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Publié le 15 Juillet 2023

Le Concert de Paris au Champ-de-Mars
Concert du 14 juillet 2023
Champ-de-Mars - Paris

Hector Berlioz – La Damnation de Faust : « Marche Hongroise » 
Giacomo Puccini Turandot : « Nessun dorma » [Francesco Demuro]
Edith Piaf : « La Vie en rose » [Pretty Yende]
Georges Bizet Carmen : « Habanera » [Stéphanie d’Oustrac]
Michel Legrand : « Les Moulins de Mon coeur» [Maîtrise de Radio France]
Jules Massenet Thaïs : « Voici donc la terrible cité » [Ludovic Tézier]
Edouard Lalo : « La Symphonie espagnole » [Vilde Frang]
Francesco Cilea Adriana Lecouvreur: « Io son l’umile ancella » [Ermonela Jaho]
Igor Stravinsky Petrouchka : « Danse russe » [Orchestre National de France]
George Gerschwin Porgy & Bess : « Summertime » [Marie-Laure Garnier]
Georg Friedrich Haendel – Le Messie – « Hallelujah » [Chœur de Radio France]
Grazyna Bacewicz : « Ouverture » [Orchestre National de France]
Sergueï Rachmaninov Rhapsodie sur un thème de Paganini : « Variation XVIII : Andante cantabile » [Daniil Trifonov]
Wolfgang Amadeus Mozart : « Ave Verum Corpus » [Maîtrise de Radio France]
Jules MassenetThaïs : « duo final » [Ludovic Tézier et Ermonela Jaho]
Camille Saint-Saëns Samson et Dalila : « Bacchanale » [Orchestre National de France]
Giuseppe Verdi Don Carlo : « Dio che nell'alma infondere » [Francesco Demuro et Ludovic Tézier]
Jacques Offenbach Les Contes d’Hoffmann : « Barcarolle » [Stéphanie d’Oustrac et Ermonela Jaho]
Ludwig von Beethoven Symphonie n°9 : « Final» [Orchestre et Chœur de Radio France]
Hector Berlioz / Claude Joseph Rouget de Lisle La Marseillaise (couplets n°1 et 2)

Avec Ermonela Jaho, soprano, Marie-Laure Garnier, soprano, Stéphanie d’Oustrac, mezzo-soprano, Francesco Demuro, ténor, Pretty Yende, soprano, Ludovic Tézier, baryton, Vilde Frang, violon, Daniil Trifonov, piano                     

Direction musicale Cristian Măcelaru
Chœur et Maîtrise de Radio France
Orchestre National de France

Initié en 2013 par Bertrand Delanoë, pour sa dernière année en tant que maire de la ville de Paris, le Concert de Paris célèbre en 2023 ses dix ans, et propose un programme de deux heures au cours duquel seront interprétées une vingtaine de pièces lyriques, instrumentales et chorales par six chanteurs lyriques, deux solistes, le Chœur et la Maîtrise de Radio France, tous portés par l’Orchestre national de France sous la direction de Cristian Măcelaru.

Stéphane Bern, Ermonela Jaho et Marie-Laure Garnier

Stéphane Bern, Ermonela Jaho et Marie-Laure Garnier

Et comme chaque année, le concert s’ouvre par la ‘Marche hongroise’, pièce entraînante extraite de l’ouverture de ‘La Damnation de Faust’ d’Hector Berlioz, un opéra créé le 06 décembre 1846  à la seconde salle Favart de l’Opéra Comique de Paris, et qui résonne en ce 14 juillet parisien avec le défilé militaire, ainsi que par son thème popularisé en 1966 par le film de Gerard Oury, ‘La Grande Vadrouille’

La grande scène de répétition au Palais Garnier où Louis de Funès incarnait le chef d’orchestre (imaginaire) Stanislas Lefort, est, en effet, restée inoubliable dans toutes les mémoires.

Marie-Laure Garnier chantant La Marseillaise

Marie-Laure Garnier chantant La Marseillaise

Ce soir, et en avant concert, le jeune pianiste sud-coréen Hyuk Lee, lauréat du concours international Long-Thibault 2022, se produit seul sur la scène du concert pendant 20 minutes.

Puis, Stéphane Bern, accompagné d’Ermonela Jaho et de Marie-Laure Garnier, lauréate du concours Voix des Outre-Mer 2019, présente le concert rediffusé en direct sur France Télévisions.

Des centaines de milliers de personnes venues seules, en famille ou entre amis, sont installées depuis des heures sur les pelouses du Champ-de-Mars, ce qui rend ce rendez-vous très intéressant afin de vivre la manière dont tout le monde va partager ces moments de musique classique joués en direct.

Il faut toutefois savoir que, contrairement aux téléspectateurs, le public présent n’entend pas la présentation des différents airs.

Maîtrise de Radio France - Les Moulins de Mon cœur

Maîtrise de Radio France - Les Moulins de Mon cœur

Et c’est à Francesco Demuro, venu à Paris pour chanter le rôle de Roméo dans ‘Roméo et Juliette’ joué en ce moment à l’Opéra Bastille jusqu’au 15 juillet, de faire l’ouverture de la retransmission. 

Il apparaît en cette fin de saison comme un véritable sauveur, car pour ceux qui s’en rappellent, il était allé remplacer Jonas Kaufmann à Londres le 01 juillet dernier dans ‘Werther’, alors qu’il venait, la veille, de faire son entrée sur la scène Bastille.

Et à nouveau ce soir, il remplace au dernier moment le ténor allemand qui a du annuler pour raison de santé.

Francesco Demuro - Nessun dorma

Francesco Demuro - Nessun dorma

Seul air de Giacomo Puccini que nous entendrons au cours du spectacle, ‘Nessun dorma’ est interprété avec style et douceur et aussi beaucoup de clarté dans la voix, ce qui en fait un prince très humble et lumineux. 

Pretty Yende, qui est la Juliette du ténor italien à l’opéra Bastille, et elle aussi venue au dernier moment pour faire revivre l’immortelle ‘Vie en rose’ d’Edith Piaf avec beaucoup de charme. Elle se permet même de rajouter une splendide coda lyrique à la fin de la chanson.

Pretty Yende - La Vie en rose

Pretty Yende - La Vie en rose

En Carmen, Stéphanie d’Oustrac se fait énormément plaisir en dépeignant un relief coquin, dangereux et sophistiqué pour la plus célèbre héroïne d’opéra du monde, et Ludovic Tézier, accompagné par un Orchestre national de France particulièrement luxuriant à ce moment précis, déploie avec intensité la stature d’Athanaël avec un air qui raconte comment sa ville d’origine, Alexandrie, l’a perverti.

Puis, l’irrésistible glamour d’Ermonela Jaho, qu’elle ornemente par des mouvements du corps souples et fortement courbés, tout en faisant entendre un timbre d’un velours noir très émouvant, ennoblit Adriana Lecouvreur en en faisant un portrait de diva lyrique de très grande classe.

Stéphanie d'Oustrac et Ermonela Jaho - La Barcarolle

Stéphanie d'Oustrac et Ermonela Jaho - La Barcarolle

Et avec ‘Summertime’, et surtout la Marseillaise qu’elle interprétera avec une voix très chaude et profonde en fin de concert, Marie-Laure Garnier impose une ampleur et une attitude plus solennelle, tout en faisant partager à tous son amour pour l’art du gospel.

