Articles avec #philippe jordan tag

Publié le 15 Juin 2025

Die Walküre (Richard Wagner – Munich, 26 juin 1870)
Représentation du 02 juin 2025
Wiener Staatsoper

Siegmund Andreas Schager
Hunding Kwangchul Youn
Wotan Iain Paterson
Sieglinde Simone Schneider
Brünnhilde Anja Kampe
Fricka Monika Bohinec
Helmwige Regine Hangler
Gerhilde Jenni Hietala
Ortlinde Anna Bondarenko
Waltraute Szilvia Vörös
Siegrune Isabel Signoret
Grimgerde Stephanie Maitland
Schwertleite Freya Apffelstaedt
Roßweiße Daria Sushkova

Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène Sven-Eric Bechtolf (2007)

                                                         Philippe Jordan

Afin d’achever en beauté son mandat de directeur musical de l’Opéra de Vienne, Philippe Jordan se voue entièrement en cette fin de saison à la nouvelle production de ‘Tannhäuser’ et à la reprise de deux cycles complets du ‘Ring’ mis en scène par Sven-Eric Bechtolf il y a déjà 18 ans

Andreas Schager (Siegmund) et Simone Schneider (Sieglinde) - Photo Michael Poehn

Andreas Schager (Siegmund) et Simone Schneider (Sieglinde) - Photo Michael Poehn

La première journée de ce cycle, ‘Die Walküre’ – il s’agit de la 34e représentation depuis le 02 décembre 2007 -, révèle une scénographie fixe pour chacun des trois actes, un salon centré sur le tronc d’un chêne épuré dans lequel est plantée l’épée Notung au premier acte, avec le passage d’un loup blanc en hologramme pour signifier la présence de Wotan, la clairière d’une forêt illustre le second, jonchée de quelques rochers blancs brisés prémonitoires de la fin du monde des Dieux, et neuf statues de chevaux figées dans la cour du Walhalla figent le dernier, statues sur lesquelles les lumières engendrent de saisissants jeux d’ombres, un procédé qui fait la force de cette production au cours des trois grands tableaux.

Et pour nous immerger dans l’ambiance du drame wagnérien, un amoncellement de nuages orageux se forme au dessus de Vienne en début du spectacle, une atmosphère qui se produit régulièrement à Bayreuth en plein festival.

Philippe Jordan et Monika Bohinec (Fricka)

Philippe Jordan et Monika Bohinec (Fricka)

Mais c’est bien entendu l’interprétation musicale qui focalise l’attention, et Philippe Jordan règne en maître absolu d’une puissance chargée par l’Orchestre du Wiener Staatsoper qui lui offre ses sons les plus pleins et les plus tonitruants avec un alliage des timbres rutilants, notamment les cuivres toujours très enveloppants dans cette maison. Très attentionné à l’équilibre avec les chanteurs, il cherche aussi à ne pas affaiblir le drame, si bien que Iain Paterson, chanteur dont la force est de connaître le tréfonds de l’âme de Wotan et de savoir les traduire sur scène de façon crédible, n'arrive qu'à faire passer ses aigus dans les passages les plus mouvementés, le langage précis dans le médium du baryton-basse britannique n’arrivant à exister que lorsque l’orchestre reste tapis dans les graves.

Anja Kampe (Brünnhilde)

Anja Kampe (Brünnhilde)

Cette soirée n’en est pas moins de très haut niveau, Anja Kampe se révélant une Brünnhilde magnifique avec beaucoup de couleurs expressives, une assurance à tenir ce langage exalté haut en couleur avec des fulgurances implacables, mais aussi avec une sensibilité et une profondeur humaine qui redéfinissent le visage de la Walkyrie préférée de Wotan. Ce n’est pas la fille du Dieu des Dieux qui s’exprime, mais une femme gardienne de la vie, véritablement un portrait d’une très grande justesse qu’elle défend depuis sa prise de rôle en octobre 2022 à Berlin.

Autre artiste tout aussi poignante, Simone Schneider défend Sieglinde avec une très belle ligne de chant, ambrée et lumineuse à la fois, qui draine un sentiment d’urgence pathétique très touchant, sans la moindre faiblesse, alors que Monika Bohinec fait vivre les noirceurs de Fricka d’abord sur la réserve, pour ensuite gagner en intensité et présence.

Le Wiener Staatsoper au moment de la remise du titre de 'Österreichischer Kammersänger' à Andreas Schager

Le Wiener Staatsoper au moment de la remise du titre de 'Österreichischer Kammersänger' à Andreas Schager

Il y a bien sûr le Hunding particulièrement noir de Kwangchul Youn, de très haute tenue et joué avec acuité, mais cette soirée est aussi celle d’Andreas Schager, fabuleux Siegmund semblant vouloir entraîner toute la salle dans son délire, vantant ses plus beaux 'Wälse!' comme sur un marché, mais aussi avec des nuances, ce qui laissera le public ahuri à la fin du premier acte.

Cette aisance spectaculaire, difficilement surpassable aujourd’hui, sera récompensée en fin de soirée par Bogdan Roščić, pas uniquement pour le héros phénoménal qu'Andreas Schager vient d’incarner avec une générosité sans limites, mais pour son parcours à l’Opéra d’État de Vienne où il est apparu plus d’une cinquantaine de fois depuis ‘Daphné’ où il incarnait Apollon en 2017, puis Max dans ‘Der Freischütz’ et le rôle titre de ‘Lohengrin’ en 2018, Tamino dans ‘Die Zauberflöte’ en 2019, Tristan dans ‘Tristan und Isolde’ en 2022, ou bien Der Kaiser dans ‘Die Frau ohne Schatten’ en 2023.

Bogdan Roščić nommant Andreas Schager 'Österreichischer Kammersänger'

Bogdan Roščić nommant Andreas Schager 'Österreichischer Kammersänger'

Andreas Schager est ainsi nommé 'Österreichischer Kammersänger' en ce lundi 02 juin 2025 soir exceptionnel, titre national décerné aux grands chanteurs en Autriche, la joie irrésistiblement communicative de cet artiste attachant étant aussi la récompense pour le public viennois survolté.

Andreas Schager nommé 'Österreichischer Kammersänger'

Andreas Schager nommé 'Österreichischer Kammersänger'

Voir les commentaires

Publié le 9 Juin 2025

Tannhäuser (Richard Wagner – 19 octobre 1845, Dresde)
Version de Vienne 1875
Représentation du 01 juin 2025
Wiener Staatsoper

Landgraf Hermann Günther Groissböck
Tannhäuser Clay Hilley
Wolfram von Eschenbach Martin Gantner
Walther von der Volgelweide Daniel Jenz
Biterof Simon Neal
Heinrich der Schreiber Lucas Schmidt
Reinmar von Zweter Marcus Pelz
Elisabeth Malin Byström
Venus Ekaterina Gubanova
Ein Juger Hirt Ilia Staple

Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène Lydia Steier (2025)

Après dix ans d’absence, ‘Tannhäuser und der Sängerkrieg auf Wartburg’ est de retour au répertoire du Wiener Staatsoper dans la version de Vienne (1875), la précédente production de Claus Guth ayant défendu la version de Dresde sur un temps assez court de 2010 à 2014.

A cette occasion, Lydia Steier fait ses débuts à l’Opéra d’État de Vienne, elle qui a commencé sa carrière à l’opéra de Stuttgart en 2008, et qui a depuis pris depuis une envergure internationale. A Paris, personne n’a oublié sa vision extrême de ‘Salomé’ de Richard Strauss (2022), et les Viennois ont pu la découvrir début 2024 au Theater an der Wien où elle mit en scène ‘Candide’ de Leonard Bernstein.

'Tannhäuser' (ms Lydia Steier) - Photo Ashley Taylor

'Tannhäuser' (ms Lydia Steier) - Photo Ashley Taylor

La lecture qu’elle propose de l’œuvre ne renouvelle pas le propos, mais comporte au début et à la fin des images très fortes. Elle présente en effet une succession de plusieurs tableaux qui juxtaposent au cours des deux premiers actes la représentation de l’art libre et amoral, d’une part, à l’art néoclassique et conservateur, d’autre part, pour aboutir finalement à un dernier acte sombre et désespéré.

Il faut dire que la scène d’ouverture en met plein la vue au centre d’un immense hall extravagant et surchargé de décorations type ‘Art nouveau’, embrumé par des lumières ambrées sous lesquelles une foule de figurants se livre à des danses et swing de l’entre deux-guerres, tels le Charleston, dans des habits à demi-nus, les gestes pouvant êtres sexualisés mais sans excès, l’ivresse provenant ainsi de cette débauche d’énergie scintillant sous des pluies de paillettes disséminées par plusieurs acrobates aériennes.

Il serait possible de réutiliser cette scène pour le bal des Capulets de ‘Roméo et Juliette’ exactement dans le même esprit.

'Tannhäuser' (ms Lydia Steier) - Photo Ashley Taylor

'Tannhäuser' (ms Lydia Steier) - Photo Ashley Taylor

Mais ensuite, une fois quitté ce Vénusberg fortement impressif, la scène de la rencontre avec le jeune berger évoque plutôt les décors naïfs fin XVIIe siècle des opéras baroques, ce qui crée un écrin décalé qui met en valeur la claire pureté de chant angélique d’Ilia Staple que l’on pourrait confondre avec celle de la soprano française Sabine Devieilhe.

En revanche, la rencontre avec les chevaliers de la Wartburg assimilés devant le rideau de scène à des chasseurs bavarois, elle-même liée au précédent tableau du berger, génère une étrange association d’idée avec le philosophe Martin Heidegger qui n’augure rien de bon.

Le second acte se déroule de façon écrasante dans un grand décor fastueux étagé sur plusieurs niveaux qui respire l’ordre, la puissance et le temps figé. Bourgeois et officiers s’y rencontrent, conversent et dinent, et la scène du concours de chant représente de façon conventionnelle les participants grimés en anciens maîtres-chanteurs moyenâgeux. Quelques réminiscences du monde luxuriant du Vénusberg viennent animer ce monde ennuyeux, et l’on ne rêve que de revenir au premier acte.

Malin Bÿstrom y est superbe en Elisabeth prise entre deux monde qu’elle ne peut concilier.

Malin Bÿstrom (Elisabeth) - Photo Ashley Taylor

Malin Bÿstrom (Elisabeth) - Photo Ashley Taylor

Puis, le dernier acte se déroule dans un sorte d’arrière scène ou de hangar abandonné, très beau par la manière dont les éclairages extérieurs créent une sensation de réalisme mystérieux.

On pourrait même se croire dans une sorte d’arrière musée où des chercheurs analysent l’art derrière des téléviseurs, alors que, côté cour, une Madone est reconstituée de façon virtuelle par une superposition d’écrans, comme si Lydia Steier voulait exprimer sa crainte devant un monde totalement dématérialisé. Vainement, cette vision n’apporte que peu à la dramaturgie, et le défilé du chœur des pèlerins a beau drainer une image d’errance un peu trop parachutée, c’est surtout l’apparition finale d’Elizabeth, ressuscitée et descendant les marches vers Tannhäuser, qui nous laisse sur l’image impressionnante et quelque peu cinématographique d’un amour bienveillant transcendant.

Martin Gantner et Philippe Jordan

Martin Gantner et Philippe Jordan

Pour Philippe Jordan, il s’agit de sa dernière nouvelle production en tant que directeur musical du Wiener Staatsoper avant de prendre la direction de l’Orchestre National de France en septembre 2027. Les Viennois le regrettent déjà si l’on s’en tient à l’accueil dithyrambique qu’il a reçu à l’issue de cette soirée où il a œuvré en grand artiste incendiaire à la tête d’un Philharmonique de Vienne massif et flamboyant, maîtrisant avec diligence la puissance tellurique de l’orchestre tout en soignant les ornements mélodiques avec une superbe chaleur poétique.

Seule l’ouverture, jouée de façon très présente, n’a pas la faculté d’emport de la version jouée à Bayreuth, mais peut-être est-ce du à l’acoustique de l’Opéra de Vienne, ce qui permet aussi de jauger les différences de perception selon les théâtres pris entre les impressions d’infinis et la précision de détail des écritures orchestrales.

Günther Groissböck, Ekaterina Gubanova et Clay Hilley

Günther Groissböck, Ekaterina Gubanova et Clay Hilley

On pourrait penser que Malin Byström apprécie ce style que l’on n’avait pas entendu aussi affirmé de la part du chef suisse au milieu des années 2010, car elle fait vivre Elisabeth d’un feu passionnel intense et incisif mais aussi avec des noirceurs nocturnes dans la voix qui donnent une image complexe et névrosée de la nièce du Landgrave. Son incarnation est totale et d’une grande intégrité, ce qui permet de traverser le second acte avec une figure haut en couleur qui tranche au milieu de cette architecture trop pesante.

Doté de la clarté mature d’un Tristan, Clay Hilley dépeint un Tannhäuser solide au souffle vigoureux avec des accents très classiques par la coloration qu’il affecte à son personnage, et qu’il défend avec générosité. Ses expressions sont par ailleurs très justes et parfois très vives ce qui donne une image vivante et désireuse du héros wagnérien.

Günther Groissböck est une très bonne surprise en Landgrave, retrouvant une sérénité expressive et une unité de noirceur de timbre qui avaient sembler se dissoudre ces derniers temps, une approche très posée qui lui convient bien.

Philippe Jordan et Malin Byström

Philippe Jordan et Malin Byström

Remplaçant Ludovic Tézier toujours en convalescence, Martin Gantner dessine quant à lui un Hermann loin de l’image dépressive qui lui est associée, avec une forme de vaillance expansive qui fait sensation dans sa romance à l'étoile.

Et en grande artiste scénique qu’elle a toujours été, Ekaterina Gubanova donne un éclat rayonnant et assuré à Vénus même si les couleurs paraissent un peu plus corsées que dans d'autres de ses incarnations.

Grand élan du chœur, second rôles tout aussi engagés, une interprétation musicale galvanisante qui ne lâche à aucun moment la tension de l’auditeur.

Voir les commentaires

Publié le 1 Décembre 2024

Les Offrandes oubliées (Olivier Messiaen – 19 février 1931, Théâtre des Champs-Élysées)
Symphonie n°7 (Anton Bruckner – 30 décembre 1884, Leipzig)
Concert du 21 novembre 2024
Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique

Direction musicale Philippe Jordan
Orchestre national de France
Violon solo Sarah Nemtanu

 

‘Les Champs-Élysées sont aussi pour moi un grand souvenir, car on y a donné ma première œuvre d’orchestre – j’étais à ce moment là un petit jeune homme fort timide de 22 ans -, et c’est Walter Straham qui a dirigé mes ‘Offrandes oubliées’ – c’était, je crois, en 1931 -. J’avais le cœur si tremblant que je n’entendais absolument rien de ce qui se passait sur la scène, mais je crois que l’exécution a été excellente, et l’accueil a été très favorable, ce qui est assez surprenant.’

Ainsi se rappelait Olivier Messiaen de la création de son œuvre lors d’une interview rediffusée sur France Musique, une méditation symphonique décomposée en trois volets, ‘La Croix’, ‘Le Péché’ et ‘L’Eucharistie’, que Cristian Măcelaru avait déjà choisi d’interpréter il y a 3 ans avec l’Orchestre national de France, en ouverture de saison à l’Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique.

Philippe Jordan

Philippe Jordan

Dans sa structure, l’œuvre commence par de lents entrelacs de cordes dont le métal est utilisé pour créer des effets d’irisations, puis, après une brève transition assombrie par les bassons, un déferlement d’attaques décrit une course vers l’abîme, un peu comme dans ‘La Damnation de Faust’, les cisaillements des cordes se faisant âpres, battus par les timbales, jusqu’à une montée prodigieuse mêlant cuivres et percussions. Après une fracture nette, les bassons reprennent leur motif de calme noir pour mener au mouvement lent final, où les violons s’étirent dans les aigus dans une ambiance quasi-mystique.

Philippe Jordan, dont a été annoncé dès le matin avec joie et sourires sa nomination à partir de septembre 2027 à la direction de l’Orchestre national de France, obtient des musiciens une clarté diaphane qu’il affectionne beaucoup dans le répertoire français du XXème siècle, une flamboyance quasi-straussienne dans le mouvement central avec un net effet d’entraînement qui bouscule cette surprenante envolée, avant de retrouver un espace de recueillement intime qu’il va étirer avec finesse jusqu’au long silence conclusif.

L'Orchestre national de France - 7e symphonie de Bruckner

L'Orchestre national de France - 7e symphonie de Bruckner

La pièce principale de la soirée est cependant la 7e Symphonie d’Anton Bruckner rendue célèbre au cinéma par le film de Luchino Visconti ‘Senso’ (1954), à travers laquelle on retrouve sous la gestuelle souple et enveloppante de Philippe Jordan les ombres veloutées et sous-jacentes qu’il sait si bien mettre en valeur dans les ouvrages wagnériens pour lesquels le compositeur autrichien vouait aussi une immense admiration.

