Présentation de la nouvelle production de Parsifal
Publié le 29 Février 2008
Présentation de la nouvelle production de Parsifal par Gerard Mortier.
Amphithéâtre Bastille le Lundi 25 février 2008.
Représentations à l'Opéra Bastille du 04 mars au 23 mars 2008.
Les problèmes que pose l’œuvre
Le spectateur qui s’installe pour écouter Parsifal peut ressentir un certain malaise pour au moins trois raisons.
Premièrement qu’est ce que cet ouvrage ? Un théâtre ? Une sorte de religion ? Une messe ?
Au Festspielhaus de Bayreuth il était même interdit pendant longtemps d’applaudir après le premier acte et il fallait sortir en toute tranquillité comme dans une église.
Pas étonnant qu’Igor Stravinsky en partit furieux de voir un tel comportement.
Car si dans « St François d’Assise » Olivier Messiaen parle de dieu sans rien montrer sur scène, dans l’œuvre de Wagner tout est là : le pigeon blanc de Pentecôte, le Calice, les chœurs du ciel et ensuite tout le texte pour finir sur la phrase « Rédemption au rédempteur », le Christ étant ainsi sauvé par Parsifal.
Il est d’ailleurs étrange que Parsifal, qui est un guerrier, ait pu recevoir une mission de dieu.
Alors comment aborder cela ?
Thomas Mann dit que Wagner a développé une sorte de théologie privée, qu’il a voulu libérer la religion de l’orthodoxie religieuse (l’église canonique).
Comment faire alors avec toutes ces références à la chrétienté pour toucher un public contemporain de moins en moins croyant dans un siècle très sectarisé ?
En deuxième lieu, comment aborder le personnage de Kundry ?
A partir de Saint Augustin, se développe l'idée que la Femme est à l’origine du péché et du malheur de l’homme. La Femme incarne le diable.
Qu’est ce qu’elle est au juste? Elle est très laide dans la journée (elle est décrite comme un animal) et la nuit est d’une beauté incroyable, l’incarnation de la séduction.
Mais ce qui est encore plus difficile à accepter est que Kundry est très caractéristiquement indiquée comme une Juive. Elle a été condamnée pour avoir ri au passage du Christ portant sa Croix.
Certains metteurs en scène refusent pour cette raison de mettre en scène Parsifal. Patrice Chéreau a toujours refusé de le faire (il était prévu pour Bayreuth).
Et puis il y a ce cri étrange au moment du baiser de Kundry à Parsifal. C’est simplement la prise de conscience de lui-même par la sexualité. Mais cette prise de conscience est presque condamnée car il doit aller se repentir.
Enfin comment comprendre ce qu’il se passe lors de la dernière scène ?
La rédemption se fait car Amfortas est guéri par la lance de Parsifal et seule Kundry doit mourir (avec Klingsor au deuxième acte).
Le monde remis en ordre à la fin est donc un monde d’hommes et non pas un monde de femmes.
Quelques éléments sur l’histoire de la représentation du Graal
La question du Graal vit avec nous depuis longtemps.
A Gand (où est né Gerard Mortier) se trouve le Château des comtes construit par le Comte Philippe d’Alsace lorsque qu'il revint de la seconde croisade (1180).
Il y invita le troubadour Chrétien de Troyes afin d’écrire pour son fils un roman d'initiation : "Perceval".
La passage sur le Graal est très court (25 vers sur 9000) et le livre est resté inachevé. Seulement c'est un épisode d'une extrême beauté.
Une fois Perceval entré dans le château du roi Pescheor, un très beau cortège de jeunes filles et de jeunes hommes défile sous ses yeux (avec de magnifiques descriptions des robes, des visages ...) en portant trois symboles : une pierre, le Graal (sorte de coupe) et une lance dont coule du sang.
La beauté de cette vision émerveille tout le monde et est décrite avec beaucoup de sensualité.
Mais à la même époque, la religion catholique fait du Graal le Calice avec lequel Joseph d'Arimathée récupéra le sang du Christ.
