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Publié le 6 Février 2024

Cosi fan tutte (Wolfgang Amadé Mozart – Burgtheater de Vienne, le 26 janvier 1790)
Représentation du 04 février 2024
Théâtre du Châtelet

Fiordiligi Agneta Eichenholz
Dorabella Claudia Mahnke
Ferrando Rainer Trost
Guglielmo Russell Braun
Don Alfonso Georg Nigl
Despina Patricia Petibon

Direction Musicale Christophe Rousset
Mise en scène Dmitri Tcherniakov (2023)
Orchestre Les Talens Lyriques et Chœur Stella Maris

Coproduction Festival d’Aix-en-Provence

                                           Claudia Mahnke (Dorabella)

Le retour d’un opéra mis en scène sur les planches du Théâtre du Châtelet, 10 ans après la fin d’une période faste pour le genre lyrique en ce lieu, est un moment qui compte dans la vie d’une institution malmenée par la politique culturelle de la ville de Paris ces dernières années.

C’est donc avec un immense plaisir que l’on s’y rend à nouveau en attendant de connaître la véritable première saison d’Olivier Py, un grand professionnel du théâtre, qui, on l’espère, sera cette fois pleinement soutenu par l’équipe municipale.

Georg Nigl (Don Alfonso), Claudia Mahnke (Dorabella), Russell Braun (Guglielmo), Rainer Trost (Ferrando) et Agneta Eichenholz (Fiordiligi)

Georg Nigl (Don Alfonso), Claudia Mahnke (Dorabella), Russell Braun (Guglielmo), Rainer Trost (Ferrando) et Agneta Eichenholz (Fiordiligi)

Confiée à des chanteurs quinquagénaires familiers de Mozart Claudia Manke chantait dans ‘Cosi fan tutte’ il y a 20 ans de cela -, la nouvelle production du dernier volet de la trilogie Da Ponte conçue par le metteur en scène russe Dmitri Tcherniakov, dont on ne compte plus les chefs-d’œuvre scéniques qui comblent les théâtres lyriques du monde entier depuis son inoubliable vision d’‘Eugène Onéguine’ (2006), arrive à Paris après sa création au Festival d’été d’Aix-en-Provence.

Hormis Patricia Petibon qui remplace Nicole Chevalier, la distribution est identique, et c’est cette fois l’orchestre des Talens Lyriques, dirigé par Christophe Rousset, qui reprend la tâche de conduire ces chanteurs le long des plus belles lignes mozartiennes.

Russell Braun (Guglielmo), Agneta Eichenholz (Fiordiligi), Claudia Mahnke (Dorabella) et Rainer Trost (Ferrando)

Russell Braun (Guglielmo), Agneta Eichenholz (Fiordiligi), Claudia Mahnke (Dorabella) et Rainer Trost (Ferrando)

Ce spectacle est un émerveillement de par la manière ingénieuse, et bien rodée, avec laquelle Dmitri Tcherniakov réussit à transcender des chanteurs d’opéras pour en faire des acteurs d’une crédibilité phénoménale.

Trop intelligent pour se satisfaire d’un livret qui voudrait faire croire que deux jeunes femmes peuvent se laisser séduire par l’amant de l’autre sans s’en rendre compte, il nous raconte comment les deux hommes de deux couples aisés et bien établis vont suggérer à leurs épouses respectives de se laisser tenter par une aventure échangiste, lors d’un week-end passé chez Don Alfonso et son amie Despina.

Le décor, très épuré, représente un salon lumineux chauffé par un poêle à bois qui donne, en arrière scène, sur deux chambres disposant chacune d’un très grand lit confortable et immaculé.

Claudia Mahnke (Dorabella) et Agneta Eichenholz (Fiordiligi)

Claudia Mahnke (Dorabella) et Agneta Eichenholz (Fiordiligi)

Avec une habileté hors pair, le metteur en scène noue une première intrigue où la scène des étrangers, venant séduire les deux belles, est tout simplement représentée comme une tentative assumée de proposer l’échange de couples, ce que les deux femmes vont refuser dans un premier temps.

L’analyse du comportement de ces personnages contemporains, se donnant plus ou moins artificiellement de la contenance, lançant des sujets de conversation superficiels, cherchant à créer une ambiance en jouant des apparences, est formidable de précision, particulièrement le personnage de Fiordiligi chanté par Agneta Eichenholz, un modèle d’adaptation sociale très convainquant.

Un bref baisser de rideau permet de bien marquer l’articulation de l’intrigue dans le temps, et la scène des faux malades tend, en apparence, à alléger l’atmosphère.

Comme très souvent avec Tcherniakov, l’aspect anodin des choses ne s’éternise pas et atteint un point de bascule qui précipite l’irréversibilité du drame.

Patricia Petibon (Despina)

Patricia Petibon (Despina)

Dans la seconde partie, Guglielmo réussit à attirer Dorabella dans son lit, et Fiordiligi, qui avait pour un temps repoussé Ferrando, va être sensible à la blessure de ce dernier, vexé lorsque son ami, si l’on peut dire ainsi, lui a montré le film de ses ébats personnels. Ils couchent donc pas consolation et vengeance, comportement à la psychologie bien éprouvée.

Mais le cynisme de situation atteint son paroxysme lorsque Don Alfonso et Despina, disposant de toutes les preuves, les font chanter et obtiennent d’eux qu’ils leur signent, sous la menace, de gros chèques.

Une vengeance de classe se rajoute à la satire sociale, l’instigateur finissant finalement sous les balles de sa complice. On ne sait plus si la morale est sauve ou bien totalement pulvérisée.

Tout cela est joué avec un réalisme bluffant qui hisse tous ces artistes à un niveau théâtral absolument sidérant!  

Claudia Mahnke (Dorabella) et Agneta Eichenholz (Fiordiligi)

Claudia Mahnke (Dorabella) et Agneta Eichenholz (Fiordiligi)

Certes, aucun des chanteurs n’est à son zénith, mais ils démontrent qu’ils ont toujours en chacun d’eux l’essence du chant mozartien, vif et piqué, expressif et sans lourdeur.

Agneta Eichenholz se tire très bien des variations de Fiordiligi, et lorsqu’elle se résout à rejoindre Ferrando, leur duo ‘Fra gli amplessi’ s’achève même sous les applaudissements alors que, dans l’assistance, on verra une mère de famille retenir sa petite fille d’applaudir tant l’immoralité de la situation est rendue avec une très grande force. Son incarnation de la parfaite bourgeoise bien éduquée ne cesse d’ailleurs d’éblouir du début à la fin.

