Publié le 29 Décembre 2020
Dans la suite des articles sur le répertoire de l’Opéra de Paris de 1733 à 1794 du Siècle des Lumières à la Révolution, le répertoire de l’Opéra de Paris (salle Montansier, rue de Richelieu) de 1794 à 1821 sous la Première République et le Premier Empire, le répertoire de l'Opéra de Paris (salle Le Peletier) de 1821 à 1874 sous la Restauration et le Second Empire, et le répertoire de l’Opéra de Paris de l’inauguration du Palais Garnier (1875) à nos jours , le présent article rend compte du répertoire de l'Opéra de Paris de 1669 à 1732 du Règne de Louis XIV au Siècle des lumières.
Il permet en un coup d’œil de comparer les œuvres les plus jouées du répertoire à cette époque.
Toutefois, les informations sont fortement lacunaires jusqu’en 1749, date à laquelle le roi confia le privilège non pas à un particulier mais à un corps public, la ville de Paris. Ce répertoire est donc reconstitué partiellement grâce à Artlyriquefr.fr et Operabaroque.fr.
Mais étant donné que le nombre de représentations données pour chaque œuvre est rarement connu de façon exhaustive, il est plutôt proposé de classer les œuvres à succès par leur nombre de reprises connues à l’Académie Royale de Musique, et par la régularité de ces reprises. Ce classement est donc à prendre en considération uniquement pour les tendances qu’il dégage, et pas comme un classement ferme et définitif.
Toutes les œuvres citées ont été reprises au moins une fois, et un rappel du classement au temps de la période ramiste (1733-1764) permet de visualiser comment le répertoire lullyste va évoluer jusqu’au milieu du XVIIIe siècle.
La découverte des opéras italiens (1645 à 1662)
Sous Louis XIV, la cour du Roi de France accueillit favorablement, dans un premier temps, les splendeurs du Grand Opéra Baroque italien présentées par le Cardinal Mazarin (né Mazzarini), La Finta Pazza (1645) de Sacrati, donnée à la salle du Petit Bourbon, ou bien L’Egisto (1646) de Cavalli et L’Orfeo (1647) de Rossi représentées au théâtre du Palais Royal construit par le Cardinal Richelieu.
En février 1653, au cour du Carnaval de Paris, un jeune danseur florentin, formé en France au jeu et à la danse, participe au Ballet de la Nuit inspiré des fêtes vénitiennes et florentines et commandé par Mazarin pour la salle du Petit Bourbon. Ce danseur se prénomme Lully.
L’année suivante, Louis XIV danse Apollon accompagné par Lully au cours d’une comédie de Caproli, Le Nozze di Peleo e di Teti, commandée également par Mazarin pour la salle du Petit Bourbon.
Puis, en 1659, Mazarin fait construire une nouvelle salle gigantesque située dans le prolongement du Château des Tuileries, la Salle des Machines, mais meurt avant d’avoir pu assister à la création d’Ercole amante de Cavalli (1662) qui incorpore des ballets de Lully. Il a toutefois le temps de monter un autre opéra de Cavalli, Xerxe, sur une scène temporaire installée dans la Grande galerie du Louvre en 1660.
L’ajout de ballets et la substitution, dans certaines conditions, de barytons aux chanteurs castrats permettent ainsi d’adapter toutes ces œuvres au goût français.
Mais à la disparition de Mazarin, la scène se trouve dominée par Lully et Molière qui produiront 11 comédie-ballets entre 1661 et 1671: Les Fâcheux, Le Mariage Forcé, La Princesse d'Elide, L'Amour Médecin, La Pastorale Comique, Le Sicilien, Georges Dandin, Monsieur de Pourceaugnac, Les Amants Magnifiques, Le Bourgeois Gentilhomme, La Comtesse d'Escarbagnas.
Lully perfectionne ainsi sa technique d’insertion d’airs chantés et dansés à un déroulé dramatique continu. Sa collaboration avec Molière aboutit à la création de Psyché, une tragédie-ballet à machines qui sera jouée à la Salle des Machines, le 17 janvier 1671, en présence du Roi.
L’avènement de la tragédie lyrique (1669 à 1690)
Le 28 juin 1669, le compositeur français Pierre Perrin obtient de Louis XIV un droit exclusif de « représenter en public des opéras et des représentations en musique et en vers français, pareilles et semblables à celles d’Italie ». Ce jour marque la naissance de l’Académie de l'Opéra.
