Publié le 29 Avril 2013
Don Carlo (Giuseppe Verdi)
Version de concert du 28 avril 2013
Don Carlo Stefano Secco
Elisabetta Barbara Frittoli
Posa Ludovic Tézier
Philippe II Ildar Abdrazakov
Eboli Daniela Barcellona
Le grand inquisiteur Marco Spotti
Un Moine Roberto Tagliavini
Tebaldo Sonia Grimaldi
Direction musicale Gianandrea Noseda
Orchestre et Chœur du Teatro Regio Torino
Stefano Secco (Don Carlo)
Cinq jours après que la dernière représentation de Don Carlo se soit achevée au Teatro Regio de Turin, les artistes qui participèrent à cette production se retrouvent à présent sur la scène du Théâtre des Champs Elysées pour une ultime reprise en version de concert.
Mais les vagues soudaines de froid et de chaleur qui se sont succédées sur Paris ne pouvaient qu’atteindre les chanteurs, si bien que Ramon Vargas a du céder le rôle de Don Carlo à Stefano Secco, alors que Ludovic Tézier et Barbara Frittoli, sensiblement atteints également, ont accepté malgré tout de maintenir leur présence.
Si ces faiblesses sont passagères, le corps artistique fondamental de cet ensemble, l’orchestre, lui, ne faiblit pas. Gianandrea Noseda choisit une interprétation énergique, très bien réglée, mais quelque peu bruyante, et une allure qui montre, avant tout, la capacité des musiciens à conserver une homogénéité et une ligne directrice vive et sans état d’âme sidérante. Les thèmes se superposent avec une technique transitoire très directe, si bien que le drame de Verdi paraît comme aspiré inexorablement dans une fuite tragique qui dépasse le rythme émotionnel des personnages.
Sous ce flux extrêmement rapide et sonore, Stefano Secco démontre qu’il est encore un des Don Carlo les plus impulsifs de sa génération.
Barbara Frittoli (Elisabeth de Valois)
Le timbre est moins éclatant que celui entendu à Paris il y a trois ans, mais la technique est toujours aussi percutante, mordante, avec le souffle d’une jeunesse qui compense son allure un peu forcie. Cet engagement rayonnant et passionné fait resurgir les impressions indélébiles que Luciano Pavarotti a laissé de ces incarnations.
Dans son premier air, Daniela Barcellona ne peut offrir la magnifique sensualité et la virtuosité nécessaire à la chanson du voile. Mais l‘on connait le tempérament dramatique de la chanteuse, et, par la suite, lors du trio avec Don Carlo et Rodrique, la nuit dans les jardins de l‘Escorial, elle est celle qui s‘impose par son intensité et la vigueur enflammée extraordinairement rageuse de son chant. Plus loin, quand elle se retrouve seule avec ses remords, elle déverse des déchirures incroyables dans « Oh! Don Fatale », ce qui lui vaut un retour plein d‘énergie et de gratitude de la part du public. Les bravo! fusent de toutes parts, se répètent et se font écho à n‘en plus finir. La voir accueillir cela simplement et avec émotion est véritablement quelque chose de très beau à vivre.
Bien que souffrante, Barbara Frittoli peut compter sur son art de l‘expression mélancolique qui lui est naturel. Malgré le vibrato qu‘elle ne peut contrôler ce soir, elle est douée d‘une capacité subite à rayonner l‘éclat puissant et noble de sa voix, ce qui fait d‘elle une femme, une très belle femme même, à la fois en peine, et capable d‘imposer instinctivement, et en ultime recours, la force totalement supérieure de sa dimension royale.
Ludovic Tézier investit prudemment les relations de son personnage avec ses partenaires. Il paraît un peu ailleurs. Alors, c‘est la scène de la prison, jouée avec une très fine fluidité par l‘orchestre, qui permet d‘entendre le plus beau de son phrasé, déroulé avec un charme magnifique et quelque peu céleste.
Ildar Abdrazakov (Philippe II)
Homme impressionnant et splendide de bout en bout, Ildar Abdrazakov n‘a aucun mal à tenir le rôle de Philippe II. Il lui donne une stature droite et solide où l‘on peut relever, peut-être, une maîtrise des émotions qui ne montre pas suffisamment l‘intériorité complexe et chamboulée que vit, en réalité, le roi.
Enfin, le Grand Inquisiteur de Marco Spotti pourrait être plus large et plus noir, mais il possède une dureté de grain et des articulations cassantes qui font ressentir la nature inhumaine et glacée de ce personnage redoutable.
Parmi les rôles secondaires, Roberto Tagliavini interprète un très beau moine, fort et sûr de lui, et Sonia Grimaldi accompagne les dames avec une spontanéité naturelle.
Entrer dans l’émotionnel d’une situation, et de la vie intérieure des personnages, exige un climat et un temps que seule la musique peut totalement induire.
En choisissant une version orchestralement fiévreuse et rapide, Gianandrea Noseda crée plutôt un étourdissement très bien dirigé, bardé de traits vifs, dynamiques et violents, mais qui néglige les couleurs et les changements de tempi nécessaires à une implication en profondeur.
Dans la même veine, le chœur s’aligne sur cette lecture brute et trop peu subtile.
Ce Don Carlo sonne donc comme un réveil brutal, en fanfare, pour annoncer la célébration du bicentenaire de la naissance de Verdi, après que le romantisme sombre et extrasensoriel de Richard Wagner ait principalement occupé l’espace sonore depuis le début de la saison.