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Publié le 4 Juillet 2021

La Clémence de Titus (Wolfgang Amadé Mozart - 1791)
Représentation du 03 juillet 2021
Palais Garnier

Tito Vespasiano Stanislas de Barbeyrac
Vitellia Amanda Majeski
Servilia Anna El-Khashem
Sesto Michèle Losier
Annio Jeanne Ireland
Publio Christian Van Horn

Direction musicale Mark Wigglesworth
Mise en scène Willy Decker (1997)

                                     Jeanne Ireland (Annio)

Au même moment où Philippe Jordan vient de rendre un dernier hommage à l’orchestre de l’Opéra de Paris dont il a été le directeur musical pendant 12 ans, le Palais Garnier joue pour la 7e fois une série de représentations de La Clémence de Titus donnée dans la mise en scène de Willy Decker qui fut créée au printemps 1997 sous la direction d’Armin Jordan.

Michèle Losier (Sesto)

Michèle Losier (Sesto)

Alors que ces 20 dernières années des chanteurs d’un format vocal parfois opulent ont été accueilli sur cette scène, Catherine Naglestad, Elina Garanca ou bien Hibla Gerzmava, pour interpréter cette œuvre tardive de Mozart, la distribution réunie ce soir se distingue par ses qualités d’homogénéité et sa finesse interprétative.

Amanda Majeski incarnait déjà le rôle de Vitellia en 2017, et l’on retrouve les courbes lissées et les formes fuselées d’un timbre couleur grenat qui définissent les contours d’une femme pernicieuse mais qui a quelque chose d’attachant. Peu de noirceur et des lignes aiguës trop fines et irrégulières, l’incarnation n’en reste pas moins entière et sensible tout en en faisant ressentir les contradictions.

Amanda Majeski (Vitellia)

Amanda Majeski (Vitellia)

Michèle Losier, elle qui fut un si touchant Siebel dans Faust, cette saison, dessine un Sesto très clair avec du corps et des aigus parfois un peu trop soudains mais d’une impressionnante tenue, et elle est sans doute le personnage le plus présent, en contact de cœur avec la salle. Beaucoup de vérité est lisible dans ses expressions attachantes, et Michèle Losier est une personnalité idéale pour faire vivre le lien affectif entre les personnages.

Et le couple formé par Annio et Servilia est d’un parfait équilibre, Jeanne Ireland ayant un très beau timbre doré joliment orné et une vivacité d’élocution qui lui donne une allure très digne, et Anna El-Khashem, d’une frémissante légèreté, agit comme si une brise de printemps soufflait sur la scène.

Amanda Majeski (Vitellia) et Michèle Losier (Sesto)

Amanda Majeski (Vitellia) et Michèle Losier (Sesto)

Et peut être parce qu’il s’agit d’une distribution majoritairement féminine, il se dégage de cet ensemble un jeu d’un très grand naturel, juste et fluide, qui donne beaucoup de grâce aux mouvements sur scène, la représentation arborant un classicisme vivant qui fait honneur à la délicatesse de Mozart.

Christian Van Horn paraît évidemment plus dense et d’une noirceur noble et grisonnante, avec de nettes intonations Don Giovanesques, et Stanislas de Barbeyrac, un des plus beaux galbes ténébreux entendu dans ce rôle sur cette scène, se charge de faire de Titus, cet homme déçu par tout son entourage, un homme héroïque et obscur, auquel ne manque que ces petites inflexions légères, claires et fragiles qui trahiraient chez l’Empereur ses affectations intérieures.

Stanislas de Barbeyrac (Tito Vespasiano)

Stanislas de Barbeyrac (Tito Vespasiano)

La direction musicale de Mark Wigglesworth s’inscrit dans cette même tonalité claire et fine, d’une très agréable vélocité, sans toutefois forcer les effets de contrastes et assombrir les cordes, et la transition vers la scène de grâce des conjurés est menée avec brio sans pompe surfaite. Le chœur, malheureusement masqué, manque d’ampleur et d'éclat à ce moment là, ce qui est un peu dommage.

Jeanne Ireland (Annio), Amanda Majeski (Vitellia) et Christian Van Horn  (Publio)

Jeanne Ireland (Annio), Amanda Majeski (Vitellia) et Christian Van Horn (Publio)

Cette mise en scène sévère, avec ce buste qui se découvre au fur et à mesure que Titus se départit de ses illusions, est si bien dirigée qu’elle offre un spectacle de référence, ce que n’a pas manqué de reconnaître le public très diversifié et même très jeune venu ce soir nombreux.