Claudia Mahnke (Dorabella), Agneta Eichenholz (Fiordiligi), Georg Nigl (Don Alfonso), Patricia Petibon (Despina), Russell Braun (Guglielmo) et Rainer Trost (Ferrando)

Claudia Mahnke (Dorabella), Agneta Eichenholz (Fiordiligi), Georg Nigl (Don Alfonso), Patricia Petibon (Despina), Russell Braun (Guglielmo) et Rainer Trost (Ferrando)

Claudia Mahnke, en Dorabella, préserve encore une rondeur de timbre chargée de noirceur, et donne une image de plus en plus sympathique en tant que femme qui aime pleinement les joies de la vie, ce qui l’apparie très bien au Guglielmo de Russell Braun, Mozartien depuis bientôt 30 ans, qui peut compter sur un jeu déclamatoire décomplexé pour compenser l’effacement d’une jeunesse vocale charmeuse.

Georg Nigl (Don Alfonso), Claudia Mahnke (Dorabella), Russell Braun (Guglielmo), Agneta Eichenholz (Fiordiligi), Rainer Trost (Ferrando) et Patricia Petibon (Despina)

Georg Nigl (Don Alfonso), Claudia Mahnke (Dorabella), Russell Braun (Guglielmo), Agneta Eichenholz (Fiordiligi), Rainer Trost (Ferrando) et Patricia Petibon (Despina)

Probablement le plus touchant de la distribution, Rainer Trost fait aussi ressentir des limites dans les aigus les plus sensibles, mais cela va tant de pair avec le portrait timoré, voir torturé, de Ferrando, qu’il en ressort une véritable intégrité de caractère - il chantait déjà le rôle en 1992 ! -.

Et c’est un Don Alfonso iconoclaste que fait entendre Georg Nigl, au mordant très clair, doté d’une souplesse corporelle stupéfiante, et d’un véritable goût pour les maléfices de l’esprit. Patricia Petibon trouve enfin auprès de lui un emploi qui lui permette d’exprimer la violence intérieure de Despina.

Georg Nigl, Claudia Mahnke, Rainer Trost, Christophe Rousset, Agneta Eichenholz, Russell Braun et Patricia Petibon

Georg Nigl, Claudia Mahnke, Rainer Trost, Christophe Rousset, Agneta Eichenholz, Russell Braun et Patricia Petibon

Reste aux musiciens des Talens Lyriques à faire revivre la verve jeune et raffinée de Mozart, son éclat et son élégance de style, et Christophe Rousset leur impulse un superbe geste ferme et allant, agile et chaleureusement coloré qui, en permanence, figure l’esprit malicieux et tendre du compositeur. 

Une réalisation de très belle facture qui enveloppe l’action scénique pour aboutir à un spectacle des plus enthousiasmant et captivant, et qui démonte tous les poncifs ringards que l’on peut avoir sur le genre opératique. Le public, probablement en grande majorité éloigné des amateurs lyriques, a pu constater à quel point une œuvre du passé peut encore lui parler de ce qui le concerne.

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Publié le 23 Juin 2022

Barbe-Bleue (Pina Bausch - 1977) Théâtre du Châtelet
Blaubart. Beim Anhören einer Tonbandaufnahme von Béla Bartóks Oper ‘Herzog Blaubarts Burg’
Représentation du 22 juin 2022
Théâtre du Châtelet – Théâtre de la ville

Musique Béla Bartok (1918)
Version du ‘Chateau de Barbe-Bleue’ enregistrée par l’Orchestre symphonique de la radio de Berlin en 1958 pour Deutsche Grammophon avec Dietrich Fischer-Dieskau et Hertha Topper sous la direction de Ferenc Fricsay

Judith Tsai-Chin Yu
Barbe-Bleue Reginald Lefebvre

Tanztheater Wuppertal
Mise en scène et chorégraphie Pina Bausch


Assister à une représentation de 'Barbe-Bleue' dans la chorégraphie créée le 08 janvier 1977 par Pina Bausch et sa compagnie, le Tanztheater Wuppertal, est une expérience toujours aussi éprouvante pour le spectateur d’aujourd’hui, car la violence des rapports entre hommes et femmes qui est mise en scène se double d’une utilisation de la musique enregistrée de l’opéra de Bartok qui est systématiquement interrompue et ramenée en arrière comme pour torturer le cerveau de l’auditeur qui ne souhaite pas ces altérations.

Tsai-Chin Yu (Judith)

Tsai-Chin Yu (Judith)

Le décor pourtant poétique baigne dans une lumière automnale sur un lit de feuilles mortes qui déborde jusqu’aux moindres interstices de la scène surplombée d’un arc doré, et les fenêtres mal lavées de la pièce principale laissent entrevoir un extérieur pourtant inaccessible.

Barbe-Bleue est ainsi le jeune maître de ce refuge et du temps qui s’y écoule, libre d’activer une platine pour laisser jouer la musique de Bartok et de l’arrêter quand elle ne s’inscrit plus dans l’humeur qui l’anime. D’où ces retours répétés alors qu’il est traîné au sol par Judith comme un fardeau qui recherche le réconfort sans se soucier du poids qui s’applique à l’autre

Reginald Lefebvre (Barbe-Bleue) et Tsai-Chin Yu (Judith)

Reginald Lefebvre (Barbe-Bleue) et Tsai-Chin Yu (Judith)

Un groupe d’hommes et de femmes survient, marchant lentement têtes baissées comme des zombies vidés de leurs envies, et Judith semble vouloir libérer ces femmes et les ranimer. Un véritable combat débute où les forces émotionnelles, les positionnements sexuels parfois fort agressifs, y compris de la part des femmes, et les élans de réconforts se mêlent dans une chorégraphie qui ne craint ni les chocs avec les murs de la réalité, ni les rires déployés ou les cris hystériques.

Tanztheater Wuppertal

Tanztheater Wuppertal

Et l’on assiste bouche bée à une diffraction des comportements humains des deux sexes qui peuvent se révéler très touchants, y compris dans les reflets de Barbe-Bleue quand l’un des danseurs s’écroule répétitivement dans un cri de douleur comme un homme au cœur brisé souffrant de son désir pour l’autre, tel un adolescent en pleine peine romantique.

