Histoire de l'Opéra, vie culturelle parisienne et ailleurs, et évènements astronomiques. Comptes rendus de spectacles de l'Opéra National de Paris, de théâtres parisiens (Châtelet, Champs Élysées, Odéon ...), des opéras en province (Rouen, Strasbourg, Lyon ...) et à l'étranger (Belgique, Hollande, Allemagne, Espagne, Angleterre...).
Waltraud Meier et le Deutsches Symphonie-Orchester Berlin
Concert du 24 juin 2009 à la Salle Pleyel
Direction musicale Ingo Metzmacher Deustches Symphonie-Orchester de Berlin
Claude Debussy La Mer Richard Wagner Prélude et Mort d’Isolde Gustav Malher Adagio de la symphonie n°10 Richard Strauss Quatre Derniers Lieder
Le sentiment de finitude se nourrit de lenteur et de recueillement, et que c’est beau lorsque sa messagère se libère de sa force passionnelle pour nous toucher par la seule délicatesse du mot.
Imperturbable lorsque l’orchestre se gonfle puis soudainement s’atténue comme pour lui servir d’écrin, Waltraud Meier est humble voix, moins opératique, mais profondément humaine, le regard en lien direct avec les auditeurs les plus proches.
Un programme introspectif pour lequel Mer, Nuit et Mort trouvent leur représentation définitive en seconde partie, à travers deux ouvrages testamentaires aux couleurs «temps passé» du Deutsches Symphonie-Orchester de Berlin.
Représentation du 20 juin 2009
Opéra Comique (Salle Favart)
Direction musicale Sir John Eliot Gardiner
The Monteverdi Choir
Orchestre Révolutionnaire et Romantique
Mise en scène Adrian Noble
Carmen Anna Caterina Antonacci
Don José Fabiano Cordero
Micaëla Anne-Catherine Gillet
Escamillo Nicolas Cavallier
Anne-Catherine Gillet (Micaëla)
Carmen à l’Opéra Comique c’est d’abord une proximité, un face à face avec les personnalités qui doit permettre d’en saisir encore plus leur mystère.
Pour une raison inconnue, Sasha Waltz n’a pu assurer la direction scénique, ce qui propulse Anna Caterina Antonacci en star absolue de la soirée.
Anna Caterina Antonacci (Carmen)
Et quelle interprétation! Un phrasé clair, presque analytique, jamais entendu dans une salle comme Bastille.
Féline, crâneuse et très belle femme, le charme enjôle, les moqueries dirigées vers Don José l‘attendrissent même.
La liberté de la cigarière se mesure ainsi à ses poses provocatrices, mais pas à son indépendance du regard des autres.
Tout fonctionne très bien jusqu’au « Carreau, pique… la mort! ».
Impossible de ressentir la force obscure qui fait la profondeur de Carmen, l’histoire qui a fait d’elle la femme qu’elle est.
A ce moment là, Fabiano Cordero, le ténor brésilien qui a du remplacer au dernier instant Andrew Richards, s’affirme et Anna Caterina Antonacci se dilue.
C'est ce sens de la tragédie, si poignant dans les Troyens il y a quelques années au Châtelet, qui semble altéré sur la fin.
Anna Caterina Antonacci (Carmen)
Une autre femme se dessine, plus sensible et dramatique, Micaëla, qu’Anne Catherine Gillet joue avec simplicité et émotion, une voix bien projetée et abritant une petite vibration fragile.
Les rôles sentimentaux semblent trop lui convenir.
Carmen sensuelle, mais insuffisamment sombre, dans une mise en scène conforme à l’imagerie populaire, chacun de ses airs est soutenu avec précision et sens du détail par l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique.
Il ne perd la maîtrise des couleurs et du relief que dans les passages les plus exubérants.
Présentation du Roi Roger à l’Amphithéâtre Bastille le 17 juin 2009
Par Gerard Mortier, Didiervan Moere, Kasushi Ono et Krzysztof Warlikowski
Introduction par Gerard Mortier
La culture est la meilleure façon de montrer comment les différents pays européens se sont influencés, Szymanowski était d’ailleurs un grand ami de la France, et sa musique en est imprégnée.
Le Roi Roger est un opéra très proche de toute la programmation du directeur de l’Opéra de Paris pendant ces cinq ans, c’est à dire à chaque fois la volonté de briser les conformismes vers une libération, avec tous les dangers que cela représente, la vie n’étant intéressante que si elle est risquée.
