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Publié le 15 Janvier 2025

Salomé (Richard Strauss – Dresde, le 09 décembre 1905)
Représentation du 12 janvier 2025
Opera Ballet Vlaanderen - Gand

Salomé Allison Cook
Herodes Florian Stern
Herodias Angela Denoke
Jochanaan Kostas Smoriginas
Narraboth Denzil Delaere
Page der Herodias Linsey Coppens
Erster Jude Daniel Arnaldos
Zweiter Jude Hugo Kampschreur
Dritter Jude Timothy Veryser
Vierter Jude Hyunduk Kim
Fünfter Jude Marcel Brunner
Erster Nazarener Reuben Mbonambi
Zweiter Nazarener Leander Carlier
Erster Soldat Igor Bakan
Zweiter Soldat Marcel Brunner
Ein Kappadozier Reuben Mbonambi
Ein Sklave Linsey Coppens

Direction musicale Alejo Pérez
Mise en scène Ersan Mondtag (2024)

Né à Berlin en 1987 d’une famille d’immigrés turcs, Ersan Mondtag est un metteur en scène formé à l’histoire de l’art, le cinéma et la musique qui réalisa sa première pièce officielle au Staatstheater Kassel en 2015, ‘TYRANNIS’. D’autres spectacles suivirent dont ‘Das Internat’ créé en 2016 au Schauspiel Dortmund dans un décor gothique tournant, hanté par le mal.

Puis, en février 2018, il mit en scène au Théâtre Maxim Gorki de Berlin ‘Salome’, d’après Oscar Wilde, sur des textes arrangés par Orit Nahmias, et ce n’est que par la suite qu’il appréhenda la mise en scène d’opéra avec ‘Der Schmied von Gent’ de Franz Schreker donné en 2020 à l’Opéra des Flandres, suivi en ce même théâtre par ‘Le Lac d’argent’ de Kurt Weill.

Allison Cook (Salomé) et Linsey Coppens (Le Page)

Allison Cook (Salomé) et Linsey Coppens (Le Page)

Il est donc de retour en ce lieu empreint, dès la fin des années 60, de l’influence de Gerard Mortier, pour mettre en scène ‘Salome’ de Richard Strauss.

Son interprétation s’appuie de façon saisissante sur un décor d’une grande force évocatrice comprenant deux faces, l’une représentant l’extérieur des façades du Palais d’Hérode à travers des jeux d’ombres qui se dessinent sur des escaliers, alcôves, créneaux et remparts qui donnent une allure fantastique et expressionniste à ce château, dont les tours représentent les bustes immenses des maîtres du palais.

C’est ici que se jouera la relation entre Salomé et Jochanaan.

Salome (Cook Denoke Stern Smoriginas Pérez Mondtag Vlaanderen) Gand

Puis, par effet pivotant, notre regard découvre l’intérieur du Palais, centre de pouvoir à nouveau sculpté avec une finesse de détails impressionnante représentant deux escaliers en courbes élégantes flanqués de luxueuses loges latérales cérémonielles et cosy, qui encadrent en plein centre les symboles du pouvoir, une queue de paon surmontée d’une pyramide protégée par cinq statues - les gardiens du temple - qui remémorent les temps soviétiques. Mais les teintes rouges et les éléments de confort évoquent surtout un monde de luxure.

Et lors du passage d’un lieu à l’autre, deux immenses graphismes représentent la nature monstrueuse d’Hérode et Hérodias, le premier dévoreur de chair fraîche, la seconde animée par un sadisme diabolique.

Les corps de tous les figurants sont en revanche enlaidis par des effets qui donnent une couleur terne et flétrie à leur chair.

Tout figure le centralisme fasciste et monumental.

Salome (Cook Denoke Stern Smoriginas Pérez Mondtag Vlaanderen) Gand

Mais ce que raconte Ersan Mondtag est comment une jeune princesse née dans ce milieu là va, en premier lieu, en reproduire les codes, d’abord dans sa relation avec Jochanaan qui est lui-même fortement sexualisé avec son allure de jeune homme affublé d’un peignoir bleu, puis, par la manière dont elle va sembler jouer la connivence, notamment avec sa mère, lors des scènes festives, pour ensuite se retourner contre tout ce monde qui a abusé d’elle.