Pierre Perrin s’associe au compositeur Robert Cambert pour créer au théâtre du jeu de paume de la Bouteille, rue Mazarine, une pastorale en cinq actes, Pomone, le 03 mars 1671.
Cette œuvre, qui sera jouée au moins 146 fois à sa création, est considérée comme le premier opéra français avec un discours dramatique entièrement mis en musique.
Mais en 1672, suite aux déboires personnels de Pierre Perrin, Lully souhaite racheter son privilège, ce que Louis XIV accepte afin de ne pas perdre un maître indispensable à ses ballets de cour. L'Académie de l'Opéra devient ainsi l'Académie Royale de Musique.
Lully est dorénavant tendu vers le déploiement de la tragédie lyrique qui confie aux récitatifs accompagnés de musique le soin de mener l’action qui enchaîne airs, chœurs et danses.
Il commence par créer, le 15 novembre 1672, au jeu de paume de Bel-Air de la rue Vaugirard, une pastorale, Les Fêtes de l’amour et Bacchus, qui est un pot-pourri de ses précédentes pièces écrites avec Molière et Quinault. Puis, six mois plus tard, Cadmus et Hermione devient la première tragédie française mise en musique. La danse s’insère naturellement dans l’action dramatique. Le succès est immense, et suite au décès de Molière deux mois auparavant, Lully obtient de Louis XIV le Théâtre du Palais Royal comme lieu de résidence de l’Académie.
Pendant 60 ans, 14 tragédies lyriques (Cadmus et Hermione, Alceste, Thésée, Atys, Isis, Psyché – une transformation en opéra de la version de 1671 -, Bellérophon, Proserpine, Persée, Phaéton, Amadis, Roland, Armide, Achille et Proxylène) et une pastorale héroïque d’une très grande richesse, Acis et Galathée, tous inspirés de sujets mythologiques, de la tradition pastorale ou des romans de chevalerie du Moyen-Age, vont dominer le répertoire du Théâtre du Palais Royal sans qu’aucun autre compositeur ne puisse réellement dépasser ce genre bien après la mort de Lully (1687) et Quinault (1688).
C’est le règne de l’opéra courtisan où le spectacle prime sur l’action en musique.
9 de ces 15 ouvrages connaîtront au moins 6 reprises sur 70 ans, et Thésée sera même joué à l’Académie jusqu’en mars 1779, soit 104 ans après sa création.
Certains livrets de Quinault seront brillamment repris par Gluck (Armide), par Piccinni (Atys et Roland), par Berton (Amadis), mais aussi sans succès par Mondoville et Gossec (Thésée), Jean Chrétien Bach (Amadis) et Philidor (Persée).
La crise de l’après Lully (1690 à 1697)
A la disparition de Lully, son principal collaborateur, Pascal Collasse, achève Achille et Polyxène, un ouvrage qui sera peu reconnu, et compose Thétis et Pelée (1689), son seul grand succès qui restera au répertoire pendant 70 ans (cet ouvrage comporte la première tempête de l’opéra français). Sa partition d’Enée et Lavinie (1690) sera, elle, reprise au siècle suivant par Antoine d’Auvergne en 1758.
Le fils cadet de Lully, Jean-Louis, succède finalement à la tête du privilège, mais meurt un an plus tard, si bien que c’est son frère aîné, Louis, qui le remplace et achève son opéra, Zéphire et Flore, qui sera créé en 1688 et connaîtra deux reprises (1694 et 1715).
L’après Lully est cependant marqué par un grand nombre de créations qui ne trouveront pas leur public. Orphée (1690) de Louis Lully, Astrée (1692) de Collasse, Médée (1693) de Charpentier, Circé (1694) de Desmarest, Ariane et Bacchus (1696) de Marais, Aricie (1697) de La Coste et Jason (1697) de Collasse ne seront jamais repris à l’Académie.
Inspirée par Lully, mais nourrie des influences de Charpentier et Du Mont, Didon d’Henry Desmarest offre toutefois à sa création en 1693 un espoir de renouvellement, tragédie qui sera reprise en 1704. Peu après, Vénus et Adonis (1697) obtient un succès d’estime, mais sera rejouée en 1717.
Musicien ayant participé à la création d’Atys, Marin Marais s’associe à Louis Lully pour créer Alcide ou le Triomphe d’Hercule (1693), qui sera la première tragédie lyrique du jeune musicien et compositeur, avant qu’il ne signe en 1706 son chef d’œuvre absolu, Alcyone, qui restera au répertoire jusqu’en 1771.