Gerard Mortier, Didier van Moere, Kasushi Ono, Krzysztof Warlikowski
Didier van Moere, musicologue, écrivain, auteur d’une biographie sur Szymanowski (Editions Fayard), présente le compositeur polonais et son œuvre.
Dés les années 20, Karol Szymanowski souhaita donner Le Roi Roger à Paris.
Il vit Jacques Rouché, le directeur de l‘Opéra de Paris de l‘époque, mais la chose ne se fit pas.
Le sujet de l‘œuvre en fût-il la raison?
Il va faire rentrer trois fois la musique polonaise dans le XXième siècle.
Lorsque Szymanowski compose des musiques influencées par Strauss, il s’affirme comme un iconoclaste en s’opposant à la critique polonaise très conservatrice qui lui reproche cette influence étrangère, alors que la référence est Chopin.
Son premier Opéra Hagith comprend déjà cette Straussmania.
Puis l’on passe à la deuxième période de Szymanowski, fasciné par le français et les ballets russes à Vienne. Les grands compositeurs de la modernité sont pour lui Stravinsky et Debussy.
C’est une période de voyages en Sicile, en Afrique du Nord, vers 1914, qui correspond aux années de guerre.
La fascination byzantine au premier acte, orientale au second acte, et antique au troisième acte du Roi Roger, trouve sa source dans cette période.
A l’époque du Roi Roger II, il y avait une cohabitation harmonieuse de ces trois univers.
Puis il compose entre 1918 et 1924, période nationale, car la Pologne devient un pays indépendant, et à ce moment là Szymanowski devient le chantre de cette indépendance d’un point de vue musical.
L’impressionnisme du Roi Roger en découle, on retrouve les chants liturgiques du premier acte dans son Stabat Mater de 1925, auquel s’ajoute la dimension dionysiaque presque orgiaque qui apparaîtra plus tard dans le ballet des montagnards. C’est un compositeur de l’instinct.
On touche alors à la modernité du Roi Roger qui est une réponse à la question « Que peut on faire après Wagner ou Debussy? ».
Finalement, il estime qu’il peut s’inspirer de 3 choses : Tristan, Elektra et Stravinsky à travers Diaghilev.
Cela donne une réponse très originale à ce que peut être l’Opéra de l’époque.
De quoi parle le livret du roi Roger
Le livret reprend en les transformant les Bacchantes d’Euripide.
Dans une cathédrale byzantine, on parle d’un berger qui prêche une nouvelle religion. Il trouble les esprits et les corps aussi.
Le Roi Roger et Roxane, décident de l’écouter.
Le berger se présente et explique que son dieu est un dieu d’amour et de beauté et qu’il cherche ses brebis égarées.
Une des idées fondamentales est l’ affinité entre le Christ et Dionysos. C’est le Christ sans le pêché, et Dionysos sans la cruauté.
Le berger est convoqué le soir pour être jugé.
Au deuxième acte, il se présente dans les appartements du Roi, le chant de Roxane orientalisant appelle à la clémence, puis tout le monde entre dans une transe orgiaque.
Le Roi fait enchaîner le berger, mais celui ci brise ses chaînes.
Tout le monde le suit, Roxane la première, le Roi se dépouille de ses attributs et décide de devenir pèlerin.
Au troisième acte, le berger se révèle être Dionysos et Roxane devient une ménade. Mais le Roi ne part pas avec le Berger et reste seul en offrant son cœur au soleil.
Il y a plusieurs interprétations :
D’abord celle sexuelle. Le Roi ne suit pas le berger car il refoule son homosexualité.
C’est surtout une question d’identité. S’il suit cette transe dionysiaque, il tombe dans l’indifférencié, et il perd son identité.
On peut également transposer cela sur le plan esthétique et musical.
Au début il y a la cathédrale, un système traditionnel, et le berger représente une forme de radicalisé musicale, et la fin serait une réponse à cette question, qui ne serait pas la destruction totale de l’ordre ancien, mais la régénération par un ordre nouveau, plus dissonant et moderne.
Kasushi Ono, directeur musical de l’Opéra de Lyon.
A travers une description très imagée et captivante, Kasushi Ono explique ce qu’il y a de moderne dans la musique du Roi Roger.
C’est difficilement restituable à l’écrit, mais à travers l’exemple du duo du deuxième acte entre le Roi Roger et le berger, le chef d’orchestre montre comment les dissonances extrêmement sensibles et agréables accompagnent les réponses étranges du berger aux questions du Roi.