Ermonela Jaho, Stéphanie d’Oustrac, Ludovic Tézier et Francesco Demuro reviendront ensuite dans des duos de Massenet, Offenbach et Verdi, ce qui nous permettra de profiter des jeux interactifs entre les artistes où se mêlent charme, soutien et confrontation.

Ludovic Tézier et Ermonela Jaho - Duo final de Thaïs

Ludovic Tézier et Ermonela Jaho - Duo final de Thaïs

Parmi les passages purement orchestraux, une rareté de la compositrice polonaise Grazyna Bacewicz, ‘Ouverture’, est jouée avec une verve trépidante comme s’il s’agissait de raconter une action scénique qui défile sans qu’aucune respiration ne soit possible.

Mais c’est sur la ‘Bacchanale’ de ‘Samson et Dalila’, menée avec un allant enthousiasmant et une très belle coloration, que l’on verra des spectateurs se laisser entraîner par les cadences orientalisantes.

Très forte impression également pour la ‘Rhapsodie sur un thème de Paganini’ de Rachmaninov, éblouissante par l’esprit fusionnel qui lie Daniil Trifonov à Cristian Măcelaru et l’Orchestre national de France.

Quant à Vilde Frang, c’est toute l’élégance d’un geste déterminé qu’elle exprime dans la ‘Symphonie espagnole’  d’Edouard Lalo.

Cristian Măcelaru et l'Orchestre national de France

Cristian Măcelaru et l'Orchestre national de France

Chœur de Radio France à son meilleur dans la 'Symphonie n°9' de Beethoven, Maîtrise de Radio France douce et apaisante, la rencontre avec un public qui, majoritairement, est peu habitué au répertoire classique, laisse aussi entrevoir qu’il y a forcément une ou plusieurs pièces musicales qui toucheront chacun des auditeurs, tant les styles proposés sont différents.

Hyuk Lee, Daniil Trifonov, Vilde Frang, Pretty Yende, Marie-Laure Garnier, Francesco Demuro, Ermonela Jaho, Cristian Măcelaru, Stéphanie d'Oustrac et Ludovic Tézier

Hyuk Lee, Daniil Trifonov, Vilde Frang, Pretty Yende, Marie-Laure Garnier, Francesco Demuro, Ermonela Jaho, Cristian Măcelaru, Stéphanie d'Oustrac et Ludovic Tézier

Cette soirée est aussi l'occasion d’une prouesse technique qui se traduit par une qualité de restitution musicale très appréciable en extérieur, et aussi par une grande complexité des jeux d’éclairages, surtout en fin de concert, quand la nuit est tombée. Au final, ce sont 3 260 000 téléspectateurs qui se sont retrouvés sur France Télévisions.

Le grand feux d’artifice final fait ainsi l’effet d’une bouteille de champagne que l’on ouvre pour célébrer haut en couleur ce grand hommage vivant offert à la musique classique.

Feux d'artifice du 14 juillet 2023

Feux d'artifice du 14 juillet 2023

Il est possible de revoir le Concert de Paris 2023 (jusqu'au 13 avril 2024) sous le lien suivant : le Concert de Paris 2023.

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Publié le 24 Février 2023

Leonard Bernstein / Jake Heggie / John Adams 
Concert du 23 février 2023
Auditorium de Radio France

Leonard Bernstein (1918-1990) : Candide, ouverture (1956)
Jake Heggie (né en 1961) : Camille Claudel : Into The Fire (2012)
John Adams (né en 1947 ) : Harmonielehre (1985)

Mezzo-soprano Joyce DiDonato
Direction musicale Pierre Bleuse
Orchestre National de France

 

Cette soirée du 23 février 2023 restera sans doute inoubliable pour le public de l’auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique au point que l’on peut déplorer qu’une plus grande publicité n'ait été faite pour ce concert 100 % américain qui méritait une salle comble.

Sous forme de mise en bouche, l’étincelante ouverture de ‘Candide’ de Leonard Bernstein est d’emblée une bouffée d’optimisme à l’effervescence bien rythmée qui laisse la plénitude du son s’épanouir, ce qui permet à Orchestre National de France d’offrir une première démonstration de l’ampleur de ses couleurs.

Joyce DiDonato

Joyce DiDonato

Magnifique et vêtue d’une robe aux reflets grenats et prompte à entrer dans les états d’âme recueillis de Camille Claudel, Joyce DiDonato fait une entrée chaleureuse et émue, sous les applaudissements du public mais aussi de Pierre Bleuse, car elle s’apprête à offrir à l’assistance, en première pour la France, son interprétation d’’Into The Fire’ dont elle avait assurée la première mondiale 11 ans plus tôt, le 04 février 2012, au Herbst Theater de San Francisco.

A ce moment là, Jake Heggie avait composé cet hommage à la muse de Rodin pour un quatuor à cordes, une forme plus intime et introspective que la version orchestrale jouée ce soir, dont l'arrangement fut achevé trois ans plus tard pour le Berkeley Symphony, en décembre 2014.

Sur des textes de Gene Scheer, auteur et compositrice américaine, les huit poèmes symphoniques racontent l’absence, l’attachement, le manque et des étreintes évanouies de la sculptrice, jusqu’au délire paranoïaque et la solitude de l’asile psychiatrique. 

Joyce DiDonato et Pierre Bleuse

Joyce DiDonato et Pierre Bleuse

L’amateur d’opéra ne peut s’empêcher de reconnaître, dès la première pièce intitulée ‘Rodin’, des réminiscences de la scène de la tour de ‘Pelléas et Mélisande’ qui reviendront à plusieurs reprises dans les autres passages. Le texte est d’ailleurs très explicite, peut-être par hasard, dans ‘La petite châtelaine’, lorsque sa mère évoque ses sorties la nuit par la fenêtre de la tour.

Mais on pense aussi au sentimentalisme du ‘Werther’ de Massenet dès le début, ou bien, dans ‘Shakuntala’, à un orientalisme mauresque où Joyce DiDonato fait une démonstration d’ornementations nuancées et de colorations passionnées d’une intensité fabuleuse. La tension corporelle qui l’anime atteint son paroxysme à ce moment précis. 

Joyce DiDonato

Joyce DiDonato

Et puis il y a aussi ces évanescences minimalistes qui évoquent les compositions de Philip Glass dans ‘The Gossip’, puis un retour, dans l’épilogue, à ce mélange subtil de romantisme et de symbolisme présent au début.

Cette très belle musique aux tissures délicates fait voyager, mais aussi fait progressivement remonter des émotions profondes dans un esprit de sérénité très mystérieux.

Applaudissements nourris, galvanisés par un spectateur, assis au parterre, très enthousiaste qui cherche à entraîner avec lui toute la salle, cette première partie est autant un hommage à Jake Heggie qu’à une artiste aussi merveilleuse et bienveillante que Joyce DiDonato.

L'Orchestre National de France

L'Orchestre National de France

Changement d’atmosphère en seconde partie, où Pierre Bleuse va se lâcher et électriser l’Orchestre national de France surmonté par une impressionnante rangée de percussions et de vibraphones.

‘Harmonielehre’ fut créée le 21 mars 1985 au Davies Hall de San Francisco. Cette symphonie en trois mouvements est née d’un rêve de John Adams, ce qui autorise pleinement l’auditeur à laisser courir son imagination sur une musique de conception minimaliste, mais qui s’ouvre sur des paysages grandioses et une ampleur d’où peuvent surgir des accélérations rythmiques qui catalysent une énergie phénoménale. 