Enfin, Wolfram von Eschenbach (1175-1225 environ) parle du Graal dans le très long poème Parzival qui inspirera Richard Wagner.
La mythologie du Graal est de toute évidence présente dans beaucoup de religions et se retrouve même dans les cultes préislamiques (la Pierre Noire d'Arabie devenue lieu de pèlerinage aujourd'hui).
Gerard Mortier a ainsi proposé à Amin Maalouf de réfléchir à un spectacle œcuménique sur le Graal en partant de matériel arabe. Après un an d'étude le projet a cependant échoué mais peut-être sera t'il monté au New York City Opera.
Le symbole du Graal est donc au Moyen Age une sorte d'incarnation du paradis.
La mise en scène de Parsifal
L’inquiétude qu’a le metteur en scène en s’attaquant à une œuvre pareille est que Parsifal ne pouvait être joué qu’à Bayreuth entre 1882 et 1912.
En 1904, il y a bien une tentative au Metropolitan Opera grâce à une petite partition récupérée, mais c'est un sacrilège.
S’installe alors cette idée de pèlerinage comme à Lourdes.
La mise en scène définie par Richard Wagner fait référence à des lieux très réalistes : le Temple s'inspire de la Cathédrale de Sienne, tandis que les jardins de Klingsor reproduisent ceux de Ravenne.
Jusqu’en 1933 elle ne change pas.
Siegfried, le fils de Wagner, envisage de la renouveler mais finalement décide de ne pas le faire.
Par contre Hitler souhaite la changer car il aime les « Maîtres Chanteurs de Nuremberg » mais pas Parsifal à cause de ses références religieuses (il n’avait pas vu que Kundry était juive). L’intendant Nazi Hans Tietjen crée ainsi une nouvelle production en 1934 dans les décors d'Alfred Roller et Emil Preetorius.
Cependant elle ne dure que 3 ans et en 1937, Wieland Wagner signe de nouveaux décors.
En 1951, Wieland Wagner a cette magnifique idée de concentrer la mise en scène sur les effets de lumières et couleurs. Inspiré par la psychologie de Freud, Kundry devient une araignée qui attend tous ces hommes dans sa toile.
Tous les symboles sont là : le pigeon (le saint esprit), le cygne (la sensualité selon la mythologie de l’Edda) tué par Parsifal, le calice (symbole féminin) et la lance (symbole masculin).
Chez Richard Wagner il y a toujours cette scission entre la sensualité et l'amour absolu (thème qui parcourt également Tannhaüser).
Aucune mise en scène ne peut cependant atteindre la vérité beaucoup trop complexe de l’œuvre.
La mise en scène de Krzysztof Warlikowski
Le point de départ est de ne pas effacer la relation avec le religieux mais de la mettre parfois entre parenthèse ou alors de l’accentuer.
Il y a beaucoup de mises en scènes qui l’effacent et tuent ainsi la pièce en la sécularisant complètement. Dans ce cas, c'est aussi le rapport avec la musique qui est estompé.
D'ailleurs à Paris en 2004, le côté religieux de Saint François d’Assise a été gommé ce qui n’a pas vraiment réussi à l’ouvrage.
Entre la première de Parsifal et aujourd’hui, nous avons vécu un XXième siècle avec deux guerres mondiales, dans lequel beaucoup de choses se sont passées et sont présentes dans l’œuvre de Richard Wagner, c'est-à-dire toute cette réflexion sur la sécularisation, ce côté idéaliste, ce côté pseudo religion.
Gerard Mortier et Krzysztof Warlikowski ont ainsi essayé d’intégrer les grandes réflexions du XXième siècle. Il ne faut donc pas attendre un premier degré mais faire l’effort d’accepter un second degré.
Par exemple la « Montagne Magique » de Thomas Mann est aussi une sorte d’initiation dont le jeune Hans Castorp bénéficie. Pourtant à la fin il part en guerre et y meurt.
Des associations avec des œuvres artistiques du XXième siècle ont été incorporées.
