Rétrospective sur l'offre et le répertoire de l'Art Lyrique en France de 1996 à 2023
Publié le 9 Juillet 2023
L’art lyrique a connu en France une période prodigieusement foisonnante du milieu des années 1990 jusqu’au début de l’année 2020, avant que la vie culturelle ne soit fortement ébranlée par la pandémie mondiale que tout le monde a connu.
Que ce soit à Paris, avec la prise en main de l’opéra Bastille par Hugues Gall chargé de développer un nouveau répertoire - alors qu’en parallèle la capitale augmentait année après année son soutien au Théâtre du Châtelet sous les mandats de Stéphane Lissner et Jean-Pierre Brossmann -, ou en région où les opéras de Lyon, de Strasbourg, de Bordeaux, de Montpellier et de Nancy ont progressivement obtenus le label d’’Opéra national en région’ de 1996 à 2006, partout en France l’opéra va connaître un essor et un renouveau qui verra même apparaître de nouvelles maisons (Opéra de Massy en 1993) et de nouveaux festivals tels ceux de Sanxay ou bien Saint-Céré.
L’ouvrage dirigé par Hervé Lacombe ‘Histoire de l’opéra français – De la Belle Époque au monde globalisé’ (2022), retrace avec un sens du détail hors du commun cette évolution, si bien que l’article qui suit cherche uniquement à rendre compte, de façon très synthétique et visuelle, comment l’art lyrique est représenté aujourd’hui à travers chaque région de France.
Cette synthèse s’appuie uniquement sur les données recensées par le site de base de donnée international Operabase, qui comprend cependant quelques lacunes dont l’impact reste à la marge.
Faire ce bilan en 2023 est une façon de regarder le chemin parcouru, mais aussi de mettre en garde sur la trajectoire que va prendre dorénavant ce milieu artistique riche et fragile si les politiques publiques, étatiques et régionales, ne font pas le choix résolu de soutenir ces structures en période d’inflation, car il s’agit également de préserver un savoir faire artistique pointu acquis pas nombre de musiciens et chanteurs du territoire français, mais aussi de soutenir des qualités techniques uniques de fabricants de décors de costumes et d’accessoires qui font l’identité culturelle d’une nation.
45 maisons et festivals d’opéras en France sont ainsi considérés (voir tableau ci-dessous) sur la période 1996-2023, ce qui couvre deux fois plus de structures que celles analysées par la Réunion des Opéras de France dans leur dernier rapport ‘Observation de l’Art Lyrique en France 2018-2020’ édité en 2022.
Une analyse de l’évolution de la programmation est également menée en identifiant deux sous-périodes, 1996-2007 et 2008-2023, un découpage pertinent surtout à Paris avec l’arrivée de Jean-Luc Choplin au Théâtre du Châtelet, qui va substituer, aux opérettes et opéras, des comédies musicales américaines, et avec l’arrivée de Jérôme Deschamps à la direction de l’Opéra Comique qui va substituer, aux opérettes programmées à outrance, le répertoire lyrique français historique de la salle Favart.
1. Les salles lyriques considérées
Le tableau ci-dessous récapitule les caractéristiques (nombre moyen de représentations par an et nombre de places proposées) des 45 salles et établissements à vocation lyrique pris en considération pour cette étude.
