Publié le 28 Janvier 2024
Dans les coulisses de l’Opéra national de Paris
Un reportage de Laetitia Cénac dessiné par Laure Fissore
Editions de La Martinière – Sortie le 22 septembre 2023
ISBN : 978-2-7324-9039-7
Nombre de pages 223
Depuis son arrivée anticipée à la direction de l’Opéra national de Paris, le 01 septembre 2020, en pleine crise pandémique, Alexandre Neef a eu à cœur de mettre en avant le potentiel humain de l’institution avec la même importance que sa programmation artistique.
Cela s’est d’abord concrétisé, à la demande d’une partie du personnel, par la remise du rapport sur la diversité confié à Pap Ndiaye et Constance Rivière, par le maintien de l’activité de production pendant la période de fermeture des salles au public – on se souvient d’un technicien intermittent remercier pour cela le directeur en direct sur France Musique -, la nomination de Paul Marque en tant qu’Étoile en streaming et en direct dans ce même temps, l’édition d’un DVD ‘Opéra de Paris : une saison (très) particulière’, plus généralement la mise en avant de l’activité chorégraphique et des danseurs au même niveau que l’activité lyrique, l’illustration du programme de la saison 2021/2022 avec les visages des personnels de l’Opéra, et des actions de coopérations avec l’Opéra de Santiago du Chili, le conservatoire de musique, de danse et de théâtre de Guyane, ou bien avec la villa Hegra en Arabie Saoudite.
La sortie du magnifique livre de Laetitia Cénac, grand reporter à Madame Figaro, et Laure Fissore, artiste voyageuse, intitulé ‘Dans les coulisses de l’Opéra national de Paris’, s’inscrit dans la même logique et permet de comprendre comment le travail de tous les acteurs de l’Opéra, qui emploie 1500 salariés et 250 à 300 employés surnuméraires, s’articule.
Sur la forme, ce livre se décompose en deux rencontres, l’une avec Alexander Neef, en prologue, et l’autre avec José Martinez, en épilogue. Elles encadrent 9 chapitres qui présentent en premier lieu le déroulement de plusieurs soirées d’opéras en 2022 et 2023 (‘Cendrillon’, ‘La Bayadère’, ‘Faust’, ‘Platée’), puis tout le travail de répétition en amont sur plusieurs spectacles (‘Parsifal’, ‘La Cenerentola’, ‘Ariodante’, ‘Fin de Partie’).
Puis s’en suit une entrée en profondeur dans le travail et l’organisation des musiciens et des choristes – ils doivent assurer près de 600 services et plus de 300 spectacles par an -, qui se prolonge par une même analyse pour les 154 danseurs du Corps de Ballet, avec lesquels il faut être capable de prévoir 5 distributions pour un spectacle donné sur 20 à 25 représentations.
Vient le temps de la formation avec, d’abord, un focus sur l’Ecole de Danse installée à Nanterre depuis 1987 à la demande de Claude Bessy et sous l’impulsion de Jack Lang – en 2022, 73 garçons et 85 filles y développent leur apprentissage -, et un second focus se porte sur l’Académie créée en 2015 par Myriam Mazouzi pour parfaire la technique des futurs chanteurs professionnels – une interview de Marine Chagnon, Ramon Teobald et Victoria Sitja montre notamment l’importance de la rencontre avec les metteurs en scène -.
Nous entrons ensuite dans les métiers de l’illusion pour découvrir une foule d’ateliers et de métiers (flou, modistes, tailleurs et décorateurs de costumes, perruques, maquilleurs, cordonniers et nettoyeurs) proches des artistes puisqu’ils sont chargés de les habiller. Les équipes de Bastille puis de Garnier sont présentées en détail avec leurs particularités. Le Central costume, dirigé par Xavier Ronze, se situe à Garnier et conserve une partie des costumes du répertoire de ballet, le reste étant stocké à Berthier.
Pour tout savoir sur la construction des décors depuis leur conception jusqu’à leur mise en œuvre au cours des spectacles, un grand chapitre est dédié au plateau Bastille où l’on découvre les bureaux d’études, animés par des dessinateurs et des ingénieurs très pointus en modélisation 3D, des ateliers de peinture, des ateliers de matériaux composites - on apprend que les toiles de la dernière reprise de ‘Casse-Noisette’ ont été repeintes et que des paravents ont été refaits en composite pour gagner 30kg de charge -, les ateliers de sculpture, de menuiserie, de serrurerie (pour réaliser l’ossature des grands éléments), les tapissières, les accessoiristes – qui font la même chose que les ateliers mais en plus petit -, et les importantes équipes de machinistes (89 personnes à Bastille et 62 à Garnier) organisées pour gérer jusqu’à 3 spectacles en exploitation et 1 en répétition par semaine dans chaque établissement. Les locaux sont si gigantesques qu’un Airbus A380 pourrait se garer dans les coulisses de Bastille.
La même organisation à Garnier, où se jouent les 3/4 des ballets, est étudiée et notamment la machinerie de scène. On apprend que c’est seulement depuis 1996 que les cintres sont électrifiés (il y en a 10 et 83 porteuses de 26m de haut pour manipuler les décors).
Un autre passionnant chapitre décrit le fonctionnement des ateliers Berthier où sont stockés les décors de Garnier. Ces locaux ont été construits par Charles Garnier avec l’appui de Gustav Eiffel suite à l’incendie en janvier 1894 des magasins de la rue Richer. 80 % du trafic des 17 remorques spécifiquement conçues circule à destination de Garnier, car cet édifice datant du Second Empire ne permet pas de laisser passer par ses grilles les conteneurs de décors standardisés. Berthier opère donc un rôle de sas de conversion.