En effet, l’on assiste à la disparition un par un de tous les hommes présents sur scène, de Narraboth assassiné depuis un sombre interstice, car complice de l’oppression, jusqu'aux juifs et Hérode lui-même, éliminés par un groupe de femmes vivant à la cour. Et Salomé brandira fièrement la tête de Jochanaan comme pour parachever une victoire féministe sur un univers brutaliste dominé par le pouvoir masculin, Hérodias finissant dans le cachot du prophète.

Cette lecture qui invoque un renversement du monde est sans doute moins forte que la vision qu’a porté à la scène Lydia Steier à l’Opéra Bastille qui dissociait, au tableau final, l’acte monstrueux de Salomé de sa perception amoureuse envers Jochanaan. Mais on retrouve à nouveau une utilisation très politique de l’œuvre qui tente de sauver les femmes.

Et le jeu d’acteur est aussi très bien exploité de la part de tous les artistes, avec un recours au grotesque qui vise à contrebalancer la violence en jeu.

Kostas Smoriginas (Jochanaan)

Kostas Smoriginas (Jochanaan)

A l’opéra des Flandres, la cohésion entre l’expression scénique et l’interprétation orchestrale est souvent profondément travaillée, et l’on retrouve dans la direction d’Alejo Pérez une théâtralité sombre et un peu brute mais qui fait entendre le foisonnement de l’orchestration straussienne dans toute sa complexité, en dégageant avec soin les contrastes et les lignes étincelantes que les musiciens du Symfonisch Orkest Opera Ballet Vlaanderen décrivent avec un vrai sens de l’intime.

Les cuivres semblent un peu étouffés, mais le travail des cordes est de toute beauté, et le discours dramaturgique est fermement appuyé. Manque sans doute une forme d’évanescence lyrique qui amplifierait le mystère et l’atmosphère surnaturelle qui se rattachent fortement à cet univers.

Angela Denoke (Herodias), Florian Stern (Herodes), Allison Cook (Salomé) et Linsey Coppens (Le Page)

Angela Denoke (Herodias), Florian Stern (Herodes), Allison Cook (Salomé) et Linsey Coppens (Le Page)

Sur scène, Allison Cook fait sienne une personnalité qu’elle entend bien défendre avec un art du phrasé méticuleusement sculpté, et d’une grande clarté discursive inhérente à la signature straussienne.

Fine d’apparence, elle joue d’une animalité subtile, féminine et lucide, chante avec un souffle percutant, pas forcement très puissant, mais qui est toujours bien profilé. Elle mélange ainsi une maturité d’être à un comportement ludique ce qui la situe quelque part entre la jeune fille inconsciente et le monstre prêt à passer à l’acte.

Kostas Smoriginas possède de belles expressions autoritaires qui dépeignent un portrait rajeuni du Prophète, si bien qu’il est bien moins le représentant d’une force divine implacable que celui d’un homme ayant une sensualité vocale et physique qui trouble l’image archaïque que l’on pourrait avoir de Jochanaan, même si les effets théâtraux de l'orchestre prennent parfois le dessus.

Angela Denoke (Herodias)

Angela Denoke (Herodias)

Si Florian Stern dépeint une figure d’Hérode plus faible que sarcastique, ce qui va aussi dans l’esprit de la mise en scène qui fait la part belle aux femmes, Angela Denoke rend au contraire à Hérodias une présence physique et un aplomb vocal qui dominent les scènes du palais. Elle est la seule à donner franchement l’impression que la salle est trop petite pour elle.

Son timbre sibyllin est coloré d’inflexions qui la rendent unique mais qui sont moins prononcées dans ce rôle, car l’une des caractéristiques d’Angela Denoke est de savoir profondément incarner la souffrance humaine. C’est donc un immense plaisir de la voir autant au premier plan dans cette production, tout en repensant aux rôles sensibles qu’elle sait aussi représenter.