Pierre Bleuse

Pierre Bleuse

Le chef d’orchestre français, qui dirigera l’Ensemble intercontemporain à partir de la saison prochaine, est impressionnant d’enthousiasme. Sens inné de la tension physique, drainé par une exaltation quasi hallucinée, il fait ressortir l’étrange dimension wagnérienne de l’œuvre d’autant plus aisément que l’Orchestre National de France en a l’envergure.

A plusieurs moments, le sentiment d’être aspiré dans un univers cosmique vertigineux devient très intense, et cette sensation nous fait perdre tous nos repères quand l’ivresse sonore l’emporte. Et visiblement, les musiciens sont eux-mêmes subjugués par ce véritable monstre musical qu’ils engendrent, respectant la complexe mécanique musicale tout en faisant s'enchevêtrer les multiples nappes sonores avec un art de la fusion splendide.

Un concert dont on sort estomaqué et heureux d’avoir été aussi submergé par une telle impression de grandiose et d’excès.

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Publié le 8 Octobre 2022

Concerto pour violon et Suite du Chevalier à la Rose – Orchestre National de France

Concert du 06 octobre 2022
Auditorium de Radio France

Johannes Brahms
Concerto pour violon et orchestre (1er janvier 1879 – Leipzig)

Jean Sébastien Bach
Fugue extraite de la Sonate n°1 en sol mineur (1720) 'bis'

Richard Strauss
Le Chevalier à la rose, nouvelle suite de Philippe Jordan et Tomáš Ille (05 octobre 1944 – New York / 06 octobre 2022 - Paris)

Direction musicale Philippe Jordan
Violon Antonio Stradivari ‘Lady Inchiquin’ 1711 Franz Peter Zimmermann
Orchestre National de France

Depuis le concert d’adieu joué le 02 juillet 2021 à l’Opéra Bastille, Philippe Jordan est totalement investi à ses projets avec l’Opéra de Vienne. Son retour à Paris est donc un évènement qui marque ses débuts avec l’Orchestre National de France.

Et dès son arrivée, sa joie de retrouver l’auditorium de Radio France où il avait enregistré ‘Siegfried’ en pleine période de confinement, le 06 décembre 2020, est évidente, tout autant que sont palpables la fébrilité et l’attention des auditeurs venus ce soir, parmi lesquels peuvent même être aperçues des personnalités liées à l’Opéra de Paris et son histoire.

Philippe Jordan - Suite du Chevalier à la Rose

Philippe Jordan - Suite du Chevalier à la Rose

En première partie de ce concert, le 'Concerto pour violon et orchestre', fruit de l’amitié entre Johannes Brahms et le violoniste Joseph Joachim, permet immédiatement de mettre en valeur la plénitude des bois et l’agilité homogène du geste orchestral toujours très caressante sous la baquette de Philippe Jordan.

Franz Peter Zimmermann ne tarde pas à devenir le point focal de l’œuvre par un jeu d’une vivacité acérée qui évoque, par la plasticité de ses traits d’ivoire effilés, un caractère chantant et bucolique très accrocheur. Il esquisse ainsi de véritables dessins d’art sonores avec une recherche d’authenticité et une dextérité inouïe, ce qui fait la force de ce grand artiste.

Et pour le plaisir, on retrouve ce mélange de finesse lumineuse et de rudesse mélancolique dans la fugue extraite de la 'Sonate pour violon n°1' de Jean-Sébastien Bach offerte en bis.

Franz Peter Zimmermann et Philippe Jordan - Concerto pour violon de Brahms

Franz Peter Zimmermann et Philippe Jordan - Concerto pour violon de Brahms

En seconde partie, c’est une nouvelle version de la 'Suite du Chevalier à la Rose’ que dirige Philippe Jordan, version qu’il a mis au point avec le musicologue tchèque Tomáš Ille pour augmenter sa dimension symphonique. Ainsi, de 25 minutes pour la version originale exécutée la toute première fois par Artur Rodziński à New-York en 1944, cette nouvelle version passe désormais à 40 minutes de luxuriance exacerbée.

Le résultat est que les spectateurs de l’auditorium de Radio de France vont vivre un moment absolument éblouissant avec l’Orchestre National de France, à travers une interprétation d’une ampleur prodigieuse, enlevée par un déferlement sonore d’une vitalité souriante empreinte de jaillissements de couleurs et d’éclats fulgurants. Les passages les plus intimes, comme à l’arrivée de Sophie, sont transcrits avec une clarté et une douceur irrésistibles, et point également une ébullition tout en retenue – très belle finesse qu’il obtient du premier violon - qui magnifie la délicatesse des instrumentistes.

Philippe Jordan - Suite du Chevalier à la Rose

Philippe Jordan - Suite du Chevalier à la Rose

Puis, Philippe Jordan laisse extérioriser l’enthousiasme qui l’anime intrinsèquement, et il le transmet au public avec énormément de générosité, d’autant plus que ‘Der Rosenkavalier’ est un opéra qui s’associe avec beaucoup d’évidence à sa personnalité, ce qui est d’autant plus sensible dans cette symphonie issue de sa propre conception.

Philippe Jordan et les musiciens de l'Orchestre National de France

Philippe Jordan et les musiciens de l'Orchestre National de France

L’échange fait de joie et d’admiration entre lui et les musiciens, lisible au moment des saluts, n’en est que plus réjouissant à admirer.

Ce concert, diffusé en direct sur France Musique, peut être réécouté sous le lien suivant et permet également d'écouter les inteviews des artistes:
Brahms et Strauss par Frank Peter Zimmermann et l'Orchestre National de France dirigé par Philippe Jordan

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Publié le 10 Avril 2022

Thaïs (Jules Massenet – 1894)
Version de concert du 09 avril 2022
Théâtre des Champs-Élysées

Thaïs Ermonela Jaho
Athanaël Ludovic Tézier
Nicias Pene Pati
Palémon Guilhem Worms
Crobyle Cassandre Berthon
Myrtale Marielou Jacquard
Albine Marie Gautrot
Un serviteur Robert Jezierski

Direction musicale Pierre Bleuse
Orchestre National de France et Chœur de Radio France

Diffusion sur France Musique le 11 juin 2022 à 20h

                                               Ermonela Jaho (Thaïs)

 

Après ‘Manon’ donné en version de concert le 15 septembre 2021, le Théâtre des Champs-Élysées poursuit ce qui pourrait bien ressembler à un cycle Jules Massenet en présentant ce soir ‘Thaïs’, alors que sont déjà annoncés pour la saison prochaine deux autres ouvrages plus rares, ‘Hérodiade’ et ‘Grisélidis’. Et avec les représentations scéniques de ‘Cendrillon’ qui ont lieu au même moment à l’Opéra Bastille, les amoureux du compositeur français peuvent s’estimer comblés.

Ermonela Jaho (Thaïs)

Ermonela Jaho (Thaïs)

Créé au Palais Garnier le 16 mars 1894, mais remanié à plusieurs reprises pour aboutir à une version définitive le 13 avril 1898, ‘Thaïs’ est à ce jour le plus grand succès de Jules Massenet à l’Opéra de Paris où il fut joué plus de 650 fois jusqu’au milieu des années 1950. Le livret basé sur le roman éponyme d'Anatole France s’inspire de la légende de la pécheresse d’Égypte du même nom qui fut convertie par l’ermite Paphnuce, et dont on peut admirer un tableau de Philippe de Champaigne au Musée du Louvre ‘Paphnuce libérant Thaïs’ (1656).

