelt'.

 

Fedora Umberto Giordano (1898)

C’est une pièce de Victorien Sardou, Fedora, née d’un début de collaboration entre l’écrivain français et l’actrice Sarah Bernhardt – collaboration qui se poursuivra notamment avec Tosca -, qui est à l’origine de cette œuvre conçue comme une conversation en musique.
Le premier acte se situe à Saint-Petersburg, le second à Paris, le dernier en Suisse, et la musique évoque aussi bien l’univers de Capriccio (Richard Strauss) que de La Rondine (Giacomo Puccini). Fedora est surtout une œuvre écrite pour les grandes cantatrices véristes.

 

Ariane Jules Massenet (1906)
Après douze ans de créations à l’Opéra-Comique, l’Opéra de Monte-Carlo et au Covent Garden, Massenet revint à l’Opéra de Paris avec une de ses œuvres les plus wagnériennes, orchestralement et vocalement parlant. La mythologie d’Ariane réunit autour d’elle Thésée, Phèdre et Perséphone, sous l’inspiration de la tragédie antique de Sénèque.
Soixante représentations de 1906 à 1908, puis dix en 1937, les faiblesses du livret d’Ariane sont compensées par un lyrisme passionné.

La légende de la ville invisible de Kitège Nikolaï Rimsky-Korsakov (1907)
Le livret de Vladimir Bielski emprunte à deux légendes du treizième siècle, Sainte Frevoniya de Mourom et La ville disparue de Kitège. Chronologiquement, l’action se situe juste après celle du Prince Igor de Borodine, lorsque les Tatars envahissent les territoires slaves.
Rimsky-Korsakov considéra cet ouvrage monumental comme son testament artistique, sans imaginer qu’il composerait peu après une satire politique, Le Coq d’Or.

50 Opéras du XVIIe au XXIe siècle à programmer à l'Opéra de Paris

L’Opéra en Europe et en Russie au XXe siècle des dictatures

Le Coq d’Or Nikolaï Rimsky-Korsakov (1909)
La révolution russe de 1905, qui suivit la répression sanglante d’une manifestation populaire sur la place du palais d’hiver de Saint-Pétersbourg, marqua profondément Nikolaï Rimski-Korsakov. Conscient que la censure ne l’épargnerait pas, le compositeur russe décida d’écrire un opéra à la satire dissimulée à l’encontre du Tsar Nikolay II.  
L’œuvre apparut en 1914 sur la scène du Palais Garnier, 5 ans seulement après la création au théâtre Solodovnikov de Moscou, et s’y maintint jusqu’en 1947.

50 Opéras du XVIIe au XXIe siècle à programmer à l'Opéra de Paris

Le Rossignol Igor Stravinsky (1914)
Créé au Palais Garnier le 26 mai 1914, Le Rossignol y fut repris deux jours après et disparut du répertoire à cause de la Guerre. L’opéra est tiré d’un Conte de Christian Andersen, Le Rossignol et l’Empereur de Chine, et sa composition fut interrompue en 1908, à la mort de Nikolai Rimski-Korsakov qui suivait de près Igor Stravinsky dans son travail. L’ouvrage ne sera achevé qu’après L’Oiseau de feu et Le Sacre du Printemps, ce qui explique la richesse de ses atmosphères sonores.

50 Opéras du XVIIe au XXIe siècle à programmer à l'Opéra de Paris

Une Tragédie Florentine Alexandre von Zemlinsky (1917)
D’après la pièce d’Oscar Wilde Une Tragédie florentine, cet opéra d’Alexander von Zemlinsky est fortement influencé par le suicide du peintre Richard Gerstl, amant de la sœur du musicien, Mathilde Schönberg, après qu’elle eut décidé de revenir auprès de son mari, Arnold Schönberg. Son sujet, la force de l’attraction animale, est d’une violence insurpassée.

Padmâvatî Albert Roussel (1923)
A l'instar de son triptyque orchestral Evocations (1911), Padmâvatî est inspiré des voyages en Indes d'Albert Roussel en 1909 et 1910 et de sa visite des ruines de Chitor. L'intrique se déroule à la fin du 13e siècle au moment des invasions mongoles. L'écriture chorale, hautement raffinée, et l'écriture orchestrale finement tissée dans un art orientalisant ont fait le succès de ses représentations au Palais Garnier où il fut créé dans l'entre-deux guerres et joué jusqu'au 09 juin 1947. Une production fut ensuite créée au Théâtre du Châtelet en mars 2008 par Sanjay Leela Bhansali.

Le Joueur Sergueï Prokofiev (1929)
Sergueï Prokofiev est de loin le meilleur spécialiste de l’opéra soviétique. Son adaptation du Roman de Dostoïevski, Le JoueurJanacek adaptera, peu après, un autre de ses romans, Souvenirs de la maison des morts -, se veut une cassure stylistique afin d’approcher la variété de l’écriture littéraire par une orchestration tendue de bout en bout.

Osud Leos Janacek (1934)
Leos Janacek débuta la composition d’Osud (Le Destin) en 1903 et l’acheva en 1907, sous l’inspiration d’une rencontre romantique avec une jeune femme, Kamila Urvalkova.
Le livret, sans véritable ressort dramatique, est plus un prétexte pour décrire des atmosphères étouffantes et déployer une musique exubérante.  En 2002, Robert Wilson réussit pour l’Opéra de Prague et le Teatro Real de Madrid une mise en scène centrée sur l’intériorité et l’écoute de cette orchestration fascinante.

Riders to the sea Ralph Vaughan Williams (1937)
Sur la base d’un livret qui reprend tel quel le texte de la pièce du dramaturge irlandais John Millington Spynge, Ralph Vaughan Williams a composé son chef-d’œuvre sur une musique qui évoque le mouvement de la mer. L’œuvre place en son centre la relation complexe entre les marins de la côté ouest irlandaise et la mer qui les emporte – la pièce est écrite dans un dialecte des îles d’Aran.

L’Opéra en Europe dans l'après-guerre du XXe siècle 

Dantons Tod Gottfried von Einem (1947)

C’est en 1939 que Gottfried von Einem découvrit la pièce de Georg Büchner (l’auteur de Woyzeck), La Mort de Danton.

L’attentat manqué contre Hitler fut l’évènement déclencheur de la composition d’un opéra littéraire sur ce leader qui se retourna contre le gouvernement de Robespierre et sa politique basée sur la terreur.

Le style musical est plus proche de celui de Richard Strauss ou Paul Hindemith que de celui d’Alban Berg, et l’œuvre devint la première création d’après-guerre au Festival de Salzbourg. Von Einem remania la partition après la première pour lui donner une force dramatique encore plus importante.

Die Liebe der Danae Richard Strauss (1952)
Ultime opéra du compositeur autrichien, l’œuvre n’a été jouée qu’une seule fois au Palais Garnier, le 16 mai 1953, en langue française. Définie comme une ‘Mythologie Joyeuse’, elle pâtit de la reconnaissance mondiale de Capriccio comme le véritable testament de Richard Strauss, et d’un livret qui n’est pas du niveau de ceux conçus par le musicien et son collaborateur, Hugo Von Hofmannsthal, qui n’avait écrit qu’un scénario en 1920. Néanmoins, Strauss considéra la musique du troisième acte, le plus long, comme une de ses meilleures pages.

Alvis Hermanis en a réalisé une nouvelle production au Festival de Salzbourg en août 2016.

Boulevard Solitude Hans Werner Henze (1952)
Inspiré de Manon Lescaut de l’abbé Prévost, Boulevard Solitude est le premier opéra d’un compositeur allemand âgé de seulement 26 ans qui ne connaissait que les versions de Massenet et de Puccini. Son action est relocalisée dans le Paris d’après-guerre et la musique est imprégnée, entre autre, d’influence bergienne mais également jazz, bien que tonalité et atonalité s’y côtoient en toute liberté.

50 Opéras du XVIIe au XXIe siècle à programmer à l'Opéra de Paris

A Midsummer Night’s Dream Benjamin Britten (1960)
Brillamment adapté de la pièce de William Shakespeare, Le Songe d’une nuit d’été conserve les ressorts fantastiques de la comédie originale et jouit d’une musique magnifiquement inspirée. Créée au Festival d’Aldeburgh en 1960, avec Alfred Deller dans le rôle d’Oberon, l’œuvre s’est rapidement imposée sur les scènes internationales.

En 1991, Robert Carsen réalisa une mise en scène légendaire pour le Festival d’Aix en Provence où elle fut reprise en 2015 après un quart de siècle de voyage.

50 Opéras du XVIIe au XXIe siècle à programmer à l'Opéra de Paris

Le Roi David Arthur Honegger (1960)
Le Roi David est une œuvre musicale qui existe en deux versions, l’une composée en 1921 pour un orchestre de 17 musiciens, chœur mixte et solistes au Théâtre du Jorat de Charleville Mézières, l’autre réorchestrée en oratorio et traduite en allemand en 1923 à Winterthour, en Suisse, qui la débarrasse de son trop plein sensualiste.

50 Opéras du XVIIe au XXIe siècle à programmer à l'Opéra de Paris

Arthur Honegger confia le texte à l’écrivain René Morax qui y vit une occasion de rapprocher la Bible de sa fascination pour l’Orient des Indes.

L’Opéra de Paris accueillit l’ouvrage pour 7 représentations en 1960, dans une mise en scène de Maurice Sarrazin, et l’institution l'a récemment programmé pour un soir, en version concert, le 25 mars 2011, dans sa version originale, sous la direction de Patrick Marie-Aubert.