Dans « 2001 l’Odyssée de l’Espace », le grand monolithe représente pour Stanley Kubrick le Graal, cette pièce que l’on ne comprend pas.
Des images de films de Rossellini interviennent également comme Krzysztof Warlikowski fit dans l’Affaire Makropoulos.
A la fin, tous ces personnages forment une famille : Amfortas et Klingsor sont demi-frères et Titurel est le père d’Amfortas.
Quand à Kundry, qui est une femme qui renaît tout le temps et qui décrit avec une telle émotion la mort de Herzeleide, ne pourrait-elle pas être justement sa réincarnation ?
Il faut se souvenir que la mère de Parsifal l’a en vain empêché de suivre les traces d’un père, Gamuret, attiré par les aventures héroïques.
Kundry est le personnage le plus important.
C’est par elle que la pièce a beaucoup à raconter aujourd'hui. C’est une figure très moderne, bousculée par une grande aspiration à l’humanité et hédoniste comme est notre monde.
Mais avec tous les mouvements féministes rencontrés au XXème siècle, le metteur en scène ne peut se faire à l’idée de Wagner que Kundry doit mourir. C'est philosophiquement impossible.
Alors la famille se retrouve à la fin autour de la table qui pourrait être celle de la Cène.
Introduction musicale à Parsifal
L’idée de base de Parsifal est la symétrie des 3 actes. Les Ier et 3ième actes se reflètent et le second vient comme un grand contraste aux deux autres.
Puis dans chacun de ces actes se crée une opposition entre la musique diatonique et la musique chromatique.
Ainsi la musique diatonique, utilisée pour les mélodies les plus simples, se distingue par la clarté de son harmonie alors que la musique chromatique utilise les ½ tons ce qui crée une très grande tension dans l’harmonie classique.
Le chromatisme caractérise par exemple Klingsor, Kundry, la magie ou bien la douleur d’Amfortas.
La musique de Parsifal, jeune garçon innocent (sauf à la fin lorsqu’il devient roi où la musique est naturellement chromatique), les thèmes liés au Graal, tout ce qui relève de la foi et qui est beau sont de nature diatonique.
Ce dualisme très simple est donc pris comme point de départ.
Mais ce n’est pas aussi clair car tous ces personnages ont des histoires qui reprennent les motifs des autres, et les thèmes se modifient.
Avec ces leitmotive, l’art de Wagner est d’introduire le thème de la transformation.
L’opéra commence alors sur le motif du Graal (Mendelssohn l’utilise dans la 5ième symphonie avec l’amen de Dresde), puis enchaîne avec le motif de la foi présenté dans l’appel du matin.
Les chevaliers parcourent la forêt et de loin entendent ce thème.
Avec Kundry, la musique devient très agitée, motif de la chevauchée suivi de celui de Kundry qui est un motif descendant.
Le motif le plus chromatique dans le premier acte et celui de Klingsor, qui n’est pas présent mais est présenté par Gurnemanz dans son grand récit.
Et c’est à partir du second acte que Wagner apparaît vraiment comme l’élève de Ludwig van Beethoven car dans son développement tous les thèmes sont repris puis déconstruits et combinés les uns avec les autres. Enfin le 3ième acte est une reprise du Ier (à l’instar de la 5ième symphonie de Beethoven) où tous les motifs reviennent mais un peu modifiés.
C’est Alban Berg qui a vu tout cela chez Wagner et qui a poussé à l’extrême cette technique dans Wozzeck en construisant des scènes comme une symphonie.
Le philosophe allemand Arthur Schopenhauer disait que la musique est incapable d’exprimer le paradoxe, l’ambiguïté, et qu'elle ne peut qu'exprimer l’émotion pure.
Pourtant dans le second acte, les motifs du Graal diatoniques apparaissent dans un contexte chromatique et c’est tout cela qui crée une ambiguïté.
Wagner réussit donc à exprimer l’ambivalence du personnage de Kundry : d’abord les motifs sont présentés dans une pensée très claire et à la fin on ne sait plus ce que ces motifs veulent dire.