Région | Théâtre ou Festival | Soirées lyriques par an | Capacité |
Bretagne | Opéra de Rennes | 25 | 640 |
Normandie | Théâtre de Caen | 12 | 1070 |
Normandie | Opéra de Rouen | 20 | 1300 |
Hauts-de-France | Opéra de Lille | 25 | 1130 |
Hauts-de-France | Atelier Lyrique de Tourcoing | 8 | 210 |
Grand Est | Opéra national du Rhin | 65 | 1200 |
Grand Est | Opéra national de Lorraine | 30 | 1050 |
Grand Est | Opéra de Metz | 25 | 750 |
Grand Est | Opéra de Reims | 15 | 750 |
Bourgogne France Comté | Opéra de Dijon | 25 | 1375 |
Bourgogne France Comté | Opéra-Théâtre de Besançon | 10 | 1100 |
Bourgogne France Comté | Festival de Beaune | 6 | 830 |
Auvergne-Rhône-Alpes | Opéra national de Lyon | 65 | 1100 |
Auvergne-Rhône-Alpes | Théâtre de l’Opérette de Lyon | 8 | 1900 |
Auvergne-Rhône-Alpes | Opéra de Saint-Étienne | 15 | 1350 |
Auvergne-Rhône-Alpes | Opéra de Clermont-Ferrand | 10 | 600 |
Auvergne-Rhône-Alpes | Opéra de Vichy | 4 | 1480 |
Auvergne-Rhône-Alpes | Festival d’Opérettes d’Aix-les-Bains | 6 | 1300 |
Auvergne-Rhône-Alpes | Festival d’Ambronay | 2 | 1000 |
Provence-Alpes-Côte d’Azur | Opéra de Marseille | 30 | 1820 |
Provence-Alpes-Côte d’Azur | Théâtre de l’Odéon de Marseille | 8 | 800 |
Provence-Alpes-Côte d’Azur | Opéra de Nice | 25 | 1070 |
Provence-Alpes-Côte d’Azur | Opéra de Toulon | 20 | 1320 |
Provence-Alpes-Côte d’Azur | Opéra d’Avignon | 20 | 700 |
Provence-Alpes-Côte d’Azur | Chorégies d’Orange | 3 | 8300 |
Provence-Alpes-Côte d’Azur | Festival d’Aix-en-Provence | 35 | 1050 |
Occitanie | Théâtre du Capitole de Toulouse | 50 | 1150 |
Occitanie | Opéra Orchestre national Montpellier | 35 | 1000 |
Occitanie | Festival lyrique de Lamalou-les-Bains | 15 | 500 |
Occitanie | Festival de Saint-Céré | 12 | 500 |
Nouvelle-Aquitaine | Opéra national de Bordeaux | 40 | 1100 |
Nouvelle-Aquitaine | Opéra de Limoges | 10 | 1480 |
Nouvelle-Aquitaine | Le Pin Galant de Mérignac | 5 | 1400 |
Nouvelle-Aquitaine | Festival de Sanxay | 3 | 2500 |
Pays-de-Loire | Angers-Nantes Opéra | 35 | 750 |
Pays-de-Loire | Opéra de Baugé | 10 | 300 |
Centre Val de Loire | Opéra de Tours | 20 | 970 |
Île de France hors ONP | Théâtre national de l’Opéra Comique | 50 | 1200 |
Île de France hors ONP | Théâtre de l’Athénée Louis-Jouvet | 20 | 500 |
Île de France hors ONP | Théâtre des Champs-Élysées | 35 | 1900 |
Île de France hors ONP | Théâtre du Châtelet | 45 | 2040 |
Île de France hors ONP | Philharmonie de Paris | 7 | 2400 |
Île de France hors ONP | Opéra Royal de Versailles | 30 | 650 |
Île de France hors ONP | Opéra de Massy | 15 | 880 |
Opéra national de Paris | Palais Garnier et Opéra Bastille | 185 | 2500 |
Tableau 1 : Capacité moyenne et nombre de représentations moyen d’œuvres lyriques (concert ou scénique) par an pour 45 structures française entre 1996 et 2023.
2. L’offre de places de spectacles lyriques en France entre 1996 et 2023
Chaque année, 1,6 million de places de spectacles lyriques sont proposées en France.
Dans ses deux salles principales, le Palais Garnier et l’Opéra Bastille, l’Opéra national de Paris en propose à lui seul 30% (et même 50% des places de spectacles chorégraphiques en France), et 17% supplémentaires sont apportés par les autres structures d’Île de France.
C’est donc près de 50% des places de spectacles lyriques en France qui sont proposées à 12 millions de franciliens et parisiens.
Avec Marseille, Toulon, Nice, Avignon, Orange et Aix-en-Provence, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur est l’autre région très dense en propositions lyriques avec 13% de l’offre nationale, et ce sont les régions de Centre Val de Loire (Tours) et Bretagne (Rennes) qui ont l’offre la plus limitée (1% chacune de l’offre nationale), mais pas forcément la moins diversifiée comme nous le verrons plus loin.