King Priam Michael Tippett (1962)
Après son premier opéra, Midsummer Marriage (1955), Michael Tippett créa King Priam à l’occasion de l’inauguration de la nouvelle cathédrale de Coventry, pour laquelle fut également composé le War Requiem de Benjamin Britten. Basée sur le texte de l’Iliade d'Homère, l’intrigue aborde les questions morales que pose l’existence, à commencer par la révélation à Priam du destin de son fils nouveau-né, Pâris, qui sera responsable de sa mort.

50 Opéras du XVIIe au XXIe siècle à programmer à l'Opéra de Paris

La force de l’écriture musicale de Michael Tippett comporte également des touches d’originalités avec l’insertion de passages joués à la guitare, dans l’air ‘O rich soiled land’ chanté par Achille pour Patrocle.

Death in Venice Benjamin Britten (1973)
L’adaptation du roman de Thomas Mann par Benjamin Britten est plus fidèle à l’ouvrage que le film de Luchino Visconti réalisé à la même époque. L’élément marin est toujours présent, comme dans la plupart des œuvres du compositeur britannique, et l’essentiel du rôle principal, écrit pour le ténor Peter Pears, est un long monologue qui traduit les errances de son esprit à l’approche de la mort.

50 Opéras du XVIIe au XXIe siècle à programmer à l'Opéra de Paris

Satyagraha Philip Glass (1979)

Sur un livret écrit par la romancière américaine Constance DeJong, Philip Glass choisit Gandhi comme sujet de son second opéra après la réussite d' Einstein on the Beach qui avait enthousiasmé Avignon en 1976, et qui a récemment été repris au Théâtre du Châtelet en 2014.

L’opéra revient sur le combat du guide spirituel contre le ‘black-act’ en Afrique du Sud, et relie le théoricien de ‘L’étreinte de la vérité’, principe de la non-violence par la désobéissance, à trois grands personnages, Tolstoï, Rabindranath Tagore et Martin Luther King.

Orphée Philip Glass (1991)
Premier volet d’une trilogie dédiée à Jean Cocteau, Orphée est un opéra de chambre écrit en hommage au film surréaliste Orphée (1950) du poète et cinéaste français. La structure répétitive de la musique de Philip Glass réalise un effet hypnotique caractéristique des compositions du musicien américain, mais intègre également des sonorités empruntées au jazz et des impressions d’apesanteur musicale.

L’Amour de loin Kaija Saariaho (2000)
L’Amour de loin est le premier opéra de Kaija Saariaho commandé par Gerard Mortier pour le Festival de Salzbourg en coproduction avec le Théâtre du Châtelet et dans une mise en scène de Peter Sellars. Sur le livret poétique d’Amin Maalouf, la compositrice finlandaise, qui vit à Paris, a écrit une musique surnaturelle et créé le rôle de Clémence pour la soprano Dawn Upshaw.
Fin 2016, le New-York Metropolitan Opera confia une nouvelle production de l'ouvrage à Robert Lepage.

50 Opéras du XVIIe au XXIe siècle à programmer à l'Opéra de Paris

The Tempest Thomas Ades (2004)

Sur un livret adapté de la pièce de William Shakespeare, La Tempête, de façon à en compacter le texte, le compositeur britannique a produit une musique ayant sa propre force théâtrale, qui lui valut un triomphe au Covent Garden et une reprise 3 ans plus tard.
En 2012, le New-York Metropolitan Opera confia, à l'instar de l’Amour de Loin de Kaija Saariaho, une nouvelle production à Robert Lepage.

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Publié le 9 Août 2016

Les Théâtres Lyriques de l’enceinte de Philippe-Auguste et Louis XIII à Paris

Lorsque l’on s’intéresse aux lieux des créations parisiennes d’œuvres lyriques, on découvre une diversité de salles, pour la plupart disparues aujourd’hui, qui ne sont pas évidentes à localiser sur un plan de la ville. 

On remarque cependant que toutes les salles créées jusqu’au XIX siècle sont regroupées sur une zone de 3 kilomètres par 3 kilomètres qui englobe les quatre premiers arrondissements de Paris jusqu’aux limites, au sud, de l’enceinte de Philippe-Auguste, à l’est, de l’enceinte de Charles V, et à l’ouest, de l’enceinte de Louis XIII, c'est-à-dire les limites principales du Paris du Cardinal Richelieu (1585-1642).

Enceintes de Philippe-Auguste, Charles V et Louis XIII (Paris)

Enceintes de Philippe-Auguste, Charles V et Louis XIII (Paris)

La carte qui suit propose de présenter les principaux emplacements successifs des théâtres lyriques parisiens du XVII siècle jusqu’à aujourd’hui – seul le Théâtre des Champs-Elysées (1913) n’y apparaît pas, puisqu’il se situe au Pont de l’Alma, à proximité du Mur des Fermiers généraux, construit à l'approche de la Révolution française. 

Six institutions, compagnies ou courants musicaux, proposant chacun une ligne de programmation lyrique spécifique, se sont ainsi partagés une trentaine de salles à Paris au cours des 350 dernières années – mais seule une dizaine de ces salles subsiste encore aujourd’hui. 

Les Théâtres Lyriques du Paris ancien (cliquez pour agrandir)

Les Théâtres Lyriques du Paris ancien (cliquez pour agrandir)

L’Académie Royale de Musique / Opéra de Paris (1669 à nos jours)

Confiée au poète Pierre Perrin, puis à Jean-Baptiste Lully, l’Académie Royale de Musique initiée sous Louis XIV avait pour vocation de promouvoir l’opéra français à Paris et dans les succursales de province. 

Renommée ‘Théâtre national de l’Opéra’ après la Commune (1871), et ‘Opéra de Paris’ à l’ouverture de l’Opéra Bastille (1989), elle a occupé par moins de 10 salles – détaillées ci-après -, sans compter les passages temporaires par 4 autres salles parisiennes après l’incendie du Second Théâtre du Palais Royal (1781), l’attentat contre le Duc de Berry devant l’Opéra Richelieu (1820), et l’incendie de la salle Le Peletier (1873). 

1. Le Jeu de Paume et de la Bouteille (1671-1672), rue Mazarine. 

La première représentation publique de l'’Académie royale de Musique’ y est donnée avec ‘Pomone’ (Robert Cambert), oeuvre considérée comme le premier opéra français. 

2. Le Jeu de Paume de Bel-Air (1672-1673), rue Vaugirard. 

Y sont représentés les ‘Fêtes de l'Amour et de Bacchus’ puis ‘Cadmus et Hermione’  de Jean Baptiste Lully, qui a repris le privilège des représentations de l'Académie.

Ancien Jeu de Paume du Bel-Air, rue de Vaugirard (vers l'actuel no 13 bis, à l'angle de l'ancienne rue des Fossées-de-Nesles, actuellement rue de Médicis) (Credit: Roger-Viollet).

Ancien Jeu de Paume du Bel-Air, rue de Vaugirard (vers l'actuel no 13 bis, à l'angle de l'ancienne rue des Fossées-de-Nesles, actuellement rue de Médicis) (Credit: Roger-Viollet).

3. Le Théâtre du Palais Royal (1673-1763) 

A la mort de Molière, Lully récupère le Théâtre du Palais Royal. Ses ouvrages, ‘Alceste’ (1674), ‘Persée’ (1682), 'Amadis' (1684) et ‘Armide’ (1686)y sont créés, ainsi que les opéras de Campra et Rameau ('Hippolyte et Aricie' (1733), 'Les Indes Galantes' (1735), 'Castor et Pollux' (1737), 'Dardanus' (1739) et 'Zoroastre' (1749)).

Mais un incendie détruit le théâtre en 1763.

Vue du feu qui détruisit la Salle de l'Opéra de Paris le 6 avril 1763 (Bibliothèque Nationale de France).

Vue du feu qui détruisit la Salle de l'Opéra de Paris le 6 avril 1763 (Bibliothèque Nationale de France).

4. La salle des Machines des Tuileries (1763-1770) 

Après l’incendie du Théâtre du Palais Royal, l’Académie s’installe dans la salle des Machines des Tuileries, construite en 1661, et y reste jusqu’au 23 janvier 1770. 

Des œuvres de Rameau, Dauvergne, Francoeur et Merton y sont jouées. 

Les Théâtres Lyriques de l’enceinte de Philippe-Auguste et Louis XIII à Paris

5. Le second Théâtre du Palais Royal (1770-1781) 

Dans cette salle de 2300 places sont représentés les opéras de Gluck ('Iphigénie en Aulide' et 'Orphée et Eurydice' (1774), la version révisée d'Alceste' (1776), 'Armide' (1777), 'Iphigénie en Tauride' et 'Echo et Narcisse' (1779)), et de Piccinni ('Iphigénie en Tauride' (1781))

'Amadis de Gaule’ (J-C Bach) y est également créé. 

Cependant, ce théâtre s'enflamme en 1781.

Feu du 08 juin 1781 qui détruisit le Théâtre du Palais Royal (Bibliothèque Nationale de France).

Feu du 08 juin 1781 qui détruisit le Théâtre du Palais Royal (Bibliothèque Nationale de France).

6. La salle de la Porte-Saint-Martin (1781-1794) 

Après un passage de quelques mois par la petite salle des Menus-Plaisirs, rue bergère – salle située à l’actuel emplacement du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique -, l’Académie de Musique investit la nouvelle salle de la Porte-Saint-Martin. 

Les opéras de Salieri et Cherubini y sont représentés. Mais cette salle n’est que temporaire.

Le Théâtre de la Porte Saint-Martin - dessin de Jean-Baptiste Lallemand.

Le Théâtre de la Porte Saint-Martin - dessin de Jean-Baptiste Lallemand.