Stanislas de Barbeyrac (Tito Vespasiano) et Michèle Losier (Sesto)

Stanislas de Barbeyrac (Tito Vespasiano) et Michèle Losier (Sesto)

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Publié le 11 Mars 2018

Z mrtvého domu - From the House of the Dead (Leoš Janáček)
Représentation du 10 mars 2018
Royal Opera House - Covent Garden, Londres

Alexandr Gorjancikov Willard W.White
Aljeja Pascal Charbonneau
Luka Kuzmič Štefan Margita
Skuratov Ladislav Elgr
Šiškov/Priest Johan Reuter
Prison Governor Alexander Vassiliev
Big Prisoner/Nikita Nicky Spence
Small Prisoner/Cook Grant Doyle
Elderly Prisoner Graham Clark
Voice Konu Kim
Drunk Prisoner Jeffrey Lloyd-Roberts
Šapkin Peter Hoare
Prisoner/Kedril John Graham-Hall
Prisoner/Don Juan/Brahmin Aleš Jenis
Young Prisoner Florian Hoffmann
Prostitute Allison Cook
Čerevin Alexander Kravets                                        
Guard Andrew O'Connor

Direction musicale Mark Wigglesworth                       Florian Hoffmann (Young Prisoner) &
Mise en scène Krzysztof Warlikowski (2018)              Pascal Charbonneau (Aljeja)
Coproduction La Monnaie de Bruxelles et Opéra de Lyon

Bien que joué sur les scènes du monde entier, De la Maison des morts fait partie des cinq ouvrages qui entrent cette saison au répertoire du Royal Opera House de Londres, point de départ d’un cycle dédié au compositeur tchèque.
Il s'agit également de la première réalisation de Krzysztof Warlikowski dans un théâtre du Royaume-Uni, terre de naissance de William Shakespeare, son auteur de référence.

Willard W.White (Gorjancikov) et Pascal Charbonneau (Aljeja)

Willard W.White (Gorjancikov) et Pascal Charbonneau (Aljeja)

Après la reprise de la production de Patrice Chéreau à l'Opéra Bastille l'automne dernier, et avant la création de la version de Frank Castorf à Munich au cours du printemps prochain, le point de vue que propose le directeur polonais au public londonien sur l'ultime opéra de Leoš Janáček allie force de vie et misérabilisme, et érige la fantaisie comme un moyen d'expression des fantasmes et des désirs morbides des prisonniers, tout en entraînant le spectateur dans une réflexion philosophique et sociétale à un moment où les systèmes pénitenciers arrivent à bout dans nombre de pays du monde entier.

De la Maison des morts (White-Margita-Charbonneau-Reuter-Wigglesworth-Warlikowski) Londres

Dans un décor carcéral qui évolue d'une salle de sport vers un espace clos incluant une pièce, latérale puis centrale montée sur pivot, qui fait office de bureau administratif occupé par un juge corrompu, puis de salon où se rejoueront les scènes du passé des condamnés, Krzysztof Warlikowski fait revivre intensément la vulgarité de la vie dans une prison d'aujourd'hui.

Un basketteur noir symbolise par son adresse et son énergie de vie le désir de liberté de l'aigle - espoir qui sera vite détruit -, Luka est un personnage dominateur mais autant en errance que les autres résidents, et le jeune Aljeja joue un rôle de liant entre les hommes pour prendre une place centrale dans le jeu théâtral où il apparaît comme un travesti fou et désinhibé.

La prostituée brillante et sexy incarnée par Allison Cook reste sur scène jusqu'à la fin et suscite même l'imaginaire de Siskov qui y voit la femme qu'il a tuée.

Johan Reuter (Šiškov)

Johan Reuter (Šiškov)

Mais il n'est fondamentalement question que de corps et de désirs brûlants inassouvis à travers les pantomimes impliquant des poupées sexuelles et des figurants monstrueusement masqués, et aussi d'une quette d'identité à travers les jeux de rôles.

Enfin, Krzysztof Warlikowski fait précéder chaque acte d'extraits de films, d'abord une interview du philosophe Michel Foucault sur le pouvoir judiciaire, puis un récit d'un prisonnier réel qui explique comment son retour à son animalité va de pair avec un sentiment de mort obnubilant.

