Publié le 24 Février 2023
Leonard Bernstein / Jake Heggie / John Adams
Concert du 23 février 2023
Auditorium de Radio France
Leonard Bernstein (1918-1990) : Candide, ouverture (1956)
Jake Heggie (né en 1961) : Camille Claudel : Into The Fire (2012)
John Adams (né en 1947 ) : Harmonielehre (1985)
Mezzo-soprano Joyce DiDonato
Direction musicale Pierre Bleuse
Orchestre National de France
Cette soirée du 23 février 2023 restera sans doute inoubliable pour le public de l’auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique au point que l’on peut déplorer qu’une plus grande publicité n'ait été faite pour ce concert 100 % américain qui méritait une salle comble.
Sous forme de mise en bouche, l’étincelante ouverture de ‘Candide’ de Leonard Bernstein est d’emblée une bouffée d’optimisme à l’effervescence bien rythmée qui laisse la plénitude du son s’épanouir, ce qui permet à Orchestre National de France d’offrir une première démonstration de l’ampleur de ses couleurs.
Magnifique et vêtue d’une robe aux reflets grenats et prompte à entrer dans les états d’âme recueillis de Camille Claudel, Joyce DiDonato fait une entrée chaleureuse et émue, sous les applaudissements du public mais aussi de Pierre Bleuse, car elle s’apprête à offrir à l’assistance, en première pour la France, son interprétation d’’Into The Fire’ dont elle avait assurée la première mondiale 11 ans plus tôt, le 04 février 2012, au Herbst Theater de San Francisco.
A ce moment là, Jake Heggie avait composé cet hommage à la muse de Rodin pour un quatuor à cordes, une forme plus intime et introspective que la version orchestrale jouée ce soir, dont l'arrangement fut achevé trois ans plus tard pour le Berkeley Symphony, en décembre 2014.
Sur des textes de Gene Scheer, auteur et compositrice américaine, les huit poèmes symphoniques racontent l’absence, l’attachement, le manque et des étreintes évanouies de la sculptrice, jusqu’au délire paranoïaque et la solitude de l’asile psychiatrique.
L’amateur d’opéra ne peut s’empêcher de reconnaître, dès la première pièce intitulée ‘Rodin’, des réminiscences de la scène de la tour de ‘Pelléas et Mélisande’ qui reviendront à plusieurs reprises dans les autres passages. Le texte est d’ailleurs très explicite, peut-être par hasard, dans ‘La petite châtelaine’, lorsque sa mère évoque ses sorties la nuit par la fenêtre de la tour.
Mais on pense aussi au sentimentalisme du ‘Werther’ de Massenet dès le début, ou bien, dans ‘Shakuntala’, à un orientalisme mauresque où Joyce DiDonato fait une démonstration d’ornementations nuancées et de colorations passionnées d’une intensité fabuleuse. La tension corporelle qui l’anime atteint son paroxysme à ce moment précis.
Et puis il y a aussi ces évanescences minimalistes qui évoquent les compositions de Philip Glass dans ‘The Gossip’, puis un retour, dans l’épilogue, à ce mélange subtil de romantisme et de symbolisme présent au début.
Cette très belle musique aux tissures délicates fait voyager, mais aussi fait progressivement remonter des émotions profondes dans un esprit de sérénité très mystérieux.
Applaudissements nourris, galvanisés par un spectateur, assis au parterre, très enthousiaste qui cherche à entraîner avec lui toute la salle, cette première partie est autant un hommage à Jake Heggie qu’à une artiste aussi merveilleuse et bienveillante que Joyce DiDonato.
Changement d’atmosphère en seconde partie, où Pierre Bleuse va se lâcher et électriser l’Orchestre national de France surmonté par une impressionnante rangée de percussions et de vibraphones.
‘Harmonielehre’ fut créée le 21 mars 1985 au Davies Hall de San Francisco. Cette symphonie en trois mouvements est née d’un rêve de John Adams, ce qui autorise pleinement l’auditeur à laisser courir son imagination sur une musique de conception minimaliste, mais qui s’ouvre sur des paysages grandioses et une ampleur d’où peuvent surgir des accélérations rythmiques qui catalysent une énergie phénoménale.
Le chef d’orchestre français, qui dirigera l’Ensemble intercontemporain à partir de la saison prochaine, est impressionnant d’enthousiasme. Sens inné de la tension physique, drainé par une exaltation quasi hallucinée, il fait ressortir l’étrange dimension wagnérienne de l’œuvre d’autant plus aisément que l’Orchestre National de France en a l’envergure.
A plusieurs moments, le sentiment d’être aspiré dans un univers cosmique vertigineux devient très intense, et cette sensation nous fait perdre tous nos repères quand l’ivresse sonore l’emporte. Et visiblement, les musiciens sont eux-mêmes subjugués par ce véritable monstre musical qu’ils engendrent, respectant la complexe mécanique musicale tout en faisant s'enchevêtrer les multiples nappes sonores avec un art de la fusion splendide.
Un concert dont on sort estomaqué et heureux d’avoir été aussi submergé par une telle impression de grandiose et d’excès.