Ces deux personnes ne vivent pas dans le même monde, le monde de la rigueur face à un monde libéré.
La mise en scène de Krzysztof Warlikowski
Le metteur en scène polonais ne souhaite pas donner de réponses en séance mais poser le problème.
On doit raconter Szymanowski, mais aussi ce qu’il s’est passé après.
C’est l’expérience d’un homme qui succombe à la crise de l’âge, comme le monde passe une crise.
Il y a un tel héritage sur un homme dès qu’il né. Il doit subir l’ombre de son grand père, le sens de l’honneur, le gain d’argent, le patriotisme.
C’est l’histoire de ce que l’on exige de l’homme. Par exemple, au nom du Christ on demande au Roi au début de tuer le berger.
C’est une première contradiction que l’on ne peut pas accepter si l’on est sérieux.
De quel droit peut on demander à quelqu’un de tuer au nom du Christ? Peut-être a t’on fait toutes les guerres dans cet univers au nom du Christ. Mais était-ce à juste titre?
Et qui est ce Dionysos dans un monde chrétien. Est ce un membre qui contredisait cet ordre catholique.
Le livret ne l’explique pas.
On pourrait raconter cette histoire dans un cadre moyenâgeux, mais l’on évitera pas certaines réponses.
Le guide est surtout la relation entre Iwaszkiewicz (le librettiste) et Szymanowski, l’un étant marié, l’autre homosexuel déclaré, tout deux jouant avec les situations.
Krzysztof Warlikowskiest l’invité de Joëlle Gayot du lundi 22 au vendredi 26 juin 2009 dans l’émission « A voix nue » sur France Culture à 20H00.
Lundi 22 Pologne, je te « haime ».
Mardi 23 Shakespeare, père et mère de théâtre.
Mercredi 24 Je est mon autre.
Jeudi 25 La leçon d’anatomie.
Vendredi 26 Le visible et l’invisible.
Les émissions peuvent être réécoutées sur le site de France Culture à la rubrique Emission/A voix nue.
Présentation du Roi Roger à l’Amphithéâtre Bastille le 17 juin 2009
Par Gerard Mortier, Didiervan Moere, Kasushi Ono et Krzysztof Warlikowski
Introduction par Gerard Mortier
La culture est la meilleure façon de montrer comment les différents pays européens se sont influencés, Szymanowski était d’ailleurs un grand ami de la France, et sa musique en est imprégnée.
Le Roi Roger est un opéra très proche de toute la programmation du directeur de l’Opéra de Paris pendant ces cinq ans, c’est à dire à chaque fois la volonté de briser les conformismes vers une libération, avec tous les dangers que cela représente, la vie n’étant intéressante que si elle est risquée.
Gerard Mortier, Didier van Moere, Kasushi Ono, Krzysztof Warlikowski
Didier van Moere, musicologue, écrivain, auteur d’une biographie sur Szymanowski (Editions Fayard), présente le compositeur polonais et son œuvre.
Dés les années 20, Karol Szymanowski souhaita donner Le Roi Roger à Paris.
Il vit Jacques Rouché, le directeur de l‘Opéra de Paris de l‘époque, mais la chose ne se fit pas.
Le sujet de l‘œuvre en fût-il la raison?
Il va faire rentrer trois fois la musique polonaise dans le XXième siècle.
Lorsque Szymanowski compose des musiques influencées par Strauss, il s’affirme comme un iconoclaste en s’opposant à la critique polonaise très conservatrice qui lui reproche cette influence étrangère, alors que la référence est Chopin.
Son premier Opéra Hagith comprend déjà cette Straussmania.
Puis l’on passe à la deuxième période de Szymanowski, fasciné par le français et les ballets russes à Vienne. Les grands compositeurs de la modernité sont pour lui Stravinsky et Debussy.
C’est une période de voyages en Sicile, en Afrique du Nord, vers 1914, qui correspond aux années de guerre.
La fascination byzantine au premier acte, orientale au second acte, et antique au troisième acte du Roi Roger, trouve sa source dans cette période.
A l’époque du Roi Roger II, il y avait une cohabitation harmonieuse de ces trois univers.
Puis il compose entre 1918 et 1924, période nationale, car la Pologne devient un pays indépendant, et à ce moment là Szymanowski devient le chantre de cette indépendance d’un point de vue musical.