7. L’Opéra de la rue Richelieu ou Théâtre des Arts (1794 – 1820)

Comédienne et directrice de théâtre, dont celui de la Monnaie de Bruxelles, Mademoiselle Montansier fait construire en 1793 un vaste théâtre, rue de la Loi – l’actuelle rue Richelieu -, qu’elle nomme ‘Théâtre National’. 

Sous la Terreur, le comité de l’Opéra l’en dessaisit et y installe l’Académie de Musique. 

Les opéras de Spontini, ‘La Vestale’, ‘Fernand Cortez’, ‘L’Olympie’, et de Lesueur, ‘Ossian, ou les bardes’, ‘La Mort d’Adam’, y sont créés. 

Après l’assassinat du Duc de Berry, l’opéra est détruit. Le Square Louvois actuel occupe son emplacement. 

L'opéra de la rue Richelieu, ou Théâtre des Arts.

L'opéra de la rue Richelieu, ou Théâtre des Arts.

8. La salle Le Peletier (1820-1873) 

Après un passage d’un an à la première salle Favart – la salle de l’Opéra-Comique - et de trois mois au Théâtre Louvois – une des salles des Italiens -, l’Académie de Musique inaugure la nouvelle salle Le Peletier, qui n’est que provisoire. 

Les Opéras - de Grands Opéras pour la plupart - de Rossini ('Le Siège de Corinthe', ''Moïse et Pharaon', 'Le Comte Ory', 'Guillaume Tell') , Auber ('La Muette de Portici','Gustave III', 'Manon Lescaut')Cherubini ('Ali-Baba'), Meyerbeer ('Les Huguenots', 'Le Prophète', 'L'Africaine'), Halévy ('La Juive', 'La Reine de Chypre'), Berlioz ('Benvenuto Cellini'), Donizetti ('La Fille du Régiment', 'La Favorite'), Verdi ('Jérusalem', 'Les Vêpres siciliennes', 'Don Carlos'), Gounod ('Sapho', 'La Nonne sanglante', 'La Reine de Saba'), Thomas ('Hamlet') et le ‘Tannhäuser’ de Wagner – version parisienne – y sont créés, tous en langue française. 

Mais dès 1868, l’architecte du Nouvel Opéra signale un tassement général du bâtiment, et, dans la nuit du 28 au 29 octobre 1873, un incendie le détruit en quelques heures. 

La troupe se déplace temporairement à la salle Ventadour – rue Montsigny - que les Italiens ont quitté depuis 1871. 

La salle Le Peletier (1864) - peinture d'August Lauré (1818-1900).

La salle Le Peletier (1864) - peinture d'August Lauré (1818-1900).

9. Le Palais Garnier (1875 à nos jours) 

L’incendie de la salle Le Peletier oblige a accélérer l’achèvement de la construction de l’Opéra Garnier initiée en 1861. 

Le Théâtre national de l’Opéra s’empare de ce joyau architectural le 05 janvier 1875. 

La reprise des Grands Opéras créés à la salle Le Peletier et une intense ouverture aux oeuvres de Wagner se poursuivent jusqu'à la seconde Guerre mondiale. 

Au cours des 30 premières années, ‘Polyeucte’ et ‘Le Tribut de Zamora’ de Gounod et 'Françoise de Rimini' de Thomas y sont créés, ainsi que nombre d’opéras de Jules Massenet’Le Roi de Lahore’, ‘Le Cid’, ‘Thaïs’, ‘Ariane’, ‘Bacchus’

Après la seconde Guerre mondiale, l'Opéra commence à intégrer le répertoire de l'Opéra-Comique, 'Carmen' ne rentre qu'en 1959, mouvement qui s'accèlère dans les années 70 et 80 avec Rolf Liebermann qui intègre les oeuvres du répertoire international en langue originale. 

De 1978 à 1989, la salle Favart devient la seconde salle de l'institution parisienne. 

L'Opéra Garnier vu de la rue Auber (Léonard Saurflet - 1875)

L'Opéra Garnier vu de la rue Auber (Léonard Saurflet - 1875)

10. L’Opéra Bastille (1989 à nos jours)

Afin de démocratiser l’accès à l’Art Lyrique, une seconde salle est construite place de la Bastille. 

Inaugurée avec ‘Les Troyens de Berlioz’, la scène Bastille devient la salle principale de l’Opéra de Paris pour la programmation des œuvres lyriques (1/4 des opéras restent joués à Garnier). 

Les Théâtres Lyriques du Paris ancien (cliquez pour agrandir)

Les Théâtres Lyriques du Paris ancien (cliquez pour agrandir)

L’Opéra-Comique (1714 à nos jours) 

L’Opéra-Comique est le genre le plus ancien qui fasse contrepoids au monopole de l’Académie Royal de Musique. 

Il apparaît dans les théâtres des Foires Saint-Germain et Saint-Laurent lorsque qu’une troupe de forains reçoit, en 1714, l’autorisation de donner des spectacles chantés.

Cette troupe prend le nom d’Opéra-Comique, nom qui sera aussi celui de sa salle principale à partir de 1783, la célèbre salle Favart. 

Ce genre ne signifie cependant pas que les œuvres sont des comédies comiques, mais qu’elles comprennent une partie parlée, par opposition à l’Opéra qui est, lui, entièrement chanté. 

Après une première fusion avec la troupe des italiens, en 1762, renommée ‘Comédie des Italiens’, l’institution retrouve son nom d’origine, l’’Opéra Comique’, en 1780, et le conserve jusqu’à nos jours. 

9 salles et emplacements ont ainsi accompagné le développement de l’Opéra-Comique. 

1. Les Foires Saint-Germain et Saint-Laurent (1714-1762) 

Apparues aux Moyen-Age, ces foires sont respectivement situées à Saint-Germain des prés et à l’Abbaye des frères de Saint-Lazare – près de l’église Saint-Laurent.Nombre d’ouvrages de François-André Danican Philidor furent créés sur ces deux foires, ‘Le diable à quatre’, ‘Le soldat magicien’, ‘Blaise le savetier’

L’opéra le plus célèbre d’Antoine Dauvergne, ‘Les Troqueurs’, est par ailleurs créé à la Foire Saint-Laurent le 30 juillet 1753. 

 Plan de la Foire Saint-Germain vers 1670, gravure de Jollain.

Plan de la Foire Saint-Germain vers 1670, gravure de Jollain.

2. L’Hôtel de Bourgogne (1762-1783)

La troupe de l’Opéra-Comique déménage à la salle de l’Hôtel de Bourgogne, rue Mauconseil, et fusionne avec la Comédie des Italiens dont elle prend le nom. 

‘Tom Jones’, de Philidor, y est créé le 27 février 1765 ainsi que ‘Le déserteur’, d’Alexandre Montsigny, le 06 mars 1769. 

3. La Salle Favart I (1783-1801) 

Suite à l’arrêté du 25 décembre 1779 interdisant les comédies en italien, la troupe retrouve l’appellation ‘Opéra-Comique’ et déménage, quatre ans plus tard, dans son nouveau théâtre, la salle Favart, construit sur l’emplacement de l’hôtel du duc de Choiseul. 

‘Richard Cœur-de-Lion’ d’André Grétry y est créé le 20 octobre 1784, 'Paul et Virginie' de Rodolphe Kreutzer le 15 janvier 1791, puis, ‘Beniovski’ et ‘Le Calife de Bagdad’ de François-Adrien Boieldieu, en 1800. 

Vue du Théâtre Royal Italien - première salle Favart - prise du coté de la place. Gravure originale de 1816 gravée par Blanchard ainé Père d"après un dessin de Henri Courvoisier-Voisin.

Vue du Théâtre Royal Italien - première salle Favart - prise du coté de la place. Gravure originale de 1816 gravée par Blanchard ainé Père d"après un dessin de Henri Courvoisier-Voisin.

4. Le Théâtre Feydeau (1801-1829)

Sur ordre de Napoléon, le 16 septembre 1801, la troupe de l’Opéra-Comique fusionne avec la troupe de la salle Feydeau – théâtre concurrent construit en 1789 dans les jardins de l’hôtel Briçonnet -, et s’y installe, Favart étant devenue vétuste. La troupe opèrera un bref retour à Favart et un passage de trois semaines au Théâtre Olympique entre le 23 juillet 1804 et le 05 juillet 1805.

Les créations d’œuvres de Boieldieu se poursuivent, ‘Ma tante Aurore’, ‘Jean de Paris’‘La Dame Blanche’. 

La salle Feydeau à Paris (d'après Pierre Courvoisier).

La salle Feydeau à Paris (d'après Pierre Courvoisier).

5.  Le Théâtre Ventadour (1829-1832)

La vétusté du Théâtre Feydeau oblige à nouveau la troupe de l’Opéra-Comique à changer de lieu. Elle s’installe au Théâtre Ventadour, salle inaugurée le 20 avril 1829 sur l’ancien emplacement de l’hôtel de Lionne. 

‘Fra Diavolo’, d’Auber, et ‘Zampa’, d’Herold, y sont créés. 

Mais les charges d’exploitation de la salle s’avèrent trop élevées. 

Salle Ventadour, par C. Gilio, vers 1830.

Salle Ventadour, par C. Gilio, vers 1830.

6. Le Théâtre des Nouveautés (1832-1840)

Nouveau déménagement de la troupe au Théâtre des Nouveautés, en face de la Bourse, théâtre inauguré en 1827 par une troupe concurrente qui sera, cinq ans plus tard, victime de sa rivalité avec l’Opéra-Comique. 

'Le pré aux Clercs' d'Herold, ‘Le Chalet’ et ‘Le Postillon de Lonjumeau’, d’Adolphe Adam, ‘Le Cheval de bronze’ et le ‘Domino noir’, d’Auber, et ‘La Fille du Régiment' de Donizetti y sont créés. 