‘Paphnuce libérant Thaïs’ de Philippe de Champaigne (1656) - © 2011 RMN-Grand Palais (Musée du Louvre)

‘Paphnuce libérant Thaïs’ de Philippe de Champaigne (1656) - © 2011 RMN-Grand Palais (Musée du Louvre)

Pour rendre justice à cette partition qui a repris de la vigueur au cours des années 2000 grâce à l’interprétation de Renée Fleming, la distribution réunie ce soir fait appel aux grands interprètes du répertoire français d’aujourd’hui que sont Ludovic Tézier (‘Werther’ et ‘Manon’ à l’Opéra Bastille, ‘Thaïs’ à l’Opéra de Monte Carlo et ‘Hamlet’ la saison prochaine à l’Opéra Bastille), Ermonela Jaho (‘Les Huguenots’ et ‘Faust’ à l’Opéra Bastille) et Pene Pati (éblouissant Roméo de ‘Roméo et Juliette’ de Charles Gounod à l’Opéra Comique’), garants d’une réussite qui repose aussi sur les qualités stylistiques de l’Orchestre National de France.

Pene Pati (Nicias) et Ludovic Tézier (Athanaël)

Pene Pati (Nicias) et Ludovic Tézier (Athanaël)

Avec son timbre âpre dont il creuse les effets caverneux de manière expansive, Guilhem Worms incarne un Palémon ambigu de par le contraste entre l’austérité vocale de son rôle et sa jeunesse d’âge, surtout quand il se tient auprès de Ludovic Tézier. Ce dernier est renforcé dans sa stature statique par le format qu'impose la version de concert avec partition, mais il donne beaucoup de conviction à ses sentiments profonds au fil de la représentation en extériorisant de plus en plus son chant sombre et minéral dont il révèle des clartés sévères quand il en accroît la puissance. 

Ludovic Tézier (Athanaël)

Ludovic Tézier (Athanaël)

Ermonela Jaho, elle, débute par un surjeu du caractère hautain et presque dédaigneux de Thaïs pour verser progressivement dans un dramatisme viscéral qui la rend si émouvante quand elle prolonge son vécu intérieur par une gestuelle ornementale impliquant tout son corps qui sied énormément à l’orientalisme raffiné de la musique. Et son chant est magnifiquement souple et délié avec une finesse spectaculaire quand ses aigus aux contours voilés et très agréablement vibrés se déploient à en serrer le cœur de plus d’un auditeur. Ce don émotionnel qu’elle a à faire vivre ses personnages en faisant ressortir les nœuds de l'âme les plus douloureux jusqu'à travers son regard est irrésistiblement attachant.

Marielou Jacquard, Cassandre Berthon, Marie Gautrot, Guilhem Worms, Pene Pati, Ludovic Tézier et Ermonela Jaho

Marielou Jacquard, Cassandre Berthon, Marie Gautrot, Guilhem Worms, Pene Pati, Ludovic Tézier et Ermonela Jaho

Quant à Pene Pati, sidérant de naturel et d’immédiateté dans le rendu du texte chanté, il a le rayonnement de la jeunesse, les charmes d’une diction parfaite et d’une clarté riante où tout paraît facile, ce qui valorise formidablement Nicias.

Tous les personnages qui entourent les chanteurs principaux sont également très bien rendus, qu’il s’agisse de l’Albine introvertie de Marie Gautrot ou des esclaves rayonnantes de Cassandre Berthon et Marielou Jacquard, et l’Orchestre National de France mené par un Pierre Bleuse enthousiaste et effronté donne du corps qui induit une grande proximité à la musique tout en réussissant à créer une unité harmonique qui dégage une lumière frémissante et une souplesse de mouvement dont on s’imprègne facilement. Et le souffle du chœur se fond dans cet ensemble avec un charme discret. 

Une interprétation de grande valeur dont le ravissement de tous est la récompense.

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Publié le 12 Février 2018

Dialogues des Carmélites (Francis Poulenc)
Représentation du 07 février 2018
Théâtre des Champs-Élysées

Blanche de la Force Patricia Petibon 
Mère Marie de l’Incarnation Sophie Koch 
Madame Lidoine Véronique Gens

Sœur Constance Sabine Devieilhe 
Madame de Croissy Anne Sofie von Otter 
Le Chevalier de la Force Stanislas de Barbeyrac 
Le Marquis de la Force Nicolas Cavallier 
Mère Jeanne de l’Enfant Jésus Sarah Jouffroy 
Sœur Mathilde Lucie Roche 
Le Père confesseur du couvent François Piolino 
Le premier commissaire Enguerrand de Hys 
Le second commissaire Arnaud Richard
Le médecin, le geôlier Matthieu Lécroart 

Direction musicale Jérémie Rhorer                               Véronique Gens (Madame Lidoine)
Mise en scène Olivier Py
Orchestre National de France
Chœur du Théâtre des Champs-Elysées
Ensemble Aedes

Michel Franck, le directeur du Théâtre des Champs-Élysées, confiait l'année dernière à ces abonnés qu'il avait hésité à rejouer Dialogues des Carmélites dans la production d'Olivier Py, tant son interprétation en décembre 2013 avait marqué les esprits.

Sabine Devieilhe (Sœur Constance) et Patricia Petibon (Blanche de la Force)

Sabine Devieilhe (Sœur Constance) et Patricia Petibon (Blanche de la Force)

En effet, la volonté du metteur en scène d'unir deux de ses univers personnels, la foi et le théâtre, aurait pu aboutir à une surcharge baroque, mais en ce théâtre de l'avenue Montaigne, c'est un spectacle d'une fluidité cinématographique lisible, souvent noir-de-gris mais riche en contrastes d'ombres et de lumières, qui se déroule en passant d'un monde à un autre à travers des scènes visuellement très fortes : la chambre mortuaire de la prieure, terrifiante dans sa solitude, les évocations de tableaux religieux à partir de symboles simples et naïfs découpés dans un bois pâle, la forêt et ses mystères, ou bien l'envol final des âmes vers l'infini de l'univers.

Anne Sofie von Otter (Madame de Croissy)

Anne Sofie von Otter (Madame de Croissy)

Et la distribution réunie pour cette reprise, un mois après les représentations bruxelloises, offre à nouveau un ensemble de portraits vocaux qui particularise clairement chaque personnalité.

Sophie Koch, en mère Marie, représente la fermeté, un timbre mat et une projection homogène d'un affront autoritaire un peu dur mais naturellement noble, Véronique Gens, en Madame Lidoine, laisse transparaître plus de sensibilité et de doute, mais rejoint également la sévérité de Marie, et Anne Sofie von Otter, surprenante madame de Croissy à l'aigu clair et chantant, retrouve dans les graves ce grain vibrant qui la rapproche si intimement de notre cœur.

Ce balancement vocal entre lumière d'espoir et sursauts de peur a alors pour effet d'adoucir l'effroi radical qui émane habituellement de la première prieure.

Sophie Koch (Mère Marie de l’Incarnation) et Patricia Petibon (Blanche de la Force)

Sophie Koch (Mère Marie de l’Incarnation) et Patricia Petibon (Blanche de la Force)

Les deux plus jeunes femmes, sœur Constance et Blanche-de-la-Force, rappellent naturellement d'autres portraits de sœurs ou cousines fort liées mais aux tempéraments opposés. Sabine Devieilhe joue ainsi une personnalité pleine d'élan piquant et exalté avec l'entière fraicheur pure d'une voix venue d'un ciel sans nuage.