Tsai-Chin Yu (Judith) et Reginald Lefebvre (Barbe-Bleue)

Tsai-Chin Yu (Judith) et Reginald Lefebvre (Barbe-Bleue)

Ce voyage dans la psyché humaine laisse éclore des moments plus légers quand il s’agit de moquer le conditionnement des hommes qui se croient obligés de singer des pauses masculines afin de se rassurer sur leur virilité, sans éviter les moments qui mettent le plus mal à l’aise quand une femme oppose une petite poupée à un Barbe-Bleue dominateur, comme si un conditionnement se mettait en place dès l’enfance et que le rapport de force était disproportionné.

La chevelure est un moyen puissamment esthétique de signifier la soumission de la féminité lorsqu'elle masque les visages, et la compassion est systématiquement exprimée par les femmes, comme si leur besoin de sauver l’autre était plus fort malgré de tels jeux pervers.

Barbe-Bleue (Pina Bausch Tanztheater Wuppertal) Théâtre du Châtelet

Tsai-Chin Yu est absolument bouleversante, bras levés au ciel, tout en laissant son corps s’effondrer pour, ensuite, retrouver une élasticité dans ses élans vers l’autre, poussée vers une irrésistible attirance pour le danger. Les tentatives de réconciliation tournent court, et le besoin d’écraser le second sexe est ici décrit au moyen d’un empilement par Barbe-Bleue des corps inanimés de trois femmes sur une même chaise 

Reginald Lefebvre (Barbe-Bleue)

Reginald Lefebvre (Barbe-Bleue)

Mais cet homme malade se laisse submerger. Et pour montrer qu’il rythme la vie des autres jusqu’au bout, même sans l'aide du moindre moyen technique, des couples parcourent dans tous les sens la pièce infernale en s’immobilisant à chaque claquement de ses mains, faisant se figer des poses facilement lisibles en 4 ou 5 tableaux différents qui se répètent inlassablement, alors que Judith, étouffée, se vide de sa substance.

Cette spirale itérative agit aussi sur les nerfs du spectateur qui se sent pris dans un mouvement infini inarrêtable.

Tanztheater Wuppertal

Tanztheater Wuppertal

Ce retour aux prémisses des grands mouvements féministes permet de mesurer comment la société a évolué jusqu’à aujourd’hui et de constater comment les questions sur la masculinité ont été surmontées depuis; Et appréhender ce spectacle pour ses qualités artistiques et ce qu’il exige des fantastiques danseurs et danseuses du Tanztheater Wuppertal est aussi un défi pour tous les spectateurs.

La reprise de 'Kontaktof' au Palais Garnier en décembre 2022, une pièce créée un an après en 1978, sera une manière de poursuivre cette exploration du langage de Pina Bausch formé d’entrelacs de mouvements dansés et de musiques enregistrées, qui sont exploités afin de bouleverser les codes de la représentation des relations humaines. 

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Publié le 9 Mars 2022

Soirée exceptionnelle du 08 mars 2022 en soutien au peuple ukrainien avec le Kyiv City Ballet et des danseurs de l’Opéra national de Paris
Théâtre du Châtelet

Classe du Kyiv City Ballet et des danseurs de l’Opéra national de Paris
Aurélie Dupont, Directrice de la Danse de l’Opéra national de Paris
Bruno Bouché, Directeur du Ballet du Rhin
Ivan Kozlov, Directeur du Kyiv City Ballet

Extraits de ballets :
Le Lac des Cygnes
(Piotr Ilitch Tchaïkovski - Chorégraphie d’après Marius Petipa) 
Acte II, Pas de deux
Olga Posternak (Kyiv City Ballet) & Paul Marque (Danseur étoile du Ballet de l’Opéra national de Paris)
Acte I, Pas de trois
Kristina Bakliak, Yulia Kuzmych, Mikhailo Shcherbakov

Taras Bulba, variation d’Ostap (Vassili Soloviov-Sedoï - Chorégraphie de Fedor Lopoukhov)
Taras Titarenko

Flammes de Paris, variation de Jeanne (Boriss Assafiev -  Chorégraphie d’après Vassili Vainonen)
Marta Kalandruk

Casse-Noisette, Pas de trois « Danse des Mirlitons » (Piotr Ilitch Tchaikovskï - Chorégraphie d’après Marius Petipa)
Kristina Bakliak, Yulia Kuzmych, Daniil Podhrushko

Composition de Vladyslav Dbshynskyi (Musique de Johann Johansson)
Vladyslav Dbshynskyi                                                                 Vladyslav Dbshynskyi

Men From Kiev (Chorégraphie de Pavlo Virsky)
Mykola Chebotaryev, Mykola Varvaliuk, Daniil Podnrishko, Mihajilo Shcherbakov, Mikhailo Kravets, Volodymr Bukliev, Nazar Korniichuk, Evheni Sheremet, Roman Mdoroz

Défilé du Kyiv City Ballet  - Marche des cosaques zaporogues

Hymne ukrainien (en vidéo)
Orchestre de chambre de Paris - Katia Buniatishvili, piano, Victor Jacob, direction

Cette soirée est réalisée en collaboration avec le Théâtre de la Ville, avec le soutien de la Ville de Paris.

Aurélie Dupont et les danseurs du Kyiv City Ballet

Aurélie Dupont et les danseurs du Kyiv City Ballet

Organisée en urgence et annoncée 3 jours à l’avance seulement, la soirée donnée en soutien au peuple ukrainien avec le Kyiv City Ballet et des danseurs de l’Opéra national de Paris débutait par une extraordinaire effervescence dans la salle mêlée d’excitations et d’émotions à se retrouver, d’une part, au milieu d’un public venu de tous horizons, et, d’autre part, à se préparer à découvrir des personnes directement concernées par l’invasion russe en Ukraine déclenchée le 24 février 2022, et qui a déjà engendré l’exode de 2 millions de personnes.

Actuellement, au moins un danseur et une danseuse du Kyiv City Ballet, Olekiy Potyomkin et Lesya Vortonyk, ont pris les armes en Ukraine.