La salle du Théâtre des Nouveautés.

La salle du Théâtre des Nouveautés.

7. La Salle Favart II (1840-1887)

La troupe de l’Opéra-Comique réintègre enfin sa nouvelle salle Favart, reconstruite après l’incendie du 14 janvier 1838. Elle ne la quittera que 9 jours pour la Salle Ventadour du 26 juin au 04 juillet 1853.

Nombreuses créations devenues des incontournables du répertoire : ‘La Damnation de Faust’ (1846) de Berlioz, ‘Carmen’ (1875), ‘Les Contes d’Hoffmann’ (1881), ‘Lakmé’ (1883), ‘Manon’ (1884), ‘L’étoile du Nord’ et ‘Dinorah’ (Meyerbeer), ‘Rita’ (Donizetti), ‘Mignon’ (Thomas), ‘Djamileh’ (Bizet), ‘Cinq-Mars’ (Gounod) y sont également créés. 

Mais au cours d’une représentation de ‘Mignon’, le 25 mai 1887, un incendie détruit de nouveau la salle. 

Incendie de la seconde salle Favart (1887).

Incendie de la seconde salle Favart (1887).

8. Le Théâtre des Nations (1887-1898)

L’Opéra-Comique s’installe au Théâtre des Nations – l’actuel Théâtre de la Ville – jusqu’à l’ouverture de la troisième salle Favart. 

La comédienne Sarah Bernhardt reprend le bail du théâtre en 1899. 

'Le Vaisseau Fantôme' de Wagner, 'Les Troyens à Carthage' de Berlioz'Les pêcheurs de perles' de Bizet‘Esclarmonde’, ‘Le Portrait de Manon’, ‘Sapho’ de Massenet et ‘Le Roi d’Ys’ de Lalo y sont créés.

9. La Salle Favart III (1898 à nos jours)

La troisième salle Favart devient la résidence définitive de l’Opéra-Comique, le 07 décembre 1898. 

‘Véronique’ (Messager) y est créée le 10 décembre 1898. 

A nouveau, de nombreuses créations viennent compenser la perte de créativité de l’Opéra. 

‘Cendrillon’, ‘Grisédilis’ (Massenet), ‘Louise’ et ‘Julien’ (Charpentier), ‘Pelléas et Mélisande’ (Debussy), ‘Ariane et Barbe-Bleue’ (Dukas), ‘Fortunio’ (Messager), ‘Macbeth’ (Bloch), ‘L’Heure espagnole’ (Ravel), ‘Bérénice’ (Magnard), ‘Mârouf, savetier du Caire’ (Rabaud) y sont créés au cours des 20 premières années. 

Plus tard, ‘Le Pauvre Matelot’ (Milhaud), ‘Les mamelles de Tirésias’ et ‘La voix humaine’ (Poulenc) sont découverts sur cette scène. 

Albert Carré impose également ‘Werther’ et introduit les opéras de Puccini en version française. 

L’Opéra-Comique est cependant fermé en 1971. Favart devient, en 1978, la seconde salle de l’Opéra, et la compagnie retrouve finalement son indépendance en 1990. 

L'actuelle salle Favart

L'actuelle salle Favart

Les Théâtres Lyriques du Paris ancien (cliquez pour agrandir)

Les Théâtres Lyriques du Paris ancien (cliquez pour agrandir)

Le Théâtre des Italiens (1716 à 1871)

En 1697, les comédiens italiens sont interdits de représentations à Paris par Louis XIV, après avoir projeté de jouer ‘La fausse prude’, une pièce qui visait Madame de Maintenon, à qui on attribuait une grande influence sur le Roi. 

Quand ces comédiens revinrent à Paris, à la mort du Roi, ils élargirent leur répertoire à l’art lyrique, mais durent attendre près d’un siècle pour se stabiliser et devenir une alternative aux opéras en langue française de l’Opéra-Comique et de l’Académie Royale de Musique. 

6 salles principales ont accueilli le Théâtre des Italiens.

1. L’Hôtel de Bourgogne (1716-1762) 

De retour à Paris en 1716, la Comédie Italienne s’installe à l’Hôtel de Bourgogne et commence à aborder l’Art Lyrique. 

Composé en 1733, ‘La Serva Padrona’ de Pergolèse y est joué pour la première fois en 1746. 

Seules quatre représentations sont données, mais, lorsqu’elles sont reprises par la modeste troupe italienne de Strasbourg, de passage en 1752 à l’Académie Royale de Musique dédiée aux oeuvres de Rameau et Lully, elle déclenche une polémique sur les mérites de la musique française et italienne. 

Devenue concurrente de la troupe de l’Opéra-Comique, celle dernière s’installe à l’Hôtel de Bourgogne en 1762 et fusionne avec la troupe italienne. 

Mais malgré la nouvelle dénomination de ‘Comédie Italienne’, les artistes français deviennent majoritaires, et un nouvel arrêté interdit les comédies italiennes le 25 décembre 1779. 

L'Hotel de Bourgogne au XVIIIème siècle.

L'Hotel de Bourgogne au XVIIIème siècle.

2. Le Théâtre Feydeau (1791-1801)

Construit en 1789 dans les jardins de l’Hôtel Briçonnet, le Théâtre Feydeau accueille en 1791 une troupe dénommée ‘Théâtre de Monsieur’ autorisée à jouer des opéras comiques français et italiens. 

Luigi Cherubini, installé à Paris depuis 1787, est le directeur de cette troupe jusqu’en 1792. 

Il fait découvrir les œuvres de Giovanni Paisiello

Il compose pour le Théâtre Feydeau, en langue française, ‘Lodoiska’ (1791), ‘Médée’ (1797) et ‘Les Deux Journées’ (1798). Renommée 'Le porteur d'eau' pour l'opéra de Vienne, l’humanisme des ‘Deux Journées’ influence Beethoven pour sa composition de ‘Fidelio’

Mais sur ordre de Napoléon, le 16 septembre 1801, la troupe de l’Opéra-Comique fusionne avec la troupe de la salle Feydeau et s'y installe.

3. Théâtre de l’Odéon / Théâtre de l’Impératrice (1808/1815) 

Dès 1801, Mademoiselle Montansier, qui avait fait construire l’Opéra de la rue de Richelieu en 1793, crée une troupe italienne dénommée ‘Opera Buffa’. 

Cette troupe connait des débuts mouvementés et doit changer régulièrement de salle en passant du ‘Théâtre Olympique’ (1801) – au 46, rue de la victoire – à la salle Favart I (1802), au Théâtre Louvois (1804), puis au Théâtre de l’Odéon / Théâtre de l’Impératrice (1808). 

Le répertoire repose essentiellement sur les maîtres contemporains de l’opéra buffa, Cimarosa, Guglielmi, Sarti, Paisiello, Paër et Mayer

C’est également au cours de cette période que les opéras de Mozart Le Nozze di Figaro’ (1807), ‘Così fan tutte’ (1809) et ‘Don Giovanni’ (1811) sont joués pour la première fois en italien à Paris. 

Le 1er décembre 1813, Napoléon assiste avec l’Impératrice, à la première représentation de ‘La morte di Cleopatra’ de Nasolini, et le 8 janvier 1814, il fait venir la troupe aux Tuileries pour entendre ‘I Misteri Eleusini’ de Simon Mayr. 

A la chute de l’Empire, la troupe passe momentanément à Favart I (1815) et est renommée ‘Théâtre Royal Italien’. 

Incendie du Théâtre de l'Odéon en 1818.

Incendie du Théâtre de l'Odéon en 1818.

4. Le Théâtre Louvois (1819-1825)

La troupe se fixe ensuite au Théâtre Louvois en 1819, en face de l’Opéra Richelieu. 

Paër et Rossini en sont les directeurs. 

C’est ici qu’est joué ‘L’Inganno Felice’, le premier grand succès de Rossini, puis, le 19 juin 1825, ‘Il Viaggio a Reims’

Les premières parisiennes de ‘Il barbiere di Siviglia’ (26 Octobre 1819), ’ Otello’ (5 Juin 1821), et ‘Tancredi’ (23 Avril 1822) y sont données également. 

La popularité du compositeur italien est telle que ‘La gazza ladra’, ‘Elisabetta, regina d'Inghilterra’, ‘Mosè in Egitto’ et ‘La donna del lago’ seront joués à la salle Le Peletier de l’Opéra. 

Le Théâtre Louvois vers 1821.

Le Théâtre Louvois vers 1821.

5. La Salle Favart I (1825-1838)

La troupe, devenue ‘Théâtre des Italiens’, revient à nouveau à la Salle Favart I, fin 1825 -pendant ce temps, l'Opéra Comique est toujours installé au Théâtre Feydeau depuis 1801. 

Rossini y monte ‘Sémiramide’ et ‘Zelmira’

Les dix dernières années de la Restauration, les compositeurs français voient avec jalousie le succès de Rossini

Le ‘Comte d’Ory’ (1828) et ‘Guillaume Tell’ (1829) sont créés à la salle Le Peletier. 

‘Les Puritains’ de Bellini sont créés à la salle Favart le 25 janvier 1835 et deviennent un immense succès populaire. 

Mais le 14 janvier 1838, un incendie ravage la salle Favart au cours d’une représentation de ‘Don Giovanni’

6. Le Théâtre Ventadour (1841-1871)

Après un bref passage à la salle Ventadour et au Théâtre de la Renaissance, la troupe s’installe définitivement à Ventadour. 