La carte suivante rend compte de la volumétrie de l’offre lyrique par région, ainsi que de l’évolution entre 1996-2007 et 2008-2023.
On observe une légère baisse de l’offre dans 4 régions, Bourgogne Franche-Comté, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Occitanie et Nouvelle Aquitaine, mais globalement, le nombre de représentations proposées en région reste de l’ordre de 750 soirées par an.
A Paris, le nombre de représentations lyriques est passé de 340 à 370 par an, progression qui est essentiellement due à la réouverture de l’Opéra de Versailles en 2009, l’inauguration de la Philharmonie en 2015, et l’intensification des comédies musicales au Théâtre du Châtelet.
3. La composition du répertoire lyrique en France selon les régions
Entre 1996 et 2023, plus de 1330 ouvrages lyriques de la période fin XVIe siècle à 2023 ont été joués en France, dont 300 interprétés pour un ou deux soirs seulement (‘Le Vin herbé’ de Frank Martin à l’Opéra de Lyon en 2008, par exemple).
Pour donner un premier aperçu général des opéras qui sont joués en France, il est possible de distinguer les catégories suivantes : les opérettes françaises (Offenbach, Lopez, Hervé, Lecoq, Audran, Varney, Messager, Ganne …), les opéras français (du baroque au contemporain), les opéras de Mozart, les opéras des compositeurs italiens du XIXe siècle (Verdi, Puccini, Donizetti, Rossini, Bellini etc.), les opéras de Richard Wagner, les œuvres baroques allemande, italienne et anglaise, et enfin le répertoire du XXe et XXIe siècle (hors français).
La carte ci-dessous représente de manière schématique et très visuelle la répartition de ce répertoire région par région, en distinguant la période 1996-2007 et 2008-2023.
Répartition et évolution du répertoire lyrique par régions de France sur les périodes 1996-2007 et 2008-2023
L’opérette française est plus ou moins présente partout en France sauf à l’Opéra national de Paris, et elle se développe à l’ouest (Bretagne, Normandie, Pays de Loire, Centre Val de Loire, Nouvelle Aquitaine) où elle peut atteindre 15% des soirées lyriques.
Dans ce prolongement, l’opéra français (baroque inclus) représente entre 15% et 25% du répertoire des maisons lyriques françaises, et c’est en Bretagne qu’il est proportionnellement bien défendu, au même niveau qu’en Île de France depuis le retour de l’opéra français à l’Opéra Comique.
Le répertoire des compositeurs italiens du XIXe siècle est naturellement une valeur sûre pour plaire au plus grand nombre, et il peut représenter de 15% (Auvergne-Rhône-Alpes) à 40% de la programmation (Centre Val de Loire avant 2008).
En Île de France, l’Opéra national de Paris est une immense machine à propager le romantisme italien où il représente plus du tiers de la programmation, surtout depuis le passage de Stéphane Lissner à la direction générale qui pouvait programmer jusqu’à 5 œuvres de Giuseppe Verdi par saison.
En revanche, en dehors de cette grande institution nationale, seuls l’opéra de Massy et le Théâtre des Champs-Élysées accueillent à bras ouverts les Italiens du XIXe siècle au sein de la première région de France.
Wolfgang Amadé Mozart est aussi bien présent sur tout le territoire (de 7 à 15% du répertoire avec un maximum atteint de 25% au Théâtre des Arts de Rouen au cours de la période 1996-2007), et seul l’Opéra national de Paris offre aux œuvres de Richard Wagner 6% de ses soirées (la scène de l’opéra Bastille s’y prêtant magnifiquement), alors qu’en province seulement 2% des représentations lui sont consacrées.
Pour les amateurs d’opéras baroques italien, allemand et anglais, les Hauts-de-France (avec l’opéra de Lille et l’Atelier lyrique de Tourcoing), la Normandie et la Bourgogne Franche-Comté (Festival de Beaune) sont les destinations à privilégier. 14 à 18% du répertoire leur est consacré, et même 19% à 25% si l’on y ajoute le répertoire baroque français (Lully, Campra, Rameau…).