Kostas Smoriginas et Angela Denoke

Kostas Smoriginas et Angela Denoke

Parmi les rôles secondaires, Denzil Delaere donne une impression de solidité et de sensibilité qui défendent très bien Narraboth, et même si le page incarné par Linsey Coppens est un peu en retrait en terme de noirceur, tout son chant est dessiné avec précision.

Et en juif et cappadocien, Reuben Mbonambi impose un timbre de basse rocailleux qui annonce une obscurité prémonitoire.

Florian Stern, Allison Cook, Alejo Pérez, Kostas Smoriginas, Angela Denoke et Linsey Coppens

Florian Stern, Allison Cook, Alejo Pérez, Kostas Smoriginas, Angela Denoke et Linsey Coppens

Tous les éléments de cette production artistique réussissent ainsi à former un tout vivant et autonome dont le sens de l’action peut paraître au départ plutôt traditionnel, mais dont les écarts se révèlent petit à petit. L’interprétation féministe est certes réductrice, mais il y a ici un travail de mise en scène et de qualité dans le mixage des éclairages à la complexité du relief des décors qui séduit, et la radicalité qui se précipite dans la dernière partie participe aussi à la pureté sauvage que draine l’ouvrage.

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Publié le 11 Mars 2018

Z mrtvého domu - From the House of the Dead (Leoš Janáček)
Représentation du 10 mars 2018
Royal Opera House - Covent Garden, Londres

Alexandr Gorjancikov Willard W.White
Aljeja Pascal Charbonneau
Luka Kuzmič Štefan Margita
Skuratov Ladislav Elgr
Šiškov/Priest Johan Reuter
Prison Governor Alexander Vassiliev
Big Prisoner/Nikita Nicky Spence
Small Prisoner/Cook Grant Doyle
Elderly Prisoner Graham Clark
Voice Konu Kim
Drunk Prisoner Jeffrey Lloyd-Roberts
Šapkin Peter Hoare
Prisoner/Kedril John Graham-Hall
Prisoner/Don Juan/Brahmin Aleš Jenis
Young Prisoner Florian Hoffmann
Prostitute Allison Cook
Čerevin Alexander Kravets                                        
Guard Andrew O'Connor

Direction musicale Mark Wigglesworth                       Florian Hoffmann (Young Prisoner) &
Mise en scène Krzysztof Warlikowski (2018)              Pascal Charbonneau (Aljeja)
Coproduction La Monnaie de Bruxelles et Opéra de Lyon

Bien que joué sur les scènes du monde entier, De la Maison des morts fait partie des cinq ouvrages qui entrent cette saison au répertoire du Royal Opera House de Londres, point de départ d’un cycle dédié au compositeur tchèque.
Il s'agit également de la première réalisation de Krzysztof Warlikowski dans un théâtre du Royaume-Uni, terre de naissance de William Shakespeare, son auteur de référence.

Willard W.White (Gorjancikov) et Pascal Charbonneau (Aljeja)

Willard W.White (Gorjancikov) et Pascal Charbonneau (Aljeja)

Après la reprise de la production de Patrice Chéreau à l'Opéra Bastille l'automne dernier, et avant la création de la version de Frank Castorf à Munich au cours du printemps prochain, le point de vue que propose le directeur polonais au public londonien sur l'ultime opéra de Leoš Janáček allie force de vie et misérabilisme, et érige la fantaisie comme un moyen d'expression des fantasmes et des désirs morbides des prisonniers, tout en entraînant le spectateur dans une réflexion philosophique et sociétale à un moment où les systèmes pénitenciers arrivent à bout dans nombre de pays du monde entier.

De la Maison des morts (White-Margita-Charbonneau-Reuter-Wigglesworth-Warlikowski) Londres

Dans un décor carcéral qui évolue d'une salle de sport vers un espace clos incluant une pièce, latérale puis centrale montée sur pivot, qui fait office de bureau administratif occupé par un juge corrompu, puis de salon où se rejoueront les scènes du passé des condamnés, Krzysztof Warlikowski fait revivre intensément la vulgarité de la vie dans une prison d'aujourd'hui.