‘Stabat Mater’, de Rossini, est créé en 1842, et les œuvres populaires de Donizetti et Verdi sont régulièrement jouées - 3 ans après le scandale de sa création, ‘La Traviata’ est montée aux Italiens, en 1856, par curiosité et pour son parfum de Paris. 

Le Théâtre des Italiens ferme cependant ses portes en 1871, car il ne peut résister plus longtemps à la concurrence, la liberté des théâtres étant rétablie depuis 1864.

Mais dorénavant, les opéras italiens continueront à être joués au Palais Garnier. 

Salle Ventadour vers 1830 - scan d'Arthur Pougin, Paris et ses environs (Londres, 1831).

Salle Ventadour vers 1830 - scan d'Arthur Pougin, Paris et ses environs (Londres, 1831).

Les Théâtres Lyriques du Paris ancien (cliquez pour agrandir)

Les Théâtres Lyriques du Paris ancien (cliquez pour agrandir)

Le Théâtre Lyrique (1851 à 1871) 

Le Théâtre Lyrique, dénommé ‘Opéra National’ la première année, est inauguré le 27 septembre 1851 afin de concurrencer l’Opéra, l’Opéra-Comique et les Italiens, et laisser leur chance à de jeunes compositeurs. 

La salle est située dans le quartier du Temple, au n°10 de l’actuelle place de la République. 

1. Le Théâtre lyrique du quartier du Temple (1851-1862) 

‘Si j’étais Roi’ d’Adolphe Adam (1852), ‘Le Médecin Malgré lui’ (1858), ‘Faust’ (1859) - qui deviendra l’ouvrage le plus joué à l’Opéra - et ‘Philémon et Baucis’ (1860) de Gounod y sont créés. 

‘Le Postillon de Lonjumeau’ d’Adam, créé à l’Opéra-Comique en 1836, est repris. 

Léon Carvalho, le directeur du théâtre depuis 1856, fait jouer les œuvres de Weber, ‘Les Noces de Figaro’ et ‘L’enlèvement au sérail’ de Mozart, ‘Orphée’ de Gluck, ‘Fidelio’ de Beethoven, tous en version française. 

Après son expropriation, en 1862, due aux travaux de percement de la place de la République, le Théâtre lyrique se déplace au Théâtre des Nations, place du Châtelet. 

Le Théâtre Lyrique (à gauche) et  le Théâtre Impérial du Cirque (au centre) vers 1848.

Le Théâtre Lyrique (à gauche) et le Théâtre Impérial du Cirque (au centre) vers 1848.

2. Le Théâtre des Nations (1862-1871)

Au Théâtre des Nations, l’actuel Théâtre de la Ville, Léon Carvalho continue de présenter des opéras italiens en version française, ‘La Traviata’, ‘Rigoletto’, ‘Norma’, et crée, également, la version parisienne du ‘Macbeth’ (1865) de Giuseppe Verdi

C’est au cours de cette période faste que ‘Les Pêcheurs de perles’ et ‘La Jolie fille de Perth’ (Bizet), ‘Les Troyens à Carthage’ (Berlioz), ‘Mireille’ et ‘Roméo et Juliette’ (Gounod) sont joués pour la première fois. 

Enfin, la première française de ‘Rienzi’ de Richard Wagner (1869) devient la production la plus importante de son successeur, Jules Pasdeloup

Mais lors des évènements de la Commune (1871), les combats entraînent la destruction de la salle. 

Le Théâtre Lyrique laisse la place aux opérettes qui vont jouir d’une grande popularité jusqu’à la fin du XIXème siècle aux Théâtres des Variétés, de la Gaité Lyrique et de la Renaissance. 

Le Théâtre Lyrique / Théâtre des Nations, place du Châtelet.

Le Théâtre Lyrique / Théâtre des Nations, place du Châtelet.

Les Théâtres Lyriques du Paris ancien (cliquez pour agrandir)

Les Théâtres Lyriques du Paris ancien (cliquez pour agrandir)

Les Théâtres d'Opérettes et de Jacques Offenbach (1855 à 1893)

La libéralisation des théâtres en 1864, qui a été fatale au Théâtre des Italiens, permet à l'opérette de sortir des petites salles et de devenir un genre musical qui va connaître un grand moment de popularité au cours de la seconde partie du XIXème siècle. 

Jacques Offenbach en est le leader en tant que compositeur et en tant que manager. 

Pas moins de 6 théâtres ont constitué le fil conducteur de ce courant musical qui engendra la comédie musicale au XXème siècle.

1. Le Théâtre des Bouffes parisiens (1855-1862) 

Situé au 4 rue Montsigny, le Théâtre des Bouffes parisiens prend définitivement ce nom en 1859, après avoir existé sous le titre de Théâtre des Bouffes d’hiver. 

Jacques Offenbach en est l’administrateur. 

Il monte les premières de 'Les Deux aveugles' et ‘Ba-ta-clan’ (1855), ‘Orphée aux enfers’(1858) et ‘Geneviève de Brabant’ (1859). 

Et le 24 décembre 1860, Offenbach réussit à créer Barkouf à l 'Opéra Comique, sur un livret d’Eugène Scribe et Henry Boisseaux. L'ouvrage n'est cependant plus joué après sa dernière le 16 janvier 1861, avant que l'opéra de Strasbourg ne le réssucite en décembre 2018.

En 1862, il cède cependant le bail de la salle qui est détruite puis reconstruite. 

Offenbach passe alors au Théâtre du Palais Royal. 

'L’étoile’ de Chabrier (1877), 'Maître Péronilla’ d'Offenbach (1878) et ‘La Mascotte’ d’Audran (1880) seront créés aux Bouffes parisiens. 

Théâtre des Bouffes parisiens.

Théâtre des Bouffes parisiens.

2. Le Théâtre du Palais Royal (1863-1867)

Situé au 38 rue Montpensier, au coin nord-ouest des jardins du Palais Royal, le Théâtre du Palais Royal est un théâtre de vaudeville qui a lancé de jeunes auteurs (Labiche, Sardou). 

Il va jouer un rôle important en permettant à Offenbach, Meilhac et Ludovic Halévy de s’y rencontrer en 1863. 

‘La vie parisienne’ y est créée en 1866. 

Le Théâtre de Palais Royal.

Le Théâtre de Palais Royal.

3. Le Théâtre des Variétés (1864-1873)

Situé au 7 boulevard Montmartre, le Théâtre des Variétés est encore une création de Mademoiselle Montansier

C’est ici que seront jouées les premières de la plupart des opérettes d’Offenbach, ‘La belle Hélène’ (1864), ‘Barbe-Bleue’ (1866), ‘La Grande Duchesse de Gerolstein’ (1867), ‘La Perichole’ (1868), ‘Les Brigands’ (1869), la seconde version de ‘La vie parisienne’ (1873), tous écrits sur les livrets de Meilhac et Ludovic Halévy. 

Jacques Offenbach quitte ce théâtre en 1873 pour prendre la direction du Théâtre de la Gaité Lyrique. 

Le Théâtre des Variétés.

Le Théâtre des Variétés.

4. Le Théâtre de la Gaité Lyrique (1873-1877)

Jacques Offenbach dédie ce théâtre de mélodrame, ouvert en 1862, à l’art lyrique et à l’opérette. 

Au 3 rue Papin – près du square des Arts-et-Métiers - sont ainsi jouées les premières du ‘Roi Carotte’ (1872), les secondes versions de ‘Orphée aux enfers’ (1874) et ‘Geneviève de Brabant’ (1875), ‘Le voyage dans la Lune' (1875), et, également, la première du ‘Timbre d’argent’ (1877) de Camille Saint-Saëns

Le nouveau Théâtre de la Gaité Lyrique en 1862.

Le nouveau Théâtre de la Gaité Lyrique en 1862.

5. Le Théâtre des Folies-Dramatiques (1869-1892)

En 1862, un théâtre de mélodrame, 'Le Théâtre des Folies-Dramatiques', se déplace du boulevard du Temple vers la rue de Bondy (à l'actuel 40 rue René Boulanger).

Le compositeur français Hervé, rival, mais également ami, de Jacques Offenbach, prend la direction du théâtre et y crée de grandes pièces bouffes, 'L'Oeil crevé' (1867), 'Chilpéric' (1868), 'Le Petit Faust'' (1869).

Le répertoire de son théâtre évolue ensuite pour devenir un théâtre d'opérettes classiques en trois actes, où plusieurs créations importantes auront lieu telles 'Le Canard à trois becs' (1869) d' Emile Jonas, 'La fille de Madame Angot' (1873) de Charles Lecocq, 'Les cloches de Corneville' (1877), 'Rip van Winkle' (1884) et 'Surcouf' (1887) de Robert Planquette, 'Madame Favart' (1878) et 'La fille du tambour-major' (1879) de Jacques Offenbach, 'La fauvette du temple' (1885) et 'La Béarnaise' (1887) d'André Messager.

Hervé quitte Paris pour Londres en 1886, et revient à Paris en 1892 où il décède.

Après la première Guerre Mondiale, le théâtre accueille nombre de comédies musicales, se transforme en cinéma en 1930, et est finalement détruit en 1969.

Le Théâtre des Folies-Dramatiques en 1905

Le Théâtre des Folies-Dramatiques en 1905

6. Le Théâtre de la Renaissance (1875-1893)

Théâtre de drame romantique, le théâtre de la Renaissance est voué à l’opérette à partir de 1875. 

‘La Tzigane’ – version française de ‘La Chauve-Souris’ de Johan Strauss -, ‘Le petit Duc’, de Lecoq, ‘Fanfreluche’, de Hirsch, ‘Belle lurette’, d’Offenbach, joué quelques jours après sa mort. 

‘Madame Chrysanthème’, d’André Messager, est la dernière opérette créée sur le boulevard Saint-Martin, avant la reprise de la salle par Sarah Bernhardt en 1893. 