Ekaterina Kozlova, Ivan Kozlov, Emmanuel Demarcy-Mota et Anne Hidalgo

Ekaterina Kozlova, Ivan Kozlov, Emmanuel Demarcy-Mota et Anne Hidalgo

Devant le rideau de scène du Châtelet aux tons mordorés de Gérard Garouste (1989), Bruno Bouché, Directeur du Ballet du Rhin et ancien sujet du Corps de Ballet de l’Opéra national de Paris, Aurélie Dupont, Directrice de la danse de l’Opéra national de Paris, Ivan Kozlov, Directeur du Kyiv City Ballet depuis sa création en 2012, Ekaterina Kozlova, son épouse et directrice associée, Emmanuel Demarcy-Mota, Directeur du Théâtre de la Ville, Anne Hidalgo, Maire de Paris et Thomas Laudiot dit Prevost, Directeur du Théâtre du Châtelet, ont présenté la compagnie et expliqué comment la soirée allait se dérouler. La première partie serait dédiée à un échauffement de tous les artistes, et, après un court précipité, un spectacle d’une vingtaine de minutes serait joué.

Hugo Marchand et les danseurs du Kyiv City Ballet

Hugo Marchand et les danseurs du Kyiv City Ballet

Nous retrouvons donc Aurélie Dupont en maître de corps de ballet dirigeant les danseurs dans leurs échauffements, ports de bras, déroulés, pliés, arabesques, pas de bourré et autres fouettés au son du piano qui interprète des airs classiques issus d’ouvrages français, tel celui des ‘Pêcheurs de perles’ joué en ouverture. 

Il est absolument merveilleux d’observer ces danseurs et danseuses qui se découvrent mutuellement et recherchent une harmonie collective. Ils sont beaux à voir dans leurs gestes, leurs démonstrations de souplesse, leurs sourires et leurs visages. Mais ils ne sont pas habitués à s'échauffer en public.

Danseur du Kyiv City Ballet

Danseur du Kyiv City Ballet

Aurélie Dupont donne aussi l’impression de se retrouver elle même, quittant ses responsabilités managériales pour retrouver son âme d’artiste. Hugo Marchand s’échauffe en avant-scène, côté jardin, et Paul Marque intervient un peu plus au centre. Un peu plus tard, la soixantaine de danseurs se séparera en deux groupes pour réaliser les exercices finaux, toujours sous la direction d’Aurélie Dupont et Bruno Bouché. La salle est légèrement éclairée en cours de travail afin de permettre aux artistes de répéter avec tous les repères visuels possibles.

Soutien au peuple ukrainien (Kyiv City & Opéra de Paris Ballets) Châtelet

Une fois le rideau temporairement baissé pour laisser le temps aux danseurs de se préparer, il se relève sous les lumières bleutées du ‘Lac des Cygnes’ de Tchaïkovski. Paul Marque s’élance avec Olga Posternak dans un pas de deux où il se révèle d’une assurance et d’une bienveillance magnifiques. Puis, Mikhailo Shcherbakov, danseur né à Pugachov, en Russie, avant de rejoindre Kiev à l’âge de 10 ans, offre son allure enfantine et démonstrative en soutien à Kristina Bakliak et Yulia Kuzmych.

Kristina Bakliak, Mikhailo Shcherbakov et Yulia Kuzmych

Kristina Bakliak, Mikhailo Shcherbakov et Yulia Kuzmych

Au souffle des plaines ukrainiennes avec la variation d’Ostap de ‘Taras Bulba’, ballet du compositeur russe Vassili Soloviov-Sedo, les sauts tournoyants de Taras Titarenko transmettent ensuite une énergie fière et heureuse malgré tout.

Il y aura d’autres classiques, 'Flammes de Paris' et 'Casse-Noisette', mais la création est aussi présente avec une composition de Vladyslav Dbshynskyi dansée sur la musique du compositeur islandais Johann Johansson. Vladyslav Dbshynskyi interprète lui même sa chorégraphie, torse nu sous des lumières ombrées, comme un guerrier qui s’offre à l’univers afin d’en récolter l’énergie pour se préparer au combat.

Taras Titarenko

Taras Titarenko

Le Folklore ukrainien prend alors toute sa place avec une chorégraphie du danseur ukrainien Pavlo Virsky (Odessa 1905 – Kiev 1975) où 8 danseurs du Kyiv City Ballet aux couleurs bleu et jaune du drapeau national se confrontent joyeusement. Un défilé s’organise avec tous les danseurs, et Paul Marque réapparaît avec Olga Posternak pour un pas de deux, avant que l'ensemble de la troupe ukrainienne ne vienne se recueillir à l’avant scène pour entonner l’hymne de son pays au son d’une vidéo enregistrée avec l’Orchestre de chambre de Paris, Katia Buniatishvili au piano, sous la direction de Victor Jacob.

Paul Marque, Olga Posternak et les danseurs du Kyiv City Ballet

Paul Marque, Olga Posternak et les danseurs du Kyiv City Ballet

En espérant que d’autres rencontres auront lieu car elles permettent de maintenir un lien émotionnel direct avec des grands représentants d’un peuple éblouissant pas son courage de tous les jours offert à la vue du monde entier. 

L'hymne ukrainien chanté par le Kyiv City Ballet

L'hymne ukrainien chanté par le Kyiv City Ballet

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Publié le 12 Juillet 2021

Les variations Goldberg BWV 988 (Jean-Sébastien Bach – vers 1740)
Représentation du 10 juillet 2021 – 20h00
Théâtre du Châtelet

Chorégraphie et Danse Anne Teresa De Keersmaeker
Piano Pavel Kolesnikov

Première le 26 août 2020 au Wiener Festwochen

Alors que le centre de Paris baigne dans une lumière d’argent, mélange de pluie et de lumière solaire, et l’effervescence habituelle d’un samedi soir, le Théâtre du Châtelet offre au cœur de cette ambiance urbaine un moment de recueillement profondément contemplatif en laissant la scène à un jeune pianiste, Pavel Kolesnikov, et une chorégraphe qui depuis plus de 40 ans dresse des liens entre structures musicales et expressions par le mouvement.

Pavel Kolesnikov et Anne Teresa De Keersmaeker

Pavel Kolesnikov et Anne Teresa De Keersmaeker

Anne Teresa De Keersmaeker est seule sur scène, et c’est tout ce qu’elle perçoit des lignes, rythmes et ruptures essentielles de la musique de Bach qui est ainsi imagé, mais le spectateur ne voit plus que les signes, les ornements des bras, les pivotements qui résultent d’une interprétation qui n’est pas toujours évidente puisqu’un même motif musical peut être traduit par un battement du corps différent.

