Publié le 24 Juin 2014
Orphée et Eurydice (Christoph W.Gluck) Version d'Hector Berlioz (1859)
Représentation du 22 juin 2014
Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles
Orphée Stéphanie d’Oustrac
Eurydice Sabine Devieilhe, Els
Amour Michèle Bréant
Mise en scène Romeo Castellucci
Direction musicale Hervé Niquet
Coproduction avec les Wiener Festwochen
Stéphanie d'Oustrac (Orphée)
Le 18 janvier 2013 dans l’après-midi, une jeune femme vivant dans la ville flamande de Renaix est prise d’un malaise. Elle a juste le temps de prévenir son mari avant de s’évanouir. Découverte, puis, transportée et recueillie à l’hôpital le plus proche, le diagnostic révèle qu’elle est victime du locked-in syndrome, trouble qui paralyse son corps sans pour autant lui ôter sa conscience et ses facultés sensorielles.
A partir de son histoire qui pose la question du maintien d’une vie apparemment sans espoir, Romeo Castellucci propose de relier chacune des représentations d’Orphée et Eurydice à la jeune femme, située à 14km du théâtre, grâce à un système de retransmission audio et vidéo sophistiqué.
En retour, le spectateur peut visualiser sur un grand écran le parcours mené par une équipe technique jusqu’à la chambre d’Els à partir d’images vidéographiques.
Les quatre parties se décomposent en une projection du récit de la vie de cette jeune femme, de son voyage entre son domicile et l’hôpital comme si nous étions à sa place dans un véhicule nous transportant les yeux grands ouverts mais floutés, de la traversée d’un jardin au moment le plus paisible, jusqu’à sa chambre où elle vit alitée et immobile.
L’expérience invite chacun, en son âme et conscience, à poser sa croyance au mystère de la vie auquel s’opposent les assertions directes et incontestables de la médecine scientifique.
Car l’enjeu est de croire, ou pas, en l’influence de ce spectacle sur la malade, alors que les débats sur l’euthanasie sont chaque semaine toujours aussi passionnés.
Ce n’est pourtant pas la vidéographie qui imprègne le plus le spectateur averti, mais la célérité inhabituelle avec laquelle Hervé Niquet dirige cette partition dont il évacue le pathétisme pour le transformer en une fuite désespérée à travers le temps. L’orchestre ne se délite pas pour autant, la fluidité poétique et les couleurs de printemps irriguent cette musique si proche des humeurs fondamentales de la vie, et résonnent comme un évitement inéluctable des abysses dépressifs.
Nous sommes donc à l’opposé des pleurs infinis de la version chorégraphiée par Pina Bausch pour l’Opéra Garnier, comme s’il ne fallait pas envisager la proximité d’un être cher sur le point de disparaître.
Stéphanie d’Oustrac n’en est pas moins d'un saisissant aplomb, sans doute trop peu affectée pour y croire totalement, mais magnifique par la noble beauté de son chant aussi émouvant que la perfection classique des lignes sculpturales d’une œuvre antique.
L’Amour de Michèle Bréant est d’une charmante candeur, et Sabine Devielhe semble trop lointaine pour laisser entendre toute la fraicheur fragile de son timbre.
Quant à la vidéographie, elle a un pouvoir de suggestion limité à la fascination artistique de sa lumière défocalisée, mais qui peut induire, en fonction de la prédisposition imprévisible de chacun, des images évocatrices d’un passé qui n’était pas ressurgit depuis longtemps. Et, au moment de la disparition définitive d'Eurydice, la scène tombe soudainement dans l'ombre, pour laisser réapparaître un Eden au creux duquel se baigne une femme nue. L'impression en est seulement apaisante.
Le pouvoir de la musique sur le psychisme et la vie est quelque chose d’insondable. Certains d’entre nous – c’est le cas en ce qui me concerne – ont l’exemple de personnes pour lesquelles des médecins avaient affirmé un pronostic vital nul, et qui ne les ont pas pour autant écouté en allant s’imprégner plus que jamais de spectacles lyriques pour combattre la maladie, et finalement s’en sortir.
Cet Orphée et Eurydice expérimental oblige à suivre l’état de santé de l’héroïne qui en a incité la réalisation, comme pour y trouver une réponse à nos propres interrogations.