 

          Le Théâtre de la Renaissance aujourd'hui.

Les Théâtres Lyriques du Paris ancien (cliquez pour agrandir)

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Le Théâtre du Châtelet (1862 à nos jours) 

En 1862, l’architecte Gabriel Daviou créé Le Théâtre des Nations et Le Théâtre du Châtelet de part et d’autre de la place du même nom. 

Le Théâtre du Châtelet est voué à accueillir différentes disciplines, théâtre, danse, musique, opéra, cinéma. 

L'année 1906 marque le début des légendaires saisons mises en place par l'impresario et éditeur de musique Gabriel Astruc

C'est en effet dans ce théâtre qu'a lieu, en 1907, la création française de ‘Salome’ de Richard Strauss, avec le compositeur au pupitre. 

En 1910, Astruc propose une saison italienne avec la troupe du Metropolitan Opera de New York emmenée par Arturo Toscanini. 

Les Parisiens applaudissent Emmy Destinn et Caruso dans ‘I Pagliacci’, ‘Aida’ et lors de la création française de ‘Manon Lescaut’ de Puccini en version originale.

Le Théâtre du Châtelet.

Le Théâtre du Châtelet.

En 1911, c'est au Châtelet que Gabriele D'Annunzio et Claude Debussy créent 'Le Martyre de Saint Sébastien'. 

De 1928 à 1966, le Théâtre du Châtelet se lance dans l'opérette à grand spectacle et signe lui-même de nombreuses mises en scène, ‘Show Boat’, ‘ New Moon’

En 1941, grand succès avec ‘Valses de Vienne’ sur des musiques de Johann Strauss père et fils. 

En 1980, le Châtelet prend le titre de ‘Théâtre musical de Paris’. 

Sous Jean-Albert Cartier, Stéphane Lissner et Jean-Pierre Brossmann, de 1980 à 2006, les opérettes sont toujours jouées, mais les grandes œuvres de Verdi, Wagner, Berlioz et des compositeurs russes sont représentées avec la collaboration de grands metteurs en scène. 

Et, à partir de 2006, Jean-Luc Choplin réoriente la programmation pour la consacrer quasi-exclusivement à la comédie musicale. 

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Publié le 14 Mai 2016

L'article qui suit propose de donner un aperçu le plus clair possible de l'évolution du répertoire de l'Opéra de Paris de 1875 à nos jours (saison 2024/2025 d'Alexander Neef).

Il s'appuie sur les données des sites Memopera et Chronopera qui agrègent les données de la programmation de l'Opéra de Paris, ainsi que sur les analyses des études 'Le répertoire de l'Opéra de Paris (1671-2009) Analyse et interprétation' réunies par Michel Noiray et Solveig Serre  (Etudes et rencontres de l'école des chartes).

Le répertoire de l’Opéra de Paris de l’inauguration du Palais Garnier (1875) à nos jours

Dès leur arrivée au pouvoir après 1879, les républicains appliquent en France un important programme de réformes afin d’obtenir le ralliement le plus large possible de toutes les catégories sociales.

La question de l’Opéra, dont l’influence théâtrale domine en Europe, se pose, car le symbole luxueux qu’il représente est maintenant confronté à la nécessité de le rendre accessible à tous.

L’inauguration du Palais Garnier, le 05 janvier 1875, soit quatre ans, jour pour jour, avant le basculement du sénat du côté des républicains, a donc l’effet paradoxal de célébrer un bâtiment conçu pour satisfaire le besoin de se montrer de la bourgeoisie parisienne, alors que l’Opéra populaire se développe dans les autres théâtres de la capitale.

L’analyse du répertoire de l’Opéra de Paris depuis 1875 montre ainsi comment le Palais Garnier va d’abord être le théâtre d’une évolution entre tradition et modernité, puis, avec l’ouverture de l’Opéra Bastille en 1989, comment il va s’élargir afin d’atteindre le public le plus large possible.

Le répertoire de l'Opéra de Paris depuis 1875. Classement des œuvres jouées au moins un soir par an, en moyenne.

Le répertoire de l'Opéra de Paris depuis 1875. Classement des œuvres jouées au moins un soir par an, en moyenne.

La période 1875-1939

Sur cette période qui couvre 64 ans, 40 ouvrages portent 90% des soirées.

Les grands opéras de Meyerber et Halévy (‘Le Prophète’, ‘L’Africaine’, ‘La Juive’, ‘Robert le diable’) initiés sous la direction du dernier administrateur Louis-Philippard, Louis Désiré Véron (1831-1835), restent longuement à l’affiche jusqu’en 1936.

‘Les Huguenots’, avec 545 représentations, font même partie des cinq premiers titres.

Mais l’un de ceux négligés par Véron, ‘Guillaume Tell’ de Rossini, œuvre originelle du romantisme italien, totalise également plus de 300 représentations.

Auber, lui, a totalement disparu du répertoire depuis le 15 février 1882, date de la dernière représentation de ‘La Muette de Portici’, seul ouvrage du compositeur français donné à Garnier. C'est un signe fort que l’académisme est sur un irréversible déclin.

Les ouvrages français de Reyer, Thomas, Massenet, contemporains de l’époque et appartenant au style du Grand Opéra, ‘Thaïs’, ‘Hamlet’, ‘Sigurd’, ‘Salammbô’, ‘Henry VIII’ et ‘Hérodiade’, sont fortement présents.

Ainsi, jamais le répertoire national n’aura autant été cultivé que dans les années 1920-1940.

En haut du palmarès, le ‘Faust’ de Gounod reste exagérément représenté au rythme de 25 soirées chaque année, suivi de ‘Samson et Dalila’ de Saint-Saëns, avec plus de 10 représentations par an.

Les opéras français côtoient dorénavant les neuf opéras de Richard Wagner présents dans ce classements (dont les 'Maîtres Chanteurs de Nuremberg'), depuis que des mécènes influents militent pour soutenir ses ouvrages ainsi que ceux d’Hector Berlioz (près de 200 représentations pour la ‘Damnation de Faust’ – version remaniée -, et une centaine pour sa version du ‘Freischütz’) auxquels le pouvoir politique résiste.

‘Lohengrin’ est ainsi à la hauteur des 545 représentations des ‘Huguenots’.

Mais l’on voit aussi poindre deux opéras de Richard Strauss, ‘Le Chevalier à la Rose’ et ‘Salomé’, le premier restant l’opéra de ce compositeur le plus interprété à l’Opéra de Paris jusqu’à ce jour.

Un esprit de résistance à l’anti-germanisme souffle parmi les fidèles abonnés, et ‘Boris Godounov’ défend fièrement le répertoire slave.

Entré au répertoire en 1885 et placé en troisième position, le ‘Rigoletto’ de Giuseppe Verdi symbolise le mieux cette ouverture à la modernité alliée à la tradition littéraire française, ‘Le Roi s’amuse’ de Victor Hugo.

Mais, à l'instar d'‘Aïda’, ‘Rigoletto’ sert surtout à combattre Wagner.

Et avec ‘Don Juan’ et ‘La Flûte Enchantée’, Mozart reste le seul compositeur du XVIIIème siècle présent dans la seconde partie de ce classement.

Cette cohabitation entre répertoire et avant-garde, sous le contrôle de l’Etat, est avant tout l’œuvre du directeur le plus talentueux et le plus généreux de cette période, Jacques Rouché.

En parallèle de cette évolution du répertoire qui intègre principalement des œuvres prévues pour un établissement disposant d’un corps de ballet, l’Opéra-Comique reste le véritable lieu de création de la capitale.

‘Carmen’ (1875), 'Cinq-Mars' de Gounod (1877), ‘Les Contes d’Hoffmann’ (1881), ‘Lakmé’ (1883), ‘Manon’ (1884), ‘Le Roi malgré lui’ (1887), ‘Le Roi d’Ys’ (1888), ‘Esclarmonde' (1889), 'Sapho' (1897), 'Cendrillon’ (1899), ‘Louise’ (1900), 'Grisélidis' (1901), ‘Pelléas et Mélisande’ (1902), 'Fortunio' (1907), ‘Ariane et Barbe-Bleue’ (1907), 'Macbeth' de E.Bloch (1910), 'Bérénice' (1911), 'L'Heure espagnole' (1911), ‘Mârouf Savetier du Caire’ (1914) y sont créés, mais Albert Carré monte également les Puccini en versions françaises ‘La Bohème’ (1898), ‘Tosca’ (1903), ‘Madame Butterfly’ (1906), et impose ‘Werther’ (1903).

Le répertoire de l'Opéra de Paris depuis 1875. Classement des œuvres jouées au moins un soir par an, en moyenne.

Le répertoire de l'Opéra de Paris depuis 1875. Classement des œuvres jouées au moins un soir par an, en moyenne.

La période 1939-1973

Avec seulement 32 œuvres qui couvrent 90% des soirées, la période d’après-guerre est une période faible.

La moitié du répertoire d’avant-guerre a disparu ( Meyerbeer, Halevy, Massenet – hormis ‘Thaïs’ -, Reyer, Thomas), et Richard Wagner résiste avec ‘Tannhäuser’, ‘Tristan et Isolde’, ‘Lohengrin’ et ‘La Valkyrie’.

Arrivé en 1937, en provenance de l’Opéra-Comique où il est joué depuis 1897, ‘Le Vaisseau Fantôme’ entre au Palais Garnier.

Mais ‘Parsifal’ subit un ostracisme (3 représentations en 1954 uniquement) jusqu’à l’ère Liebermann.