Louis Lully et Collasse composent également le tout premier opéra-ballet, Le Ballet des saisons (1695) – homonyme du Ballet des saisons (1661) de Lully -, qui sera régulièrement repris jusqu’en 1722. Ce genre introduit le plus souvent une action différente à chaque acte et plus de divertissement, ce qui permet de maintenir l’attention du public en quête de nouveautés.
La mutation des activités lyriques avec l’opéra ballet (1697-1732)
Parmi les compositeurs qui réussirent le mieux à défendre le style français, André Campra va se révéler le plus convainquant.
Son Europe Galante (1697), suivie par Les Fêtes Vénitiennes (1710), illustre la réussite de l’Opéra Ballet comme genre qui revisite les codes de l’opéra. Des personnages ordinaires, des mondes lointains, et l’italianisme qui est de retour au versant du XVIIIe siècle, plongent ainsi le spectateur dans des univers somptueux. Ces deux ouvrages concurrencent à eux seuls les œuvres phares de Lully que sont Phaéton, Thésée, Armide et Roland à la même époque. Mais pour ses tragédies, Campra reste proche de la tradition mythologique de Lully.
Le Carnaval de Venise (1699), Hésione (1700), Aréthuse ou la Vengeance de l’Amour (1701) – qui sera révisé ultérieurement par d’Auvergne -, Tancrède (1702) – au succès éclatant -, Idoménée (1712) et Les Ages (1718) se distinguent parmi la quinzaine de tragédies lyriques et opéra-ballets qu’il compose en 20 ans, et seront pour la plupart repris jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Il achève également l’Iphigénie en Tauride de Desmarest en 1704, tragédie qui, malgré son accueil tiède, sera régulièrement montée jusqu’en 1762.
Et c’est auprès d’André Campra qu’André Cardinal Destouches apprend la composition et se voit confier l’écriture de trois airs de l’Europe Galante. Deux mois plus tard, il crée Issé, une pastorale héroïque qui impressionnera fortement Louis XIV et restera au répertoire 60 ans durant.
Ses tragédies lyriques Amadis de Grèce (1699), Omphale (1701), Callirhoé (1712), Télémaque (1714), autant que sa Comédie-ballet Le Carnaval et la Folie (1704) et son dernier opéra-ballet Les Éléments (1725) seront favorablement appréciés, mais, à l’instar des œuvres de Campra, résisteront difficilement à l’avènement de la période Ramiste.
Beaucoup de ces ouvrages vont toutefois se trouver influencés ou altérés à leur reprise par des inserts en italien, car depuis la mort de Lully, les premières polémiques sur l’esthétique française et l’esthétique italienne se sont matérialisées par des ouvrages dont deux auteurs contradictoires sont normands, l’abbé Raguenet (« Parallèle des Italiens et des Français en ce qui regarde la Musique et les Opéra » - 1702) et Le Cerf de la Viéville («Comparaison de la Musique italienne et de la Musique française » - 1705). A la présence de chœurs et de divertissements, et à la finesse des cordes des Français, sont opposées la vivacité de l’expression, la virtuosité des voix et la théâtralité des Italiens.
En 1707, arrive à Paris un musicien avignonnais, Jean-Joseph Mouret, qui entreprend de composer pour l’Académie. Reconnu pour son art du divertissement, ce ne sont pas ses tragédies lyriques qui s’imposeront, bien que Pirithoüs (1723) sera reprise en 1734, mais son opéra-ballet Les Fêtes de Thalie (1714), et l’un des tout premiers ballets héroïques, Les Amours des Dieux (1727), qui feront partie des 10 ouvrages les plus représentés de l’Académie au coeur du Siècle des Lumières. Ils maintiendront tous deux leur présence sous forme de fragments jusqu’à la fin des années 1760.
Un autre compositeur et contre-ténor, Thomas Louis-Bourgeois, produit un opéra-ballet à succès, Les Amours déguisés (1713), qui sera repris plusieurs fois jusqu’en 1748 sous forme de fragments.
De cette période où le renouveau est porté par les opéra-ballets, émergent d’autres nouvelles tragédies lyriques.
Un joueur de Basse de Violon florentin et admirateur de Lully, Theobaldo di Gatti, se fait remarquer et offre Scylla (1701) à l’Académie Royale de Musique qui sera repris deux fois.
Philomène (1705) de La Coste, Médée et Jason (1713) de Salomon auront du succès, mais également l’Hypermnestre (1716) de Gervais dont la sophistication des harmonies annonce Rameau.
La suite : le répertoire de l’Opéra de Paris de 1733 à 1794 du Siècle des Lumières à la Révolution,