Et Patricia Petibon, lunaire et hors du temps, incarne de façon plus complexe une innocente et enfantine Blanche, comme si sa force intérieure s'imposait avec une sincérité totalement désarmante. Très grande impression de conscience humaine par ailleurs dans son dialogue avec Constance.

Nicolas Cavallier (Le Marquis de la Force)

Nicolas Cavallier (Le Marquis de la Force)

Quant aux rôles masculins, entièrement renouvelés, ils bénéficient de deux grands représentants du chant français racé, Stanislas de Barbeyrac, mature et d'une stature sérieuse qui inspire un sens du devoir fortement affirmé, et Nicolas Cavallier, dans une veine semblable mais d'une tessiture plus sombre.

Pour réussir à ce point à immerger l'auditeur dans un univers sonore stimulant, recouvrir de couleurs superbement chatoyantes le tissu orchestral, tout en atteignant une fluidité saisissante qui rejoint l'inspiration musicale mystique d'un Modest Moussorgsky, l'Orchestre National de France et Jérémie Rhorer semblent comme emportés par un geste réflexif voué à une beauté élancée et des effets d'envoutement inoubliables.

Stanislas de Barbeyrac (Le Chevalier de la Force)

Stanislas de Barbeyrac (Le Chevalier de la Force)

Et le chœur du théâtre associé à l'ensemble Aedes, ne fait qu'ajouter élégie et sérénité à cette composition impossible à abandonner un seul instant.

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Publié le 15 Juillet 2017

Le Concert de Paris au Champ-de-Mars
Concert du 14 juillet 2017 (5ème édition)
Champ-de-Mars - Paris

Hector Berlioz – La Damnation de Faust : Marche Hongroise
Giacomo Puccini – Gianni Schicchi : « O mio babbino caro » [Nadine Sierra]
Giuseppe Verdi – Rigoletto : « La donna è mobile » [Bryan Hymel]
Serge Prokofiev – Roméo et Juliette : « Danse des Chevaliers »
Wolfgang Amadé Mozart – Don Giovanni : « Deh vieni alla finestra » [Ludovic Tézier]
Wolfgang Amadé Mozart – Don Giovanni : « Fin ch’han dal vino » [Ludovic Tézier]
Charles Gounod – Roméo & Juliette : « Je veux vivre » [Diana Damrau]
Nikolaï Rimsky-Korsakov – La Fiancée du Tsar : « La chanson du houblon »
Charles Gounod – Sapho : « O ma lyre immortelle » [Anita Rachvelishvili]
Johannes Brahms – Double concerto : « Vivace non troppo » (3e mvt) [Gautier et Renaud Capuçon]
Dmitri Kabalevsky / Andrew Cottee – « Bonne Nuit »
Ruggero Leoncavallo – Pagliacci : « Vesti la Giubba » [Bryan Hymel]
Dmitri Chostakovitch – Suite de Jazz n°2 : « Valse n°2 »
Léo Delibes – Lakmé : « Duo des fleurs » [Nadine Sierra et Anita Rachvelishvili]
Richard Strauss – Morgen [Diana Damrau et Renaud Capuçon]
Vangelis / Don Rose – « Les Chariots de feu » (version pour piano et orchestre)
Giacomo Puccini – La Bohème : « O soave fanciulla » [Nadine Sierra et Bryan Hymel]
Modeste Moussorgsky / Maurice Ravel – Les Tableaux d’une exposition : « La grande porte de Kiev »
Giuseppe Verdi – Don Carlo : « E lui !... desso ! ... » [Bryan Hymel et Ludovic Tézier]
Georges Bizet – Carmen : « Les voici la quadrille ! »
Hector Berlioz / Claude Joseph Rouget de Lisle – La Marseillaise (couplets n°1 et 2)

Avec Diana Damrau, soprano, Nadine Sierra, soprano, Anita Rachvelishvili, mezzo-soprano, Bryan Hymel, ténor, Ludovic Tézier, baryton, Renaud Capuçon, violon, Gautier Capuçon, violoncelle                            

Direction musicale Valery Gergiev
Chœur et Maîtrise de Radio France
Orchestre National de France

Coproduction La Mairie de Paris, France Télévisions et Radio France 

Faire entendre un concert de musique classique en plein air face à 500 000 spectateurs installés et entassés depuis plusieurs heures sur les pelouses du Champ-de-Mars, afin d’être aux premières loges du feu d’artifice, est une ambition démesurée qui pourrait sembler dommageable à la finesse d’écriture des airs interprétés par ces chanteurs qui sont tous des références mondiales du chant lyrique.

Anita Rachvelishvili et Nadine Sierra  : Léo Delibes – Lakmé « Duo des fleurs »

Anita Rachvelishvili et Nadine Sierra : Léo Delibes – Lakmé « Duo des fleurs »

Et pourtant, suivre les artistes depuis les allées boisées latérales, tout en observant une foule hétéroclite, bruyante, agitée, impatiente ou parfois concentrée, qui réunit l’ensemble de la société française dans toute sa diversité, a quelque chose de particulièrement fort qui ne nuit même pas à l’imprégnation de la musique, car c’est le sentiment de partage qui l’emporte haut-la-main.

Ainsi, peut-on voir, perchée sur les épaules de son père, une petite fille mimer à tue-tête Bryan Hymel chantant l’air du Duc de Mantoue ‘La donna è mobile !’ - le ténor canadien fait très forte impression ce soir, y compris dans l'air poignant d'I Pagliacci -, ou bien des jeunes enfants marquer du pied les cadences de la ‘Danse des Chevaliers’ de Roméo et Juliette.

Sur l'air 'La Donna è mobile' chanté par Bryan Hymel

Sur l'air 'La Donna è mobile' chanté par Bryan Hymel

Anita Rachvelishvili doit, certes, supporter le passage d’un hélicoptère au début de son air sombre ’ O ma lyre immortelle’, mais c’est radieuse qu’on la retrouve avec Nadine Sierra dans l’enjôleur ‘Duo des fleurs’, voix doucereusement mêlées, pour achever les dernières paroles en se détachant, toutes deux, de l’avant-scène, les regards magnifiquement complices.

Quant à Diana Damrau, exubérante et extravertie, elle laisse en mémoire une interprétation lumineuse et recueillie de ‘Morgen’, totalement aérienne, et Ludovic Tézier, d’allure la plus sérieuse, se prête au jeu de Don Giovanni sans réserve.

Chœur et Maîtrise de Radio France et Orchestre National de France

Chœur et Maîtrise de Radio France et Orchestre National de France

Valery Gergiev, fier de parsemer le concert de musiques signées par les plus grands compositeurs russes,  Prokofiev, Chostakovitch, Rimsky-Korsakov, Moussorgsky, trouve donc en l’Orchestre National de France un grand vecteur qui porte brillamment l’essence même de la culture de sa nation. 

Ce concert, qui a réuni 3 088 000 téléspectateurs, peut être revu sur Culturebox - Le Concert de Paris.