Le jeu pianistique de Pavel Kolesnikov est allègre, d’une douceur légèrement pointée, et la chorégraphe ne laisse aucun bruit troubler l’écoute visuelle. Pourtant, la mise en espace est telle qu’elle peut donner lieu à une interprétation très subjective.

Pavel Kolesnikov et Anne Teresa De Keersmaeker

Pavel Kolesnikov et Anne Teresa De Keersmaeker

En effet, pendant toute la première partie, Anne Teresa De Keersmaeker danse vêtue d’un fin linge noir semi-transparent devant un panneau situé en hauteur et qui diffracte une lumière froide, un peu comme un clair de pleine lune qui annoncerait la fin d'une histoire. La pénombre s’accentue au fur et à mesure que l’héroïne s’éloigne de l’avant-scène.

Pavel Kolesnikov et Anne Teresa De Keersmaeker

Pavel Kolesnikov et Anne Teresa De Keersmaeker

Et dans la seconde partie, après une brève interruption, elle réapparaît en rouge, alors qu’une autre structure cette fois située au sol, comme un imposant rocher d’or disposé auprès du pianiste, semble suggérer le passage à travers les limites du temps pour redonner un élan vital et permettre une transmission régénérative au public même. 

Une plongée dans le crépuscule comme source de renouveau créatif.

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Publié le 25 Septembre 2016

Faust I & II (Goethe / Robert Wilson / Herbert Grönemeyer)

Représentation du 23 septembre 2016
Théâtre de la Ville - Théâtre du Châtelet

Faust I Winfried Goos, Anatol Käbisch, Sven Scheele, Felix Strobel, Fabian Stromberger
Faust II Fabian Stromberger
Mephistophélès Christopher Nell
Marguerite Christina Drechsler, Claudia Graue, Gaia Vogel
La Sorcière / L'Archevêque Luca Schaub
L'Empereur Raphael Dwinger
Parîs Sven Scheele
Hélène Anna von Haebler

Mise en scène Robert Wilson
Adaptation et dramaturgie Jutta Ferbers
Musique et chansons Herbert Grönemeyer                  Christopher Nell (Méphistophélès)

Production Berliner Ensemble (2015)
Avec le soutien du Goethe Institut

Cette saison, pour le premier spectacle de Robert Wilson au Théâtre de la Ville - suivront d'ici l'hiver 'L'Opéra de quat'sous' et 'Letter to  man' -, la grande scène du Théâtre du Châtelet accueille le metteur en scène texan qui est régulièrement invité en ce lieu, depuis vingt cinq ans, pour y représenter essentiellement des ouvrages lyriques de compositeurs aussi différents que Johann Sebastian Bach, Christoph Willibald Glück, Richard Wagner ou bien Philip Glass.

Fabian Stromberger (Faust)

Fabian Stromberger (Faust)

Nombre de jeunes élèves parisiens se sont ainsi déplacés pour assister à une version onirique de 'Faust I' et 'Faust II' dominée par l'impressivité des costumes, des éclairages et des maquillages d'un bleu arctique de toute beauté, qui dépasse le pouvoir des mots extraits de l'oeuvre originale.

Et dès l'ouverture de la salle, nous avons la surprise d'être éveillés par une musique électrique forte et agressive, jouée sans ambages par l'orchestre du Berliner Ensemble

Sven Scheele, Winfried Goos, Felix Strobel, Anatol Käbisch, Christopher Nell

Sven Scheele, Winfried Goos, Felix Strobel, Anatol Käbisch, Christopher Nell

D'apparence classique, avec ses violons, alto et violoncelle, la formation est également composée d'un synthétiseur, de percussions et d'un piano électronique, comme s'il s'agissait d'atteindre la sensibilité de la part la plus juvénile du public par des couleurs issues de l'univers musical affectif du metteur en scène. 

Herbert Grönemeyer, rock star allemande, en est le compositeur.

La première réflexion qui émerge de ce spectacle de 3h30 est oh! combien le propos reste joyeux, ironique et irrévérencieux face à la damnation inéluctable du héros.

Christopher Nell (Méphistophélès)

Christopher Nell (Méphistophélès)

La mélancolie se lit dans les regards peints, s'instille dans la musique intemporelle sur laquelle apparaît Faust, tout au début, et laisse place à une vitalité, à des silences ou bien à de grands passages chantés en choeur et dansés frénétiquement, alors que le Méphistophélès de Christopher Nell rythme la scène en jouant dans son espace entier jusqu'aux hauteurs des parois qui l'enserrent. 

Il est un adolescent qui peut être aussi amical qu'infernal.

Dans 'Faust I', les scènes s'enchaînent, sans temps mort, les mots défilent, parfois trop vite, et la performance, et la poésie des pauses, l'emportent sur le sens dramaturgique de l'oeuvre - Marie n'a, ici, qu'un rôle anecdotique.

Raphael Dwinger (L'Empereur)

Raphael Dwinger (L'Empereur)

La seconde partie, 'Faust II', réduit fortement l'oeuvre de Goethe, et se moque beaucoup plus clairement des rôles et artifices d'une société dépassée. 

Que ce soit l'Empereur, frêle et grimaçant sous ses précieuses parures, ou bien l'archevêque qui se retrouve bardé d'une érection grotesque au cours d'une scène orgiaque, Robert Wilson raille une société entière, vainement orgueilleuse et fière de ses titres.

La musique est nettement moins provocante qu'en première partie, mais Méphistophélès est toujours cette présence inévitable qui lie ce petit monde clownesque.

Matthias Moscbach (Le Général) et Krista Birkner (Une Dame de la cour)

Matthias Moscbach (Le Général) et Krista Birkner (Une Dame de la cour)

Belle image de Parîs et Hélène, un rêve de perfection antique, dont on reconnaît une scène de rencontre, lente et figée dans l'ombre, qui est la reprise exacte d'un tableau de 'Die Frau ohne schatten', opéra de Richard Strauss que Wilson mit en scène sur la scène Bastille en 2003.

L'ambiguïté masculine et féminine se découvre comme toujours dans les figures androgynes imaginées par le régisseur.

La nature fait aussi irruption à travers deux vidéographies, l'une représentant les magnifiques déployés musculaires, filmés au ralenti, d'un guépard pris en pleine course, et d'un troupeau de gnou pris en pleine fuite à travers la savane africaine.