Face au reflux des œuvres du Grand Opéra, oeuvres lourdes à monter par nature, et sous l’influence de la 'Réunion des théâtres lyriques nationaux' créée en 1939, le répertoire de l’Opéra-Comique commence à entrer au Palais Garnier : ‘Ariane et Barbe-Bleue’, ‘Le Roi d’Ys’ – plus de 130 représentations entre 1941 et 1967 - et surtout ‘Tosca’ – près de 150 représentations entre 1960 et 1974 – et ‘Carmen’, avec plus de 360 représentations entre 1959 et 1970. ‘Mârouf Savetier du Caire’, entré dès 1928, poursuit sa carrière jusqu’en 1950.

L’Opéra contemporain, lui, est surtout défendu par ‘Dialogues des carmélites’ de Poulenc, le 21 juin 1957, cinq mois après sa création mondiale à Milan, et par ‘Jeanne au Bûcher’ de Honegger en 1950, 12 ans après sa création à Bâle.

Deux ouvrages de plus de 130 ans connaissent aussi leur moment de gloire au Palais Garnier, ‘Fidelio’ de Beethoven – de 1938 à 1968 -, et ‘Les Indes Galantes’ de Rameau – plus de 280 représentations entre 1952 et 1965.

Cette période correspond également au renforcement des œuvres de Giuseppe Verdi.

‘Aïda’ fait toujours partie des 10 ouvrages les plus représentés, ‘Rigoletto’ – avec près de 470 représentations - succède à ‘Samson et Dalila’ comme challenger de ‘Faust’, suivi par ‘La Traviata’ avec près de 300 représentations. Et ‘Othello’ est maintenant parmi les 20 premiers.

Verdi est d’ailleurs le seul compositeur qui réussit à faire entrer deux de ses compositions apparentées au genre du Grand Opera, ‘Un ballo in maschera’, version musicalement bien supérieure au ‘Gustave III’ d’Auber, et ‘Don Carlos’, en 1963, qui n’avait plus été représenté depuis sa création en 1867 à la salle Le Peletier.

Et si Donizetti voit ‘La Favorite’ emportée par le déclin du Grand Opera, ‘Lucia di Lammermoor’ entre en 1935 au répertoire, pour ne plus le quitter.

Quant à Richard Strauss, sa présence est constante avec ‘Le Chevalier à la Rose’ et ‘Salomé’, alors que ‘La Flûte Enchantée’ de Wolfgang Amadé Mozart rejoint les dix premiers ouvrages.

Le répertoire de l'Opéra de Paris depuis 1875. Classement des œuvres jouées au moins un soir par an, en moyenne.

Le répertoire de l'Opéra de Paris depuis 1875. Classement des œuvres jouées au moins un soir par an, en moyenne.

La période 1973 à nos jours

Avec l’arrivée en 1973 de Rolf Liebermann à la tête de l’institution, l’Opéra de Paris connaît un renouveau spectaculaire. Les œuvres sont pour la plupart interprétées en langue originale, les grandes voix et des metteurs en scène novateurs sont invités au Palais Garnier, et la part du répertoire national passe de 50% à 15%.

L’Opéra-Comique est ensuite temporairement intégré au Théâtre National de l’Opéra, de 1978 à 1989, jusqu’à l’inauguration de l’Opéra Bastille, qui parachève l’œuvre d’ouverture au public le plus large possible dont Hugues Gall sera le directeur majeur.

Sur cette période de 52 ans, 52 opéras portent seulement 63% des soirées, ce qui témoigne de cette diversité.

C’est l’avènement de Mozart et de Puccini (20% des œuvres jouées à eux deux), eux qui ne représentaient que 2% du répertoire jusqu’à la fin des années 1960.

‘Les Noces de Figaro’ (plus de 220 représentations), créé dans la mise en scène de Giorgio Strehler et remise au goût du jour par Netia Jones, puis ‘Die Zauberflôte’ (près de 250 représentations) détrônent ‘Faust’, qui n’est plus représenté qu'au rythme de trois soirs par an, en moyenne.

‘Don Giovanni’ et ‘Cosi fan Tutte’ font désormais partie des 12 opéras les plus joués, ‘La Clémence de Titus’ fait partie des 20 premiers et 'Idomeneo' des 40 premiers, une surprise pour ces deux œuvres sérieuses de Mozart que l'on doit à Gerard Mortier (2004-2009) qui a joué tous ces opéras avec de nouvelles productions. 'L'enlèvement au Sérail rejoint par ailleurs ces œuvres depuis peu à travers la mise en scène de Zabou Breitman (2014).

La salle de l'opéra Bastille le 05 novembre 2024 lors de la représentation de 'La Flûte enchantée' (œuvre n°1 à l'Opéra national de Paris)

La salle de l'opéra Bastille le 05 novembre 2024 lors de la représentation de 'La Flûte enchantée' (œuvre n°1 à l'Opéra national de Paris)

Avec plus de 210 représentations, ‘La Bohème’ devient l’autre symbole de la popularisation de l’Opéra de Paris, 'Tosca' fait dorénavant aussi partie des 5 opéras les plus joués, et ‘Madame Butterfly’ fait jeu égal avec ‘Faust’.

Et Puccini peut être satisfait de voir 'Turandot' approcher les 30 titres les plus joués de cette période à l'Opéra de Paris, grâce à la production de Robert Wilson attachée depuis décembre 2021 au répertoire, sous la direction d'Alexander Neef.

Giuseppe Verdi, lui, augmente sa présence à hauteur de 13% du répertoire (notamment grâce à Stéphane Lissner qui lui a dédié un quart des soirées entre 2017 et 2019), et La Traviata devient son opéra le plus joué depuis seulement 2019, où l'on verra sur scène pour la dernière fois la production de Benoît Jacquot avant que celle de Simon Stone ne bouscule le Palais Garnier, puis Bastille.

Mais ‘Rigoletto’, son second opéra le plus joué grâce à Hugues Gall et Stéphane Lissner, a retrouvé un rythme de production plus équilibré qu'au début du siècle.

‘Il Trovatore’, ‘Simon Boccanegra’, 'La Forza del Destino' et ‘Macbeth’ suivent alors les traces de ‘Don Carlo’, 'Othello' et ‘Un Ballo in maschera’.

Néanmoins, ‘Aïda’, l’un des symboles de la lutte contre Wagner, ne fait plus partie des 50 premiers titres malgré son retour en 2013, dans la production d'Olivier Py, suivie par celle de Lotte De Beer, après 55 ans d’absence.

L’intégration du répertoire de l’Opéra-Comique se poursuit également avec ‘Les Contes d’Hoffmann’ et ‘Manon’, en 1974, ‘Pelléas et Mélisande’, en 1977, et ‘Werther’ en 1978.

Mais les œuvres françaises remaniées pour l’Opéra de Paris, ‘Samson et Dalila’, ‘La Damnation de Faust’, ‘Thaïs’ et ‘Roméo et Juliette’ déclinent durablement.

Gioacchino Rossini, dans sa verve légère, prend sa pleine place à l’Opéra de Paris grâce au ‘Barbier de Séville’, à Bastille, et à ‘La Cenerentola’, à Garnier’.

L’’Elektra’ de Richard Strauss, elle, rejoint ‘Der Rosenkavalier’ parmi ses œuvres les plus jouées grâce à Liebermann, bien que ‘Salomé’, sous l'impulsion de la production de Lydia Steier commandée par Alexander Neef, rattrape aujourd'hui son retard

Cette période marque cependant la chute de Richard Wagner qui ne représente pas plus de 5% des représentations.

Plus aucune de ses œuvres ne se trouve parmi les 20 premiers, et ‘Der Fliegende Holländer’ devient son ouvrage phare, juste devant ‘Parsifal’ qui est de retour grâce aux productions d’August Everding, Graham Vick, Krzysztof Warlikowski et Richard Jones.

'Tristan et Isolde', joué pendant 3 saisons entre 2004 et 2009, et repris jusqu'en février 2023 sous la direction musicale de Gustavo Dudamel, doit beaucoup à la production de Bill Viola et Peter Sellars présentée pour la première fois par Gerard Mortier.

Et hormis les représentations de ‘Der Ring des Nibelungen’ données sous le mandat de Nicolas Joel entre 2009 et 2013, une seule œuvre du compositeur allemand est jouée par an, en moyenne.

S’il ne subsiste plus grand-chose du Grand Opera, en revanche, les compositeurs du XVIIIème siècle autres que Mozart trouvent définitivement leur place, Rameau (‘Platée), Haendel (‘Giulio Cesare’ et 'Alcina') et Glück (‘Orphée et Eurydice’ et ‘Iphigénie en Tauride’).

Le monde moderne ne s’installe cependant pas durablement, et ‘Wozzeck’ de Berg, ‘Katia Kabanova’ de Janacek et ‘Ariane à Naxos’ de Strauss, œuvres du XXème siècle entrées sur le tard à l’Opéra de Paris, ne franchissent pas le seuil des 40 premières œuvres, mais doivent leur présence dans ce classement à Gerard Mortier.

Enfin, Tchaïkovski, avec ‘La Dame de Pique’ et ‘Eugène Onéguine’, a rejoint ‘Boris Godounov’ pour défendre régulièrement le répertoire slave.

Si 52 ouvrages représentent 63% de la programmation, 177 autres couvrent cependant les 37% restants.

'Norma' de Bellini, 'Le Couronnement de Poppée' de Monteverdi 'L'amour des 3 oranges' de Prokofiev 'L'enfant et les sortilèges' de Maurice Ravel se positionnent autour de la 65ème place, et 'Rusalka' de Dvorak, 'Les Troyens' de Berlioz, 'Billy Budd' et 'Peter Grimes' de Britten et 'Lady Macbeth de Mzensk' de Chostakovitch autour de la 75ème place.