Ce soir, la volonté de maintenir un rapport au corps serré avec l’orchestre est saillant ce qui transparaît dans la grande densité de l’interprétation. Les mouvements des contrebasses s’apprécient pour leur moelleux, les cuivres clairs se montrent pimpants et les cors chaleureux, le trait poétique de la flûte est lumineusement coloré, et après un superbe adagio prenant et recueilli, sans virer aux états d’âmes trop crépusculaires, scherzo et final sont menés avec une véhémence flamboyante aux courbes et volumes d’une malléabilité magnifique.

On sent le soin accordé à l’enchantement suscité par des motifs très fins et des piqués légers, et il est très beau de voir comment sous un apparent calme cérémoniel Philippe Jordan peut faire ressortir une effervescence d’un grand raffinement tenue par une ligne aristocratique très élancée.

Philippe Jordan - 7e symphonie de Bruckner

Philippe Jordan - 7e symphonie de Bruckner

Beaucoup d’enthousiasme en fin de concert entre musiciens, public et chef d’orchestre, tant cette soirée est placée sous le sceau de l’évidence, et augure d’un avenir prometteur.

L'Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique

L'Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique

Voir les commentaires

Publié le 7 Février 2024

Don Giovanni (Wolfgang Amadé Mozart –
29 octobre 1787, Prague et 7 mai 1788, Vienne)
Version de concert du 05 février 2024
Théâtre des Champs-Élysées

Don Giovanni Christian Van Horn 
Donna Anna Slávka Zámečníková 
Don Ottavio Bogdan Volkov 
Donna Elvira Federica Lombardi 
Leporello Peter Kellner 
Le Commandeur Antonio Di Matteo 
Masetto Martin Häßler 
Zerlina Alma Neuhaus 

Direction musicale Philippe Jordan
Orchestre et chœur de l’Opéra de Vienne 

                             Bogdan Volkov (Don Ottavio) 

 

Par une concordance de temps heureuse, l’Opéra de Vienne est invité au Théâtre des Champs-Élysées pour célébrer les 100 ans de sa première venue en ce théâtre, qui se déroula du 28 mai au 02 juin 1924 pour y interpréter ‘Don Giovanni’, ‘Les Noces de Figaro’ et ‘L’enlèvement au Sérail’, ainsi qu’un concert symphonique.

En effet, cette année là, Paris organisait la VIIIe olympiade de l’ère moderne (la première ayant eu lieu à Athènes en 1896), et, 100 ans plus tard, l’Opéra de Vienne revient l’année où la capitale française organise la XXXIIIe olympiade.

Slávka Zámečníková (Donna Anna) et Bogdan Volkov (Don Ottavio)

Slávka Zámečníková (Donna Anna) et Bogdan Volkov (Don Ottavio)

Toutefois, la première venue à Paris du Philharmonique de Vienne, très lié à l’orchestre de l’Opéra de Vienne, date, elle, de 1900, sous la direction de Gustav Mahler, qui interpréta cinq concerts du 18 au 22 juin au Théâtre du Châtelet puis à la Salle des Fêtes du Palais du Trocadéro, à l’occasion de l’Exposition universelle et des Jeux de la IIe olympiade. 

Vienne 1900 représentait, au tournant du XIXe siècle, une pensée avant-gardiste, et c’est à ce moment là que commencèrent à émerger des mises en scènes d’opéras à l’esthétique radicale à travers la collaboration entre Alfred Roller et Gustav Mahler (‘Tristan und Isolde’ - 1903).

Depuis, Vienne a perdu de son avance sur son temps, mais l’arrivée en 2020 de Bogdan Roščić à la direction de la première maison lyrique autrichienne vise à replacer l’institution en accord avec son époque. Il est présent, ce soir, dans la salle du Théâtre des Champs-Élysées.

Affiche du Concert de l'Opéra de Vienne au Théâtre des Champs-Elysées en 1924

Affiche du Concert de l'Opéra de Vienne au Théâtre des Champs-Elysées en 1924

C’est avec un immense plaisir que l’on retrouve Philippe Jordan à la conduite de ce ‘Don Giovanni’ qui fut joué avec la même distribution du 14 au 20 janvier 2024 dans une production de Barrie Kosky, qui n’a malheureusement pu être reprise ici.

Le directeur musical suisse, qui a signé l’été dernier au Festival de Salzbourg un ‘Macbeth’ d’une très grande intensité dramatique dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski, confirme qu’il a renforcé son grand sens coloriste de la ligne orchestrale avec une puissance théâtrale qu’on ne lui avait pas toujours connu auparavant. Il dispose d’un orchestre qui concentre, certes, beaucoup de matière, doté d’une batterie de cuivres massive, et qui dégage son énergie pleinement dans la salle de l’avenue Montaigne, mais ensuite, Philippe Jordan en contrôle le superbe panachage des vents et des cordes, l’intensité du courant maelstromique, la forte coloration et l’audace des jaillissements tuttistes.

Très attentif aux solistes auxquels il adjoint autant son regard qu’aux musiciens, c’est un Mozart emporté et traversé de douceur qu’il fait vivre avec une grande attention à la perfection des détails et à la netteté du dessin des moindres pulsations.

Philippe Jordan

Philippe Jordan

Les interprètes se connaissent bien, puisqu’ils ont déjà chanté ensemble, et le style le plus purement mozartien est magnifiquement maîtrisé par Slávka Zámečníková, dont les lignes vocales se marient merveilleusement aux tissures orchestrales pour dresser un très beau portrait de Donna Anna, empreint d’une séduisante finesse de caractère.

Elle forme ainsi un harmonieux duo avec Bogdan Volkov qui fait transparaître en Don Ottavio les tressaillements du cœur et accorde beaucoup de soin à la sensibilité de ses deux airs qui combinent allègement vocal et maturité du timbre, d’où émane un charme angélique. 

Le ténor ukrainien ne fait que confirmer au public parisien le premier prix qu’il remporta 9 ans plus tôt, à l’âge de 26 ans, lors de sa première venue en France au Théâtre des Champs-Élysées pour participer au concours ‘Les Mozart de l’Opéra’. Depuis, sa carrière européenne s’est envolée notamment avec son incarnation très touchante du Tsarevitch Gvidon dans Le Conte du Tsar Saltan’ mis en scène par Dmitri Tcherniakov et repris récemment à la Monnaie de Bruxelles.

Peter Kellner (Leporello)

Peter Kellner (Leporello)

En Leporello, la basse slovaque Peter Kellner est rompue au chant mozartien mais également au jeu scénique, et cet artiste enjoué induit ainsi un personnage jeune, vibrant, qui captive par sa présence sans verser dans la caricature facile. Il est drôle sans être vulgaire, et préserve de l’amour-propre au valet de Don Giovanni.

C’est d’ailleurs de cette noblesse qui manque, ce soir, à Don Giovanni, auquel Christian Van Horn prête une stature fort monolithique, puissamment sonore et hyper assurée, mais qui ne laisse rien transparaître en mouvement de l’âme, ni même aucune ambiguïté.

Christian Van Horn (Don Giovanni)

Christian Van Horn (Don Giovanni)

Donna Elvira, celle qui pourrait le ramener à la raison, est chantée par Federica Lombardi qui s’inscrit fortement dans une véhémence sauvage, mais laisse peu de place à la tendresse, comme si elle ne voulait pas que cette femme paraisse dominée par le libertin, et le couple de paysans formé par Martin Häßler et Alma Neuhaus donne une image jeunement bourgeoise de leur ménage, une vision du conformisme qui ne va pas survivre à tant de désinvolture.

Enfin, Antonio Di Matteo fait entendre une ligne grave bien chantante qui traduit l’origine nobiliaire du Commandeur.

Federica Lombardi (Donna Elvira)

Federica Lombardi (Donna Elvira)

Salle comble et grand succès au final pour cette soirée qui a permis de découvrir certains chanteurs et de confirmer que Philippe Jordan continue à prendre de l’ampleur.

Slávka Zámečníková, Philippe Jordan, Federica Lombardi, Martin Häßler et Alma Neuhaus

Slávka Zámečníková, Philippe Jordan, Federica Lombardi, Martin Häßler et Alma Neuhaus

A écouter sur France Musique, dimanche 11 février 2024 à 9h, l'émission de Christian Merlin 'Au cœur de l'orchestre', qui sera dédiée aux Viennois en voyage.

Voir les commentaires

Publié le 2 Août 2023

Macbeth (Giuseppe Verdi - 14 mars 1847, Florence)
Version révisée du 21 avril 1865, Paris - Théâtre Lyrique (Place du Châtelet)
Représentation du 29 juillet 2023
Großes Festspielhaus - Salzburg

Macbeth Vladislav Sulimsky
Banco Tareq Nazmi
Lady Macbeth Asmik Grigorian
Dame de Chambre de Lady Macbeth Caterina Piva
Macduff Jonathan Tetelman
Malcom Evan LeRoy Johnson
Un médecin Aleksei Kulagin
Serviteur de Macbeth Grisha Martirosyan
Tueur / Héraut Hovhannes Karapetyan
Apparitions : solistes du St Florian Boy's Choir 

Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène Krzysztof Warlikowski (2023)
Décors et costumes Malgorzata Szczesniak
Lumières Felice Ross
Vidéo Denis Guéguin et Kamil Polak
Chorégraphie Claude Bardouil
Dramaturgie Christian Longchamp
Angelika Prokopp Sommerakademie der Wiener Philharmoniker
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor 
Wiener Philharmoniker

Les opéras de Giuseppe Verdi qui ont été donnés pour la première fois au Festival de Salzbourg depuis sa création en 1920 sont 'Falstaff' (1935), 'Otello' (1951) et Don Carlo (1958), c'est à dire deux ouvrages basés sur des textes de William Shakespeare et un ouvrage inspiré d'une pièce de Friedrich von Schiller.  Il s'agit par ailleurs d'oeuvres de la maturité du compositeur.

Asmik Grigorian (Lady Macbeth)

Asmik Grigorian (Lady Macbeth)

Cet intérêt du festival pour les grands dramaturges se confirmera par la suite avec l'entrée au répertoire du 'Macbeth' de Giuseppe Verdi en 1964, qui sera monté à la Felsenreitschule dans une mise en scène d'Oscar Fritz Schuh, sous la direction musicale de Wolfgang Sawallisch et avec Grace Bumbry en Lady Macbeth, production qui sera reprise l'année suivante avec la même équipe artistique.

Macbeth (Salzburg - 1964) - Orfeo

Macbeth (Salzburg - 1964) - Orfeo

Depuis cet événement qui a été immortalisé (Enregistrement disponible sous le label Orfeo), deux autres productions ont été créées au Festival, la première au Großes Festspielhaus en 1984 et 1985, mise en scène par Piero Faggioni et dirigée par Riccardo Chailly avec Ghena Dimitrova dans le rôle de la Lady, la seconde à la Felsenreitschule en 2011, dans une mise en scène de Peter Stein, sous la direction musicale de Riccardo Muti avec Tatiana Serjan en Lady.

Krzysztof Warlikowski

Krzysztof Warlikowski

Ainsi, avec la nouvelle et donc quatrième production de 'Macbeth' confiée cette fois ci à Krzysztof Warlikowski et toute son équipe, cette oeuvre de jeunesse du compositeur italien devient une référence dramaturgique incontournable du célèbre festival autrichien.

Et lorsque l'on sait à quel point Shakespeare fut une passion de jeunesse forte pour le metteur en scène polonais, dont il a mis en scène aussi bien la tragédie 'Macbeth' en 2004 que l'opéra éponyme de Verdi en 2010 au Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles, on ne peut qu'être intrigué de découvrir quelle sera son approche cette fois-ci.

Macbeth (Grigorian Sulimsky Nazmi Jordan Warlikowski) Salzburg

Il faut tout d'abord occuper les 31 m de largeur de la scène du Großes Festspielhaus, et le décor conçu par Malgorzata Szczesniak, inspiré de la 'Salle du Jeu de Paume' de Versailles en tant que symbole révolutionnaire, s'empare de cet espace pour disposer en son centre un immense banc en bois étalé sur toute sa longueur, alors qu'en arrière plan, le mur de ce grand hall est entaillé à mi-hauteur par une zone de passage longitudinale protégée par des vitres. 

Côté jardin, un décor coulissant d'intérieur de maison survient et se retire au gré des apparitions mentales de Macbeth, et côté cour, un recoin recouvert de bâches opaques apparait ou disparait à chaque fait décisif. 

En clair, on verra à gauche les images mentales prédictives, et à droite, l'action traumatique et criminelle qui détermine l'avenir.

Lili Marleen - Rainer Werner Fassbinder (1981)

Lili Marleen - Rainer Werner Fassbinder (1981)

Et tel un long tunnel dont les vitres ne sont pas suffisamment hautes pour voir les visages des intervenants, l'entaille de l'arrière du décor sert également à créer un relief lumineux supplémentaire.

Enfin, sur la partie supérieure du mur sont projetées des vidéos de différentes natures : temps-réel afin de montrer, par exemple, l'arrivée de Duncan à travers le tunnel vitré de la mort, ou bien extraites de films choisis pour leur rapport avec la nature infanticide du drame, 'Oedipe Roi' ou 'L'Evangile selon Saint-Matthieu' de Pier Paolo Pasolini, ou bien encore des images de synthèse représentant un enfant en fuite. Et parmi ces images, le regard de Marie semble refléter toute la détresse du monde.

La puissance de ce dispositif immerge ainsi le spectateur dans un climat bien précis.

Vladislav Sulimsky (Macbeth), Tareq Nazmi (Banco) et les sorcières

Vladislav Sulimsky (Macbeth), Tareq Nazmi (Banco) et les sorcières

Dans la restitution du monde qu'il imagine, Krzysztof Warlikowski fait intervenir des personnages muets qui ont leur propre autonomie existentielle. Il est difficile de les suivre tous et de tous les analyser en une seule vision, mais il y en a un qui attire en particulier l'attention, cette vieille dame qui tricote la plupart du temps au milieu de l'action en cours, mais que l'on verra plus tard courir dans le même tunnel employé par Duncan, et qui aidera Fléance, le fils de Banco, à s'échapper du piège tendu à son père. 

On peut y voir la possibilité qu'une personne d'habitude ordinaire, et qui sache analyser la situation, ait le courage et la capacité, à un moment bien précis, d'intervenir sur le destin afin de l'infléchir de façon décisive, tout en ayant un profonde compassion pour chaque être quel qu'il soit.

Macbeth (Grigorian Sulimsky Nazmi Jordan Warlikowski) Salzburg

Pour sa construction dramaturgique, Krzysztof Warlikowski situe l'action dans l'entre deux-guerres au moment de la montée des fascismes. Les sorcières sont de vieilles dames aveugles - elles portent un brassard jaune avec trois points noirs, ce qui crée une image ambiguë - regroupées et isolées de la société dans une pièce bien à part.

Macbeth et Lady Macbeth se tiennent très éloignés, assis aux extrémités du banc central. Mais quand le guerrier se retrouve parmi les sorcières situées sur la gauche de la scène, le metteur en scène montre en parallèle, sur la droite du plateau, comment la Lady va prendre conscience lors d'un examen médical qu'elle ne peut avoir d'enfants. 

La source du traumatisme de cette femme, qui est évoquée dans la pièce de Shakespeare mais pas dans l'opéra de Verdi, est ainsi présentée dès les premières minutes.

A l'Opéra de Paris, il y a 25 ans, Phyllida Lloyd, avait aussi évoqué ce désir impossible dans son interprétation de 'Macbeth', mais elle le révélait plus tard, dans le court ballet des Sylphes à la fin du troisième acte (ballet coupé dans la version de ce soir).

Asmik Grigorian (Lady Macbeth)

Asmik Grigorian (Lady Macbeth)

Avant la scène de la lettre, on peut ainsi voir Asmik Grigorian, magnifiquement glamour, s'allonger sur le banc et sangloter de désespoir. Il s'agit de la première scène d'humanisation de la Lady.

S'en suivent les retrouvailles du couple, tendres, et très finement expressives dans les moindres gestes, puis l'arrivée conventionnelle de Duncan dont on verra le meurtre filmé comme si le spectateur était l'œil d'une caméra de vidéo-surveillance.

La largeur de la scène accentue la petitesse et l'isolement des Macbeth, excellemment joués aussi bien dans leurs tiraillements que leur sang-froid, et il y a de quoi être sidéré par tant de détermination et d'emballement dans le jeu des chanteurs, ce qui crée souvent des images fortes et marquantes par leur réalisme.