Et à la toute fin de l'opéra, l'on voit le juge gouverneur payer la prostituée ce qui souligne sa complicité avec un système manipulateur et déshumanisant.

Pascal Charbonneau (Aljeja)

Pascal Charbonneau (Aljeja)

Pour faire revivre cet univers où le joyeux se superpose à la violence, le directeur musical Mark Wigglesworth s'est donc associé à un metteur en scène qui n'a pas peur d'aller au plus profond de la psyché humaine. On peut même y voir un semblable engagement et une suite logique puisque qu’il dirigeait le mois dernier l'orchestre du Teatro Real de Madrid dans Dead Man Walking, un opéra américain sur la peine de mort, ce que le programme oublie de mentionner par ailleurs.

Et l'on retrouve dans les sonorités orchestrales cette influence anglo-saxonne qui colore les cuivres d'une patine chaude et fluidifie la forme dramatique qui, si elle ne dénature pas la tension théâtrale, gomme néanmoins les aspérités et la rudesse des traits d'écriture de Janacek.

L'audience du Royal Opera House doit probablement se sentir familière avec ce style narratif si proche des oeuvres américaines d'aujourd'hui.

Jordan Ajadi (Danseur) et Ales Jenis (Le Brahmane)

Jordan Ajadi (Danseur) et Ales Jenis (Le Brahmane)

Sur scène, Stefan Margita est d'un éclat et d'une brillance sans pareils, et son personnage de Luka est joué avec une totalité qui englobe même les petits signes de vie qui se déroulent en arrière-plan quand le champ des projecteurs n'est plus sur lui.

Son alter ego, Siskov, est plus brut et anguleux, mais Johan Reuter a des expressions du regard qui mêlent danger et lueurs d'émerveillement au point d'humaniser avec réalisme le portrait de ce tueur dément.

Graham Clark (Vieux prisonnier) et Stefan Margita (Luka)

Graham Clark (Vieux prisonnier) et Stefan Margita (Luka)

Willard White, profondément touchant d'humilité, et Pascal Charbonneau, ténor expressif sans fard, forment à eux deux un autre couple pivot de ce drame carcéral auquel ils impriment une présence et une sensibilité qui en sont le cœur chaleureux.

Tous les autres chanteurs font par ailleurs corps commun avec l'esprit de ce travail débordant de folie, et l'on reconnait, au détour d'une exclamation, le timbre franc de Graham Clarke, un des fidèles de Chéreau.

Johan Reuter, Willard W.White, Mark Wigglesworth, Stefan Margita et Florian Hoffmann

Johan Reuter, Willard W.White, Mark Wigglesworth, Stefan Margita et Florian Hoffmann

Le chœur, lui, laisse entendre des murmures dépressifs, et ne suggère aucun espoir possible.

Krzysztof Warlikowski n’est pas venu saluer à la seconde représentation, mais l’on peut supposer qu’il est déjà de retour à Paris pour préparer la première représentation du Château de Barbe-Bleue et la Voix humaine qui aura lieu le week-end prochain au Palais Garnier.

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Publié le 4 Février 2018

Dead Man Walking (Jake Heggie - 2000)
Représentation du 03 février 2018
Teatro Real de Madrid

Sœur Helen Prejean Joyce DiDonato
Joseph de Rocher Michael Mayes
La Mère de Patrick de Rocher Maria Zifchak
Sœur Rose Measha Brueggergosman
George Benton Damian del Castillo
Padre de Grenville Roger Padullés
Killy Hart Maria Hinojosa
Owen Hart Toni Marsol
Jade Boucher Marta de Castro
Howard Boucher Viçenc Esteve

Direction musicale Mark Wigglesworth
Mise en scène Leonard Foglia (2010)
Chœur et orchestre du Teatro Real de Madrid           
Measha Brueggergosman (Soeur Rose)
Petits chanteurs de la Jorcam
Production du Lyric Opera de Chicago

Dead Man Walking, opéra inspiré du livre éponyme (1995) de sœur Helen Prejean, est une création contemporaine apparue sur la scène du War Memorial Opera House de San Francisco, le 07 octobre 2000.

A partir d'un évènement tragique ayant entraîné la mort de deux adolescents, cette œuvre pose sans détour la question du sens de la peine de mort et de l'humanité des meurtriers.