Nadine Sierra, Bryan Hymel, Valery Gergiev, Diana Damrau, Ludovic Tézier, Anita Rachvelishvili

Nadine Sierra, Bryan Hymel, Valery Gergiev, Diana Damrau, Ludovic Tézier, Anita Rachvelishvili

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Publié le 16 Mai 2016

Tristan et Isolde (Richard Wagner)
Représentations du 12 & 15 mai 2016
Théâtre des Champs-Elysées

Tristan Torsten Kerl
Isolde Rachel Nicholls
Brangäne Michelle Breedt
Le Roi Marke Steven Humes
Kurwenal Brett Polegato
Melot Andrew Rees
Un Marin Marc Larcher
Un timonier Francis Dudziak

Direction musicale Daniele Gatti
Mise en scène Pierre Audi
Orchestre National de France                                         Rachel Nicholls (Isolde)

Coproduction avec le Stichting Nationale Opera & Ballet-Amsterdam et la Fondazione Teatro dell’Opera di Roma

Depuis la production du 'Ring' de Daniel Mesguish en 1988, plus aucun opéra de Richard Wagner n’avait été monté au Théâtre des Champs Elysées en version scénique, seuls l’Opéra Bastille et le Théâtre du Châtelet ayant, depuis, accueilli nombre de mises en scène des œuvres du compositeur allemand.

C’est donc, pour les plus jeunes wagnériens, la première fois qui leur est donnée d’entendre l’atmosphère de sa musique affleurer la fosse d’orchestre devant une interprétation théâtrale sur cette scène.

Et cette expérience se double d’une interprétation musicale qui est la véritable innovation de ce spectacle.

Rachel Nicholls (Isolde) et Torsten Kerl (Tristan)

Rachel Nicholls (Isolde) et Torsten Kerl (Tristan)

Car Daniele Gatti n’a pas choisi de déployer l’Orchestre National de France de façon à envelopper les auditeurs dans ce flot prenant qui les transporte au-delà même de ce que vivent les personnalités de ce drame, comme l’avait fait Philippe Jordan avec beaucoup d’exubérance à lOpéra de Bavière l’été dernier, mais, au contraire, d’intégrer le discours musical au sens des mots et aux vibrations des corps.

En épousant ainsi la respiration des chanteurs et leurs variations de rythme, notre attention ne se porte donc plus sur nos propres sensations de résonnance au flux orchestral, mais sur le détail de ses sonorités, les magnifiques arabesques des bois, la chatoyance du métal des cordes, les textures plus rêches qui décrivent les instants de solitude, la finesse des tissures vibrantes.

Rachel Nicholls (Isolde) et Michelle Breedt (Brangäne)

Rachel Nicholls (Isolde) et Michelle Breedt (Brangäne)

Wagner n’a plus rien d’illusoire ou d’intimidant, ses silences font sens, et le drame devient terrestre et humain. L’intérêt musical et donc en permanence renouvelé, et le mystère est que l’on ne saisit pas entièrement ce qu’il y a d’inhabituel dans cette façon de ne pas submerger la scène.

Et quand la direction d’acteur de Pierre Audi veut bien accorder le geste sur le sens de la musique, cela donne de furtives images sensibles et touchantes.

Tristan et Isolde (T.Kerl-R.Nicholls-D.Gatti-P.Audi) Champs-Elysées

Dans ce spectacle, il choisit en effet de situer les trois actes dans trois décors qui suggèrent le désenchantement et la mort, de vieilles parois de bronze rouillées par le temps pour le premier, une forêt de troncs courbés évoquant un squelette à demi enterré pour le second, un vieil abris sur une île désolée pour le dernier, dans une ambiance lumineuse de contre-jour qui a le pouvoir pacifiant des lumières de théâtre de Robert Wilson, le célèbre plasticien texan.

Peu signifiant dans les choix de postures qu’il impose à Tristan et Isolde, il met en revanche très bien en valeur les rôles de Brangäne et Kurwenal et leur impuissance à saisir celle et celui qu’ils aiment.

Torsten Kerl (Tristan)

Torsten Kerl (Tristan)

Le Roi Marke, lui, est celui qui perd le plus en stature, car ni Daniele Gatti ne dramatise à outrance son intervention, ni Steven Humes n’idéalise sa douloureuse peine. Le timbre clair, frappant, a en effet des accents vrais et mordants comme si Marke avait perdu son âme, et n’avait conservé que sa hargne.

Andrew Rees (Melot) et Steven Humes (le Roi Marke)

Andrew Rees (Melot) et Steven Humes (le Roi Marke)

Michelle Breedt, en servante d’Isolde, fait aussi une forte impression par l’expressivité dramatique de son chant. Elle est ici bien plus à l’aise que dans la production de Peter Konwitchny à Munich où elle accompagnait Waltraud Meier pour ses adieux au rôle de la fille du Roi d’Irlande.

Son second appel n’est cependant que finement perceptible, mais peut-être est-ce un choix de mise en scène…

Michelle Breedt (Brangäne)

Michelle Breedt (Brangäne)

Brett Polegato, en Kurwenal, a lui aussi une présence accrocheuse, une couleur vocale plus sombre que celle du Roi Marke, mais une même tonalité presque animale qui donne une forte densité théâtrale à son personnage. Il peut être méchant, et pas seulement compatissant.

Les deux rôles principaux sont cependant étonnants par la nature atypique de leur timbre et leur saisissante endurance.

Torsten Kerl (Tristan)

Torsten Kerl (Tristan)

Rachel Nicholls est en effet une Isolde d’une jeunesse totalement inhabituelle. Elle a la vaillance d’une Walkyrie et l’humilité d’une Jeanne d’Arc. Sa voix présente des aspérités froides, mais ses aigus perçants sont sans faille. D’une totale absence de noirceur, elle dépeint une Isolde très ambigüe, absolument pas impériale, qui peut avoir la naïveté d’une Juliette, mais aussi une fermeté de stature.

Rachel Nicholls (Isolde)

Rachel Nicholls (Isolde)

A ses côtés, mais dans un autre monde, Torsten Kerl se départit de sa tenue rigide et conventionnelle du premier acte pour révéler le chanteur que l’on aime en lui, une tendresse placide qui surgit de cette émission homogène et plaintive, et qui se nourrit d’une tessiture sombre et introspective d’où d’insolents aigus adolescents viennent prouver sa force.

Ce qui est très touchant chez ces deux chanteurs, est qu’ils n’ont rien d’impressionnant en apparence, et qu’ils viennent pourtant à bout d’une tension redoutable.

Torsten Kerl, Daniele Gatti et Rachel Nicholls

Torsten Kerl, Daniele Gatti et Rachel Nicholls

Ce spectacle intelligemment construit, très bien inter-pénétré musicalement entre chanteurs et musiciens, et qui valorise le raffinement et l’intimité de l’écriture de Wagner, mérite amplement l’écoute silencieuse et captivée que lui a manifesté un public dont la jeunesse était visible.

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Publié le 5 Mai 2015

Macbeth (Giuseppe Verdi)
Représentation du 04 mai 2015
Théâtre des Champs-Élysées

Macbeth Roberto Frontali
Lady Macbeth Susanna Branchini
Banco Andrea Mastroni
Macduff Jean-François Borras
Malcolm Jérémy Duffau
Dama di Lady Macbeth Sophie Pondjiclis
Servo / Araldo Grégoire Guerin
Medico Patrick Ivorra
Duncan / Messager Georges Blanches
Fleance Alex Gallais

Mise en scène Mario Martone
Décors et costumes Ursula Patzak
Lumières Pasquale Mari

Direction Musicale Daniele Gatti
Orchestre National de France
Chœur de Radio France
                                                  Roberto Frontali (Macbeth)

Coproduction Radio France 

Quelques jours après la dernière représentation de ‘Macbeth’ à l’opéra d’Amsterdam qui, malheureusement, n’a pas bénéficié d’une mise en scène convaincante, le Théâtre des Champs Élysées en présente à son tour une nouvelle production.