Asmik Grigorian (Lady Macbeth) et Vladislav Sulimsky (Macbeth)

Asmik Grigorian (Lady Macbeth) et Vladislav Sulimsky (Macbeth)

On retrouve ensuite, dans la scène de découverte du meurtre du Roi, cette impressionnante marche funéraire des enfants portant le cercueil déjà prêt du défunt, image reprise avec un sens du spectaculaire tout aussi fort de la première version de 'Macbeth' mis en scène en 2010.

Puis silence, et le couple, une fois seul, est pris d'un fou-rire qui ne dure que quelques secondes avant qu'il ne réalise qu'il est nécessaire d'aller plus loin. Très belle image d'un miroir diffractant des éclats de lumière, tel un poignard planté dans le sol, quand Lady Macbeth interprète 'La Luce langue'.

Vladislav Sulimsky (Macbeth) et Asmik Grigorian (Lady Macbeth)

Vladislav Sulimsky (Macbeth) et Asmik Grigorian (Lady Macbeth)

Le meurtre de Banco est par la suite mis en scène dans un coin à la façon d'un règlement de compte de mafieux, et l'on assiste à la fuite de Fléance, aidé de la vieille dame, au même moment où une vidéo de synthèse débute l'histoire d'un jeune garçon qui s'évade vers l'inconnu. L'association avec Fléance, à moins qu'il ne s'agisse d'une projection du metteur en scène cherchant à fuir le monde, devient assez naturelle.

La grande scène de banquet chez les Macbeth est alors l'occasion d'offrir au public un splendide numéro de cabaret tiré du film de Rainer Werner Fassbinder 'Lili Marleen', où l'on pouvait voir l'actrice allemande Hanna Schygulla chanter sa mélodie pour enjôler les soldats nazis devant un décor de Soleil rayonnant. 

Macbeth (Grigorian Sulimsky Nazmi Jordan Warlikowski) Salzburg

Dans sa restitution, ce soleil est encore plus impressionnant sur la scène du Großes Festspielhaus dont il épouse toute la largeur, et Asmik Grigorian est tellement éblouissante qu'elle parait être le double de la célèbre héroïne warlikowskienne Magdalena Cielecka que l'on retrouve dans toutes les pièces de théâtre de ce dernier.

Après ce show qui en met plein la vue scéniquement mais aussi vocalement, les hallucinations de Macbeth sont mises en scène de façon assez amusantes à partir de ballons d'anniversaire qu'il prendra à deux reprises pour la tête de Banco.

Si la première tête disparait lorsqu'un invité s'assied devant, la seconde est directement explosée par Macbeth lui même, moment où il devient sauvagement fou.

Asmik Grigorian (Lady Macbeth)

Asmik Grigorian (Lady Macbeth)

Retour chez les sorcières au troisième acte où la folie de Macbeth ne met plus aucune limite au nombre d'infanticides nécessaires. On aperçoit des enfants aux traits de Banco détruire des poupées de bébés, alors qu'une autre sorcière-enfant torture le monarque au moyen d'un rite vaudou. Quand les apparitions s'évanouissent, Macbeth s'effondre et finit en fauteuil roulant. Il n'est plus rien.

Krzysztof Warlikowski reprend par la suite une idée très forte issue de sa première version de 'Macbeth' qui montre, au moment du grand air de Macduff 'O figli, o figli miei', sa femme attristée donnant à chacun de ses enfants, prêts à s'endormir, une boisson empoisonnée qui leur permettra de mourir sans souffrance afin d'échapper au massacre que projette Macbeth.

Lady Macduff (Début acte IV)

Lady Macduff (Début acte IV)

Effondrée et déformée au sol, une lampe d'interrogatoire à la main, la Lady effectue sa scène de somnambulisme en errant vers la dame et le médecin, en toute déraison, puis vers son mari, avant de s'entailler les veines au moment du suraigu final qu'Asmik Grigorian va réaliser avec un aplomb et une netteté absolument fantastiques.

Puis, lors de la scène de déchéance de Macbeth rampant à terre, le médecin intervient pour éviter à sa femme de mourir. Toute la population en tenue de deuil entoure finalement le couple pour le faire disparaitre.

Macduff, devenu très violent, et Malcom, qui lui ressemble, ne paraissent pas en mesure d'incarner une succession meilleure, si bien que l'on n'assiste pas au couronnement de ce dernier. 

Début Acte IV

Début Acte IV

Sur le chœur final, une projection de la forêt de Birnam envahit tout l'espace, et c'est sur une immense vidéo de l'enfant marchant dans la forêt, lieu de réconfort de la psyché humaine, afin d'y retrouver des esprits d'enfants pour se livrer avec eux à une danse symbolique, que s'achève la tragédie.

Il s'agit ainsi d'un travail de la part de Krzysztof Warlikowki et toute son équipe qui recherche à la fois une mise en forme visuelle très poétique du texte, la constitution d'un climat infanticide qui accentue les séquelles de la quête du pouvoir sur les enfants qui en deviennent victimes, tout en rendant palpable les projections monstrueuses que Macbeth fait sur eux, mais qui cherche aussi à rendre une certaine beauté à Lady Macbeth.

Vladislav Sulimsky (Macbeth)

Vladislav Sulimsky (Macbeth)

6 ans après l'inoubliable 'Don Carlos' de l'opéra Bastille, Philippe Jordan retrouve à nouveau toute l'équipe du metteur en scène, et à la tête du Philharmonique de Vienne, il insuffle une puissance dramatique phénoménale à la musique, avec une impulsivité qui ne laisse aucun répit. Cela s'entend lors de l'intervention du premier chœur qui n'a même pas le temps d'achever sa première phrase que les contrebasses attaquent une rythmique endiablée.

Particulièrement impressionnante dans les grandes scènes spectaculaires où l'emphase s'y déploie avec une majestueuse tonitruance, la direction musicale conserve une prégnance et une cohésion d'ensemble qui démultiplient les effets de couleurs et de textures tout en sculptant un élancement des formes qui se prolonge magnifiquement avec le galbe des chœurs. 

Les lignes des vents soulignent les lignes de chant des solistes d'une profonde poésie, les variations de cadences précipitent le drame avec un bouillonnement sanguin trépidant, et les accentuations de volume donnent un superbe relief aux interventions des chanteurs.

Véritablement, c'est un très grand Verdi, moderne et racé, que nous offre Philippe Jordan.

Philippe Jordan

Philippe Jordan

Et c'est à une très grande équipe de chanteurs qu'il est associé, à commencer par Asmik Grigorian qui fait découvrir le personnage de Lady Macbeth avec une très grande assurance.

Le timbre de voix est souple, rayonnant et d'un très grand impact dans les aigus aux vibrations corsées, qui peuvent être coupées avec un tranchant net. Une telle aisance, et surtout une telle clarté d'élocution, lui permettent de décrire une femme d'aujourd'hui avec un aplomb fantastique exempt de tout effet de méchanceté caricatural, les colorations graves étant d'ailleurs moins sombres que celles d'autres interprètes.

Il en résulte une incarnation d'une vitalité et d'un charisme confondants, et d'une beauté à en étoiler le regard d'émerveillement, qui traduisent toute l'intelligence de cette artiste hors du commun.

Asmik Grigorian (Lady Macbeth)

Asmik Grigorian (Lady Macbeth)

En Macbeth, Vladislav Sulimsky est un excellent tragédien tant dans l'incarnation théâtrale que l'expression vocale. D'emblée happé par un rôle de bandit intrigant, il a une voix belle et mature, variant en ampleur et en couleur tout en préservant l'unité de sa personnalité, ce qui en fait un grand baryton verdien. Les duos avec sa Lady sont toujours très humains, les scènes d'hallucinations impressionnantes de nervosité,  si bien que l' on peut éprouver de la sympathie pour ce caractère qui semble dépassé par lui même et roulé par ses propres déraillements mentaux.

Enterrement de Duncan

Enterrement de Duncan

Tareq Nazmi est lui aussi un Banco de tout premier ordre, très sonore dans les graves mais aussi avec une certaine douceur qui le distingue des profils plus rocailleux. Il en tire d'ailleurs une salve d'applaudissements méritée à la fin de son air 'Come dal ciel precipita', alors que son personnage s'apprête à se faire assassiner dans les secondes qui suivent.

Jonathan Tetelman (Macduff) et Lady Macduff (Début Acte 4)

Jonathan Tetelman (Macduff) et Lady Macduff (Début Acte 4)

Et c'est un très grand Macduff qu'exalte Jonathan Tetelman, sanguin et incisif, affichant une virilité sombre que l'on n'attend pas chez ce personnage qui subit le destin, mais qui, dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski, est bien plus enclin à la vengeance hargneuse avec un très fort dramatisme qui va dans le sens d'un Verdi qui cherchait, à travers cette oeuvre, à s'écarter du pur bel canto au profit de la crédibilité humaine.

Rôle encore plus court, celui de Malcom se taille également une solide stature sous les traits d'Evan LeRoy Johnson, et tous les autres rôles secondaires sont, eux-aussi, très bien caractérisés avec des tonalités vocales saisissantes, que ce soit Caterina Piva en Dame de Chambre ou bien Aleksei Kulagin en médecin.

Scène finale

Scène finale

La version jouée ce soir est celle révisée en 1865 pour le Théâtre Lyrique de Paris, pour laquelle un tiers de la partition fut réécrite par rapport à l'originale florentine de 1847.

Le ballet des sorcières et le chœur des Sylphes sont cependant supprimés afin de mieux concentrer l'action scénique, mais l'air final de la version 1847 de 'Macbeth', 'Mal per me che m'affidai' , est réintégré pour donner toute sa force au désespoir du Roi déchu.

Denis Guéguin (Vidéo)

Denis Guéguin (Vidéo)

Avec des chœurs aussi bien splendides par leur élan qu'élégiaques dans le grand moment de déploration du quatrième acte, cette interprétation de 'Macbeth' apporte un nouveau souffle qui rapproche les spectateurs de ces deux personnages extrêmes.

L'excellent accueil reçu par tous les artistes de cette production en témoigne, et comme il s'agit du spectacle au monde pour lequel il était le plus difficile d'obtenir de places cette saison, il sera possible de le revoir en 2025.

Malgorzata Szczesniak, Philippe Jordan et Krzysztof Warlikowski

Malgorzata Szczesniak, Philippe Jordan et Krzysztof Warlikowski

Pour revoir la diffusion de la première de 'Macbeth' sur Arte-Concert, c'est ici.

Asmik Grigorian et Vladislav Sulimsky

Asmik Grigorian et Vladislav Sulimsky

Voir les commentaires

Publié le 8 Octobre 2022

Concerto pour violon et Suite du Chevalier à la Rose – Orchestre National de France

Concert du 06 octobre 2022
Auditorium de Radio France

Johannes Brahms
Concerto pour violon et orchestre (1er janvier 1879 – Leipzig)

Jean Sébastien Bach
Fugue extraite de la Sonate n°1 en sol mineur (1720) 'bis'

Richard Strauss
Le Chevalier à la rose, nouvelle suite de Philippe Jordan et Tomáš Ille (05 octobre 1944 – New York / 06 octobre 2022 - Paris)

Direction musicale Philippe Jordan
Violon Antonio Stradivari ‘Lady Inchiquin’ 1711 Franz Peter Zimmermann
Orchestre National de France

Depuis le concert d’adieu joué le 02 juillet 2021 à l’Opéra Bastille, Philippe Jordan est totalement investi à ses projets avec l’Opéra de Vienne. Son retour à Paris est donc un évènement qui marque ses débuts avec l’Orchestre National de France.

Et dès son arrivée, sa joie de retrouver l’auditorium de Radio France où il avait enregistré ‘Siegfried’ en pleine période de confinement, le 06 décembre 2020, est évidente, tout autant que sont palpables la fébrilité et l’attention des auditeurs venus ce soir, parmi lesquels peuvent même être aperçues des personnalités liées à l’Opéra de Paris et son histoire.

Philippe Jordan - Suite du Chevalier à la Rose

Philippe Jordan - Suite du Chevalier à la Rose

En première partie de ce concert, le 'Concerto pour violon et orchestre', fruit de l’amitié entre Johannes Brahms et le violoniste Joseph Joachim, permet immédiatement de mettre en valeur la plénitude des bois et l’agilité homogène du geste orchestral toujours très caressante sous la baquette de Philippe Jordan.

Franz Peter Zimmermann ne tarde pas à devenir le point focal de l’œuvre par un jeu d’une vivacité acérée qui évoque, par la plasticité de ses traits d’ivoire effilés, un caractère chantant et bucolique très accrocheur. Il esquisse ainsi de véritables dessins d’art sonores avec une recherche d’authenticité et une dextérité inouïe, ce qui fait la force de ce grand artiste.

Et pour le plaisir, on retrouve ce mélange de finesse lumineuse et de rudesse mélancolique dans la fugue extraite de la 'Sonate pour violon n°1' de Jean-Sébastien Bach offerte en bis.

Franz Peter Zimmermann et Philippe Jordan - Concerto pour violon de Brahms

Franz Peter Zimmermann et Philippe Jordan - Concerto pour violon de Brahms

En seconde partie, c’est une nouvelle version de la 'Suite du Chevalier à la Rose’ que dirige Philippe Jordan, version qu’il a mis au point avec le musicologue tchèque Tomáš Ille pour augmenter sa dimension symphonique. Ainsi, de 25 minutes pour la version originale exécutée la toute première fois par Artur Rodziński à New-York en 1944, cette nouvelle version passe désormais à 40 minutes de luxuriance exacerbée.

Le résultat est que les spectateurs de l’auditorium de Radio de France vont vivre un moment absolument éblouissant avec l’Orchestre National de France, à travers une interprétation d’une ampleur prodigieuse, enlevée par un déferlement sonore d’une vitalité souriante empreinte de jaillissements de couleurs et d’éclats fulgurants. Les passages les plus intimes, comme à l’arrivée de Sophie, sont transcrits avec une clarté et une douceur irrésistibles, et point également une ébullition tout en retenue – très belle finesse qu’il obtient du premier violon - qui magnifie la délicatesse des instrumentistes.

Philippe Jordan - Suite du Chevalier à la Rose

Philippe Jordan - Suite du Chevalier à la Rose

Puis, Philippe Jordan laisse extérioriser l’enthousiasme qui l’anime intrinsèquement, et il le transmet au public avec énormément de générosité, d’autant plus que ‘Der Rosenkavalier’ est un opéra qui s’associe avec beaucoup d’évidence à sa personnalité, ce qui est d’autant plus sensible dans cette symphonie issue de sa propre conception.

Philippe Jordan et les musiciens de l'Orchestre National de France

Philippe Jordan et les musiciens de l'Orchestre National de France

L’échange fait de joie et d’admiration entre lui et les musiciens, lisible au moment des saluts, n’en est que plus réjouissant à admirer.

Ce concert, diffusé en direct sur France Musique, peut être réécouté sous le lien suivant et permet également d'écouter les inteviews des artistes:
Brahms et Strauss par Frank Peter Zimmermann et l'Orchestre National de France dirigé par Philippe Jordan

Voir les commentaires

Publié le 11 Août 2021

Die Meistersinger von Nürnberg (Richard Wagner – 1868)
Représentations du 01 et 09 août 2021
Festival de Bayreuth

Hans Sachs Michael Volle
Veit Pogner Georg Zeppenfeld
Kunz Vogelgesang Tansel Akzeybek
Konrad Nachtigal Armin Kolarczyk
Sixtus Beckmesser Bo Skovhus, Johannes Martin Kränzle
Fritz Kothner Werner Van Mechelen
Balthasar Zorn Martin Homrich
Ulrich Eisslinger Christopher Kaplan
Augustin Moser Ric Furman
Hermann Ortel Raimund Nolte
Hans Schwarz Andreas Hörl
Hans Foltz Timo Riihonen
Walther von Stolzing Klaus Florian Vogt
David Daniel Behle
Eva Camilla Nylund
Magdalene Christa Mayer
Ein Nachtwächter Günther Groissböck

Direction musicale Philippe Jordan                                        Philippe Jordan
Mise en scène Barrie Kosky (2017)
Orchester der Bayreuther Festspiele

Bien que les éditions 2017 et 2018 de cette magnifique production aient été abondamment commentées ici même, il est impossible de ne pas parler à nouveau succinctement des Meistersinger mis en scène par Barry Kosky, tant l’interprétation donnée en août 2021 semble avoir atteint un sommet insurpassable.

Klaus Florian Vogt (Walther von Stolzing)

Klaus Florian Vogt (Walther von Stolzing)

Même si l’on ne retrouve pas cette année les joyeux chiens dans le tableau d’ouverture, ce premier acte joué dans le salon reconstitué de la villa Wahnfried est toujours aussi haut en couleurs, et semble redonner vie au tableau de Friedrich Georg Papperitz « Richard Wagner à Bayreuth » de 1882, l’année de création de Parsifal qui sera dirigé par Herman Lévi dès sa première représentation.

