Publié le 26 Juin 2017
Sadko (Nikolaï Rimski-Korsakov)
Représentation du 24 juin 2017
Vlaanderen Opera – Gand
Sadko Zurab Zurabishvili
Volkhova Betsy Horne
Lyubava Buslayevna Victoria Yarovaya
Nezhata Raehann Bryce-Davis
Océan, le roi des mers Anatoli Kotcherga
Le marchand varègue Tijl Faveyts
Le marchand hindou Adam Smith
Le marchand vénitien Pavel Yankovski
Duda Evgeny Solodovnikov
Foma Sopel Michael J. Scott
Nazaritch Stephan Adriaens
Luka Zinovich Patrick Cromheeke
Direction musicale Dmitri Jurowski
Mise en scène Daniel Kramer (2017)
Pavel Yankovski (Le marchand vénitien)
Rarement l’Europe de l’Ouest aura représenté autant d’opéras de compositeurs russes, autres que les habituels Tchaïkovski, Moussorgski, Chostakovitch et Prokofiev, qu’au cours de la saison lyrique 2016/2017.
L’œuvre la plus célèbre d’Alexandre Borodine, Le Prince Igor, présentée à Amsterdam l’hiver dernier, et les opéras de Nikolaï Rimski-Korsakov, Le Coq d’Or, La Légende de la ville invisible de Kitesh et Snegourotchka, respectivement joués à Bruxelles, Bergen et Paris, ont ouvert de nouveaux horizons musicaux aux amateurs de lyrique occidentaux, mouvement que l’opéra des Flandres conclut avec une nouvelle production de Sadko innervée d’un volcanisme sonore impressionnant, mais un peu vain.
En effet, la symbolique de cet opéra qui ne comporte qu’un seul personnage réellement consistant, le rôle-titre, n’est pas facilement transposable à notre époque, et ce qu’en fait Daniel Kramer, le nouveau directeur artistique de l’English National Opera de Londres, ressemble à un règlement de compte entre lui et la société de consommation contemporaine dont il méprise la médiocrité d’esprit.
Les marchands de Novgorod, ville historique traversée par la rivière Volkhov qui relie le lac Ilmen au lac Ladoga, sont joués par un chœur brillamment en verve et habillé de costumes tristes et peu colorés, et dirigés avec une vitalité décuplée, dès l’ouverture, par l’énergie de la musique.
Sadko, sous les traits de Zurab Zurabishvili qui lui dédie, tout au long de la soirée, un chant de caractère au relief acéré et d’une incisive clarté d’âme, apparaît comme un chanteur de télé-crochet, auquel se joint Raehann Bryce-Davis dans le rôle enthousiaste et provocateur de Nezhata. Cette jeune chanteuse américaine, qui fait partie depuis cette saison de la troupe de l’Opéra des Flandres, dégage une joie naturelle rayonnante que la noirceur expressive de son timbre colore d’une présence qui tranche avec la tonalité mélancolique du chant slave.
Ce premier tableau démontre déjà que l’œuvre de Rimski-Korsakov est un opéra à airs qui pourrait se présenter, à lui seul, comme le support d’un concours de chant de haut vol. Ses airs sont le plus souvent déliés et mélodiques comme si le compositeur avait transposé l’art du beau chant bellinien à l’univers russe.
Par la suite, les tableaux du monde imaginaire prennent une incompréhensible tonalité lunaire sous un ciel d’éclipse et un sol de poussière météoritique. Daniel Kramer représente les cygnes sous des déguisements ironiques qui rappellent les anciennes mises en scène jouées au premier degré, mais sans donner le moindre sens lisible à son propos. Sa direction scénique est également plus pauvre dans cette partie.
Puis, Betsy Horne apparaît en une pure Volkhova au chant plus neutre que sa consœur américaine, la véritable sensualité slave étant incarnée par la seule chanteuse russe de la distribution, la mezzo-soprano Victoria Yarovaya. Le galbe sombre qui hante l’intériorité de l’auditeur, elle incarne la jeune femme de Sadko avec l’humilité d’une Micaela et une personnalité vocale qui s’adresse à l’inconscient de chacun.
La scène des trois marchands qui chantent la nostalgie de leurs propres origines est alors l’occasion d’entendre le superbe Pavel Yankovski, ténor charmeur et langoureux qui fixe comme une évidence le choix de Sadko pour voguer vers son monde vénitien.
Et, alors que Daniel Kramer représentait, au premier tableau, la nature mentale des marchands par des projections vidéos d’un univers médiatique télévisuel courant – avec ses matchs de foot et ses actualités violentes -, la vidéo est cette fois utilisée pour railler la culture du voyage de masse, et l’on voit ainsi le héros être séparé des femmes qui l’ont inspiré, par une faille jaillie du sol. Il choisit d’aider son peuple à accéder au bonheur collectif fait de rêves vulgaires de bord de plage.
Si ce parti pris scénique donne le sentiment de nuire à la valeur musicale de l’œuvre, c’est qu’il jure avec l’homogénéité vocale de la distribution et, surtout, avec les merveilles de puissance, d’explosion sonore et de mouvements chatoyants que l’orchestre symphonique de l’opéra des Flandres déploie sous la direction enflammée et mystérieuse de Dmitri Jurowski.
La partition de Rimski-Korsakov est encore plus belle que celle qu'il écrivit pour Snegourotchka, et ne comprend aucune faiblesse. L’allant inspiré des airs, la noirceur des univers fantastiques, le détachement des sonorités des instruments solistes, tout relève ici d’une splendeur envers laquelle le visuel, même sous une forme décalée, ne devrait pas totalement déroger.