Publié le 22 Mars 2025
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Der Spieler (Sergueï Prokofiev –
La Monnaie de Bruxelles, le 29 avril 1929)
Représentation du 15 mars 2025
Staatstheater Stuttgart
General Goran Jurić
Polina Aušrine Stundyte
Alexej Daniel Brenna
Babulenka Véronique Gens
Marquis Elmar Gilbertsson
Mr. Astley Shigeo Ishino
Mlle. Blanche Stine Marie Fischer
Fürst Nilski Robin Neck
Baron Wurmerhelm Peter Lobert
Potapytsch Jacobo Ochoa
Direction musicale Alexander Vitlin
Mise en scène Axel Ranisch (2025)
Staatsorchester Stuttgart, Staatsopernchor Stuttgart
Lors du festival d’été 2024, le Festival de Salzbourg avait présenté une version du ‘Joueur’ de Prokofiev qui n’avait franchement pas convaincu, le couple mise en scène / interprétation orchestrale manquant considérablement de souffle.
La nouvelle production proposée par l’opéra Stuttgart en ce début d’année 2025 est cette fois bien plus convaincante même si le premier acte reste difficile à rendre captivant.
Axel Ranisch déplace en effet le cadre de la petite ville allemande imaginaire de Roulettenbourg dans une zone désertique qui évoque naturellement le site de Las Vegas entouré de massifs montagneux. Les vestiges d’une roulette géante émergent du sol sablonneux et se soulèvent pour faciliter les entrées et sorties des différents caractères.
L’image de ruine est accentuée par la manière dont le Général et le Marquis sont affublés de façon décadente en shorts courts et collants-résilles – chapeau! à la basse Goran Jurić, d'une imperturbable noirceur monocorde, et à Elmar Gilbertsson, ténor tranchant, pour jouer le jeu avec une telle aisance -, mais le personnage de Polina, incarné par une Aušrine Stundyte toujours aussi physiquement magnétique avec sa noirceur de timbre aux accents fêlés, préserve sa fraîcheur et son humanité.
Rare intervenant bien mis en valeur par son soyeux costume jaune, le discret Astley est ennobli par la très belle ligne vocale de Shigeo Ishino, baryton japonais qui est l’une des valeurs très sûres de la troupe de l’opéra depuis 18 ans.
Une touche d’absurde est rajoutée par un ensemble de serviteurs à têtes de snack-cocktail qui interagissent avec les protagonistes, et l’on ne sait dire exactement à ce moment là si ce monde en ruine précède, sous forme de flash-back, la grande scène finale flamboyante qui sera la cause de la perte de cet univers décomposé, où bien si elle est le point de départ d’une nouvelle folie du jeu.
Quoi qu’il en soit, l’arrivée de Véronique Gens en Babulenka marque un véritable tournant, non seulement à cause du personnage charismatique imaginé par Dostoïeski, mais parce que la soprano française fait forte impression par les fulgurances de son empreinte vocale et par sa manière d’incarner cette femme délurée et fortement sexualisée avec une gestuelle brillamment stylisée.
Quand on ne connaît Véronique Gens qu’à travers des tragédies lyriques, c’est véritablement un choc que de la voir prendre un tel plaisir dans cette production assez radicale. Son arrivée coïncide avec le lever d'un astre planétaire dans le ciel nocturne.
Le personnage d’Alexej, interprété par Daniel Brenna qui le dépeint de toute sa largeur vocale ombrée et animée d’une puissante onde vibrante, n’est, lui, pas ridiculisé, car il porte un amour sincère pour Polina. Mais il restera vêtu de noir tout au long du drame satirique. Le ténor américain donne en effet une présence forte au jeune précepteur, mais c’est surtout dans la seconde partie qu’il va se livrer à la frénésie du jeu dans une débauche d’énergie totalement étourdissante.
Mais avant cela, Axel Ranisch conclura la première partie en sourire par une amusante insertion, en fond de décor, de la fusée d’’Objectif Lune’ du ‘Tintin’ d'Hergé pour montrer la fuite vers un ailleurs sous des au revoir de badauds amusants - une allusion malicieuse à ces milliardaires rêvant de conquérir l'espace, mais que le simple être humain aimerait voir partir pour de bon sur une autre planète -.
Une fois quitté cet univers aux lumières martiennes, nous nous retrouvons dans une salle de jeu resplendissante avec un arrière fond sombre bardé d’arcades. Tout le monde est superbement habillé pour faire bonne figure et espérer récupérer beaucoup d’argent. Le monde déchu de la première partie est à nouveau pris dans l’ivresse du jeu pour retourner finalement à sa ruine. L’immense roulette au sol sur laquelle joue et danse Alexej symbolise l’engrenage infernal d’un monde obnubilé par l’argent. A l'instar de la virtuosité du jeu du chœur et des solistes, les jeux de lumières et de couleurs, en dégradés de teintes roses et violettes, sont saisissants et d’une grande complexité afin de restituer un éclat visuel à la hauteur de l’emballement musical si bien imaginé par Prokofiev.
Sur cet inexorable dérèglement des esprits, le metteur en scène illustre sensationnellement la folie qui gagne Alexej en le faisant exposer, au sol et une fois l’argent gagné, une scène sensuelle comme s’il faisait l’amour seul avec la profusion de billets virevoltants dans tous les sens, pensant ainsi s’attacher Polina qui, bien entendu, ne pourra que prendre ses distances avec quelqu'un qui confond le vent de l'argent avec la chaleur du corps humain.
Ce spectacle est donc étonnant par l’inversion d’images qu’il engendre en jouant sur le sex-appeal de Daniel Brenna tout en faisant d’Aušrine Stundyte un personnage très sage, et tout en montrant une Véronique Gens au glamour hypnotisant.
A cela s’ajoute l’interprétation haut en couleur d’Alexander Vitlin qui vitalise l’orchestre de l’opéra de Stuttgart avec une volubilité phénoménale qui dessine des volutes orchestrales rutilantes au rythme acéré, tout en faisant un usage endiablé des percussions sans saturer le son ou écraser sa dynamique.
Il en résulte une version particulièrement incisive qui déclenchera au final l’enthousiasme du public dans une salle comble, prompte à saluer l’ensemble de la distribution pour son énergie et son engagement sans faille.