Publié le 20 Mai 2023
Metropolis (Fritz Lang – Allemagne, 1927, nouvelle version restaurée en 2010 par Murnau Stiftung)
Ciné-concert du 19 mai 2023
Philharmonie de Paris
Grande salle Pierre Boulez
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Metropolis rebooted, version orchestrale en 2021, sur une commande de la Philharmonie de Paris – Orchestre de Paris, de l’Orchestre du Gürzenich de Cologne et du Festival Ars Musica.
Créé à Cologne, le 16 février 2022, avec l’Orchestre du Gürzenich sous la direction de François-Xavier Roth
Création française
Durée 148 mn
Direction musicale Kazushi Ōno
Orchestre de Paris
Thomas Goepfer, réalisation informatique musicale Ircam
Étienne Démoulin, électronique Ircam
Lucas Bagnoli, diffusion sonore Ircam
Eiichi Chijiiwa, violon sonore
L’intemporalité de ‘Metropolis’ – l’histoire est censée se dérouler dans une ville futuriste de 2026 – se conjugue à une sidérante vidéographie visionnaire qui anticipe en 1927 des scènes que l’Allemagne connaîtra au cours des deux décennies qui suivront, la volonté de domination, la mythologie des Dieux du stade, la recherche du surhomme représenté par l’androïde d’allure féminine, les camps de travaux forcés, l'immatriculation des déportés, l’espion Fritz Rapp en véritable figure gestapiste, ou bien l’étoile de David pour identifier les juifs que l’on retrouve sur la porte du savant Rotwang.
Thea von Harbou, scénariste du film et épouse de Fritz Lang, adhérera par ailleurs au parti nazi en 1940, 7 ans après son divorce avec le cinéaste.
Mais ce film légendaire vaut aussi pour la référence qu’il constitue pour les films de science-fiction de la seconde partie du XXe siècle, à l’instar de l’androïde qui servira de modèle au futur C-3PO de ‘Star Wars’, ou bien des éléments architecturaux que l’on retrouvera dans ‘Blade Runner’.
L’aventure de ‘Metropolis’ avait pourtant très mal débuté. Après sa présentation le 10 janvier 1927 à Berlin, dans une version de 153 minutes, et une réception catastrophique, ‘Metropolis’ a été tronqué à plusieurs reprises au point d'être réduit à une durée de 80 minutes dans les années 1980.
Puis, suite aux travaux de la fondation Friedrich Murnau créée en 1966 afin de préserver le patrimoine cinématographique allemand, une version de 123 minutes fut rétablie en 2001.
‘Metropolis’ devint le premier film à être classé au registre ‘Mémoire du monde’ par l’UNESCO.
Quelques années plus tard, en 2008, 25 minutes supplémentaires du film furent retrouvées au musée du cinéma de Buenos Aires à partir d’une copie fortement altérée, ainsi que la musique originale imaginée par Gottfried Huppertz – il était aussi le compositeur de la musique de ‘La Mort de Siegfried’ et ‘La vengeance de Kriemhild’, deux précédents films mythologiques de Fritz Lang -, un grand poème symphonique aux accents wagnériens, straussiens et brucknériens épiques dont la partition comprend de nombreuses informations de synchronisation avec le film.
Cette version restaurée de 148 minutes, considérée comme définitive, fut projetée sur grand écran à la Porte de Brandebourg de Berlin le 12 février 2010 et diffusée simultanément sur Arte.
La Philharmonie de Paris propose ainsi de présenter pour deux soirs cette grande version tout en lui adjoignant une nouvelle musique écrite par Martin Matalon, compositeur argentin élève d’Olivier Messiaen et Pierre Boulez, qui collabore depuis 30 ans avec l’IRCAM. Il est l’auteur d’un opéra ‘L’Ombre de Venceslao’ (2016) qui a circulé partout en France, à Rennes, Avignon, Clermont-Ferrand, Toulouse, Marseille, Montpellier, Reims, Toulon et Bordeaux, et contribué grandement à sa reconnaissance.
Auteur également en 1995 d’une première version pour 16 musiciens et électronique de la musique de ‘Metropolis’, il en a par la suite réalisé des versions étendues pour grand orchestre en 2001, 2010 et enfin en 2021 dont la première fut jouée à Cologne le 16 février 2022 avec l’Orchestre du Gürzenich sous la direction de François-Xavier Roth.
Moins lyrique que la musique de Gottfried Huppertz, cette nouvelle bande originale fait appel à tous les timbres du grand orchestre qui sont utilisés par groupes sonores afin d’apporter un relief et une coloration auxquels les images donnent sens, mais aussi une dureté très actuelle.
Les percussions sont très présentes autant pour souligner le grandiose de situation que pour accentuer la sauvagerie de l’action, les cuivres dépeignent des stress agressifs, les cordes dessinent des reflets métalliques glaçants, mais des moments de relâchement poétiques sont aussi très présents afin de laisser le temps se faire évanescent.
Des bruitages acoustiques se fondent très naturellement à la structure orchestrale pour accroître la dimension cinématographique de la composition, et c’est avec grande confiance que l’on suit Kazushi Ōno, solide défenseur de la musique contemporaine, dans sa manière d’insuffler à l’impressionnante phalange de l’Orchestre de Paris rythmique précise et déploiement de timbres somptueux.
Un très grand moment de retrouvaille avec une œuvre fondatrice bientôt centenaire, dont la force réside en tout ce qu’elle raconte sur la place du sentiment et de la compréhension dans une société tranchée où deux classes, l’une dominante, et l’autre dominée, sont liées par un même destin hanté par l'histoire fantasmée des grandes civilisations antiques.
Metropolis (version 2010 avec la musique de Gottfried Huppertz)