Un basketteur noir symbolise par son adresse et son énergie de vie le désir de liberté de l'aigle - espoir qui sera vite détruit -, Luka est un personnage dominateur mais autant en errance que les autres résidents, et le jeune Aljeja joue un rôle de liant entre les hommes pour prendre une place centrale dans le jeu théâtral où il apparaît comme un travesti fou et désinhibé.

La prostituée brillante et sexy incarnée par Allison Cook reste sur scène jusqu'à la fin et suscite même l'imaginaire de Siskov qui y voit la femme qu'il a tuée.

Johan Reuter (Šiškov)

Johan Reuter (Šiškov)

Mais il n'est fondamentalement question que de corps et de désirs brûlants inassouvis à travers les pantomimes impliquant des poupées sexuelles et des figurants monstrueusement masqués, et aussi d'une quette d'identité à travers les jeux de rôles.

Enfin, Krzysztof Warlikowski fait précéder chaque acte d'extraits de films, d'abord une interview du philosophe Michel Foucault sur le pouvoir judiciaire, puis un récit d'un prisonnier réel qui explique comment son retour à son animalité va de pair avec un sentiment de mort obnubilant.

Et à la toute fin de l'opéra, l'on voit le juge gouverneur payer la prostituée ce qui souligne sa complicité avec un système manipulateur et déshumanisant.

Pascal Charbonneau (Aljeja)

Pascal Charbonneau (Aljeja)

Pour faire revivre cet univers où le joyeux se superpose à la violence, le directeur musical Mark Wigglesworth s'est donc associé à un metteur en scène qui n'a pas peur d'aller au plus profond de la psyché humaine. On peut même y voir un semblable engagement et une suite logique puisque qu’il dirigeait le mois dernier l'orchestre du Teatro Real de Madrid dans Dead Man Walking, un opéra américain sur la peine de mort, ce que le programme oublie de mentionner par ailleurs.

Et l'on retrouve dans les sonorités orchestrales cette influence anglo-saxonne qui colore les cuivres d'une patine chaude et fluidifie la forme dramatique qui, si elle ne dénature pas la tension théâtrale, gomme néanmoins les aspérités et la rudesse des traits d'écriture de Janacek.

L'audience du Royal Opera House doit probablement se sentir familière avec ce style narratif si proche des oeuvres américaines d'aujourd'hui.

Jordan Ajadi (Danseur) et Ales Jenis (Le Brahmane)

Jordan Ajadi (Danseur) et Ales Jenis (Le Brahmane)

Sur scène, Stefan Margita est d'un éclat et d'une brillance sans pareils, et son personnage de Luka est joué avec une totalité qui englobe même les petits signes de vie qui se déroulent en arrière-plan quand le champ des projecteurs n'est plus sur lui.

Son alter ego, Siskov, est plus brut et anguleux, mais Johan Reuter a des expressions du regard qui mêlent danger et lueurs d'émerveillement au point d'humaniser avec réalisme le portrait de ce tueur dément.

Graham Clark (Vieux prisonnier) et Stefan Margita (Luka)

Graham Clark (Vieux prisonnier) et Stefan Margita (Luka)

Willard White, profondément touchant d'humilité, et Pascal Charbonneau, ténor expressif sans fard, forment à eux deux un autre couple pivot de ce drame carcéral auquel ils impriment une présence et une sensibilité qui en sont le cœur chaleureux.

Tous les autres chanteurs font par ailleurs corps commun avec l'esprit de ce travail débordant de folie, et l'on reconnait, au détour d'une exclamation, le timbre franc de Graham Clarke, un des fidèles de Chéreau.

Johan Reuter, Willard W.White, Mark Wigglesworth, Stefan Margita et Florian Hoffmann

Johan Reuter, Willard W.White, Mark Wigglesworth, Stefan Margita et Florian Hoffmann

Le chœur, lui, laisse entendre des murmures dépressifs, et ne suggère aucun espoir possible.

Krzysztof Warlikowski n’est pas venu saluer à la seconde représentation, mais l’on peut supposer qu’il est déjà de retour à Paris pour préparer la première représentation du Château de Barbe-Bleue et la Voix humaine qui aura lieu le week-end prochain au Palais Garnier.

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