L’impressionnisme du Roi Roger en découle, on retrouve les chants liturgiques du premier acte dans son Stabat Mater de 1925, auquel s’ajoute la dimension dionysiaque presque orgiaque qui apparaîtra plus tard dans le ballet des montagnards. C’est un compositeur de l’instinct.
On touche alors à la modernité du Roi Roger qui est une réponse à la question « Que peut on faire après Wagner ou Debussy? ».
Finalement, il estime qu’il peut s’inspirer de 3 choses : Tristan, Elektra et Stravinsky à travers Diaghilev.
Cela donne une réponse très originale à ce que peut être l’Opéra de l’époque.
De quoi parle le livret du roi Roger
Le livret reprend en les transformant les Bacchantes d’Euripide.
Dans une cathédrale byzantine, on parle d’un berger qui prêche une nouvelle religion. Il trouble les esprits et les corps aussi.
Le Roi Roger et Roxane, décident de l’écouter.
Le berger se présente et explique que son dieu est un dieu d’amour et de beauté et qu’il cherche ses brebis égarées.
Une des idées fondamentales est l’ affinité entre le Christ et Dionysos. C’est le Christ sans le pêché, et Dionysos sans la cruauté.
Le berger est convoqué le soir pour être jugé.
Au deuxième acte, il se présente dans les appartements du Roi, le chant de Roxane orientalisant appelle à la clémence, puis tout le monde entre dans une transe orgiaque.
Le Roi fait enchaîner le berger, mais celui ci brise ses chaînes.
Tout le monde le suit, Roxane la première, le Roi se dépouille de ses attributs et décide de devenir pèlerin.
Au troisième acte, le berger se révèle être Dionysos et Roxane devient une ménade. Mais le Roi ne part pas avec le Berger et reste seul en offrant son cœur au soleil.
Il y a plusieurs interprétations :
D’abord celle sexuelle. Le Roi ne suit pas le berger car il refoule son homosexualité.
C’est surtout une question d’identité. S’il suit cette transe dionysiaque, il tombe dans l’indifférencié, et il perd son identité.
On peut également transposer cela sur le plan esthétique et musical.
Au début il y a la cathédrale, un système traditionnel, et le berger représente une forme de radicalisé musicale, et la fin serait une réponse à cette question, qui ne serait pas la destruction totale de l’ordre ancien, mais la régénération par un ordre nouveau, plus dissonant et moderne.
Kasushi Ono, directeur musical de l’Opéra de Lyon.
A travers une description très imagée et captivante, Kasushi Ono explique ce qu’il y a de moderne dans la musique du Roi Roger.
C’est difficilement restituable à l’écrit, mais à travers l’exemple du duo du deuxième acte entre le Roi Roger et le berger, le chef d’orchestre montre comment les dissonances extrêmement sensibles et agréables accompagnent les réponses étranges du berger aux questions du Roi.
Ces deux personnes ne vivent pas dans le même monde, le monde de la rigueur face à un monde libéré.
La mise en scène de Krzysztof Warlikowski
Le metteur en scène polonais ne souhaite pas donner de réponses en séance mais poser le problème.
On doit raconter Szymanowski, mais aussi ce qu’il s’est passé après.
C’est l’expérience d’un homme qui succombe à la crise de l’âge, comme le monde passe une crise.
Il y a un tel héritage sur un homme dès qu’il né. Il doit subir l’ombre de son grand père, le sens de l’honneur, le gain d’argent, le patriotisme.
C’est l’histoire de ce que l’on exige de l’homme. Par exemple, au nom du Christ on demande au Roi au début de tuer le berger.
C’est une première contradiction que l’on ne peut pas accepter si l’on est sérieux.
De quel droit peut on demander à quelqu’un de tuer au nom du Christ? Peut-être a t’on fait toutes les guerres dans cet univers au nom du Christ. Mais était-ce à juste titre?
Et qui est ce Dionysos dans un monde chrétien. Est ce un membre qui contredisait cet ordre catholique.
Le livret ne l’explique pas.
On pourrait raconter cette histoire dans un cadre moyenâgeux, mais l’on évitera pas certaines réponses.
Le guide est surtout la relation entre Iwaszkiewicz (le librettiste) et Szymanowski, l’un étant marié, l’autre homosexuel déclaré, tout deux jouant avec les situations.