La direction scénique est cette fois confiée au cinéaste Mario Martone, dont le dernier film, ‘Leopardi, Il giovane favoloso’, est sorti en salle il y a à peine un mois. Ainsi, après avoir révélé la vie du plus grand poète de l’Italie du XIXe siècle, il s’empare d’une des œuvres née d’un éclat de génie du grand compositeur italien de ce même XIXe siècle, Giuseppe Verdi.

Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Sa conception symbolique peut, au premier abord, apparaître comme un contrepied aux lectures modernes et souvent violentes de ces dernières années – Dmitri Tcherniakov à l’Opéra Bastille, Martin Kusej au Staatsoper de Munich et, surtout, l’inoubliable et fantastique mise en scène de Krzysztof Warlikowski à la Monnaie de Bruxelles. Elle va se révéler, pourtant, d’une fascinante sobriété propre à humaniser chacun des rôles, même les plus secondaires.

Chaque scène est donc dépeinte au centre d’un tableau ceint d’un abysse scénique obscur et subtilement éclairci.

Les sorcières en haillons, le (vrai) cheval du messager, noir, et celui du Roi Duncan, blanc, les trônes d’argent symboles du pouvoir, le grand miroir incliné narcissique et reflet de l’avenir, la longue table du banquet, les cadres de portes qui dessinent des issues vers l’inconnu, posent les éléments essentiels de la tragédie de Shakespeare.

Les somptueux costumes d'Ursula Patzak nous remémorent, inévitablement, les images d'une époque où Renato Bruson était le Macbeth de référence.

Les protagonistes entrent par les portes d'avant-scène, mais s'évanouissent dans les ombres de l'arrière-scène.

Roberto Frontali (Macbeth)

Roberto Frontali (Macbeth)

A ce décor qui canalise l’attention du spectateur dans un monde de plus en plus introspectif, Mario Martone incruste judicieusement plusieurs séquences vidéographiques – le fantôme enflammé de Banquo, la forêt de Birnam à laquelle se mêlent le chœur et la cérémonie d’enterrement des enfants de Macduff, le défilé des fils-rois de Banquo -, évitant habilement toute figuration incongrue.

Extraite d’un de ses courts métrages, ‘La meditazione di Hayez’ accompagne enfin, en prélude, la scène de somnambulisme. Lady Macbeth n’a plus qu’à prolonger la belle chorégraphie hors-du-temps de Raffaella Giordano, qui éveille la compassion du spectateur à l’égard de la meurtrière par procuration.

Andrea Mastroni (Banquo) et Alex Gallais (Fleance)

Andrea Mastroni (Banquo) et Alex Gallais (Fleance)

En introduction de cet univers clos, l’intensité très mesurée de l’Orchestre National de France, en apparence excessivement contrôlée par Daniele Gatti, s’écarte des lectures spectaculaires que l’on a pu notamment entendre de la part de chefs tels Teodor Currentzis, à Paris et Munich, ou de Claudio Abbado, au disque.

Mais l’on se rend très vite compte que cette tonalité chambriste concourt à un climat d’ensemble qui resserre encore plus le drame sur la tragédie intérieure des acteurs, et non sur les grands élans épiques. Cet orchestre est en effet celui qui a interprété ‘Parsifal’ dans cette même salle, et qui y interprétera ‘Tristan et Isolde’ la saison prochaine.

Roberto Frontali (Macbeth)

Roberto Frontali (Macbeth)

On découvre donc avec quelle flexibilité il peut modifier sa texture, pour faire ressortir les moindres vibrations naturelles, presque brutes, de chaque instrument, peindre avec finesse les moindres inflexions poétiques et pathétiques, et empreindre ce chef-d’œuvre d’un charme suranné qui met en valeur sa psychologie musicale.

Daniele Gatti allonge les tempi, mais ne lâche pas la bride non plus quand il s’agit de donner de l’impulsion au drame, laissant à peine un motif s’achever pour tisser une nouvelle trame encore plus dynamique.

On aurait alors envie d’entendre cette interprétation dans un théâtre italien, tel celui de Parme ou de Busseto, afin que la correspondance avec l’esprit du compositeur soit totale, bien que la version de ‘Macbeth’ choisie aujourd'hui, la plus communément représentée, soit celle que Verdi réécrivit en partie pour l’Opéra de Paris, en y ajoutant des effets impressionnants.

Roberto Frontali (Macbeth) et Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Roberto Frontali (Macbeth) et Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Cette version (1865) est par ailleurs rendue intégralement ce soir, hormis le ballet des sorcières prévu avant que Macbeth ne vienne les revoir, le chœur des Sylphes étant, lui, conservé.

Dans le même esprit, le chœur de Radio France enlaidit volontairement ses voix féminines pour incarner la méchanceté sauvage des sorcières, et ne retrouver une humanité intègre que dans les scènes populaires, depuis la soirée festive au château du seigneur d’Ecosse jusqu’à la déploration dans la forêt. Et la marche finale, sans la moindre pompe, laisse une dernière empreinte belle par sa justesse et sa dignité.

Et l’on mesure avec quel sens de l’unité les solistes ont été choisis pour incarner tous ces personnages.

Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Susanna Branchini (Lady Macbeth)

La Lady Macbeth de Susanna Branchini a, à la fois, des accents complexes et torturés, de belles lignes longues et sombres dans les aigus, une diction incisive, et des couleurs nettement plus confidentielles dans les graves.

Et si elle se ménage dans les suraigus, aux deux premiers actes, elle compose une fascinante scène de somnambulisme tout en nuances et notes filées, comme si son âme s’évanouissait dans la nuit. Au cours de ce dernier passage, l’Orchestre National de France l’accompagne avec une lenteur déchirante qui fait ressortir ce que la musique de Verdi contient en prémisses du futur 3ème acte de ‘Traviata’ composé six ans après sa première version de ‘Macbeth’ (1847).

Son jeu reste parfois empreint de conventions, les notes pointées s’accompagnent d’à-coups physiques, mais un sang bouillonnant coule dans les veines de cette grande artiste italienne aux origines caribéennes, et on le ressent dans les intonations de sa voix.

Roberto Frontali (Macbeth) – scène des sorcières, Acte III

Roberto Frontali (Macbeth) – scène des sorcières, Acte III

Et le courant passe bien avec son partenaire, Roberto Frontali. Ce baryton clair, dont le timbre rappelle la présence de José Van Dam, exprime des états d’âmes attendrissants que l’on pourrait retrouver dans la figure damnée et paternelle de Rigoletto. Ses déchirements intérieurs le poussent également à prendre des risques en anticipant des attaques – comme celui succédant au ballet des Sylphes – qu’il réussit alors à tenir et amplifier pour laisser le temps à l’orchestre de le rejoindre dans une même communion musicale. Impulsivité, puissance, terreurs maîtrisées, accélérations subites pour ne rien relâcher en tension, ce chanteur est, en effet, un acteur de la musique.

Nettement plus en retrait, et bien qu’il ne fasse de Banco une antre de sonorités inquiétantes, Andrea Mastroni soigne, en revanche, la musicalité de ce rôle souvent confié à des basses volumineuses. Son doux air d’adieu à Fleance, avant de trouver la mort, prend inévitablement une pudeur résignée.