Sven Scheele (Parîs) et Anna von Haebler (Hélène)

Sven Scheele (Parîs) et Anna von Haebler (Hélène)

La beauté de ces images naturelles suffit à rappeler la magnificence du monde tant soit peu que l'on s'y intéresse.

Faust, lui, réapparaît un temps sous forme d'un automate régi par une mécanique d'engrenages astucieusement animée et guidée sur le plateau scénique sombre et marqué de-ci de-là par quelques touches de lumières.

Fabian Stromberger (Faust)

Fabian Stromberger (Faust)

Robert Wilson est passé maître dans l'art d'utiliser les mythes et les textes pour servir son magnifique théâtre personnel jaloux des forces inconscientes qui le traversent, et son regard sur les facticités du monde est une invitation à ne pas le prendre au sérieux plus que nécessaire.

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Publié le 26 Janvier 2015

Il Re Pastore (Wolfgang Amadé Mozart)
Représentation du 24 janvier 2015
Théâtre du Châtelet

Alexandre Rainer Trost
Aminta Soraya Mafi
Elisa Raquel Camarinha
Tamiri Marie-Sophie Pollak
Agenore Krystian Adam

Mise en scène Olivier Fredj
Mise en scène et scénographie Nicolas Buffe

Direction Musicale Jean-Christophe Spinosi
Ensemble Matheus                                                                     
Rainer Trost (Alexandre)

Si l’interprétation d’Il Re Pastore représentée sur la scène du Théâtre du Châtelet est une réussite, elle le doit principalement à ses qualités musicales, aussi inventive que soit la mise en scène.
A l’origine, cette sérénade est un oratorio écrit sur commande pour la venue de l’Archiduc Maximilien François Xavier d’Autriche à Salzbourg. Mozart a alors 19 ans, et les sentiments tendres de sa jeunesse irriguent l’intégralité de la partition.

Soraya Mafi (Aminta)

Soraya Mafi (Aminta)

Or, la distribution réunie ce soir porte en elle le charme de cette enfance rêveuse, totalement incarnée par l’Aminta de Soraya Mafi. Constance d’une voix aérienne et immatérielle, évocation de l’innocence, elle fait vibrer notre joie de vivre. Et sous un unique faisceau de lumière, dos en appui sur les dorures du cadre de scène, elle soupire l’air le plus connu de l’œuvre, L’amero, saro constante. Une telle pureté de sentiment ne peut que toucher la sensibilité de nombre d’auditeurs.

Soraya Mafi (Aminta)

Soraya Mafi (Aminta)

Sa compagne, Raquel Camarinha, dans le rôle d’Elise, n’obtient pas la même finesse de timbre, mais elle a une fraicheur mozartienne qui s’allie joliment avec elle dans les nombreux duos qui les réunissent.

Plus complexe et non dénué d’ambigüités, le chant de Marie-Sophie Pollak dévoue également au personnage de Tamiri, celle dont la mission est de sauver sa peau, les traits d’une personnalité qui annonce la future Zerline de Don Giovanni.

Et des deux partenaires masculins, Krystian Adam est celui qui révèle le plus de délicatesse, dédiant ainsi à Agenore une stature humaine que l’on ne retrouve pas en l’Alexandre magnanime de Rainer Trost, faute de relief saisissant.

Marie-Sophie Pollak (Tamiri) et Krystian Adam (Agenore)

Marie-Sophie Pollak (Tamiri) et Krystian Adam (Agenore)

Mais à l’unisson de ces voix homogènes, l’Ensemble Matheus fluidifie avec une verve élégante les lignes musicales rougies par les sonorités superbement fusionnées des cuivres et des cordes. On pourrait même regretter que Jean-Christophe Spinosi n’ait pas cherché à réorchestrer la partition afin de lui rendre un modelé plus dramatique et une plus grande consistance. Cette délicatesse évanescente n’en est pas moins grisante.

La mise en scène d’Olivier Fredj et Nicolas Buffe, elle, projette cet épisode imaginaire du début des conquêtes d’Alexandre Le Grand dans les temps des voyages interstellaires, et vers ces années où les séries d’animations japonaises envahissaient les écrans des télévisions de Golgoths, de space opéras et de héros d’honneur.

Il Re Pastore (S.Mafi-R.Trost-N.Buffe-J.C-Spinosi) Châtelet

L’univers numérique recréé est captivant et s’adresse à plusieurs générations de spectateurs. Planètes multicolores, nuages apocalyptiques et angoissants, cartes d’identités 3D décrivant avec humour chaque protagoniste, voitures Twizy futuristes, traits visuels et sonores fuyants, cette profusion d’images est en mouvement permanent. Des acrobates miment aussi la gestuelle ridicule des personnages de mangas.
On pourrait s’attendre à un effet de saturation, pourtant, la musique et le chant restent au cœur de ce spectacle qui a tout pour faire se rencontrer l’adolescence de Mozart et l’enfance d’aujourd’hui.

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Publié le 8 Septembre 2014

Limb’s Theorem (William Forsythe)

Ballet de l’Opéra de Lyon

Représentation du 06 septembre 2014

Théâtre du Châtelet

 

Musique enregistrée de Thom Willems

 

Chorégraphie William Forsythe (1990)

Festival d’Automne à Paris

 

 

                                                                                     "Enemy in the figure"

L’ouverture du Festival d’Automne à Paris avec Limb’s Theorem est un choc esthétique aussi bien sur le plan musical que chorégraphique.

Si la première pièce excessivement sombre oblige à un effort pour suivre les danseurs qui s’opposent sous une immense plaque mobile tournoyant autour d’un de ses angles, c’est la seconde pièce, ‘Enemy in the figure’, qui concentre sur elle une tension impressionnante.

Limb’s Theorem (Ballet/Opéra de Lyon-William Forsythe) Châtelet

Car il y a un accord parfait entre les éphémères claquements violents et inattendus de la musique de Thom Willems, les mouvements fuyants aussi bien des danseurs-coureurs que de leurs ombres, et des ondulations imprimées sèchement à des cordes tendues au sol.

Mais les éclairages rasants, eux-aussi, ont le pouvoir de renforcer l’expressionisme de ces scènes  qui exaltent la musculature sportive de ces hommes et femmes qui,  en groupe ou en duo, sont pris dans une danse spectaculaire par sa froideur et sa rigueur, une humeur distanciée et glaçante.