Les multiples visages de Wagner sont diffractés à travers les différents personnages, Sachs, Walther et David, et l’ensemble des chanteurs se livrent à un jeu de théâtre étourdissant dans un espace quelque peu restreint. Tout est magnifique, les costumes, l’ameublement de la bibliothèque, les attitudes caricaturales, et l’attention se porte particulièrement sur le personnage de Beckmesser, puisque Barrie Kosky lui fait prendre toutes les mauvaises attitudes pour projeter en lui l’antisémitisme que dissimule l’ouvrage.

« Richard Wagner à Bayreuth » de Friedrich Georg Papperitz (1882) - De gauche à droite, au premier rang : Siegfried et Cosima Wagner, Amalie Materna, Richard Wagner. Derrière eux : Franz von Lenbach, Emile Scaria, Fr. Fischer, Fritz Brand, Herman Lévi. Puis Franz Liszt, Han Richter, Franz Betz, Albert Niemann, la comtesse Schleinitz, la comtesse Usedom et Paul Joukowsky.

« Richard Wagner à Bayreuth » de Friedrich Georg Papperitz (1882) - De gauche à droite, au premier rang : Siegfried et Cosima Wagner, Amalie Materna, Richard Wagner. Derrière eux : Franz von Lenbach, Emile Scaria, Fr. Fischer, Fritz Brand, Herman Lévi. Puis Franz Liszt, Han Richter, Franz Betz, Albert Niemann, la comtesse Schleinitz, la comtesse Usedom et Paul Joukowsky.

Le second acte se déroule après la seconde guerre mondiale, la villa Wahnfried a été détruite, et les restes de la villa sont rassemblés dans un coin de la pièce. Un jeu de correspondance est alors établi entre, d’une part, le marteau de cordonnier de Sachs et le podium de chant, et, d’autre part, un marteau de juge et une barre de tribunal.

Dans cette partie, le jeu irrésistible dévolu à Beckmesser pour particulariser la figure juive qu’il représente s’achève en une bastonnade et une envahissante image parodique qui ne manque jamais de faire réagir les spectateurs. Johannes Martin Kränzle était souffrant pour les deux premières représentations et fut remplacé par Bo Skovhus qui s’en est bien sorti malgré l’impréparation, mais à son retour, le 09 août, il s’est à nouveau livré à un formidable jeu de scène fluide et dansant, usant d’intonation vocales claires et fulgurantes.

Michael Volle est évidemment toujours aussi impressionnant, un acteur d’une force naturelle unique alliée à un pouvoir vocal charismatique au beau délié d’un timbre qui peut se parer de velours comme se couvrir d’une écorce de roc.

Et Günther Groissböck est un veilleur de nuit de luxe, noir et inquiétant comme pour annoncer le triste final qui se prépare.

Michael Volle (Hans Sachs)

Michael Volle (Hans Sachs)

Quant au troisième acte, il se déroule au tribunal de Nuremberg, et Klaus Florian Vogt atteint son point culminant car depuis plus de 15 ans il parfait les clartés dorées de sa voix qui s’amplifient dans la salle du Palais des Festivals comme si celle-ci n’avait été conçue que pour mettre en valeur ce qu’elles ont de si surnaturel. Il y a chez lui un mélange de tendresse et de majesté inaccessible qui s’ennoblissent, et il a le souffle pour surpasser les tensions aigues de l’écriture musicale pour retrouver l’état poétique des susurrements intimes. Une interprétation merveilleuse finemenent maîtrisée.

En Pogner, Georg Zeppenfeld fait ressentir sa douce bienveillance habituelle, Daniel Behle dépeint brillamment l’impulsivité de David, et Camilla Nylund apporte une délicieuse touche de plénitude et d’espièglerie tout en maintenant Eva dans une posture digne. L’apparition de Werner Van Mechelen fait également ressortir le caractère bonhomme et impactant de Kothner.

Philippe Jordan

Philippe Jordan

Dans la fosse d’orchestre - des musiciens de l'orchestre de l'Opéra national de Paris font partie de la formation du Festival de Bayreuth auprès des meilleurs musiciens allemands -, Philippe Jordan est absolument merveilleux. Il magnifie le souffle épique des paysages sonores par des impressions de profondeur et une sculpture complexe des nervures orchestrales brillantes et légères.

Une poésie luminescente s'exhale à chaque instant, des réminiscences brucknériennes s'entendent parfois, et l'on peut vivre à plusieurs reprises comme d’extraordinaires levers de soleil, des bruissements des feuillages de forêts romantiques, une coloration dense et foisonnante avec laquelle on voudrait vivre indéfiniment.

Klaus Florian Vogt (Walther von Stolzing), Eberhard Friedrich (Chef de Choeur) et Johannes Martin Kränzle (Beckmesser)

Klaus Florian Vogt (Walther von Stolzing), Eberhard Friedrich (Chef de Choeur) et Johannes Martin Kränzle (Beckmesser)

Voir les commentaires

Publié le 12 Mai 2021

Présentation de la saison lyrique 2021 / 2022 de l’Opéra national de Paris

Le 18 mai 2021 à 19h30, la première saison d’Alexander Neef à la direction de l’Opéra national de Paris fut officiellement dévoilée au grand public dans un format numérique. Elle comprend 4 nouvelles productions et 4 coproductions, dont 4 nouveautés pour le répertoire, et 13 reprises.

Avec 21 titres au total pour 196 représentations, auxquels s'ajoute une version de Concert du Château de Barbe-Bleue, elle est accueillie comme une perspective bienheureuse après quasiment 15 mois de fermeture en continu, et le fait de voir que la crise sanitaire n’a pas altéré l’évolution de la trajectoire artistique que le nouveau directeur souhaite suivre est un excellent signe pour la suite.

Le répertoire historique parisien intéresse Alexander Neef, mais avec son nouveau directeur musical, Gustavo Dudamel, il s’inscrit dans une lignée de directeurs de grandes maisons internationales qui entrent en fonction au même moment, Serge Dorny et Vladimir Jurowski à l’Opéra d’État de Bavière, Bogdan Roščić et Philippe Jordan à l’Opéra de Vienne, et qui s’apprêtent à transformer le monde de la représentation lyrique pour lui donner un nouvel élan vital.

Présentation de la saison lyrique 2021 / 2022 de l’Opéra national de Paris

Les nouvelles productions

7 Deaths of Maria Callas (Marko Nikodijević – 2019) – Coproduction Bayerische Staatsoper, Deutsche Oper Berlin, Maggio Musicale Fiorentino, Greek National Opera, Teatro San Carlo Naples
Du 01 au 04 septembre 2021 (4 représentations au Palais Garnier)
Direction musicale Yoel Gamzou, mise en scène Marina Abramović
Willem Dafoe, Adèle Charvet, Lauren Fagan, Leah Hawkins, Adela Zaharia, Selene Zanetti, Gabriella Reyes, Hera Hyesang Park

Entrée au répertoire

Plasticienne que le public du Palais Garnier connaît depuis 2013 lorsqu’elle cosigna une chorégraphie du « Boléro » de Ravel avec Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet, Marina Abramović présente une pièce sur ces héroïnes d’opéra qui meurent par amour et que Maria Callas a pour la plupart incarné intégralement sur scène ou au disque, ou au moins à travers un air tel l’« Ave Maria » de Desdemone dans Otello. Sept chanteuses interpréteront sept idées de femmes, et la voix de Marina racontera l’histoire de chaque opéra.

 

Œdipe (Georges Enescu – 1936) – Nouvelle production
Du 23 septembre au 14 octobre 2021 (8 représentations à l’opéra Bastille)

Direction musicale Ingo Metzmacher, mise en scène Wajdi Mouawad
Christopher Maltman, Clive Bayley, Brian Mulligan, Ekaterina Gubanova, Laurent Naouri, Clémentine Margaine, Anne-Sophie von Otter, Vincent Ordonneau, Adian Timpau, Yann Beuron, Anna-Sophie Neher, Daniela Entcheva

Œuvre jouée pour la dernière fois au Palais Garnier le 22 mai 1963 (production de l’Opéra de Bucarest en version roumaine)

Basée sur les textes d’Œdipe-Roi et Œdipe à Colone de Sophocle, l’adaptation lyrique de cette tragédie par Edmond Fleg, homme de théâtre et l'un des premiers sionistes français, est la plus complète des deux autres versions connues d’Antonio Sacchini (1786) et d’Igor Stravinsky (1927). Cette œuvre monumentale raconte toutes les étapes de la vie d’Œdipe, père d’Antigone et d’Ismène.

Œdipe est l’unique opéra de Georges Enescu, et fut créé au Palais Garnier le 13 mars 1936 pour 11 représentations jouées pendant un peu plus d’un an, avant de ne revenir que pour deux soirs, le 21 et 22 mai 1963, lors du passage de la troupe de l’Opéra de Bucarest.

En octobre 2008, Nicolas Joel ressuscita ce chef-d’œuvre en langue originale au Capitole de Toulouse, ce qui permit de redécouvrir une musique qui rappelle celle de Debussy avec des réminiscences wagnériennes.

La nouvelle production de l’opéra Bastille est confiée à Wajdi Mouawad, directeur du Théâtre national de la Colline et créateur en 2015 d’un oratorio, «Les larmes d’Œdipe», qui faisait partie d’un cycle dédié au sept tragédies de Sophocle.

Turandot (Giacomo Puccini – 1926) – Coproduction Canadian Opera Company de Toronto, Théâtre National de Lituanie, Houston Grand Opera, Teatro Real de Madrid
Du 04 au 30 décembre 2021 (9 représentations à l’opéra Bastille)

Direction musicale Gustavo Dudamel, mise en scène Robert Wilson
Elena Pankratova, Guanqun Yu, Gwyn Hughes Jones, Vitalij Kowaljow, Carlo Bossi, Alessio Arduini, Jinxu Xiahou, Matthew Newlin, Sava Vemic

Œuvre jouée pour la dernière fois à l’opéra Bastille le 30 décembre 2002 (production de Francesca Zambello)

Dernier opéra de Puccini, Turandot connut 36 représentations à l’opéra Bastille entre 1997 et 2002, sous la direction d’Hugues Gall, puis disparut subitement pendant près de 20 ans.
L’œuvre est un pilier du répertoire de plusieurs grandes institutions internationales, le MET de New-York, le Royal Opera House Covent-Garden de Londres, La Scala de Milan, et constitue une transition vers la musique du XXe siècle.

Turandot - ms Robert Wilson

Turandot - ms Robert Wilson

 

Les Noces de Figaro (Wolfgang Amadé Mozart – 1786) – Nouvelle production
Du 21 janvier au 18 février 2022 (11 représentations au Palais Garnier)
Direction musicale Gustavo Dudamel, mise en scène Netia Jones
Peter Mattei, Maria Bengtsson / Miah Persson, Ying Fang, Luca Pisaroni, Lea Desandre, Dorothea Röschmann, James Creswell, Michael Colvin, Christophe Mortagne, kseniia Proshina, Marc Labonnette

Œuvre jouée pour la dernière fois à l’opéra Bastille le 25 octobre 2012 (production de Giorgio Strehler)

Œuvre la plus jouée à l’Opéra de Paris depuis l’Ère Liebermann, Les Noces de Figaro ne disposait plus de production depuis 10 ans, et était rattrapée par La Bohème de Puccini. En confiant une nouvelle mise en scène à Netia Jones, Alexander Neef achève le cycle Da Ponte initié par Stéphane Lissner, permet au public parisien de renouer avec ce chef-d’œuvre au Palais Garnier et de découvrir l’univers d’une metteur en scène connue principalement dans les pays anglo-saxons.

A Quiet Place (Leonard Bernstein – 1983) – Nouvelle production (Création mondiale de la nouvelle orchestration pour grand orchestre)
Du 09 au 30 mars 2022 (11 représentations au Palais Garnier)

Direction musicale Kent Nagano, mise en scène Krzysztof Warlikowski
Patricia Petibon, Frédéric Antoun, Gordon Bintner, Russel Braun

Entrée au répertoire

En 2018, Kent Nagano enregistra une version de A Quiet Place qui réintégrait des passages coupés par Leonard Bernstein après sa création en 1983 à l’Opéra de Houston, tout en réalisant une orchestration plus légère. Pour l'Opéra de Paris, il s'agit de la création de la nouvelle orchestration pour grand orchestre. 

Il s’agit d’une entrée au répertoire pour le compositeur américain et pour son dernier opéra, et ce sujet qui analyse les relations familiales et des amours bisexuelles est confié naturellement à Krzysztof Warlikowski.

Wozzeck (Alban Berg – 1925) – Coproduction Festival de Salzbourg, New York Metropolitan Opera, Canadian Opera Company, Opera Australia
Du 10 au 30 mars 2022 (7 représentations à l’opéra Bastille)

Direction musicale Susanna Mälkki, mise en scène William Kentridge
Johan Reuter, John Daszak, Gerhard Siegel, Falk Struckmann, Eva-Maria Westbroek, Tansel Alzeybek, Mikhail Timoshenko, Tobias Westman, Heinz Göhrig

Œuvre jouée pour la dernière fois à l’opéra Bastille le 15 mai 2017 (production de Christoph Marthaler)

5 ans après la dernière reprise de la production de Wozzeck par Christoph Marthaler, la production de William Kentridge conçue pour le Festival de Salzbourg prendra place sur la scène Bastille. Elle permettra de découvrir ou redécouvrir le travail du metteur en scène sud-africain dont la collaboration avec la Handspring Puppet Company en 1992 avait abouti à un spectacle poignant, Woyzeck On The Highveld, basé sur la pièce de Georg Büchner.

Wozzeck - ms William Kentridge

Wozzeck - ms William Kentridge

Cendrillon (Jules Massenet- 1899) – Nouvelle production
Du 26 mars au 28 avril 2022 (12 représentations à l’opéra Bastille)

Direction musicale Carlo Rizzi, mise en scène Marianne Clément
Tara Erraught, Daniela Barcellona, Anna Stéphany, Kathleen Kim, Charlotte Bonnet, Marion Lebègue, Lionel Lhote, Philippe Rouillon, Cyrille Lovighi, Olivier Ayault, Vadim Artamonov

Entrée au répertoire

Il s’agit de l’entrée au répertoire d’une œuvre peu connue de Jules Massenet, créée à l’Opéra Comique le 24 mai 1899 et jouée 77 fois jusqu’en 1950. Elle rejoint une maison où les versions du Contes de Charles Perrault composées par Rossini (La Cenerentola) et Prokofiev (Cendrillon) font partie des incontournables, et c'est Marianne Clément qui aura la tâche d'imaginer le monde féérique de ce conte musical.

Fin de Partie (György Kurtag – 2015) – Coproduction Festival de Salzbourg, Scala de Milan, Opéra d’Amsterdam.
Du 30 avril au 19 mai 2022 (8 représentations au Palais Garnier)

Direction musicale Markus Stenz, mise en scène Pierre Audi
Frode Olsen, Leigh Melrose, Hilary Summers, Leonardo Cortellazzi

Entrée au répertoire

Commandé par le Festival de Salzbourg, mais créé à la Scala de Milan en 2018, Samuel Beckett: Fin de Partie, Scènes et monologues est le premier opéra d’un compositeur âgé de 92 ans.
Le livret est fidèle à la pièce, et c’est le texte français qui est mis en musique. Les quatre interprètes et le directeur musical sont ceux qui contribuèrent à la création.