A Paris, si l’Opéra n’accorde qu’une place réduite à ce répertoire, le Théâtre des Champs-Élysées lui consacre 25% de sa programmation, et même 30% en y ajoutant le baroque français.
Quant à l’Opéra Royal de Versailles, il lui dédie 60% de sa programmation, baroque français inclus.
Enfin, l’opéra du XXe siècle et les compositeurs contemporains (hors français) sont représentés de façon très diverses sur le territoire.
Ainsi, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur lui dédie 15% de sa programmation seulement, alors que l’Île de France, hors Opéra de Paris, le Grand-Est et Auvergne-Rhône-Alpes consacrent ces dernières années jusqu’à 30% de leurs soirées à ce répertoire, en y incluant les comédies musicales américaines.
A l’Opéra de Paris, cette représentativité est plutôt en baisse ces dernières années pour atteindre 15% de la programmation depuis 2008.
4. Evolution du nombre de représentations proposées ville par ville sur la période 1996-2023
Afin de donner un petit aperçu du répertoire de chaque institution, ce chapitre donne la tendance à la hausse où la baisse de la fréquence de représentation des opéras ville par ville, et liste pour chacune d’elle les œuvres de deux saisons séparées d'une vingtaine d'années.
8 villes en région où l’art lyrique est en expansion
Rouen, Lille, Tourcoing, Clermont Ferrand, Lyon, Saint-Étienne, Angers-Nantes et Tours sont les villes où l’opéra a nettement progressé entre les années 2000 à 2020, passant de 160 représentations à 215 représentations par an pour cet ensemble de 8 villes.
Bien que ne disposant d’aucun opéra national en région, la façade nord-ouest de la France défend très bien l’art lyrique ainsi que sa diffusion au sein de la population.
Quelques exemples de programmations à 20 ans d’intervalle sont présentés ci-dessous, bien que certaines de ces programmations ont été altérées en cours de saison à cause de l’augmentation des coûts de fonctionnement dus à la crise énergétique.
15 villes ou institutions en région où l’art lyrique est en contraction
Metz, Beaune, Besançon, Dijon, les théâtres d’opérettes d’Aix-les-Bains et de Lyon et de Lamalou-les-Bains, Avignon, Nice, Les Chorégies d’Orange, Toulon, Montpellier, le Festival de Saint-Céré, Bordeaux, Mérignac, sont les villes où l’opéra et l’opérette sont en phase de contraction entre les années 2000 à 2020, passant de 300 représentations à 225 représentations par an pour cet ensemble de 15 villes. Elles sont quasiment toutes situées dans le Sud de la France.
Quelques exemples de programmations à 20 ans d’intervalle sont présentés ci-dessous.
13 villes ou institutions où l’offre se maintient
Enfin, un groupe de 13 villes et institutions, Rennes, Caen, Reims, Nancy, l’Opéra du Rhin (Strasbourg, Mulhouse et Colmar), Ambronay, Vichy, le Festival d’Aix-en-Provence, Marseille, Toulouse, Limoges et les festivals de Baugé et Sanxay, reste globalement constant dans sa diversité de programmation, et porte 270 représentations d’opéras par an.
Quelques exemples de programmations à 20 ans d’intervalle sont présentés ci-dessous.
Et en Ile de France?
La situation au sein de la capitale (Opéra de Paris, Théâtre des Champs-Élysées, Théâtre du Châtelet, Opéra Comique, Théâtre de l’Athénée …) et en Île de France (Versailles et Massy) a toujours été florissante tout au long de la période 2000-2020, avec même de nouveaux établissements tels la Philharmonie et l’Opéra Royal de Versailles qui contribuent à augmenter l’offre lyrique.
Au cours de cette période le nombre de soirées est ainsi passé de 150 à 185 par an (hors Opéra de Paris), nombre qui est doublé si on y ajoute les 185 soirées lyriques de l’Opéra de Paris.
Seul l’Opéra Comique a réduit son nombre de représentations lorsqu’il a arrêté de représenter à la chaine plus de 50 soirées de ‘La vie parisienne’ ou de ‘La Périchole’ par an, pour se concentrer avec profondeur sur le répertoire française lyrique ou la création, alors qu’à l’inverse le Théâtre du Châtelet a abandonné sa programmation lyrique pour les comédies musicales américaines avant de traverser un passage à vide dont on entrevoit cependant l’issue depuis la nomination d’Olivier Py à sa direction.