Krzysztof Warlikowskiest l’invité de Joëlle Gayot du lundi 22 au vendredi 26 juin 2009 dans l’émission « A voix nue » sur France Culture à 20H00.
Lundi 22 Pologne, je te « haime ».
Mardi 23 Shakespeare, père et mère de théâtre.
Mercredi 24 Je est mon autre.
Jeudi 25 La leçon d’anatomie.
Vendredi 26 Le visible et l’invisible.
Les émissions peuvent être réécoutées sur le site de France Culture à la rubrique Emission/A voix nue.
Le Roi Roger (Karol Szymanowski)
Représentation du 18 juin 2009
Opéra BastilleDirection musicale Kazushi Ono
Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Le Roi Roger II Mariusz Kwiecien
Roxana Olga Pasichnyk
Edrisi Stefan Margita
Le Berger Eric Cutler
L’Archevêque Wojtek Smilek
Une Abbesse Jadwiga Rappe
Avec Krzysztof Warlikowski, il n’est jamais question de dérouler le fil d’une histoire sans le moindre questionnement.
C’est toujours une interrogation sur le sens des actes et les personnages, avec une dure confrontation à la réalité vécue par le metteur en scène.
Mariusz Kwiecien (Le Roi Roger)
Lui confier « Le Roi Roger » paraissait une évidence : un jeune berger loue l’amour et les plaisirs dionysiaques, au point de dynamiter la vie d’un couple bien établi, en exploitant comme une grande faille l’ambiguïté sexuelle du monarque.
Pourtant, l’artiste oriente sa réflexion vers une dimension plus large : et si l’enjeu était plutôt de montrer la violence du conformisme, et comment une force hypnotique peut permettre d’en sortir pour déboucher sur un autre conformisme ?
C’est comme cette société oppressante, dupliquée à l’infini, qui fait peser toutes ses attentes sur le couple chic de Roger et Roxane prêt à mettre au monde un digne successeur.
L’univers visuel et obsédant de Krzysztof Warlikowski est à nouveau à l’œuvre avec une force dérangeante.
Pour le plaisir esthétique, la beauté des images de corps nus masculins est inévitablement présentée, en écho au voyage de Szymanowski en Sicile, bien que ce ne soit pas le thème théâtral central.
Il s’agit cependant de représenter un idéal du rapport au corps dont la valeur n’est pas abîmée par certains fondamentaux sociaux, comme le christianisme ou bien le commerce.
C’est surtout cette incroyable vie des protagonistes principaux, la manière de leur faire exprimer douleur, désarroi, folie, et aussi de faire ressentir la tension qui se crée entre eux qui vous prend net aux tripes. Un exploit face à une action étirée et un texte chargé d’images naïves.
Prenant conscience de son enfermement dans une conception du bonheur qui n’est pas faite pour elle - on pourrait la comparer à la Laura du roman « the Hours » de Michael Cunningham - Roxane trouve une forme de libération qui suscite le désespoir du Roi, accroché à une image figée qu’il a d’elle. Eric Cutler (Le berger)
Le berger est illusion, une illusion qui peut tout briser tant elle semble porter en elle le mystère de la vie.
La scène de ces personnes en fin de vie usant de leurs dernières forces dans une piscine n’est pas des plus lisibles, empreinte de la réalité mortelle de l’homme, et de sa perte d’énergie avec le temps.
Est ce l’émotion soulevée par cette image qui convainc la femme du roi de suivre le perturbateur?
De toute évidence, le Roi Roger sent intuitivement le traquenard, et ne peut que s’effondrer en constatant ce qu’est devenu l’idéal de l’offrande du cœur au soleil, dans une vision terriblement ironique. La médiocrité et le consumérisme pervertisent l’amour et le beau.
Mariusz Kwiecien (Le Roi Roger)
La sophistication des éclairages, les jeux de reflets irréels, les images ajoutées un peu partout pour leur caractère identitaire (le couple d’hommes qui danse au dessus de la piscine, les déambulations du jeune polonais Tadzio de Mort à Venise), sont d’un impact subjuguant.
L’alchimie avec la qualité orchestrale, la réussite inouïe avec laquelle Kazushi Ono dirige une masse sonore qui peut s’effondrer et se relever avec une fascinante élasticité, se diluer en un envoûtant tissu soyeux, participe à ce climat éprouvant.
Il faut entendre le chœur à l’ouverture, pas toujours homogène, mais chargé de menaces et d’inquiétude, et imposé par la force d’une vidéo projection qui en révèle les visages.