Iphigénie en Tauride - ms Krzysztof Warlikowski

Iphigénie en Tauride - ms Krzysztof Warlikowski

Les reprises

Iphigénie en Tauride (Christoph Willibald Gluck – 1779)
Du 14 septembre au 02 octobre 2021 (7 représentations au Palais Garnier)

Direction musicale Thomas Hengelbrock / Inaki Encina Oyon, mise en scène Krzysztof Warlikowski (2006)
Tara Erraught, Jarrett Ott, Julien Behr, Jean-François Lapointe, Marianne Croux, Jeanne Ireland, Christophe Gay

Œuvre jouée pour la dernière fois au Palais Garnier le 25 décembre 2016

 

 

L’Élixir d’amour (Gaetano Donizetti – 1832) - Coproduction Royal Opera House - Covent Garden, Londres
Du 28 septembre au 09 novembre 2021 (12 représentations à l’opéra Bastille)

Direction musicale Giampaolo Bisanti / Leonardo Sini, mise en scène Laurent Pelly (2006)
Sydney Mancasola, Matthew Polenzani / Pene Pati, Simone Del Savio, Carlo Lepore / Ambrogio Maestri, Lucrezia Drei

Œuvre jouée pour la dernière fois à l’opéra Bastille le 25 novembre 2018

Der Fliegende Holländer (Richard Wagner – 1843)
Du 07 octobre au 06 novembre 2021 (9 représentations à l’opéra Bastille)

Direction musicale Hannu Lintu, mise en scène Willy Decker (2000)
Günther Groissböck, Ricarda Merbeth, Michael Weinius, Tomasz Konieczny, Agnes Zwierko, Thomas Atkins

Œuvre jouée pour la dernière fois à l’opéra Bastille le 09 octobre 2010

Le Vaisseau Fantôme - ms Willy Decker

Le Vaisseau Fantôme - ms Willy Decker

Rigoletto (Giuseppe Verdi – 1851)
Du 23 octobre au 24 novembre 2021 (16 représentations à l’opéra Bastille)

Direction musicale Dan Ettinger / Giacomo Sagripanti, mise en scène Claus Guth (2016)
Dmitry Korchak / Joseph Calleja, Ludovic Tézier / Zeljiko Lucic, Nadine Sierra / Irina Lungu, Goderdzi Janelidze, Justina gringyte, Cassandre Berthon, Bogdan Talos, Jean-Luc Ballestra, Macej Kwasnikowski, Florent Mbia, Isabelle Wnorowska, Henri Bernard Guizirian

Œuvre jouée pour la dernière fois à l’opéra Bastille le 27 juin 2017

Alcina (Georg Friedrich Haendel – 1735)
Du 25 novembre au 30 décembre 2021 (13 représentations au Palais Garnier)

Direction musicale Thomas Hengelbrock / Inaki Encina Oyon (Balthasar Neumann Ensemble), mise en scène Robert Carsen (1999)
Jeanine De Bique, Gaëlle Arquez, Sabine Devieilhe / Elsa Benoît, Roxana Constantinescu, Rupert Charlesworth, Nicolas Courjal

Œuvre jouée pour la dernière fois au Palais Garnier le 12 février 2014

La Khovantchina (Modeste Moussorgski – 1886) - Coproduction Teatro del Maggio Musicale Fiorentino
Du 26 janvier au 18 février 2022 (8 représentations à l’opéra Bastille)

Direction musicale Harmut Haenchen, mise en scène Andrei Serban (2002)
Dimitry Ivashchenko, Sergei Skorokhodov, John Daszak, Evgeny Nikitin, Dmitry Belosselskiy, Anita Rachvelishvili, Caroline Wilson, Gerhard Siegel, Olga Busuioc, Wojtek Smilek, Vasily Efimov, Tomasz Kumiega

Œuvre jouée pour la dernière fois à l’opéra Bastille le 09 février 2013

La Khovantchina - ms Andrei Serban

La Khovantchina - ms Andrei Serban

 

Don Giovanni (Wolfgang Amadé Mozart - 1787) - Coproduction New-York Metropolitan Opera
Du 01 février au 11 mars 2022 (13 représentations à l’opéra Bastille
)
Direction musicale Bertrand de Billy, mise en scène Ivo van Hove (2019)
Christian Van Horn, Alexander Tsymbalyuk, Adela Zaharia, Pavel Petrov, Nicole Car, Krzysztof Baczyk, Mikhail Timoshenko, Anna El-Khashem

Œuvre jouée pour la dernière fois au Palais Garnier le 13 juillet 2019

Manon (Jules Massenet – 1884)
Du 06 au 26 février 2022 (8 représentations à l’opéra Bastille)

Direction musicale James Gaffigan, mise en scène Vincent Huguet (2020)
Ailyn Pérez, Roberto Alagna / Atalla Ayan / Benjamin Bernheim, Andrzej Filonczyk, Jean Teitgen, Rodolphe Briand, Marc Labonnette, Andrea Cueva Molnar, Ilanah Lobel-Torres, Jeanne Ireland, Philippe Rouillon

Œuvre jouée pour la dernière fois à l’opéra Bastille le 10 mars 2020 (Captation à huis clos)

Elektra (Richard Strauss – 1909) Production originale de la Fondation Teatro del Maggio Musicale Fiorentino
Du 10 mai au 01 juin 2022 (8 représentations à l’opéra Bastille)

Direction musicale Semyon Bychkov / Case Scaglione, mise en scène Robert Carsen (2013)
Waltraud Meier, Christine Goergke, Elza van den Heever, Gerhard Siegel, Tomas Tomasson

Œuvre jouée pour la dernière fois à l’opéra Bastille le 01 décembre 2013

Elektra - ms Robert Carsen

Elektra - ms Robert Carsen

Parsifal (Richard Wagner – 1882)
Du 24 mai au 13 juin 2022 (7 représentations à l’opéra Bastille)

Direction musicale Simone Young, mise en scène Richard Jones (2018)
Brian Mulligan, Reinhard Hagen, Kwangchul Youn, Falk Struckmann, Marina Prudenskaya, Simon O'Neill, Neal Cooper, Willliam Thomas

Œuvre jouée pour la dernière fois à l’opéra Bastille le 23 mai 2018

Le Barbier de Séville (Gioachino Rossini – 1816)
Du 30 mai au 19 juin 2022 (8 représentations à l’opéra Bastille)

Direction musicale Roberto Abbado, mise en scène Damiano Michieletto (2014)
René Barbera, Renato Girolami, Marianne Crebassa, Andrzej Filonczyk, Alex Esposito, Katherine Broderick, Christian Rodrigue Mougoungou

Œuvre jouée pour la dernière fois à l’opéra Bastille le 12 février 2020

Platée (Jean-Philippe Rameau – 1745) - Coproduction Grand Théâtre de Genève, Opéra national de Bordeaux, Opéra national de Montpellier, Théâtre de Caen, Opéra de Flandre
Du 17 juin au 12 juillet 2022 (11 représentations au Palais Garnier)

Direction musicale Marc Minkowski (Les Musiciens du Louvre), mise en scène Laurent Pelly (1999)
Mathias Vidal, Nahuel di Pierro, Marc Mauillon, Julie Fuchs / Amina Edris, Tamara Bounazou, Lawrence Brownlee, Jean Teitgen, Reinoud van Mechelen, Adriana Bignani-Lesca

Œuvre jouée pour la dernière fois au Palais Garnier le 08 octobre 2015

Faust (Charles Gounod – 1859)
Du 28 juin au 13 juillet 2022 (6 représentations à l’opéra Bastille)

Direction musicale Thomas Hengelbrock, mise en scène Tobias Kratzer (2021)
Benjamin Bernheim, Christian Van Horn, Florian Sempey, Guilhem Worms, Angel Blue, Emily D'Angelo, Sylvie Brunet-Grupposo

Œuvre jouée pour la dernière fois à l’opéra Bastille le 26 mars 2021 (Captation vidéo)

Faust - ms Tobias Kratzer

Faust - ms Tobias Kratzer

Version de Concert

Le Château de Barbe-Bleue (Béla Bartók– 1918)  Reporté
Le 09 janvier 2022 (1 représentation à l'opéra Bastille)

Direction musicale Josep Pons - Orquestra Simfònica del Gran Teatre del Liceu de Barcelone
Ausriné Stundyté, Sir Bryn Terfel

Œuvre jouée pour la dernière fois au Palais Garnier le 11 mai 2018
Opéra en version de concert reporté à la saison 2022/2023 du fait de la dégradation de la situation sanitaire

Premières impressions sur la saison 2021/2022

Cette première saison révèle une véritable volonté de représenter équitablement différentes époques de l’histoire de l’opéra avec 2 œuvres baroques, 3 œuvres classiques, 2 opéras bouffes italiens, 5 œuvres issues des courants romantiques français, russes et italiens du XIXe siècle, 2 opéras de Wagner, 5 œuvres du XXe siècle, 2 créations contemporaines.

Il s’agit donc d’une première rupture avec la direction de Stéphane Lissner qui se focalisait fortement sur le XIXe siècle, bien que la programmation reprenne une partie des éléments de sa dernière saison.
Ainsi, Giuseppe Verdi n’est représenté que par Rigoletto, mais avec 16 représentations à l’affiche.

Les nouvelles productions

Le fait que 4 nouvelles productions soient des nouveautés au répertoire et que 3 productions (Turandot et Les Noces de Figaro, toutes deux dirigées par Gustavo Dudamel, et Oedipe) soient des productions d’œuvres du répertoire qui ne disposaient plus de scénographie va fortement contribuer à élargir le panorama musical de la saison 2021/2022 et donc attiser la curiosité des spectateurs. Par ailleurs, 6 de ces nouvelles productions sont tournées vers les œuvres du XXe et XXIe siècle, ce qui est considérable. Sera particulièrement à suivre la création mondiale de la nouvelle orchestration pour grand orchestre de Kent Nagano pour A Quiet Place.

Les reprises

Parmi les reprises, quatre œuvres n’avaient plus été entendues depuis au moins 8 ans, Alcina, Le Vaisseau Fantôme, La Khovantchina, Elektra, et elles bénéficient d’une esthétique soignée (Decker, Carsen et Serban) qui leur donne une solide durabilité depuis plus de 20 ans pour certaines d’entre elles.

L’opéra en langue française

Il y a pas moins de 7 opéras en langue française, soit deux tragédies lyriques, Iphigénie en Tauride et Œdipe, une comédie lyrique, Platée, un opéra-comique, Manon, une tragédie romantique, Faust, un Conte de Fée, Cendrillon, et un opéra en un acte, Fin de Partie.

Il faut remonter à la saison 2000/2001 d’Hugues Gall pour retrouver une telle prépondérance de la langue de Molière à l’opéra qui va couvrir un tiers de la programmation avec une diversité musicale inédite.

Jeanine De Bique (Alcina) - ms Robert Carsen (reprise 2021)

Jeanine De Bique (Alcina) - ms Robert Carsen (reprise 2021)

Les tarifs 2021/2022

Les tarifs de cette première saison sont équivalents à ceux de la saison 2019/2020 de Stéphane Lissner (la moins chère de son mandat) et se stabilisent en moyenne à 120 euros à l’Opéra Bastille, ce qui est un bon prix alors que les 130 euros avaient été dépassés il y a quelques années.

Sur cette grande scène où seront représentés les 2/3 des opéras, les deux spectacles aux tarifs les plus élevés (210 euros en optima) sont Turandot (Nouvelle Production pour Paris) et la reprise de Don Giovanni (prix moyen 142 euros).

Pour Rigoletto et Le Barbier de Séville, il s'agit d'un changement de catégorie à la hausse car ils étaient classés en catégorie reprise à 180 euros en optima il y a deux ans (prix moyen 111 euros).

Dans la catégorie à 170 euros en optima (prix moyen 113 euros), on retrouve les reprises du Vaisseau Fantôme, La Khovantchina, Manon, Elektra et Faust.

C'est une forte baisse de prix pour Manon (créé en 2020 en catégorie optima à 210 euros), et une baisse plus modérée pour Faust (créé en catégorie optima à 195 euros cette année).

Enfin, on trouve en catégorie à 145 euros en optima (prix moyen 90 euros), la reprise de L'Elixir d'Amour (catégorie inchangée) et la nouvelle production de Wozzeck qui est même 12% moins chère que la dernière reprise de la production de Marthaler en 2016/2017.

Et bonne nouvelle, le prix des places de catégorie 8 (190 places par soir) pour Wozzeck et L'Elixir d'Amour est passé à 25 euros (contre 35 euros dans la logique des années précédentes), ce qui est une baisse tout à fait appréciable.

Sauf exception, il n'y a plus de places à plus de 210 euros.

Voir les commentaires

Publié le 7 Mai 2021

Nommé le 22 octobre 2012, Stéphane Lissner est entré en fonction en juillet 2014, soit un an plus tôt que prévu, ce qui l’a conduit à assumer la dernière saison de Nicolas Joel tout en la modifiant légèrement.

Sa première véritable saison a donc débuté en septembre 2015, et il a été l’instigateur de 6 saisons de 2015 et 2021 qui furent l’occasion  de montrer son attachement à la théâtralité dans l’univers lyrique, car c’est par le théâtre public qu’il appréhenda sa carrière avant de prendre les rênes du Théâtre du Châtelet en 1988, du Festival d’Aix-en-Provence en 1998, et enfin de La Scala de Milan en 2005.

Avec 19 productions lyriques présentées chaque saison, Stéphane Lissner a donc pu confier ses nouveaux spectacles à des metteurs en scène issus de courants novateurs européens depuis la péninsule ibérique jusqu’aux chaînes de l’Oural.

De grandes œuvres du répertoire ont trouvé de cette manière de nouvelles lectures faisant autant appel aux nouvelles technologies qu’à un véritable travail dramaturgique sur le texte des livrets, ce qui a permis de remplacer plusieurs nouvelles productions d’opéras français malencontreusement ratées par son prédécesseur.

Le Château de Barbe-Bleue / La Voix Humaine - Barbara Hannigan - ms Krzysztof Warlikowski

Le Château de Barbe-Bleue / La Voix Humaine - Barbara Hannigan - ms Krzysztof Warlikowski

Cependant, à la fin d’une année 2019 qui promettait de battre tous les records de fréquentation et de billetterie, le mouvement de grève contre la réforme des retraites, puis le choc de la pandémie qui affecta tous les continents au point d’entraîner l’annulation de 15 mois de productions en 2020 et 2021, ont fortement amputé sa programmation, mais la chance laissée aux institutions lyriques de produire même sans public a permis de mener à terme la plupart de ses nouveaux spectacles.

Toutefois, c’est Alexander Neef - son successeur nommé un an plus tôt comme cela avait été le cas pour Stéphane Lissner - qui a conduit cette dernière saison jouée quasiment sans public, Stéphane Lissner ayant préféré se consacrer totalement au San Carlo de Naples, son nouvel engagement de cœur.

Cet article peut se lire comme la suite de l’article Opéra de Paris 2009-2015 : Bilan des saisons lyriques de Nicolas Joel.

Rigoletto - Vesselina Kasarova - ms Claus Guth

Rigoletto - Vesselina Kasarova - ms Claus Guth

1. La diversité des ouvrages

En 6 ans, de 2015 à 2021, Stéphane Lissner a programmé 116 spectacles lyriques basés sur 81 œuvres différentes et représentatives de 44 compositeurs issus de toutes origines.

Mais du fait des grèves et de la pandémie, seules 73 œuvres représentant 40 compositeurs différents ont été jouées en public. Sans ces deux évènements violents, il aurait pu représenter 2 compositeurs de plus que ses prédécesseurs, Gerard Mortier et Nicolas Joel, qui en avaient proposé 42.

Nicolas Joel avait cependant réussi à faire connaître 85 œuvres différentes en 6 ans, ce qui est le record depuis l‘ouverture de Bastille, alors que Hugues Gall avait du être beaucoup plus prudent en ne proposant sur 9 ans que 78 œuvres représentant 36 compositeurs.

Stéphane Lissner a donc tenu des objectifs très ambitieux avec une part de ressources publiques ramenée à 45 % de son budget, alors qu’elle était de 65 % au tournant des années 2000.

Le bon équilibre de cette politique de rénovation des propositions scéniques se mesure au fait que 43 % des soirées ont reposé sur des reprises de productions de ses prédécesseurs, proportion qui se révèle intermédiaire entre celle de Gerard Mortier (33%) et celle de Nicolas Joel (plus de 50%).

Monteverdi, Smetana, Leoncavallo, Giordano, Ponchielli, Zandonai, Chausson, Humperdinck, Korngold, Zemlinsky, Prokofiev, Stravinsky, Britten, Fénelon, Mantovani ont donc disparu de la programmation.

Cependant, Cavalli, Scarlatti, Meyerbeer, Saint-Saëns, Borodin, Rimski-Korsakov, Bartok, Schoenberg, Chostakovitch, Poulenc, Reimann, Saariaho, Boesmans, Francesconi, Jarrel, Dalbavie, Nikodijevic*, entrent ou reviennent au répertoire.
* la production de 7th deaths of Maria Callas est reprogrammée en début de saison 2021/2022.

Die Meistersinger von Nürnberg - ms Stefan Herheim

Die Meistersinger von Nürnberg - ms Stefan Herheim

2. L’évolution du prix des places

Fidèle à son attachement aux missions de service public, Stéphane Lissner a mis en place dès sa première saison les avant-premières jeunes, ce qui va permettre aux - de 28 ans de découvrir un vaste répertoire – 13 productions chaque année - pour 10 euros à Bastille ou au Palais Garnier.

Au même moment, la subvention du ministère de la culture baisse de 1 million d’euros, et le prix moyen des places augmente de 3 %.

Le plan de salle est ensuite totalement repensé pour la seconde saison à l’opéra Bastille afin de rendre plus équitable la répartition des prix par catégories selon le niveau de confort acoustique et visuel, tout en graduant plus progressivement les changements de catégories avec un prix moyen des places qui restera constant.