Quant à l’Opéra de Paris, si la diversité des œuvres lyriques s’estompe un peu, la durée des séries augmente de façon à maintenir le même nombre de représentations.
Quelques exemples de programmations à 20 ans d’intervalle sont présentés ci-dessous.
5. La création contemporaine
La vitalité de la création contemporaine est très importante pour le genre lyrique, car c’est ce qui lui permet de ne pas s’enkyster dans l’image d’un art du passé. D’ailleurs, elle intéresse souvent les publics les plus novices en quête de sujets qui parlent à leur imaginaire d’aujourd’hui.
Pour en rendre compte, ce chapitre fait l’état des lieux des œuvres créées en France et dans le monde au cours de la période 1990-2023 et qui ont été jouées sur notre territoire. On compte ainsi pas moins de 336 ouvrages contemporains, dont 271 ont été joués en région, 81 en Île de France hors Opéra de Paris, et 21 à l’Opéra de Paris. Dans tous les cas, 40% des créations lyriques proviennent de compositeurs français.
Et si en Île de France la moitié des créations jouées l'ont été en région, 90% des œuvres contemporaines jouées à l’Opéra de Paris n'ont pas été représentées ailleurs en France.
La création lyrique en région
Les régions sont donc le premier vecteur de la diffusion des œuvres contemporaines, et l’on observe des variations entre les Hauts-de France, les Pays-de-Loire et le Grand-Est où ce répertoire représente de 9 à 10% des soirées (ce qui est considérable!), et le Centre Val de Loire, la Nouvelle Aquitaine, l’Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur où il ne représente que 4 à 5% des soirées.
Un constat s’impose : le sud de la France accorde deux fois moins de place à la création contemporaine que le nord de la France.
Ci dessous, sont listées les œuvres contemporaines jouées pour au moins une dizaine de soirées en région.
‘L’Ombre de Venceslao’, composé par Martin Matalon sur un livret de Jorge Lavelli, fut créé en 2016 à l’Opéra de Rennes et a ensuite circulé sur le territoire jusqu’au Chili et en Argentine. Il s’agit du plus grand succès en région qui, pourtant, n’a toujours pas été joué en Île de France.
Avec au moins cinq opéras créés en France, Isabelle Aboulker est une compositrice prolixe qui a à cœur de toucher la jeunesse. Son opéra pour enfant ‘Jérémy Fischer’, d’après la pièce de Mohamed Rouabhi, a été créé à l’opéra de Lyon en 2007 et été repris avec succès.
D’autres ouvrages tels ‘Schneewittchen’ de Marius Felix Lange, un autre opéra pour enfant créé à Cologne en 2011, ‘Le balcon’ de Peter Eötvös (2002), ‘Les enfants terribles’ de Philip Glass (1996), et bien sûr les opéras de Philippe Boesmans (‘Julie’, ‘Pinocchio’, ‘Wintermärchen’, ‘Reigen’) ont aussi trouvé leur public.
La création lyrique en Île de France
En Île de France, hors Opéra de Paris, le répertoire contemporain représente 7% des soirées, ce qui le situe dans la moyenne nationale.
Ci dessous sont listées les œuvres contemporaines jouées pour au moins cinq soirées dans la première région de France.
Les parisiens se souviennent de ‘Monkey Journey to the West’, un opéra pop de Damon Albarn, d’après un classique de la littérature chinoise, qui fut créé au Théâtre du Châtelet en début de mandat de Jean-Luc Choplin. Un peu auparavant, ce même théâtre avait accueilli l’un des chefs-d’œuvre de Kaija Saariaho créé à Salzbourg en 2000, ‘L’Amour de loin’, sur un livret d’Amin Maalouf.
Plus récemment, la création en 2019 à l’Opéra Comique de ‘L’Inondation’ de Francesco Filidei fut un tel succès qu’il y fut repris en 2023, en coproduction avec Rennes, Angers-Nantes, Caen et Limoges et l’aide du Ministère de la Culture.