Olga Pasichnyk (Roxane)
Loin d’être de simples interprètes, les chanteurs atteignent un niveau d’implication et d’expression vocale fabuleux.
Physique franchement irréprochable, Mariusz Kwiecien fait de son Roi Roger un bouleversant concentrateur des tourments humains, une puissance parfois violente, qui se voit opposer le berger suave et enjôleur d’Eric Cutler.
La voix du jeune ténor américain est presque idéale, elle respire l’innocence, et ne s’efface dans la musique que très rarement.
Stefan Margita est lui aussi parfaitement distribué pour le rôle d’Edrisi, nous sommes ici beaucoup plus dans le cynisme clair, agressif et théâtral.
L’homme d’affaire est à l’œuvre.
Étourdissante dans l’appel du Roi Roger au deuxième acte, Olga Pasichnyk joue d’ornementations orientalisantes, parfois dans des postures sans soutien au sol, et nous laisse avec des réminiscences inoubliables.
Mariusz Kwiecien (Le Roi Roger)
Retransmis en direct sur le site d’Arte et de l’Opéra National de Paris le 20 juin, le Roi Roger sera ensuite diffusé sur la chaîne ARTE le lundi 12 octobre 2009 à 22H45.
Ainsi s’achève pour l’Opéra de Paris une ère vivante, forte et captivante qui va laisser la place à une autre vision du théâtre : la culture de l’émerveillement.
Mais pour ceux qui souhaitent ne pas basculer dans l’endormissement, l’aventure continue dans les théâtres parisiens et dans les opéras européens proches, dont le Teatro Real de Madrid bien entendu.
Demofoonte (Jommelli)
Représentation du 13 juin 2009 (Palais Garnier)
Direction musicale Riccardo Muti Orchestra Giovanile Luigi Cherubini
Mise en scène Cesare Lievi
Demofoonte Dmitry Korchak
Dircea Maria Grazia Schiavo
Timante José Maria Lo Monaco
Matusio Antonio Giovanni
Creusa Eleonora Buratto
Cherinto Valentina Coladonato
Adrasto Valer Barna-Sabadus
Maria Grazia Schiavo, Riccardo Muti, José Maria Lo Monaco
Il est un peu ridicule de comparer la musique de Jommelli à celle de Mozart (près d‘un demi siècle d‘écart), car c’est avec le point de vue de l’archéologue qu’il faut aller écouter cet ouvrage, et y déceler ce qu’il peut contenir comme constructions harmoniques stimulantes encore aujourd’hui, et surtout pour le siècle de création (1743).
Il est un peu ridicule de comparer la musique de Jommelli à celle de Mozart (près d‘un demi siècle d‘écart), car c’est avec le point de vue de l’archéologue qu’il faut aller écouter cet ouvrage, et y déceler ce qu’il peut contenir comme constructions harmoniques stimulantes encore aujourd’hui, et surtout pour le siècle de création (1743).
D'autant plus que ce Demofoonte est prétexte à un déferlement de sentiments exprimés par des airs étendus, et soutenus par une distribution féminine forte.
Quatre femmes, toutes émotionnellement investies, qui rendent vivants autant que possible Timante - José Maria Lo Monaco lui donne les couleurs et la douleur de celui qui pourrait être le futur Idamante de Mozart-, Dircea - Maria Grazia Schiavo vit sa spontanéité en mélangeant les caractères d’une Suzanne et d’une Fiordiligi -, Creusa - Eleonora Buratto ennoblit expression corporelle et vocale avec une luminosité qui en ferait une Despine luxueuse, Cherinto - Valentina Coladonato sensibilise son chant au point de lui donner un naturel poignant avec ce petit plus d’un bel éclat dans l’aigu.
Les hommes touchent beaucoup moins, Dmitri Korchak impressionne tout de même au second acte à travers un air violent et puissant auquel il ne cède rien.
Eleonora Buratto (Creusa)
Il peut paraître comme cela un peu placide Riccardo Muti - nous lui excusons cette manière solennelle de se faire désirer au début de chaque acte - mais il est le support indispensable à ce spectacle, non seulement par la manière de donner un mélange de rigueur et de gestes caressants aux musiciens, mais aussi par l’accroche que l’on peut lire dans le regard des chanteurs. Il est clairement le maître du plateau.