Certains prix sont parfois modulés de + ou - 10% selon le jour de la semaine, et même majorés de 20 % pour les soirs avec Jonas Kaufmann ou Anna Netrebko. Mais, suite à l’annulation de Jonas Kaufmann pour cause d’accident vocal lors de la reprise des Contes d’Hoffmann, l’institution ne reconduit plus ce type de majoration liée uniquement à la présence d'un artiste.

Opéra de Paris 2015-2021 : Bilan des saisons lyriques de Stéphane Lissner

A partir de la saison 2017/2018, l'Opéra de Paris réserve certaines soirées aux - de 40 ans avec une réduction de 40% sur le prix du billet, et un sensible mouvement de réduction des prix s’amorce avec la programmation de 6 productions à tarif nominal et 2 productions à tarif réduit (De la Maison des Morts et Pelléas et Mélisande).

Le prix moyen des places baisse de 5 %, puis les reprises de productions à tarifs minorés se généralisent au cours des saisons suivantes, si bien que le prix moyen le plus bas atteint même, un soir de 29 janvier 2019, le seuil de 80 euros pour Rusalka, qui s’avère être une excellente reprise avec comme artistes invités Camilla Nylund, Klaus Florian Vogt et Karita Mattila, sous la direction musicale de Susanna Mälkki.

Pour la saison 2019/2020, il y a même 5 soirées d’opéras à Bastille où toutes les places hors premières catégories sont inférieures à 100 euros.

Toutefois, la programmation du Ring et du Festival Ring en 2020 rehausse le prix moyen des saisons 2019/2020 et 2020/2021 (même si cette dernière saison ne sera pas jouée en public pour cause de pandémie), si bien que Stéphane Lissner quitte l’Opéra de Paris en ayant réussi à stabiliser le prix des places, alors que ses deux prédécesseurs, Gerard Mortier et Nicolas Joel, avaient du augmenter globalement le prix moyen des places de 25 % pendant leurs mandats respectifs, le premier en évitant de toucher aux places à petit prix, le second en les augmentant fortement sous prétexte d’un meilleur accès aux sous-titres.

Il Primio Omicidio - Kristina Hammarström - ms Romeo Castellucci

Il Primio Omicidio - Kristina Hammarström - ms Romeo Castellucci

3. L’Opéra du XVIIe et XVIIIe siècle

Avec Stéphane Lissner, les deux premiers siècles de l’histoire de l’Opéra représentent 20 % de la programmation, comme ce fut le cas avec tous ses prédécesseurs.

Le directeur élargit le répertoire baroque à deux nouveaux compositeurs italiens avec Eliogabalo de Francesco Cavalli et Il Primo Omicidio d’Alessandro Scarlatti qui rejoignent les œuvres de Mozart, Rameau et Gluck qui sont régulièrement repris. Haendel n’est cependant représenté qu’une seule fois avec la nouvelle production de Jephta par Claus Guth coproduite avec l’opéra d’Amsterdam.

L’Opéra de Paris attend cependant qu’un directeur veuille bien programmer Jephté de Montéclair, rare opéra biblique français qui fit son apparition au répertoire en 1732 pour ne s’y maintenir que jusqu’en 1761.

Et depuis sa mise en valeur sous le mandat de Gerard Mortier, Christoph Willibald Gluck reste présent à l’affiche de l’Opéra de Paris avec ses deux productions phares d’Iphigénie en Tauride par Krzysztof Warlikowski – spectacle devenu un classique qui n’effraie plus personne et fascine toujours autant de par les symboles psychanalytiques qu’il draine - et d’Orphée et Eurydice par Pina Bausch, au point d’éclipser les ouvrages de Haendel.

Mais seuls quatre opéras de Mozart sont joués, Don Giovanni, Cosi fan tutte, La Flûte enchantée et La Clémence de Titus, pour une moyenne de 30 représentations par œuvre, au lieu des 6 à 7 titres mozartiens que l’on pouvait habituellement entendre au cours des mandats des précédents directeurs  sur une moyenne de 20 soirées par ouvrage.

Cosi fan tutte - ms Teresa de Keersmaeker

Cosi fan tutte - ms Teresa de Keersmaeker

4. L’Opéra du XIXe siècle

De 40 % de la programmation sous Gerard Mortier à 50 % sous Nicolas Joel, Stéphane Lissner pousse encore plus la représentativité du XIXe siècle à l’Opéra puisque ce siècle va représenter 60 % de sa programmation, le record absolu depuis le début de l’ère Liebermann !

Verdi occupe un champ considérable avec 20 % des soirées à lui seul, si bien que les représentations de 11 de ses ouvrages, dont 8 nouvelles productions, vont contrebalancer la relative mise à la marge du compositeur italien par Nicolas Joel qui avait choisi de privilégier Puccini et le répertoire vériste lors de son précédent mandat.

Stéphane Lissner engage également une mise en avant du mouvement romantique russe qu’aucun autre directeur n’avait réalisé avec une telle ampleur de toute l’histoire de l’Opéra de Paris (Moussorgski, Borodine, Rimsky-Korsakov, Tchaïkovski).

Hector Berlioz est également fortement représenté comme il ne l’aurait peut-être pas imaginé (La Damnation de Faust, Béatrice et Bénédict, Roméo et Juliette, Benvenuto Cellini, Les Troyens), 150 ans après sa disparition rue de Calais, à Paris.

Giacomo Meyerbeer revient aussi au répertoire, après 34 ans d’absence, avec une nouvelle production des Huguenots qui démontrera la technicité que l’œuvre requière de la part des chanteurs d’aujourd’hui.

A l’occasion des 350 ans de l’Opéra – célébré par plusieurs galas, un cycle de conférences au Collège de France et l’édition d’une série de cinq ouvrages littéraires -, Paris revit le faste du répertoire parisien de la Monarchie de Juillet et du Second Empire, et la nouvelle production de Don Carlos (Paris-1867) – jouée dans sa version intégrale des répétitions de 1866 - et Don Carlo (Modène-1886) confiée à Krzysztof Warlikowski symbolise le mieux ce double hommage que Stéphane Lissner a voulu rendre à Verdi et à l’époque du Grand Opéra.

Les Huguenots - Lisette Oropesa - ms Andreas Kriegenburg

Les Huguenots - Lisette Oropesa - ms Andreas Kriegenburg

5. L’Opéra du XX et XXIe siècle

La prépondérance du répertoire du XIXe siècle se fait pourtant au détriment de celui du XXe siècle, ce qui est une surprise car Stéphane Lissner avait plutôt donné l’impression en ouverture de mandat d’une plus grande appétence pour ce répertoire en programmant une nouvelle production du Moses und Aron de Schoenberg mise en scène par Romeo Castellucci qui atteindra 90 % de fréquentation comme cela avait été le cas pour la production de Wozzeck montée par Gerard Mortier en 2008.

Mais depuis les 35 % observés sous le mandat de ce directeur européen épris de modernité, les XXe et XXIe siècles représentent dorénavant 20 % de la programmation.

Seuls deux ouvrages de Richard Strauss sont programmés, Der Rosenkavalier et Capriccio, au lieu de six en moyenne, et aucune pièce de Benjamin Britten n’est à l’affiche.  Et l’on peut constater que depuis Hugues Gall et la création de Capriccio au Palais Garnier en juin 2004, ces deux compositeurs n’ont plus connu une seule nouvelle production maison qui ne se soit durablement installée au répertoire.

Cependant, trois compositeurs contemporains se voient confier chacun leur tour une création mondiale dont le livret repose sur un ouvrage littéraire français : Luca Francesconi (Trompe La Mort), Michael Jarrel (Bérénice) et Marc-André Dalbavie (Le Soulier de satin), d’après les textes respectifs de Balzac, Racine et Claudel.

Moses und Aron - ms Romeo Castellucci

Moses und Aron - ms Romeo Castellucci

Stéphane Lissner rend également un double hommage à Luc Bondy et Gerard Mortier en reprenant Yvonne, princesse de Bourgogne de Philippe Boesmans qui avait été créé sous le mandat du directeur flamand, et confie également une nouvelle production du Lear d’Aribert Reimann à Calixto Bieito.

Le retour de Kaija Saariaho avec la nouvelle création de Only the sound remains (dont la première mondiale eut lieu à Amsterdam en 2016) offre le seul ouvrage anglais contemporain sur la scène.

Ainsi, si le bilan de Stéphane Lissner sur le pur XXe siècle est bien plus modeste que ses prédécesseurs – il a programmé seulement 6 nouvelles productions contre 9 pour Nicolas Joel, 18 pour Gerard Mortier et 25 pour Hugues Gall -, il s’est en revanche montré fortement ouvert à la création en proposant 5 nouvelles productions du XXIe siècle, si l’on compte la production de 7 Deaths of Maria Callas de Marko Nikodijević et Marina Abramović qui sera reportée pour cause de pandémie.

Bérénice - Barbara Hannigan - ms Claus Guth

Bérénice - Barbara Hannigan - ms Claus Guth

6. L’Opéra français

C’est une surprise ! L’opéra français revient au même niveau de programmation que sous Hugues Gall et représente près de 25 % de la programmation, une spécificité de l’Opéra de Paris qui n’existe dans aucune autre maison internationale. Le choix et la répartition des compositeurs sont comparables entre les deux directeurs, la différence ne se faisant que sur l’orientation des metteurs en scène qui inscrivent à présent ces œuvres dans des univers plus proches de nous.

La vision renouvelée des Indes galantes de Rameau par Clément Cogitore et Bintou Dembélé, véritable incursion urbaine dans la musique baroque, enflamme l’opéra Bastille de façon totalement inattendue. La nouvelle production des Troyens de Berlioz par Dmitri Tcherniakov est monumentale en première partie, mais beaucoup plus psychologique dans son volet Carthaginois, et la Voix humaine de Poulenc par Krzysztof Warlikowski est magnifiée à deux reprises par deux grands chefs, Esa-Pekka Salonen et Ingo Metzmacher.

Camille Saint-Saëns reprend sa place sur la scène de l’Opéra de Paris avec Samson et Dalila mis en scène par Damiano Michieletto, et les nouvelles productions du Faust de Charles Gounod par Tobias Kratzer, de Carmen de Georges Bizet par Calixto Bieito, et de Manon de Jules Massenet par Vincent Huguet, effacent les ratages de l’ère Nicolas Joel sur ces mêmes ouvrages, ratages qui, s’ils n’avaient pas existé, auraient pu permettre d’investir autrement les moyens financiers vers des productions d’œuvres françaises qui attendent toujours pour revenir au répertoire telles Armide (Gluck), Roméo et Juliette (Gounod) ou Oedipus Rex (Stravinsky).

Deux œuvres de Maurice Ravel sont également reprises, L’enfant et les sortilèges et L’heure espagnole, cette dernière ayant confirmé le talent fou de Maxime Pascal à la direction d’orchestre.

Quant à Claude Debussy, la mise en scène de Robert Wilson pour Pelléas et Mélisande est régulièrement programmée depuis plus de vingt ans avec le même intérêt.

Mais Pascal Dusapin n’est plus joué à l’Opéra de Paris depuis Perelà, l’homme de fumée créé en 2003 sur la scène Bastille, ni Jean-Baptiste Lully depuis la résurrection d’Atys à la salle Favart sous le mandat de Jean-Louis Martinoty.

Manon - Pretty Yende et Benjamin Bernheim - ms Vincent Huguet

Manon - Pretty Yende et Benjamin Bernheim - ms Vincent Huguet

7. L’Opéra italien

A l’instar de Nicolas Joel, Stéphane Lissner consacre 50 % de sa programmation aux opéras en langue italienne, notamment en confiant 20 % de sa programmation aux œuvres de maturité de Giuseppe Verdi : Rigoletto, Il Trovatore, la Traviata, Simon Boccanegra, Un Ballo in Maschera, La Forza del Destino, Don Carlos, Don Carlo, Aida, Otello et Falstaff.

Dans une maison où Mozart et Puccini règnent en maître, cela permet à La Traviata d’être le seul opéra de Verdi à rejoindre les dix titres les plus joués, avancée tardive qui est assez originale pour une œuvre qui se déroule dans le milieu bourgeois parisien du milieu du XIXe siècle et que d’autres maisons internationales comme le MET ou le Royal Opera House Covent Garden placent devant tous les opéras de Mozart.

Les nouvelles productions d’opéras en langue italienne pleuvent au Palais Garnier : Il Primio Omicidio (Scarlatti) par Romeo Castelluci, Eliogabalo (Cavalli) par Thomas Jolly, Don Giovanni (Mozart) par Ivo van Hove, Cosi fan Tutte (Mozart) par Teresa de Keersmaeker, Don Pasquale (Donizetti) par Damiano Michieletto, La Cenerentola (Rossini) par Guillaume Gallienne, La Traviata (Verdi) par Simon Stone, tandis qu’à l’opéra Bastille Claus Guth propulse La Bohème (Puccini) dans l’espace. Puccini est d’ailleurs joué à plus juste proportion que sous Nicolas Joel et repasse sous la barre des 10 % de soirées dédiées.

Aux cotés d’Il Primio Omicidio et d’Eliogabalo, Don Pasquale, un opéra bouffe de Donizetti créé en 1843 à la salle Ventadour du Théâtre des Italiens situé à 500 m du Palais Garnier, apparaît sur la scène de l’Opéra pour la première fois, et est promis à une carrière aussi fulgurante que celle de L'Élixir d’Amour.

Et si Il Pirata de Bellini n’a pu faire son entrée au répertoire, même en version de concert, pour cause de grève, I Puritani est repris à Bastille dans la production de Laurent Pelly, seule production belcantiste que Stéphane Lissner reconduit afin de mettre en valeur la forte personnalité d’Elsa Dreisig. Ce répertoire traditionnel où la beauté de la technique vocale s’exerce au détriment de la théâtralité dramatique n’est véritablement pas celui qu’il privilégie sur scène, comme ce fut aussi le cas pour Rolf Liebermann, Pierre Bergé ou Gerard Mortier.

Il en va de même pour les ouvrages véristes qui ne sont représentés que par Cavalleria Rusticana, alors qu’Adriana Lecouvreur, reprise exclusivement pour Anna Netrebko, est annulée pour cause de pandémie.

Cependant, les contraintes budgétaires délicates dues aux grèves empêchent d’achever le nouveau cycle da Ponte/Mozart à Garnier, si bien que ce sera à Alexander Neef de créer une nouvelle production des Noces de Figaro dont l’absence au répertoire brille depuis le clash issu des différences de vues de Gerard Mortier et Nicolas Joel, le premier ayant déclassé la production de Strehler, et le second la production de Marthaler. L’une des conséquences est que La Bohème de Puccini a rejoint Les Noces de Figaro en tête des opéras les plus joués de la maison.

Naturellement, L’Élixir d’Amour est programmé trois fois à Bastille pour suppléer à ce manque, et si l'on y ajoute les séries de Don Pasquale et une reprise de Lucia di Lammermoor, qui peut être vue comme un écrin dédié à la finesse vocale de Pretty Yende, le mandat de Stéphane Lissner permet pour la première fois de faire rayonner l’esprit de Gaetano Donizetti sur plus de 5 % de l’ensemble des représentations.

Don Carlos - Elīna Garanča - ms Krzysztof Warlikowski

Don Carlos - Elīna Garanča - ms Krzysztof Warlikowski

8. L’Opéra allemand

En n’occupant que 15 % de la programmation, contre 25 % au cours du mandat de Nicolas Joel, l’opéra allemand atteint son niveau de représentativité le plus faible depuis l’ouverture de l’opéra Bastille.

Il est la principale victime de la prépondérance de l’opéra italien et de l’opéra français, et c’est surtout Richard Strauss qui en pâtit. Mais à défaut de pouvoir diriger l’un de ses compositeurs de prédilection, Philippe Jordan est totalement voué aux œuvres de Berlioz.

Toutefois, la rare Sancta Susanna de Paul Hindemith entre au répertoire, et un large espace est dorénavant ouvert à Richard Wagner pour lequel Philippe Jordan dirige toutes les productions : Lohengrin, Tristan und Isolde, Der Meistersinger von Nürnberg, Parsifal, et surtout le Ring dont seul l’enregistrement audio sera somptueusement restitué au public en période de couvre-feu grâce à la captation réalisée par l’équipe de production de France Musique à l’opéra Bastille et à l’auditorium de Radio France. Les décors de la production de Calixto Bieito ne sont pas perdus pour autant, car Alexander Neef compte programmer ce nouveau Ring de 2023 à 2026 pour célébrer les 150 ans de sa création.

La nouvelle production de Lear par Calixto Bieito permet aussi à Aribert Reimann de revenir au répertoire depuis le mandat de Bernard Lefort. Elle est même jouée une seconde fois à l’automne 2019.