A Paris, le Théâtre de l’Athénée a accueilli beaucoup de créations de Philip Glass, ‘Les Enfants terribles’, ‘In the penal colony’, de Thomas Adès (‘Powder her face’), de George Benjamin (‘Into the Little Hill’) ou de Michael Jarrell (‘Cassandra’).
La création lyrique à l’Opéra de Paris
Grand théâtre de répertoire, l’Opéra de Paris ne consacre que 3% de ses soirées à la création contemporaine. Gerard Mortier a beaucoup contribué à l'élargissement des portes de l’institution à ces ouvrages, puisque 6 opéras sur les 21 présentés depuis 1996 l’ont été au cours de son mandat de seulement 5 ans.
Les spectacles aux frontières de l’opéra, du rock et du théâtre y ont trouvé leur place (‘The Temptation of Saint Anthony’ de Bernice Johnson Reagon, ‘Le Temps des Gitans’ de Stribor Kusturica), Philippe Fénelon a pu produire 3 opéras de 1998 à 2010 (‘Salammbô’, ‘Faust’, ‘La Cerisaie’), et ‘K’ de Philippe Manoury et ‘Yvonne, princesse de Bourgogne’ de Philippe Boemans sont les seules créations, avec ‘Salammbô’, a avoir été reprises.
Et alors que ‘Il Viaggio, Dante’ de Pascal Dusapin fera son entrée au Palais Garnier au cours de la saison 2024-2025, la question se pose de savoir si ‘Le Soulier de Satin’ de Marc-André Dalbavie, créé en 2021, reviendra sur les planches du plus bel opéra du monde.
6. Un vœux pour finir
Cette petite rétrospective mêlant synthèse et détails tente de rendre compte de la place du théâtre lyrique dans la vie culturelle française, et de son évolution au cours des 25 dernières années qui a constitué une période très riche portée par un élan sans entrave. Le rôle des régions dans la diffusion des œuvres contemporaines est clairement visible.
Cet art ne peut cependant exister sans une volonté politique forte, seule apte à accorder un soutien stable, sous forme de subventions aux institutions françaises.
Représentant en France un budget de l’ordre de 600 millions d’euros (danse et concerts compris) dont 375 millions proviennent de subventions publiques (avec une disparité entre l’Opéra de Paris subventionné à 45% seulement, et les opéras en région subventionnés en moyenne à 78%), les institutions lyriques doivent dorénavant composer avec un paysage politique de moins en moins favorable (voir les exemples malheureux de Lyon ou Bordeaux), une image parfois kitsch entretenue par quelques passionnés d’un autre temps, et une image élitiste qui s’estompe cependant petit à petit par une volonté de casser les codes en salle et sur scène.
Le mécénat prend toute sa place dans leur modèle économique, mais étant plus volatile, il peut rendre les maisons d’opéras fragiles s’il se retire en cas de crise économique. Toutes ne bénéficient pas du soutien aussi indéfectible que celui accordé par la ville de Toulouse à son Théâtre du capitole, dont le budget est couvert à 90% par les subventions, ce qui le met à l’abri des vicissitudes économiques.
Vivre avec son temps est donc une priorité afin de renouveler le public, mais si l’on prend en considération que les 375 millions d’euros de subventions publiques aux théâtres lyriques et chorégraphiques ne représentent que 3,5% des 11 milliards d’euros d’aides au secteur culturel (4 milliards provenant de l’État et 7 milliards provenant des régions), on peut poser la question des conditions qui permettraient de revoir à la hausse cette participation.
Alors, en s’engageant pour plus d’innovations dans les programmes, pour plus de créations, pour plus de coopérations, et pour une diffusion plus élargie sur le territoire, ne peut-on pas souhaiter voir les aides aux établissements à vocation lyrique représenter 4% du budget culturel français d’ici 4 ou 5 ans, ce qui, concrètement, reviendrait à réévaluer les subventions de fonctionnement annuelles de l’Opéra Comique et de l’Opéra de Paris de 10 millions d’euros supplémentaires dans leur ensemble, et de 12 millions d’euros en régions?
C’est bien le vœux que l'on peut formuler pour l’avenir.