Michael Mayes (Joseph de Rocher) et Joyce DiDonato (Soeur Helen)

Michael Mayes (Joseph de Rocher) et Joyce DiDonato (Soeur Helen)

La première partie relate les faits criminels, puis décrit l'entrée de sœur Helen dans un espace carcéral dur, le pénitencier d’État de Louisiane, dénommé aussi Angola, pour aboutir à la  rencontre avec le meurtrier et à la confrontation avec sa mère et les parents des victimes.

Et dès l'ouverture, la musique de Jake Heggie nous fait pénétrer dans un univers familier, une trame de cordes sombres et de violons aiguisés qui décrivent une tension sonore lancinante omniprésente, des cuivres et des percussions qui imprègnent fortement les coups de théâtre qui surviennent au cours des échanges, des motifs mélodiques confiés au vents qui, parfois, se perdent dans les déclamations vocales, et des sonorités descriptives qui animent l'action scénique.

Joyce DiDonato (Soeur Helen) et les petits chanteurs de la Jorcam

Joyce DiDonato (Soeur Helen) et les petits chanteurs de la Jorcam

Mark Wigglesworth, en fin interprète du répertoire anglo-saxon, livre une lecture limpide et soigneusement déliée sans craindre les fortissimo inhérents à une partition instinctivement empreinte d'un climat obsessionnel.

C'est d'ailleurs clairement dans l'écriture des ensembles vocaux que l'on ressent la plus grande force, et que l'on se trouve confronté à des expressions de haine et de douleur inédites. Benjamin Britten et la violence de Peter Crimes ne sont plus très loin.

Et cette puissance démonstrative caractérise également le quatuor des parents interprété par Marta de Castro, Viçenc Esteve, Maria Hinojosa et Toni Marsol, quatre artistes espagnols d'une vérité expressive absolue et crédibles par la dignité ferme qu'ils assument pleinement.

Joyce DiDonato (Soeur Helen)

Joyce DiDonato (Soeur Helen)

La mise en scène de Leonard Loglia, elle, se veut purement narrative, utilise parfois la vidéo pour décrire les changements de lieu, et trouve sa force principalement dans la représentation du microcosme carcéral, cadré par toutes sortes de grillages montants et descendants évocateurs du monde d'hommes fermé que l'on pourrait retrouver dans Billy Budd.

Dans la seconde partie, l'humeur est plus à la réflexion sur le nécessaire dépassement de soi meurtri par l'horreur du crime, mais peine cependant à convaincre, car quel mérite peut-on attribuer à une sœur capable de surmonter l'abject, quand elle même n'est pas atteinte dans sa propre vie?

On perçoit finalement plus de profondeur dans l'âme de sœur Rose, instinctivement probante quand elle est chantée avec une telle directe simplicité par Measha Brueggergosman, que dans le personnalité de soeur Helen qui s'apparente plus à un guide dont rien ne permet de mesurer la nature des épreuves qu'elle a rencontré dans la vie.

Maria Zifchak (La Mère de Patrick de Rocher)

Maria Zifchak (La Mère de Patrick de Rocher)

Joyce DiDonato incarne ainsi un personnage un peu à part, une conscience pure et tourmentée qui mélange perceptiblement ses sentiments personnels - l'espoir est une valeur forte de la mezzo-soprano américaine - à la psychologie pédagogique d'Helen.

Mais c'est véritablement Maria Zifchak qui met en relief l'individualité la plus saisissante, car elle a une capacité à s'appuyer sur l'orchestre afin de donner une emprise implacable à son chant doloriste et chargé de sens.

L'instant pendant lequel elle regarde Joseph, juste avant que la marche vers l'exécution ne commence, est parfaitement évocateur du regard idéalisé que peut porter une mère sur son fils lorsqu'elle ne voit en lui que l'enfant du passé, plutôt que l'adulte perverti qu'il est devenu aujourd'hui.

Joyce DiDonato (Soeur Helen)

Joyce DiDonato (Soeur Helen)

Et Michael Mayes, bardé de tatouages, et d'allure sauvage, joue ce rôle de criminel non seulement en restituant ses sentiments de contrition avec les tressaillements les plus justes, mais également en faisant entendre les plus belles qualités d'allègement élégiaque que son timbre d'apparence rude peut révéler.

La scène finale d'exécution, froide et jouée en silence, ne fait pas oublier le formidable travail du chœur et des petits chanteurs de la Jorcam qui forment un des plus beaux ensembles vocaux de toute l'Europe.

 

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