Mais si Philippe Jordan célèbre en concert les 250 ans de la naissance de Beethoven en interprétant l’intégrale de ses symphonies, Fidelio ne revient pas à l’affiche pour autant.

Stéphane Lissner souhaitait également porter à la scène Die Soldaten de Bernd Alois Zimmermann, ce sera probablement son successeur qui en aura la tâche.

Lear - Annette Dasch et Bo Skovhus - ms Calixto Bieito

Lear - Annette Dasch et Bo Skovhus - ms Calixto Bieito

9. L’Opéra slave et hongrois

L’Opéra slave et hongrois a connu son âge d’or à l’Opéra de Paris sous le mandat de Gerard Mortier (2004-2009) qui lui avait consacré 20 % de sa programmation, tout en axant les 3/4 de ces œuvres sur le XXe siècle.

Stéphane Lissner n’a certes pas pu lui accorder une telle place, mais en le maintenant à un peu plus de 10 % de sa programmation et en lui réservant plus de 15 % des nouvelles productions, il est le second directeur à lui accorder autant d’importance depuis l’ouverture de l’opéra Bastille, une évocation de sa grand-mère russe orthodoxe.

Le nombre de nouvelles productions est en effet fort ambitieux : Le Chateau de Barbe-bleue (Bartok) et Lady Macbeth de Mzensk (Chostakovitch) par Krzysztof Warlikowski, Iolanta (Tchaikovski) et Snegourotchka (Rimski-Korsakov) par Dmitri Tcherniakov, Boris Goudonov (Moussorgski) par Ivo van Hove, Prince Igor (Borodine) par Barrie Kosky, De la Maison des Morts (Janacek) dans la production internationale de Patrice Chéreau, Stéphane Lissner remue même le couteau dans la plaie en affichant dans le programme 2020/2021 que l’entrée au répertoire de Jenufa (Janacek) en langue originale et mise en scène par Krzysztof Warlikowski est annulée en conséquence du mouvement de grève de l’hiver 2019/2020. Par ailleurs, la nouvelle production de La Dame de Pique (Tchaikovski) par Dmitri Tcherniakov ne peut être maintenue par Alexander Neef, contraint de recourir à des économies à cause de la pandémie mondiale et de reprendre l’ancienne production de Lev Dodin (cette dernière production sera finalement annulée du fait de l'extension du confinement jusqu'en mai 2021).

Rappelons simplement le fait que Nicolas Joel n’avait confié à ce répertoire aucune nouvelle production de tout son mandat.

Stéphane Lissner se permet même de sous-estimer le succès de la reprise de Rusalka (Dvorak) dans la production de Robert Carsen, en lui attribuant la tarification la moins élevée, alors qu’elle recevra un accueil dithyrambique. Ne manquait qu’une production de Sergueï Prokofiev ou d’Igor Stravinsky pour parfaire ce grand portrait de famille.

Prince Igor aura par ailleurs célébré les débuts de Philippe Jordan à la direction musicale d’un opéra russe.

Snegourotchka - ms Dmitri Tcherniakov

Snegourotchka - ms Dmitri Tcherniakov

10. Les reprises et nouvelles productions

Alors que sur les trois premières années de son mandat Stéphane Lissner avait réussi à produire ou coproduire 9 nouveaux spectacles lyriques par an, ce rythme a été ramené à 7 nouvelles productions par an sur les trois dernières années, soit une moyenne de 8 nouvelles productions chaque année.

C’est un exploit dans un contexte où la subvention ne représente plus que 45 % de son budget, alors que la préparation du Ring monopolise une grande partie des ressources humaines et financières lors des dernières saisons.

Toutefois, 60 % de ces nouvelles productions concernent des œuvres jouées au cours des 20 dernières années, alors que ses prédécesseurs ne consacraient que 45 % de leurs nouvelles productions à des œuvres reprises récemment, ce qui explique en partie le fait qu’il n’y ait eu qu’une douzaine d’entrées au répertoire – dont 3 créations mondiales - contre une vingtaine pour ses prédécesseurs.

Et avec 30 nouvelles productions d’œuvres issues du seul XIXe siècle, en incluant les 4 productions du Ring qui sera joué ultérieurement, il en a donc réalisé autant qu’Hugues Gall sur une période de 9 ans.

Lady Macbeth de Mzensk - Aušrinė Stundytė - ms Krzysztof Warlikowski

Lady Macbeth de Mzensk - Aušrinė Stundytė - ms Krzysztof Warlikowski

Conscient que le public de l’Opéra de Paris est plus un public de spectacles que de voix, ce qui se retrouve aussi dans les analyses de la presse musicale française, Stéphane Lissner a de fait considérablement remodelé le visage des productions du répertoire en faisant appel à de grands metteurs en scène de théâtre internationaux, Krzysztof Warlikowski, Romeo Castellucci, Guy Cassiers, Calixto Bieito, Dmitri Tcherniakov, Simon Stone, Ivo van Hove, Claus Guth, Damiano Michieletto, Tobias Kratzer, Barrie Kosky, Lotte de Beer, mais aussi des metteurs en scène de théâtre nationaux comme Thomas Jolly, Vincent Huguet, Stanislas Nordey ou Guillaume Gallienne. Et beaucoup ont fait appel à des technologies poussées aussi bien dans la conception des décors que dans l’emploi généralisé de la vidéo.

De fait, son successeur aura moins besoin de renouveler les productions des grandes œuvres de répertoire et devrait se concentrer sur les œuvres moins souvent représentées.

Mais fait mystérieux, Olivier Py, qui était entré à l’Opéra de Paris avec une nouvelle production du Rake’s Progress de Stravinsky au temps de Gerard Mortier, et auquel Nicolas Joel avait confié Alceste (Gluck), Aida (Verdi) et Mathis der Maler (Hindemith), s’est trouvé totalement mis à la marge, si bien que même sa production d’Aida sera prématurément remplacée par celle de Lotte de Beer qui va pourtant choisir un angle de vue relativement proche en se référant à l’époque de création de l’ouvrage en plein mouvement de colonisation européenne.

Stéphane Lissner a donc repris 31 spectacles de ses prédécesseurs, en incluant les productions du Barbier de Séville par Damiano Michieletto et de Tosca par Pierre Audi créées par lui même lors du remaniement de la dernière saison de Nicolas Joel, et il a montré un étonnant sens de l’équilibre dans le choix de ces reprises : 2 productions de Pierre Bergé (Madame Butterfly par Robert Wilson et Lucia di Lammermoor par Andrei Serban), 12 productions d’Hugues Gall, 8 productions de Gerard Mortier, et 9 spectacles issus du mandat de Nicolas Joel.

Les Troyens - ms Dmitri Tcherniakov

Les Troyens - ms Dmitri Tcherniakov

En revanche, il a nettement surexploité certains titres du répertoire pour la plupart renouvelés scéniquement sous son mandat, au risque de ne plus arriver à atteindre une fréquentation supérieure à 90 %, ce qui fut le cas pour les séries trop longues d’Il Trovatore, de Boris Godounov ou de La Veuve Voyeuse. Ainsi, si Gerard Mortier et Nicolas Joel vouaient 50 % des représentations à 25 ouvrages, Stéphane Lissner a consacré près de 60 % des représentations à 25 opéras parmi les plus joués, si bien qu’il y eut 60 représentations de La Traviata réparties sur 5 séries selon deux productions différentes, 60 représentations de Carmen sur 4 séries, et 8 autres opéras furent repris 3 fois : La Flûte enchantée, Rigoletto, Il Trovatore, Tosca, Don Giovanni, Cosi fan tutte, Le Barbier de Séville, L’Élixir d’amour. Était-ce la conséquence d’une logique financière visant à accroître le solde de production de ces spectacles?

Une étude du répertoire passé montre finalement que pour optimiser la fréquentation d’une programmation comprenant 20 titres par saison sur 6 ans, il est préférable de réserver la moitié des représentations à 25 ouvrages, qui seront joués et repris chacun sur un total 15 à 40 représentations, et de programmer 60 autres titres sur une seule série de 6 à 12 représentations pour couvrir l’autre moitié des représentations, soit un total de 85 œuvres lyriques différentes présentées sur 6 ans au cours de 1100 soirées.

Stéphane Lissner - Conférence au Collège de France

Stéphane Lissner - Conférence au Collège de France

11. Les artistes invités à l’Opéra de Paris

Chaque saison, ce sont plus de 170 chanteurs et une vingtaine de chefs d’orchestre qui sont invités pour interpréter les ouvrages lyriques programmés dans les deux grandes salles de l’Opéra de Paris.

Les grandes stars internationales habituées de la scène parisienne depuis plus de 10 ans ont continué à se produire. Jonas Kaufmann, qui a fait ses débuts à Bastille en Cassio lors de la dernière saison d’Hugues Gall, est devenu un coutumier de l’Opéra de Paris à travers les nouvelles productions de La Damnation de Faust, Lohengrin, Don Carlos et Aida, Roberto Alagna fut présent chaque saison pour Carmen, Otello, Don Carlo, La Traviata, Il Trovatore et L’Elixir d’Amour, et Ludovic Tézier s’est principalement engagé dans les ouvrages verdiens, Rigoletto, Il Trovatore, Don Carlo, Simon Boccanegra, La Traviata , Aida, auxquels s’ajoute son incarnation de Lescaut dans Manon de Massenet.

Anna Netrebko est apparue à deux reprises dans Il Trovatore et Eugène Onéguine, Sonya Yoncheva dans Iolanta, La Traviata et Don Carlos, Sondra Radvanovsky dans Il Trovatore, Un Ballo in Maschera et Aida , Ildar Abdrazakov dans Carmen, Boris Godounov, Don Carlo et Prince Igor, et René Pape, après ses interprétations du Roi Marke et de Philippe II données au tournant des années 2000, est revenu régulièrement dans La Flûte Enchantée, Lohengrin, Don Carlo et Tristan und Isolde.

Il Trovatore (Version de Concert) - Sondra Radvanovsky

Il Trovatore (Version de Concert) - Sondra Radvanovsky

On doit aussi à Stéphane Lissner l’apparition pour la première fois sur la scène de l’Opéra de Paris de grands artistes internationalement reconnus ou en plein épanouissement vocal.

Furent ainsi accueillis Ian Bostridge (Jephtha), Franco Fagioli (Eliogabalo), Philippe Jaroussky (Only the sounds Remains), Barbara Hannigan (La Voix Humaine, Bérénice), Brandon Jovanovitch (Die Meistesinger von Nürnberg, Les Troyens), Johanne Martin Kränzle (Wozzeck), Aleksandra Kurzak (L’Elisir d’amour, Carmen, La Clémence de Titus, Falstaff, Otello, La Traviata, Don Carlo), Anita Rachvelishvili (Aida, Carmen, Samson et Dalila, Il Trovatore, Carmen, Don Carlo, Prince Igor), Ekaterina Semenchuk (Il Trovatore, les Troyens), Pretty Yende (Le Barbier de Séville, Lucia di Lammermoor, Benvenuto Cellini, Don Pasquale, Manon, La Traviata), Evelyn Herlitzius (Lohengrin), Anja Kampe (Parsifal), Andreas Schager (Parsifal, Siegfried, Tristan und Isolde), Michael Spyres (La Clémence de Titus), Marina Rebeka (La Traviata), Ksenia Dudnikova (Carmen, Aida), Ausrine Stundyte (Lady Macbeth de Mzensk), Peter Hoare (De La Maison des Morts).

Par ailleurs, les jeunes chanteurs francophones ont été avantageusement mis en valeur, Benjamin Bernheim (Capriccio, La Bohème, La Traviata, Manon, Faust), Étienne Dupuis (Iphigénie en Tauride, Don Giovanni, L’Élixir d’Amour, Don Carlo, Pelléas et Mélisande), mais également Stanislas de Barbeyrac, Florian Sempey, Sabine Devieilhe, Cyrille Dubois, Alexandre Duhamel, Julie Fuchs, Jodie Devos, Mathias Vidal, Philippe Sly, Vannina Santonni ou Michèle Losier.

Ildar Abdrazakov - Boris Godounov - ms Ivo van Hove

Ildar Abdrazakov - Boris Godounov - ms Ivo van Hove

Et parmi les chefs d’orchestres invités vinrent pour la première fois à l’Opéra de Paris René Jacobs (Il Primio Omicidio), Leonardo Garcia Alarcon (Eliogabalo, Les Indes Galantes), Daniele Rustioni (Butterfly, Rigoletto), Mikhael Tatarnikov (Snegourotchka) et Gustavo Dudamel (La Bohème).

Il y eut aussi de grands retours à commencer par Esa Pekka Salonen dans Le Château de Barbe-Bleue, 10 ans après l’annulation de la première d’Adriana Mater par un mouvement de grève qui l’avait dissuadé de revenir, William Christie dans Jephtha, 11 ans après L'Allegro, Il Penseroso ed Il Moderato, Ingo Metzmacher dans Capriccio, 19 ans après Katia Kabanova, et Donato Renzetti dans L’Elixir d’Amour, 31 ans après son interprétation de Jérusalem jouée sous le court mandat de Massimo Bogianckino.

D’autres grands chefs dirigèrent régulièrement de grandes productions de répertoire, Michele Mariotti, Dan Ettinger, Riccardo Frizza, Suzanna Malkii, Michael Schonwandt – grand souvenir du regard émerveillé de Philippe Jordan à l’entracte lors de la reprise d’Ariane à Naxos par le chef danois -, et un jeune chef français, Maxime Pascal, fit sensation dans la reprise de L’Heure espagnole/Gianni Schicchi.

Les Indes Galantes - ms Clément Cogitore et Bintou Dembélé

Les Indes Galantes - ms Clément Cogitore et Bintou Dembélé

12. L’Opéra de Paris, une machine productive puissante malgré la baisse des aides publiques

Avec 195 représentations par saison rien que pour le lyrique, Stéphane Lissner est le directeur qui aura porté le rythme de représentations de l’Opéra de Paris à son plus haut niveau de toute son histoire, tout en ayant bénéficié de la part de subvention la plus faible et sans avoir augmenté le prix moyen des billets d’opéra sur toute la durée de son mandat (en 2021, à Bastille, la part des places de prix inférieurs à 60, 90, 120 et 180 euros représentaient respectivement 16 %, 30 %, 44 % et 78 % du total, alors qu’elle était de 15 %,27 %, 43 % et 79 % en 2014).

Le niveau de la billetterie annuelle a ainsi atteint un record historique de 75 millions d’euros (35 % du budget) en 2017.
Toutefois, ce fonctionnement poussé aux limites a laissé entrevoir qu’il commençait à affecter la fréquentation de Bastille lorsqu’elle passa pour la première fois sous la barre des 90 % en 2018 - avec un taux de 88 % - , baisse qui fut toutefois compensée par une fréquentation exceptionnelle de 99 % dans la même salle pour le ballet classique.

Il est cependant dommage que l’institution n’ait pas publié dans son dernier rapport les données de fréquentation de l’année 2019, hors jours de grève, car elle était bien partie pour atteindre un nouveau record, le directeur général adjoint Jean-Philippe Thiellay ayant annoncé un résultat positif de 4 à 5 millions d’euros avant l’impact des grèves de décembre. Mais il n’existe plus de marge de manœuvre pour augmenter les prix des places à l’avenir au risque de ne plus arriver à remplir les salles et de réduire encore leur accessibilité.

Et malgré le volontarisme affiché, certains projets de Stéphane Lissner n‘ont pu aboutir, Le Turc en Italie, Macbeth, Guerre et Paix, Billy Budd (dans la production de Deborah Warner qui fut primée en 2018), ainsi que Les Noces de Figaro, Jenufa et La Dame de Pique pour des raisons budgétaires liées aux grèves et à la pandémie, ce qui l’a amené à proposer des durées de séries parfois trop longues pour les grandes œuvres du répertoire.

La Bohème - Nicole Car - ms Claus Guth

La Bohème - Nicole Car - ms Claus Guth

Dans une maison en surchauffe, un équilibre aussi fragile a pu être préservé grâce à l’accroissement du mécénat de 12 à 19 millions d’euros par an, mais également grâce à l’augmentation substantielle des activités commerciales qui sont passées de 18 à 25 millions d’euros par an.

Et bien que le mouvement de grève et la diffusion de la pandémie eurent pour conséquence d’annuler le dernier quart de sa programmation, la plupart des dernières nouvelles productions commandées par Stéphane Lissner (Der Ring Des Nibelungen, Aida, Faust et Le Soulier de satin) ont été menées à terme et seront présentées au public par son successeur au cours des saisons futures.