La mise en scène se distingue par un décor de colonnes orientées dans toutes les dimensions, aussi extravagant que le livret - une histoire où le fils de Demofoonte et la fille de Matusio vont se révéler être des enfants échangés à chaque parent, ce qui permet de lever une malédiction qui obligeait le Roi à sacrifier des jeunes filles chaque année.
José Maria Lo Monaco (Timante)
Le niveau théâtral est d’époque, ce qui n’aide pas à prendre tout cela au sérieux, mais même Gerard Mortier n’aurait pu faire accepter au chef italien de diriger un opéra dans une mise en scène à la Emilio Sagi.
Cyrano de Bergerac (Franco Alfano 1875-1954)
Représentation du 31 mai 2009
Théâtre du Châtelet
Cyrano Placido Domingo
Roxane Nathalie Manfrino
Christian Saimur Pirgu
De Guiche Marc Labonnette
Ragueneau Laurent Alvaro
Carbon Franco Pomponi
La Duègne Doris Lamprecht
Direction musicale Patrick Fourmillier
Orchestre symphonique de Navarre
Mise en scène Petrika Ionesco
Placido Domingo (Cyrano de Bergerac)
Nul doute que le talent à animer un plateau envahi par des dizaines de figurants est ce que nous admirons le plus dans la nouvelle mise en scène de Petrika Ionesco, du véritable film de cape et d’épée.
Décors assez imposants, l’immense ouverture du ténébreux couvent des Dames de la Croix est comme la vie vaincue par la mort, c’est la scène du balcon, plus sobre et soigneuse éclairée, qui séduit le plus.
Placido Domingo (Cyrano)
Avec une force émotionnelle exceptionnelle, Placido Domingo nous tire au bord des larmes, cette manière de déclarer son amour par procuration à Roxane - il est l’ombre, elle est la lumière - alors que la musique d’Alfano tire sur le mélo, est une épreuve irrésistible pour le spectateur.
Et ce n’est rien quand plus loin il avoue la lassitude du poids de son amour inexprimé.
Mais il est aussi vaillant, la puissance de ses éclats de voix sonne comme un avertissement et une défiance, cette énergie improbable fascine.
Placido Domingo (Cyrano) et Nathalie Manfrino (Roxane)
Et Nathalie Manfrino est tout simplement un ange un peu espiègle, doué d’une musicalité qui résiste aux hauteurs de la tessiture sans perdre aucune couleur, et d’effets fuyants absolument magnifiques.
En support de tout cela, le très sympathique Patrick Fourmillier s’évertue à faire vivre la partition avec souffle et élégance, une musique que l’on pourrait rapprocher de celle de Cilea - Adrienne Lecouvreur évidemment - sans leitmotiv marquant.
Le couple principal nous fait un peu oublier les autres partenaires, mais la situation est trop unique.
Ce défi au temps (et Placido Domingo projetterait de revenir au Châtelet en 2011 pour ses 70 ans dans Luisa Fernanda) touche une part profonde en nous même, et cela nous ne l’oublierons pas.
La demi-heure de rappels au rideau final non plus.
Lundi 01 juin 2009 sur Arte à 19H00
Le Freischütz (Carl Maria von Weber)
En direct de Baden Baden
Mise en scène Robert Wilson. Direction Thomas Hengelbrock
Lundi 01 juin 2009 sur Arte à 22H05
La Pathétique de Tchaïkovski (2006)
Dimanche 07 juin 2009 sur Arte à 19H00
Valery Gergiev dirige Glinka, Berlioz, Liszt, Strauss
Au début du mois de décembre 2007, le théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg inaugurait une nouvelle salle de concert de 1.000 places, aménagée dans les anciens ateliers de décors, partiellement détruits lors d'un incendie en 2003.
Lundi 08 juin 2009 sur TF1 à 02H10
Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo
Erik Satie, Offenbach, Dukas, Chopin.
Lundi 08 juin 2009 sur Arte à 22H00
Musica. Lucinda Childs, chorégraphe Samedi 13 juin 2009 sur France 3 à 00H15
Concert aux Invalides, Fête de la Musique 2008
Avec Magali Léger et Béatrice Uria Monzon
Dimanche 14 juin 2009 sur France 3 à 01H05
Le Château de Barbe-Bleue (Bela Bartok)
Opéra National de Paris, avec Willard White et Béatrice Uria-Monzon.Direction Gustav Kuhn.