 

Et tout cela dans un univers de bas-fonds démesurés d’une cité moderne, la nuit.

 

On ne sait plus si William Forsythe cherche à glorifier la confiance d’une jeunesse dans son rapport d’égal à égal avec l’autre sans que ne s’exprime le moindre sentiment, ou bien à faire des ensembles saisissants par la beauté froide de leurs déploiements de bras et de cambrures quasi-mécaniques.

 

 

D’un seul coup, un danseur provient de l’arrière scène en courant comme s’il rejoignait une cible, pour que son corps se transforme en une ombre qui traverse l’avant-scène à la façon d’un intrus qui signale sa présence inquiétante, comme dans les grands films noirs à suspens.

Limb’s Theorem (Ballet/Opéra de Lyon-William Forsythe) Châtelet

Ce mouvement permanent de fuites et de luttes au corps-à corps, et  l’impression d’une prise au piège fatale, face ou dos à la paroi courbe et centrale en bois, dégagent une puissance vitale phénoménale qui résonne avec nos propres forces internes, et nos bouillonnements volcaniques qui voudraient annoncer une nouvelle naissance.

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Publié le 23 Mai 2012

Dmitri Hvorostovsky
Récital du 21 mai 2012
Théâtre du Châtelet
Piano Ivari Ilja

Serge Rachmaninov
Près des portes du saint monastère. Elle est belle comme le jour. Le Lilas. La Résurrection de Lazare

Serge Taneïev
Tout dort. Menuet. Non, ce n'est pas le vent. La route en hiver. Stalactites. Le coeur bat en repos.

Franz Liszt
Oh! Quand je dors. Je ne trouve point la paix. Il m'a été donné de voir sur terre un ange

Piotr Ilitch Tchäikovski
Nous étions assis tous les deux. Nuit. Par cette nuit de lune. Le soleil s'est couché. Dans les jours sombres. A nouveau seul, comme avant                                                                          Dmitri Hvorostovsky

Bis
Duparc Extase. Verdi Credo de Iago


Régulièrement invité à l'Opéra de Paris entre 2003 et 2008 pour incarner de grands personnages issus de la noblesse - le Comte Almaviva, le Comte di Luna, Simon Boccanegra et le Marquis de Posa -, le baryton sibérien à la blanche chevelure léonine se distingue sur scène par sa (trop?) fière allure, et par un art du chant au charme froid et au timbre voilé.

Il en résulte ainsi d'instables variations entre expressions dissoutes et intonations cinglantes.

Dans l'exercice du récital, Dmitri Hvorostovsky devient inévitablement plus présent, et les mélodies principalement russes de ce soir prennent, sous les couleurs sombres et amères de sa voix, l'expression d'un cœur noir et dur sans affectation.

L'écriture étonnamment âpre des quatre romances de Rachmaninov l'amène à des inflexions justes et significatives, et l'on retrouve dans la seconde partie, plus latine même chez Tchaïkovski, son sens du legato doux mais incolore, frappé d'une émission qui peut être très puissante.

Dmitri Hvorostovsky

Dmitri Hvorostovsky

Toute la soirée est vouée à la poésie qui exprime autant l'indicible du sentiment amoureux que son souffle violent, sans que cela n'empêche cependant l'artiste de sortir de son intériorité pour saluer le public entre chaque air d'un sourire franc.
Le geste est sympathique, mais invite aussi à la distance.

Et si le premier bis, l'Extase (Henri Duparc), prolonge l'atmosphère méditative du récital, le second, le Credo de Iago (Giuseppe Verdi), sacrifie un air d'opéra au goût d'une partie du public pour les numéros démonstratifs, le distrayant sans doute de son ennui, même si l'incarnation est au final bien fade.

Au piano, Ivari Ilja aura joué un rôle essentiel dans le dessin d’un relief musical tendu et poignant.

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Publié le 12 Mai 2012

Einstein on the Beach (Philip Glass)
Représentation du 06 mai 2012
Barbican Theater (Londres)

Rôles principaux
Helga Davis
Kate Moran
Antoine Silverman Einstein/Violoniste
Jasper Newell Le garçon
Charles William Mr Johnson

Mise en scène Robert Wilson
Chorégraphie Lucinda Childs

Textes de Christopher Knowles,
Samuel M Johnson, Lucinda Childs

Direction musicale Michael Riesman                                 Antoine Silverman (Einstein)
The Philip Glass Ensemble

 

La résurrection d'un des tout premiers succès de Robert Wilson (Avignon 1976) est un événement qui permet à celles et ceux qui suivent son travail créatif sur les scènes lyriques et théâtrales de revenir aux origines esthétiques du metteur en scène américain.

Il faut reconnaître qu' Einstein on the Beach est un ouvrage assez déroutant, les tableaux qui se succèdent, qu’il s’agisse du train, du tribunal ou des danses, n’évoquent pas directement l’univers du physicien tel qu‘on se l‘imagine à priori.

A vrai dire, la manière dont les rôles clés - juges, témoins, dactylos - sont également répartis entre acteurs blancs et noirs rappelle l'engagement contre les discriminations raciales tel que Bob Wilson l'a vécu dans sa vie personnelle – il a lui même sauvé un adolescent noir sourd-muet des coups des policiers, et l'a par la suite adopté.

Building

Building

Or, fait peu connu, Einstein s'était lui même engagé pour cette cause antiraciste peu après son arrivée aux Etats-Unis, à l'identique de son engagement contre l'antisémitisme tel qu'il le vivait en Allemagne dans les années 20.

Cette empathie avec la sensibilité du scientifique, Wilson la décline aussi lorsque qu'il le représente un peu à l'écart de la scène, en surplomb de l'orchestre, jouant du violon (Antoine Silverman), un instrument de musique qui l'accompagnera toute sa vie.

On voit un être recueilli, se sentant à part des autres, ou du moins différent.

Indissociable de la musique, ne serait-ce par la récurrence des motifs vocaux ou visuels, la scénographie anime les personnages comme des mannequins mécaniques, sans pour autant leur ôter la légèreté de leur humanité.