Chœur de Radio France (Ballet des Sylphes)

Chœur de Radio France (Ballet des Sylphes)

Quant à Jean-François Borras, au cœur de la forêt de cendres stylisée, il interprète une déploration magnifiquement chantée, dans la même tonalité, quasi-religieuse, du chœur.

Et chacun aura été impressionné par la dimension nobiliaire de Sophie Pondjiclis, qui hisse la Dama di Lady Macbeth au niveau des couleurs vocales de la princesse Eboli (‘Don Carlo’),

Jérémy Duffau (Malcolm) et Patrick Ivorra (Le Médecin) participent, eux-aussi, à l’équilibre de cette composition vocale réussie.

Un Verdi au surnaturel atténué, tourné vers l’intimité et l’enfermement de ses personnages, une pénombre omniprésente et une peinture musicale qui s’approfondit au cours de la soirée, voilà ce que l’on a entendu avec un recueillement presque trop serein face à la tragédie humaine racontée sur scène.

 

Retransmission de la dernière représentation du samedi 16 mai sur France Musique dès 19h.

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Publié le 19 Novembre 2011

Oberto (Verdi)
Version de concert du 17 novembre 2011
Théâtre des Champs Elysées

Riccardo Valter Borin
Cuniza Ekaterina Gubanova
Leonora Maria Guleghina
Oberto Michele Pertusi
Imelda Sophie Pondjiclis

Direction Carlo Rizzi
Orchestre National de France
Chœur de Radio France

 

                                                                                                    Ekaterina Gubanova (Cuniza)

Il y a une émotion particulière à entendre le tout premier ouvrage de Verdi, une émotion que l'on ne peut ressentir de la même manière à l'écoute des premiers opéras de Mozart ou Wagner.

Car Oberto résonne comme le cœur vital fougueux, traversé d'allégresses mélancoliques, religieusement croyant, et appesanti par l'honneur et l'autorité du père, que l'on va retrouver dans toutes les œuvres suivantes, au fur et à mesure que l'écriture musicale va se complexifier pour approcher la vérité des expressions humaines.
La toile de fond historique, même si elle n'a aucune importance pour ce drame sentimental, se réfère à l'occupation de l'Italie du Nord par le Saint Empire Germanique au XIIIème siècle, et porte ainsi, dans son subconscient, les germes patriotiques que Verdi cherchera à amplifier plus tard.

L’Orchestre National de France, conduit pas un Carlo Rizzi conventionnel mais qui maintient une unité d’ensemble vivante et sans déséquilibre avec le chœur, réussit à créer le climat à la fois intime et énergique de cette musique qui berce et allège le cœur, sans être totalement exempt de petites fragilités.

Maria Guleghina (Leonora)

Maria Guleghina (Leonora)

La présence de Maria Guleghina sur une scène parisienne est un petit évènement en soi, elle que l’on n’a plus admirée depuis Attila à l’Opéra Bastille en 2002. La soprano ukrainienne résiste aux rôles meurtriers d’Abigaille, Lady Macbeth, Turandot et Adrienne Lecouvreur, et le galbe de son timbre évoque toujours une sensualité noire et un peu animale. 
Elle se permet même de chanter des suraigus qui ne sont pas exigés par la partition, ce qui laisse supposer qu’elle exploite une capacité physique qui lui est propre. Elle connait son aisance et son impact dans ces suraigus, ne réussit peut être pas aussi bien les notes situées juste en dessous, ce qui pourrait expliquer ce besoin de dépasser le niveau d'écriture pour exprimer avant tout sa propre personnalité
C’est très impressionnant et tellement inattendu, que l’on en sourit par effet de surprise.

Elle est accompagnée par Ekaterina Gubanova, plus située dans le contrôle d’un rôle qui s’impose par sa hauteur morale et sa profonde sensibilité, et la mystérieuse Sophie Pondjiclis, immergée dans un recueillement introspectif.

Aux femmes, donc, l’éclat et la maîtrise de la situation, aux hommes la fureur et l’inconstance. On retrouve en Michele Pertusi la stature patriarcale si présente chez Verdi, mais plutôt désabusée, et même si les lignes vocales sont parfois bien étranges, on peut remercier Valter Borin d’avoir remplacé au pied levé Fabio Sartori, d’autant plus qu’il a offert une belle image humble et un don de soi exemplaire.

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Publié le 22 Mai 2011

I due Foscari (Giuseppe Verdi)
Version concert du 21 mai 2011
Théâtre des Champs Elysées

Le Doge Francesco Foscari Anthony Michaels-Moore
Jacopo Foscari Ramon Vargas
Lucrezia Contarini Manon Feubel
Jacopo Loredano Marco Spotti
Barbarigo / Fante Ramtin Ghazavi

Direction musicale Daniele Callegari
Orchestre National de France
Choeur de Radio France direction Alberto Malazzi

 

Manon Feubel (Lucrezia Contarini)

A partir de 1844, le jeune Verdi acquiert un rythme créatif qui le conduit à composer deux ouvrages par an jusqu’à son dernier opéra patriotique, La Battaglia di Legnano.

Sixième opéra du compositeur,  I due Foscari nous immerge dans l’atmosphère triomphante de Venise à son apogée - la république de Gênes, patrie de Simon Boccanegra, est définitivement vaincue -, un demi siècle avant l’amorce de son déclin face, notamment, à la montée de la domination ottomane évoquée dans la tragédie d‘Otello.

La construction dramatique du livret rappelle celle des toutes premières tragédies grecques, le chœur, omniprésent, décrit l’ambiance ou bien souligne l’action, et l’on assiste à une progression de plus en plus oppressante - l’accusation et l’arrestation de Jacopo Foscari,  l’intervention auprès du Doge et la plaidoirie devant le Conseil de Lucrezia, la condamnation à l’exil, la confession du véritable criminel -, qui se conclut par la mort du fils Foscari, et de celle du père après l’élection de son successeur.

Anthony Michaels-Moore (Le Doge Francesco Foscari)

Anthony Michaels-Moore (Le Doge Francesco Foscari)

Daniele Callegari délivre une enthousiasmante lecture, svelte et énergique, inévitablement tonitruante et enlevée quand les solistes et les choristes s’allient aux musiciens pour faire ressortir la puissance vitale qui irrigue la partition.

Comme nous avons pu le constater encore récemment dans Madame Butterfly, Anthony Michaels-Moore n’a rien perdu de sa capacité à incarner une figure morale par le sens qu’il donne à la moindre phrase exprimée avec une émotion palpable, et lisible même sur le visage. Pourtant, il ne bouge quasiment pas. On croirait entendre le vieux Germont.

Cependant, même si des instabilités se manifestent, sa voix contient un grain et une sorte de retenue qui imposent une stature d’homme digne, ému, mais qui vacille en opposant résistance à la machination qui détruit sa vie.

Avec son allure de bon élève, Ramon Vargas restitue superbement la richesse d’un personnage vocalement étoffé, bien que l’impact des aigus soit nettement limité, sans que le drame ne soit aussi profondément sensible que dans l’interprétation d’Anthony Michaels-Moore.

De toute évidence, le Loredano de Marco Spotti possède une assise vocale implacable, et Manon Feubel, dont tout le rôle consiste à apporter l’énergie combative et l’espoir qui manquent aux deux hommes, offre d'amples fulgurances particulièrement bien maîtrisées, et ne semble gênée que dans la célérité des cabalettes.

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