Plus de 6000 toiles et 60000 vêtements y sont également entreposés.
Et pour stocker son patrimoine historique composé de 16000 partitions, la Bibliothèque-Musée dirigée par Mathias Auclair joue un véritable rôle d’Institution de Conservation auprès de l’Opéra.
Enfin, un dernier chapitre est laissé à l’organisation managériale en abordant le rôle de ‘Tour de contrôle’ de Martin Ajdari, chargé de coordonner les actions découlant des décisions prises par le directeur général, celui de Jean-Yves Kaced qui a la double casquette de directeur du développement et du mécénat de l’Opéra et de directeur de l’AROP (association constituée le 8 juillet 1980 et qui aligne 23 Millions d’euros de mécénat fin 2023, soit près de 10% du budget de l’institution), ou celui de la direction administrative et financière chargée de suivre le budget de fonctionnement de 240 millions d’euros, dont 100 millions d’euros proviennent de subventions de l’État français.
Le rôle des Cercles Berlioz, Noverre, et Lully qui aident les activités lyriques et chorégraphiques est aussi essentiel.
Le spectateur n’est pas oublié puisqu’il est le sujet privilégié de la direction de l’Expérience spectateur et marketing (140 personnes), qui cherche à fidéliser ces 40 à 45% de spectateurs qui, chaque soir, dans la salle, viennent pour la première fois à l’opéra – on ne peut s’empêcher de sourire à ceux qui prétendent, dans le milieu artistique, journalistique ou bien des passionnés, connaître ce que veulent les spectateurs -.
Pour valoriser la programmation artistique, l’Opéra de Paris réalise par ailleurs ses propres captations et dispose de sa propre plateforme de diffusion, Paris Opera Play.
Impossible de ne pas évoquer les préparatifs de la célébration des 150 ans de l’ouverture du Palais Garnier – qui eut lieu au début de la 3e République le 05 janvier 1875 -. Un documentaire est envisagé à cette occasion, ainsi qu’un gala d’anniversaire fin janvier 2025.
Un glossaire conclusif permet de mieux comprendre le jargon du théâtre et notamment les 4 points cardinaux, cour, jardin, face, lointain, pour les quatre endroits situés respectivement à droite, à gauche, en avant et en arrière de la scène lorsque l'on est face à elle.
Toutes ces activités sont ainsi approfondies en faisant intervenir des interviews d’artistes invités tels Benjamin Bernheim, qui rappelle l’importance d’avoir des artistes et des metteurs en scènes en phase avec leur temps, Guillaume Gallienne, qui précise sa méthode d’écoute des œuvres, ou bien Robert Carsen pour qui l’opéra est le meilleur moyen de casser le rapport au temps.
La voix est cependant surtout laissée au personnel de l’Opéra, les inspecteurs principaux, Charles-Edouard et Nicolas, qui racontent des histoires drôles et surprenantes sur le public, les danseurs étoiles et le sens qu’ils veulent donner à leur présence, les chefs des différents services et leur multiples contraintes de planning, d’espace ou de ressources, les artistes des chœurs et leur rapport aux autres personnels – très touchante anecdote sur Mariame Clément qui avait appris par cœur les prénoms des 60 choristes de la production de ‘Cendrillon’ -, et l’on apprend mille nuances entre les différentes fonctions, entre une maîtresse de ballet et un professeur de danse, que l’on peut jouer un Mozart et un Wagner chaque soir dans les deux théâtres ou bien deux Puccini, qu’il peut y avoir chaque soir sur le plateau 300 personnes, ce qui fait le coût réel d’une production, bien plus que les décors qui, eux, sont amortis avec le temps.
Ainsi, le fait de découvrir les noms et prénoms de tous ces intervenants ainsi que leurs visages dessinés à la main en noir et blanc, de voir des scènes de vie de plateau, de travail en atelier, de réunions, ou de pauses café aux Associés, peintes en couleurs pastel, renforce l’attache affective à cette organisation humaine que chaque personne prise individuellement ne soupçonne pas forcément. Un musicien peut alors découvrir à la lecture de ce livre ce que fait un machiniste, tout comme un régisseur va découvrir les états d’âmes des danseurs, ou bien un personnel de l’accueil va prendre fait de la taille de l’activité des accessoiristes et de leurs multiples compétences.
La nécessité de sortir de l’entre-soi, de s’ouvrir le plus possible à la société, d’inclure toutes ses composantes – le programme ‘Dix mois d’École et d’Opéra’ créé en 1991 participe à ce rôle inclusif -, est véritablement saillante tout au long des échanges, une urgence depuis les crises sociale et sanitaire de 2020 et 2021.
La vision qui en ressort, riche et complexe, est celle d’une organisation aux multiples ramifications qui sont interdépendantes, et l’on se rend compte de la responsabilité écrasante de la direction du planning et de la production qui doit tout prévoir 3 ans à l’avance et avoir le meilleur état de synthèse possible de tous les projets en cours et à développer.
Et en même temps, il ne s’agit que d’extraits de deux années de vie lyrique et chorégraphique rapportés en scènes imaginées sous une forme artistique qui replace l’humain dans son rapport à la technique professionnelle.
Absolument indispensable pour aborder la vision d’ensemble du métier de l'Opéra et en tirer une meilleure conscience.