Spaceship : Caitlin Scranton (Woman with a Telescope)

Spaceship : Caitlin Scranton (Woman with a Telescope)

Mimiques humoristiques et glamour des sonorités de la langue anglaise – à l'instar des inlassables reprises de Kate Moran (Le témoin) "I wasn't tempted to buy one but i was reminded of the fact that i had been avoiding the beach" dans la scène de la prison - se superposent aux élocutions répétitives du chœur et aux rythmes changeant de l’électronique musicale, si bien que - et c’est bien le plus surprenant - l’on reste accroché par un flux permanent qui, s’il n’empêche pas les pensées de voguer vers d’autres sujets, crée une spirale addictive à laquelle on se laisse aller sans lassitude pendant les quatre heures et trente minutes que dure le spectacle sans entracte.

Ce n’est pourtant pas forcément la musique - entièrement sonorisée au point de desservir quelques instruments comme le saxophone - qui produit les émotions les plus profondes mais, par exemple, les simples interludes chantés à capella par le chœur dans la fosse d’orchestre, chacun des artistes accompagnant les paroles de gestes qui en miment la musicalité.

Two Lovers : Kate Moran et Helga Davis

Two Lovers : Kate Moran et Helga Davis

Enfin, les deux derniers tableaux sont comme une apothéose qui explose pour glisser vers un petit moment de simplicité.
Evocateur des grands panneaux de contrôle de la ville de Metropolis, le vaisseau spatial renvoie d’intenses vagues lumineuses et sonores, au point d’atteindre le seuil de saturation visuel et auditif.
Puis, il y a un basculement soudain vers la scène poétique des deux amoureux silencieux, admirés par un chauffeur de taxi, et enveloppés par les ondes violines de la musique de Philip Glass, un thème que l’on retrouvera dans nombre de ses créations plus tardives.

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Publié le 22 Avril 2012

Nixon in China (John Adams)

Représentation du 14 avril 2012
Théâtre du Châtelet

Richard Nixon Franco Pomponi
Pat Nixon June Anderson
Henry Kissinger Peter Sidhom
Mao Zedong Alfred Kim
Madame Mao (Jiang Qing) Sumi Jo
Chou En-Lai Kyung Chun Kim

Livret Alice Goodman
Mise en scène Chen Shi-Zheng


Direction musicale Alexander Briger
Orchestre de Chambre de Paris
Chœur du Châtelet

                                                                                                              Alfred Kim (Mao Zedong)

Depuis sa création à Houston en 1987, Nixon in China n’avait été représenté en France qu’une seule fois, sur la scène de la Maison de la Culture de Bobigny (1991) précisément.
Une fois de plus, Jean Luc Choplin offre au public du Théâtre du Châtelet un magnifique cadeau susceptible de plaire autant aux amateurs de pur lyrique qu’aux esprits plus largement ouverts à de l’excellente musique.

Et cette musique pulsatile, qui installe progressivement un climat introspectif, a comme pour effet d’harmoniser le rythme interne du corps avec un champ d’ondes submergeant, si bien que l’on se sent comme irrépressiblement en phase avec les êtres proches.

Franco Pomponi (Richard Nixon) et Kyung Chun Kim (Chou En-Lai)

Franco Pomponi (Richard Nixon) et Kyung Chun Kim (Chou En-Lai)

Au cours du second acte, on peut ainsi entendre un passage d’une beauté envoutante quand Pat Nixon promène ses pensées rêveuses à travers la ville de Pékin, une ballade simplement illustrée par quelques objets d’art et un groupe d’enfants - jouant innocemment avec des drapeaux chinois et américains - qui circulent en suspend dans les airs.
June Anderson, en épouse et mère de famille modèle, sublime d’émotions contemplatives son grand aria « This is prophetic!», laisse filer de superbes lignes vocales, un peu durcies certes, qui s’éclaircissent et s’évanouissent avec un art de la diction subtile, et dresse ainsi un portrait fort sensible et lumineux de la première dame.

Autre personnage impressionnant, Mao Zedong est présenté dans le premier acte comme un homme pragmatique et lucide sur les intérêts américains.

June Anderson (Pat Nixon)

June Anderson (Pat Nixon)

 Avec simplement quelques canapés en cuir blanc, Chen Shi-Zheng organise la rencontre diplomatique cruciale, et Alfred Kim brosse un portrait du président chinois fort et au regard perçant. On est ici dans le registre de l’Heldentenor à l’aigu puissant, et l’artiste coréen en fait une démonstration saisissante quand il fustige les américains de vouloir  « crucifier les Chinois sur la croix des taux d’intérêts ».
Richard Nixon, plus superficiellement, est vu comme un « beau parleur », rôle pour lequel Franco Pomponi a autant l’endurance que l’allure bien réglée.

Il arrive que la musique ondulante s’estompe pour que la recouvrent de grands élans théâtraux rythmés par la batterie et les cuivres, ou bien de larges mouvements symphoniques néoclassiques comme dans la seconde partie du deuxième acte.
Scéniquement, il s’agit de la partie la plus réussie, animée par une chorégraphie habilement dynamique, des chutes glissées magnifiquement fluides malgré l’apparente violence que subissent les trois danseuses. 

Le Chœur du Châtelet, acteur majeur, est depuis l’ouverture d’une parfaite unité musicale et très bien équilibré avec l’orchestre.
 

Les amateurs lyriques ont remarqué que les noms de deux célèbres sopranos - elles ont toutes deux interprété le rôle de Lucia di Lammermoor à Bastille dans les années 1990 - figurent sur la distribution.
Si June Anderson se montre sous un jour rayonnant et intense, Sumi Jo se glisse avec une très grande facilité dans la froideur du rôle de Jiang Qing.
Ses aigus sont de véritables armes perçantes, son timbre âcre accentue encore plus le caractère monolithique de l’épouse de Mao, et même si le dernier acte qui humanise tous ces caractères devrait faire émerger chez elle une sensibilité cachée, on ne la perçoit en fait que faiblement, même au lever de rideau final. 
                                                                                          Sumi Jo (Jiang Qing)

De ce point de vue, Kyung Chun Kim dessine beaucoup mieux l’évolution du caractère droit et respectueux de Chou En-Lai, et il achève l’opéra sur une figure humaine assombrie par le doute et d’une tenue vocale impeccable.

Artisans fondamentaux de cette belle réussite musicale, Alexander Briger et l’Orchestre de Chambre de Paris immergent la salle entière dans l’ampleur sonore évanescente, la multitude des motifs et les variations soudaines de couleurs, une expérience sensorielle unique due également à l’excellente acoustique du théâtre.

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