Dimanche 14 juin 2009 sur France 3 à 02H10
Le Journal d'un disparu (Leos Janacek)
Opéra National de Paris, avec Michael König et Hannah Esther Minutillo. Direction Gustav Kuhn.
Lundi 15 juin 2009 sur TF1 à 02H10
Joseph Merrick dit "Elephant Man"(Laurent Petitgirard)
Avec Jana Sykorova et Nicolas Rivenq. Direction Laurent Petitgirard.
Samedi 20 juin 2009 sur le site internet d'ARTE et de l'Opéra de Paris à 20H00
Le Roi Roger (Szymanowski)
En direct de l'Opéra Bastille avecMariusz Kwiecien,Olga Pasichnyk, Eric Cutler, Stefan Margita. Direction musicale Kazushi Ono, Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Samedi 20 juin 2009 sur France 3 à 20H30
Spécial Fête de la musique. Soirée Jacques Offenbach, en direct des Invalides à Paris
Présentée par Alain Duault, soirée spéciale pour la Fête de la Musique en direct de la cour du Dôme de l’Hôtel national des Invalides (côté place Vauban).
Dimanche 21 juin 2009 sur France 3 à 00H05
Natalie Dessay : Lucia di Lammermoor à Paris (2006)
Dimanche 21 juin 2009 sur Arte à 19H00
Opéra. Giuseppe Verdi: Falstaff. Vladimir Jurowski, direction. 75è Festival de Glyndebourne, juin 2009
Enregistré au Festival de Glyndebourne
Direction musicale: Vladimir Jurowski
Mardi 23 juin 2009 sur France 3 à 04H45
Natalie Dessay : Lucia di Lammermoor à Paris (2006)
Vendredi 26 juin 2009 sur France 3 à 22H55
L'Heure de Ruggero Raimondi
Dimanche 28 juin 2009 sur Arte à 19H00
Maestro. Nadja Michael, les métamorphoses d’une soprano
Lundi 29 juin 2009 sur Arte à 22H00
Musica. Anja Silja, soprano. Portrait documentaire. Anja Silja, le chant d´une vie
Proust ou les intermittences du cœur
Roland Petit
Représentation du 29 mai 2009 au Palais Garnier
Direction musicale Koen Kessels
Chorégraphie Roland Petit (1974)
Albertine Eleonora Abbagnato
Proust Jeune Benjamin Pech
Morel Josua Hoffalt
Monsieur de Charlus Simon Valastro
Saint-Loup Christophe Duquenne
Musiques de Camille Saint-Saëns, Renaldo Hahn, César Franck, Gabriel Fauré, Claude Debussy, Ludwig van Beethoven, Richard Wagner
Daniel Stokes (Le violon) et Mathilde Froustey (Le piano)
Ce que propose Roland Petit avec "Les intermittences du coeur" est une oeuvre illustrative de scènes tirées du roman "A la recherche du temps perdu".
Selon la sensibilité de chacun, la succession de tableaux glisse sur l'âme, ou bien la happe.
Christophe Duquenne (Saint Loup) et Josua Hoffalt (Morel)
Mélange de classicisme et de gestes subtilement humains, la première partie recèle plusieurs duo amoureux charmants, Le violon et le Piano, Albertine et Andrée, bien qu'un chorégraphe comme John Neumeier maîtrise mieux la fraîcheur et le naturel du sentiment si l'on se réfère par exemple aux enlacements de Aschenbach et de son amour de jeunesse dans "La Mort à Venise".
Sur ce monde joliment conventionnel, s'ouvre une grande fracture vers l'enfer proustien, selon la vision sociale de l'époque, où se mêlent hédonisme, recherche d'un idéal de beauté masculine, amour impossible.
Christophe Duquenne (Saint Loup) et Josua Hoffalt (Morel)
La lutte entre Saint Loup et Morel s'appuie sur la gravité et la tension de l‘élégie du violoncelle (Gabriel Fauré). Il en émerge des figures symboliques, des oppositions et des résistances, des corps courbés comme des arcs avec force impressive. Les convolutions du coeur.
Au dernier tableau, l'ouverture de Rienzi annonce l'enterrement d'une période fausse et datée, élans épiques de la musique et hachures brutales des coups d'archers d'une part, grâce de la Duchesse de Germantes entourée de fantômes d'autre part, donnent une image assez belle de cette page qui se tourne.
Seulement était ce une raison pour ne pas rechercher plus de pureté dans l'interprétation musicale, gorgée de sonorités mais rarement délicates?