Avec un bilan véritablement positif pour les jeunes (les jeunes de moins de 28 ans ont représenté 17 % du public), Stéphane Lissner a affiché 3 fois plus de soirées d’œuvres du XIXe siècle que d’ouvrages plus récents – ce qui est la proportion observée au MET de New-York -, ce qui a rendu une coloration fortement romantique à sa programmation.

Cette logique pourrait paraître conservatrice si elle ne s’était accompagnée d’une rénovation en profondeur des grandes œuvres du répertoire, qui passèrent dans les mains de metteurs en scène recherchant des approches et des points de vue moins traditionnels, et si elle n’avait fourni un excellent soutien aux œuvres du XXIe siècle.

L’Opéra de Paris bénéficie ainsi de l’effacement des erreurs scéniques commises sur plusieurs ouvrages français par son prédécesseur, Nicolas Joel, et le répertoire slave se trouve également étoffé de nouvelles productions et de 3 entrées ou de retour durables au répertoire (diptyque Iolanta/Casse-Noisette, Snegourotchka, Prince Igor).

Moses und Aron par Romeo Castellucci, Don Carlos et Lady Macbeth de Mzensk par Krzysztof Warlikowski, Iolanta/Casse-Noisette et Les Troyens par Dmitri Tcherniakov, Les Indes Galantes par Clément Cogitore et Bintu Dembélé font partie des spectacles les plus mémorables de cette période.

Iolanta - Sonya Yoncheva - ms Dmitri Tcherniakov

Iolanta - Sonya Yoncheva - ms Dmitri Tcherniakov

Un seul regret, la nouvelle production de Parsifal par Richard Jones – le futur metteur en scène du Ring au Coliseum de Londres et au MET de New-York - ne s’est pas hissée à la hauteur de celle de Krzysztof Warlikowski (2008) prématurément détruite par Nicolas Joel.

Stéphane Lissner, lors de son audition au Sénat le 15 juillet 2020, a malgré tout bien fait comprendre qu’avec une subvention ne couvrant que partiellement les frais de personnel, le modèle économique de l’Opéra de Paris ne supportera pas dans le futur des crises sociales ou des crises sanitaires comme celles qu’il a traversé en 2020, bien qu’en comparaison avec les autres établissements internationaux l’institution se défende très bien au niveau de sa gestion avec ses 1480 postes fixes et 300 postes intermittents qui assurent le fonctionnement de ses deux théâtres de 4700 places au total, de son école de danse à Nanterre et de ses ateliers à Berthier.

A titre d’exemple, le Metropolitan Opera de New-York emploie 3000 salariés, soit près du double de l’Opéra de Paris, pour un budget 20 % supérieur seulement (300 millions de dollars, soit 250 millions d’euros).

Prince Igor - Anita Rachvelishvili, Elena Stikhina - ms Barrie Kosky - dm Philippe Jordan

Prince Igor - Anita Rachvelishvili, Elena Stikhina - ms Barrie Kosky - dm Philippe Jordan

13. L’Opéra de Paris après la pandémie

La nomination d’Alexander Neef à la direction de l’Opéra de Paris est un signe que l’ambition internationale de l’Opéra de Paris va s'intensifier. Sa première saison qui vient d’être dévoilée, et qui est partiellement un héritage de la dernière saison de Stéphane Lissner du fait de son report à cause de la pandémie, laisse penser qu’il va poursuivre l’ouverture aux grands metteurs en scène mais en étendant son vivier artistique au monde anglophone y compris dans le choix des ouvrages.

Sans doute allons nous observer un meilleur équilibre entre les différentes périodes représentatives de l’histoire de l’opéra, une continuité dans la mise en avant du répertoire français et un nouvel élargissement à des œuvres moins souvent jouées, tout en conservant un rythme de production soutenu. L'équation économique, elle, sera complexe à résoudre, on sait qu'elle passera aussi par une amélioration du système de protection des artistes, et les premiers signes fortement positifs qui proviennent des publics de tous bords semblent de bon augure pour la suite.

Voir les commentaires

Publié le 3 Mai 2021

Parsifal (Richard Wagner – 1882)
Représentation du 18 avril 2021 retransmise en direct sur Arte Concert
Opéra d’État de Vienne

Kundry Elina Garanča
Parsifal Jonas Kaufmann
Parsifal (rôle muet) Nikolay Sidorenko
Amfortas Ludovic Tézier
Gurnemanz Georg Zeppenfeld
Klingsor Wolfgang Koch
Titurel Stefan Cerny

Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène Kirill Serebrennikov (2021)
Co-metteur en scène Evgeny Kulagin
Dramaturgie Sergio Morabito
Nouvelle production    

Le compte-rendu ci-dessous est celui de la diffusion sur Arte Concert de la représentation de Parsifal jouée à l’Opéra de Vienne le dimanche 18 avril 2021 et ne saurait donc être celui de la représentation telle qu’elle pouvait être vécue en salle.

Pour sa première saison à la direction musicale de l’Opéra de Vienne, qui est aussi la première saison de son nouvel intendant profondément rénovateur, Bogdan Roščić, nous retrouvons Philippe Jordan, quelques mois après son interprétation mémorable de l’Anneau du Nibelung à l’Opéra de Paris, pour ses débuts wagnériens dans sa nouvelle résidence autrichienne dont il était jusqu’à présent un invité régulier pendant 20 ans depuis ses premières représentations de La Veuve Joyeuse jouées au mois d’août 1999 alors qu’il n’avait pas encore 25 ans.

Jonas Kaufmann (Parsifal)

Jonas Kaufmann (Parsifal)

Cette nouvelle production de Parsifal est l’aboutissement d’un travail de maturation sur l’ultime chef-d’œuvre de Richard Wagner qu’il entreprit au Festival de Bayreuth en 2012, dans la mise en scène inoubliable de Stefan Herheim, et s’enrichit à l’opéra Bastille en 2018.

Il est cette fois associé au metteur en scène Kirill Serebrennikov dont la mairie de Moscou vient de mettre un terme à plus de 8 ans de créations au Gogol Center, sa notoriété et son trop grand esprit d’ouverture étant mal vus du pouvoir.

L’environnement de ce nouveau Parsifal ne se déroule pas dans une forêt ombreuse et sévère, mais dans un lieu encore plus fermé, une prison, où vit recluse une communauté de prisonniers, ce qui fait de la confrérie un regroupement de criminels, et non pas de « cœurs pur s».

Cette prison réaliste est surmontée de trois écrans qui renforcent le visuel de scènes filmées pour la plupart en noir et blanc, et présentent aussi bien de forts beaux portraits individualisés sur la condition de ces prisonniers qu’une séquence mélancolique autour d’un vieil édifice religieux en ruine – serait-ce l’illustration d’un monde où la religion a perdu sa valeur sacrée ? - et d’une scène bien précise qui concerne la jeunesse de Parsifal.

Choristes et acteurs incarnent ces êtres aux regards endurcis, et Gurnemanz leur prodigue bienveillance par son habileté à faire de leur corps une œuvre d’art en leur tatouant des symboles religieux ou mythologiques. Le dessin stylisé d’une lance se love au creux de leur colonne vertébrale comme s’ils voulaient imprimer la marque d’une virilité dorénavant limogée par la perte de liberté.

Georg Zeppenfeld (Gurnemanz)

Georg Zeppenfeld (Gurnemanz)

Georg Zeppenfeld offre à Gurnemanz une stature de grand sage au discours bien marqué, directement adressé au cœur de l’auditeur, avec un timbre de voix de bronze clair très aéré, un jeu naturel et humain qui rend sa personnalité accessible et fort sympathique.

Dans cet univers où les gardiens contrôlent faits et gestes des prisonniers, le metteur en scène fait intervenir Parsifal sous les traits d’un jeune acteur, Nikolay Sidorenko, alors que Jonas Kaufmann représente le Parsifal plus âgé et mûr qui revit son passé et qui intervient dans l’action en tant que conscience aboutie pour tenter de réveiller, au sens spirituel du terme, son double plus jeune, mais que ce dernier n’écoute pas. Par ce jeu d’alternance passionnant, on pourrait presque croire à cette possibilité que, dans la vie, la voix intérieure qui cherche à nous raisonner serait celle de notre être futur.

Parsifal est ici présenté comme le meurtrier d’un jeune homme albinos, au dos tatoué de deux ailes de cygne, dont il rejette l’attirance sexuelle, et il rejoint donc de force cette communauté maudite. Kundry, elle, est une photographe enrôlée par une revue de mannequins, « Schloss », qui travaille pour le compte de Klingsor afin de mettre en valeur la beauté des modèles masculins, une métaphore de son obsession pour ses propres désirs sexuels.

Au fur et à mesure, le premier acte semble être un concentré de plusieurs ouvrages lyriques se déroulant dans des lieux durs, De La maison des morts, Fidelio ou Billy Budd, et une nette composante homo-érotique teinte les différents tableaux animés avec une précision et un réalisme fascinants.

Nikolay Sidorenko et Elina Garanča (Kundry)

Nikolay Sidorenko et Elina Garanča (Kundry)

Amfortas est introduit dans ce milieu par deux gardiens, et l’existence d’un passé trouble qui le lie à Kundry est montré par des jeux de regards et d’évitements.

Kirill Serebrennikov ne choisit cependant pas de représenter la moindre cérémonie du Graal, car la voix de Titurel est une voix intérieure culpabilisante, une voix des ancêtres qui prend le contrôle à distance d’Amfortas au point de le rendre fou et suicidaire. Pas de simulacre de Passion du Christ, car ce serait représenter une forme d’assassinat sous le regard de la communauté, mais une scène où les gardiens découvrent les objets envoyés aux prisonniers qui sont leur seul lien avec le monde extérieur. Par cette séquence, le désir de liberté fait office de Graal, et le début d’un sentiment de compassion de la part de Parsifal apparaît pour soutenir Amfortas dans ce moment de désespoir. Le metteur en scène humanise de fait la condition des pensionnaires et dénonce l’outrage intrusif de leurs gardiens. La scène se politise.

Ludovic Tézier est absolument phénoménal non seulement par la solidité affectée de son chant incisif, d’une belle homogénéité de timbre, austère et stable dans les aigus, véhément dans les moments de douleur mais toujours un peu adouci, mais aussi de par son niveau d’incarnation poignant, les sentiments torturés qu’il dessine sur son visage, et qu’il exprime si justement avec tout son corps tout en en préservant l’intériorité, atteignent en effet un niveau de vérité saisissant chez un chanteur qui est habituellement plus réservé scéniquement.

Ludovic Tézier (Amfortas)

Ludovic Tézier (Amfortas)

On pourrait trouver sinistre ces coloris gris et ces barreaux situés à tous les étages, et pourtant l’insertion de la vidéographie et de quelques effets poétiques dégage une beauté d’ensemble que la musique ne fait que magnifier.

Car Philippe Jordan est merveilleux de profondeur et de bienveillance grave, l’orchestre de l’opéra de Vienne le suit dans cet impressionnant écoulement noir aux mouvements finement sinueux et illuminés par les frémissements des cordes sur lequel luit le métal polis des cuivres. Et les palpitements des bois si perceptiblement rehaussés ajoutent une impression de surnaturel et d’effets magiques. Il faut enfin entendre comment les panaches orchestraux s’épanouissent sur le chant de Ludovic Tézier, une magnificence sonore qui pourrait presque suggérer un goût prononcé pour le prestige des soieries orientales.

La transition avec le second acte se met finalement en place, et c’est Kundry qui chante les quelques mesures de la voix d’alto « Il a vu souffrir. Il sait, il est l’innocent ! », alors qu’elle s’approche pour photographier le jeune Parsifal qui commence à poser sensuellement pour elle.

Wolfgang Koch (Klingsor)

Wolfgang Koch (Klingsor)

Après une ouverture exposée avec une grande charge énergique, fluide et émaillée d’éclats métalliques épiques mais discrets, le second acte s’ouvre sur l’une des salles du lieu où œuvre Klingsor – Wolfgang Koch est génialement crédible en directeur louche -, magnat du milieu de la mode masculine pour lequel travaille Kundry superbement interprétée par Elina Garanča. Son personnage de femme d’affaire dominante à la belle chevelure d’argent, « la crinière au vent » décrite au début de l’opéra, est aussi masculine que le jeune Parsifal venu la rejoindre est androgyne. Il y a chez elle une beauté extraordinaire à faire vivre aussi violemment un être avec un tel cœur qui rend si vrai tout ce qu’elle exprime, la fausse assurance, le désir de feu pour le corps du jeune homme, la fureur de la possession, les sentiments contradictoires qui font pleurer son visage.

Et quelle ampleur vocale! un luxueux galbe entêtant aux aigus glamour pleinement éclatants, une incarnation véritablement sensationnelle qui montre comment son travail avec des metteurs en scène modernes lui permet d’extérioriser ce que l’on pourrait penser être de véritables aspects de sa personnalité. Car sinon, comment expliquer un tel niveau de personnification qui va au-delà de ce que l’opéra peut produire habituellement ?

Elina Garanča (Kundry)

Elina Garanča (Kundry)

Si le corps d’éphèbe imberbe du jeune acteur Nikolay Sidorenko est dans cet acte pleinement exploité, les filles fleurs sont des assistantes ou des groupies en extase devant lui, et Jonas Kaufmann intervient dans l’action et se substitue parfois à son double. Mais lui aussi semble à son summum vocal comme peut-être on ne l’a plus entendu ainsi depuis son Werther à l’Opéra Bastille en 2010. Il incarne la sagesse, l’impuissance à changer le cours des choses – sauf au dernier moment -, et il chante cela avec ce timbre doucereusement ombré si distinctif auquel il donner corps avec une prévalence dramatique poignante. Et il joue avec une précision attachante et miraculeuse.

A travers l’apparition de trois vieilles femmes, les aïeules, Kirill Serebrennikov matérialise la culpabilité qui pèse sur le jeune Parsifal. Le détournement de la religion au cœur de cette agence est montré à partir d’une croix stylisée et luminescente utilisée pour la confondre avec la symbolique érotique du jeune Parsifal (c'est ce dernier qui déplace la croix pour poser devant elle, et on peut voir d'ailleurs, au début du IIIe acte, Kundry tenant un Christ dénudé en croix).

Jonas Kaufmann (Parsifal) et Nikolay Sidorenko

Jonas Kaufmann (Parsifal) et Nikolay Sidorenko

Mais le coup de génie scénique se présente lorsque Kundry se saisit d’une arme à feu pour menacer sa victime, est tentée de la pointer vers elle même sous l’emprise de ses propres pulsions de mort, puis, au point culminant, ne peut résister au regard déterminé du Parsifal de Jonas Kaufmann qui se trouve suffisamment persuasif pour que Kundry retourne l’arme contre Klingsor, une stupéfiante matérialisation de la lance se retournant contre son porteur.

A nouveau, les magnificences orchestrales subliment le chant de ces grands artistes charismatiques et font de cet acte un envoûtant moment d’hystérisation des désirs humains.

Nikolay Sidorenko, Elina Garanča (Kundry) et Jonas Kaufmann (Parsifal)

Nikolay Sidorenko, Elina Garanča (Kundry) et Jonas Kaufmann (Parsifal)

Le dernier acte revient dans une salle commune de la communauté carcérale alors que la filmographie montre le jeune Parsifal errant dans les ruines du vieux temple à la recherche probable d’un sens à son existence, le début possible d’une nouvelle spiritualité. Kundry est déchue et a rejoint le sort des prisonniers. Elle ne supporte pas les petites servantes qui sont le contraire de ce qu’elle a toujours été mais avec qui, petit à petit, elle va apprendre à prendre soin de l’autre.
L’orchestre est d’une onctuosité somptueuse à l’arrivée de Parsifal, et on a envie de croire que les accents cuivrés qui fusent de la musique sont issus du travail d’orfèvre réalisé par Philippe Jordan sur l’Anneau du Nibelung à l’Opéra de Paris.

La simplicité poétique de Jonas Kaufmann et la bonté confondante du chant de Georg Zeppenfeld épousent la finesse diaphane et scintillante de l’orchestre alors que le Parsifal mature est dorénavant devenu un autre homme, sacralisé par les servantes.

Philippe Jordan

Philippe Jordan

Le travail de fusion des timbres assombrit les couleurs dans un continuum puissant pour annoncer l’arrivée des prisonniers et le double cortège qui dégénère en rixe, avant qu’Amfortas ne paraisse avec une urne funéraire à la main qui symbolise enfin sa libération du poids du passé.

Chacun des protagonistes accède à une paix intérieure, et même Kundry retrouve dans un bref instant un regard apaisé face au souvenir du Parsifal jeune qu’elle embrasse plus tendrement que par faim pour enfin se tourner vers Amfortas et éprouver compassion pour lui.

La rédemption par le rédempteur sonne comme une libération de ceux qui ont su se libérer d’eux-mêmes.

Voir les commentaires