'Tannhaüser' ne se situe plus qu'autour de la 100ème, avec 'Dialogues des Carmélites' de Poulenc, 'Saint-François d'Assise' de Messian (la seule création contemporaine reprise régulièrement).

 

Pour conclure

Ce voyage à travers les 150 dernières années de l’Opéra de Paris montre comment l'institution a su se départir de son aura fastueuse portée par le Grand Opéra et Richard Wagner pour s’ouvrir au répertoire plus populaire de l’Opéra-Comique.

Elle a placé Wolfgang Amadé Mozart et  Giuseppe Verdi (compositeur invariablement attaché, sur cette période, à l’histoire du plus grand théâtre lyrique parisien) en tête des compositeurs les plus joués.

Mais l’intégration du répertoire international ne s'est réalisée qu’avec beaucoup de retard à partir des années 1970, si l’on excepte ‘Boris Godounov’, ‘Der Rosenkavalier’ et ‘Salomé’ présents, eux, depuis le début du XXe siècle.

Pour l'étude du répertoire de l'Opéra de paris à la salle Le Peletier de 1821 à 1874, lire l'article sous le lien suivant : Le répertoire de l'Opéra de Paris (salle Le Peletier) de 1821 à 1874 sous la Restauration et le Second Empire

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Publié le 14 Février 2016

Une nouvelle version de cette article, étendue au mandat de Stéphane Lissner de 2015 à 2021, et donc avec des informations plus récentes, est dorénavant disponible depuis le 18 avril 2019 à partir du lien suivant : Prix des places et politique tarifaire - Opéra National de Paris de 1998 (Hugues Gall) à 2020 (Stéphane Lissner)

 

Article du 14 février 2016

L’annonce de la seconde saison de Stéphane Lissner à la direction de l’Opéra National de Paris a créé la surprise en révélant 11 nouvelles productions, dont 9 dans les grandes salles.

Mais il a également dérouté quelque peu les spectateurs en présentant un plan de salle totalement repensé à l'Opéra Bastille, sans que l’on puisse dire du premier coup d'oeil si elle accompagne une augmentation du prix des places.

La politique tarifaire de l’Opéra National de Paris entre 1998 et 2012 a en effet fait l’objet d’un long article sur ce site même, complété par une analyse de l’augmentation de tarif décidée par Christophe Tardieu, l’adjoint de Nicolas Joel, en 2013.

Affiche de la reprise des Contes d'Hoffmann en octobre 2016

Affiche de la reprise des Contes d'Hoffmann en octobre 2016

Ajout de deux catégories intermédiaires à 170 euros et 50 euros

Le plan de salle 2016/2017 à Bastille comprend 11 catégories, soit 2 de plus que cette saison.

Apparaissent ainsi une catégorie à 50 euros (catégorie 7), qui regroupe certaines places à 70 euros et à 35 euros de la saison précédente, et une catégorie à 170 euros (catégorie 2) qui permet d’étaler les places entre 100 et 210 euros sur 6 catégories au lieu de 5 habituellement.

45 places à 35 euros (sur 245) passent en effet à 50 euros, et 55 places à 70 euros passent à 50 euros.

Mais 8 places à 35 euros sont par ailleurs déclassées à 15 euros, ce qui porte à 112 le nombre de places, chaque soir, à 5 ou 15 euros.

Plan de salle de l'Opéra Bastille pour la saison 2016/2017

Plan de salle de l'Opéra Bastille pour la saison 2016/2017

La répartition des prix par catégories devient ainsi plus équitable et ajustée au confort acoustique et visuel.
Il n’y a plus le passage brutal de 35 à 70 euros entre les catégories 6 à 5, qui est maintenant gradué entre les catégories 8, 7 et 6.

La forme de ce nouveau plan de salle semble donc démontrer que l’Opéra National de Paris dispose d’un nouvel outil de planification et de simulation pour optimiser le découpage en catégories.

Augmentation du nombre de places à prix inférieur à 60 euros

Le tableau qui suit montre l’évolution des prix depuis 1998.

Pour la première fois, depuis 2011, le nombre de places à moins de 60 euros, pour le lyrique à Bastille, remonte sensiblement à 415 par soir (contre 340 la saison précédente), soit 58000 places au cours de la saison, en incluant les 32 places debout à 5 euros chaque soir (4450 places).

Nombre de places par tranches de 30 euros pour le lyrique à Bastille de 1998 à 2017

Nombre de places par tranches de 30 euros pour le lyrique à Bastille de 1998 à 2017

Il y a même 750 places, en moyenne, à moins de 90 euros, soit 75 de plus qu’en 2015/2016.

On remarque en effet que certaines reprises, 'Wozzeck' et 'Lucia di Lammermoor', sont proposées à des tarifs bas, moins de 150 euros en catégorie optima, tarification qui n'avait pas été utilisée cette saison. En fait, pour une même tarification, le gain est plutôt de 20 places.

On constate également que les reprises de 'La Flûte enchantée' et de 'Tosca' sont vendues 10% moins cher qu'en 2014/2015 pour six soirées.

En revanche, dans la partie élevée des prix, l’éclatement de la catégorie 1, dont certaines places sont passées en optima, et d’autres en catégorie 2, augmente le nombre moyen de places à plus de 180 euros (passage de 515 à 580 places chaque soir).

Variation du prix moyen selon l’ouvrage, les artistes invités et le soir

Autre nouveauté, la distribution du prix moyen de la place d’opéra, selon l’oeuvre et les artistes invités, s’élargit.

En 2015/2016, le prix moyen pour la reprise du 'Barbier de Séville', certains soirs, est de 105 euros, alors que le prix moyen de la 'Damnation de Faust' ou du 'Trouvère' est de 155 euros, certains soirs.

En 2016/2017, le prix moyen pour la reprise de 'Wozzeck', certains soirs, est de 90 euros, alors que le prix moyen des 'Contes d’Hoffmann' (avec Jonas Kaufmann) ou d’'Eugène Onéguine' (avec Anna Netrebko) est de 170 euros, bien que les productions soient des reprises.

Les soirs avec Jonas Kaufmann et Anna Netrebko sont en effet majorés de 20%, pour toutes les catégories, hors places à 5 et 15 euros.

Parterre et balcons de l'Opéra Bastille - juillet 2010

Parterre et balcons de l'Opéra Bastille - juillet 2010

Préservation du prix moyen de la place d’opéra sur toute la saison

Globalement, le prix moyen des places sur toute la saison lyrique à Bastille reste inchangé à 135 euros.

L’Opéra National de Paris réussit donc à augmenter le nombre de places accessibles dans la gamme de tarifs à moins de 60 euros (+25%), et à augmenter le nombre de places dans la gamme supérieure à 180 euros (+15%), tout en préservant le prix moyen d'une place d'Opéra à Bastille.

C’est un bel effort de résistance, soutenu par le mécénat, qui n’a rien d’évident dans un contexte de pression budgétaire et de réduction de subventions, et qui, espérons le, sera poursuivi.

Evolution pour 2017/2018 - baisse du prix moyen de la place d'opéra

Mercredi 25 janvier 2017, la nouvelle saison de l'Opéra de Paris a été dévoilée (lire Présentation de la saison 2017/2018 de l'Opéra National de Paris).

La grille de tarification s'est simplifiée en supprimant la catégorie des places "5 à 195 euros" au profit de la catégorie "5 à 180 euros". Par ailleurs, les majorations/minorations sont limitées à 10% certains soirs.

Globalement, les prix restent stables pour les catégories en dessous de 100 euros, et baissent de 10% dans les catégories supérieures.

Le prix moyen des places, pour le lyrique à Bastille, passe ainsi à 126 euros, avec une élongation qui va de 90 euros, pour De la Maison des Morts et Pelléas et Mélisande, à 150 euros pour les nouvelles productions du répertoire du XIXe siècle.

Nombre de places par tranches de 30 euros pour le lyrique à Bastille de 1998 à 2023

Nombre de places par tranches de 30 euros pour le lyrique à Bastille de 1998 à 2023

Complément mai 2023 : Evolution pour 2023/2024 - Stabilité depuis la saison 2017/2018

6 ans après la dernière mise à jour de cet article, la crise covid a déshabilité le milieu du spectacle vivant, un nouveau directeur, Alexander Neef, a pris ses fonctions en septembre 2020, et le public a mis du temps a revenir en salle.

Les prix ont alors connu une baisse avant de retrouver pour la saison 2023/2024 (128 soirées lyriques à Bastille) leur niveau de la saison 2017/2018, alors que depuis l'inflation en France a progressé de 15%!

Les places à 5 euros ont disparu depuis la saison 2019/2020 suite à un incident spectateur, soit 4100 places en moins, mais pourtant, on trouve en moyenne 500 places par soir à moins de 60 euros pour le lyrique à Bastille.

Le prix moyen des places, pour le lyrique à Bastille, passe ainsi à 124 euros, avec une élongation qui va de 57 euros, pour Cendrillon, et 93 euros pour L'Affaire Makropoulos, à 146 euros pour deux nouvelles productions du répertoire, Lohengrin et Don Giovanni, et la reprise de Turandot.

Quant aux nouvelles productions de Don Quichotte et La Vestale (première série en juin), elles sont proposées à un prix moyen de 131 euros, et celles de The Exterminating Angel, Beatrice di Tenda et La Vestale (seconde série en juillet) affichent un prix moyen de seulement 114 euros.

L'Opéra de Paris est donc toujours dans une phase de reconquête du public en 2023/2024, et n'a jamais été aussi accessible - à euro constant - que depuis la dernière saison de Gerard Mortier (2008/2009).

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