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Publié le 6 Février 2024

Cosi fan tutte (Wolfgang Amadé Mozart – Burgtheater de Vienne, le 26 janvier 1790)
Représentation du 04 février 2024
Théâtre du Châtelet

Fiordiligi Agneta Eichenholz
Dorabella Claudia Mahnke
Ferrando Rainer Trost
Guglielmo Russell Braun
Don Alfonso Georg Nigl
Despina Patricia Petibon

Direction Musicale Christophe Rousset
Mise en scène Dmitri Tcherniakov (2023)
Orchestre Les Talens Lyriques et Chœur Stella Maris

Coproduction Festival d’Aix-en-Provence

                                           Claudia Mahnke (Dorabella)

Le retour d’un opéra mis en scène sur les planches du Théâtre du Châtelet, 10 ans après la fin d’une période faste pour le genre lyrique en ce lieu, est un moment qui compte dans la vie d’une institution malmenée par la politique culturelle de la ville de Paris ces dernières années.

C’est donc avec un immense plaisir que l’on s’y rend à nouveau en attendant de connaître la véritable première saison d’Olivier Py, un grand professionnel du théâtre, qui, on l’espère, sera cette fois pleinement soutenu par l’équipe municipale.

Georg Nigl (Don Alfonso), Claudia Mahnke (Dorabella), Russell Braun (Guglielmo), Rainer Trost (Ferrando) et Agneta Eichenholz (Fiordiligi)

Georg Nigl (Don Alfonso), Claudia Mahnke (Dorabella), Russell Braun (Guglielmo), Rainer Trost (Ferrando) et Agneta Eichenholz (Fiordiligi)

Confiée à des chanteurs quinquagénaires familiers de Mozart Claudia Manke chantait dans ‘Cosi fan tutte’ il y a 20 ans de cela -, la nouvelle production du dernier volet de la trilogie Da Ponte conçue par le metteur en scène russe Dmitri Tcherniakov, dont on ne compte plus les chefs-d’œuvre scéniques qui comblent les théâtres lyriques du monde entier depuis son inoubliable vision d’‘Eugène Onéguine’ (2006), arrive à Paris après sa création au Festival d’été d’Aix-en-Provence.

Hormis Patricia Petibon qui remplace Nicole Chevalier, la distribution est identique, et c’est cette fois l’orchestre des Talens Lyriques, dirigé par Christophe Rousset, qui reprend la tâche de conduire ces chanteurs le long des plus belles lignes mozartiennes.

Russell Braun (Guglielmo), Agneta Eichenholz (Fiordiligi), Claudia Mahnke (Dorabella) et Rainer Trost (Ferrando)

Russell Braun (Guglielmo), Agneta Eichenholz (Fiordiligi), Claudia Mahnke (Dorabella) et Rainer Trost (Ferrando)

Ce spectacle est un émerveillement de par la manière ingénieuse, et bien rodée, avec laquelle Dmitri Tcherniakov réussit à transcender des chanteurs d’opéras pour en faire des acteurs d’une crédibilité phénoménale.

Trop intelligent pour se satisfaire d’un livret qui voudrait faire croire que deux jeunes femmes peuvent se laisser séduire par l’amant de l’autre sans s’en rendre compte, il nous raconte comment les deux hommes de deux couples aisés et bien établis vont suggérer à leurs épouses respectives de se laisser tenter par une aventure échangiste, lors d’un week-end passé chez Don Alfonso et son amie Despina.

Le décor, très épuré, représente un salon lumineux chauffé par un poêle à bois qui donne, en arrière scène, sur deux chambres disposant chacune d’un très grand lit confortable et immaculé.

Claudia Mahnke (Dorabella) et Agneta Eichenholz (Fiordiligi)

Claudia Mahnke (Dorabella) et Agneta Eichenholz (Fiordiligi)

Avec une habileté hors pair, le metteur en scène noue une première intrigue où la scène des étrangers, venant séduire les deux belles, est tout simplement représentée comme une tentative assumée de proposer l’échange de couples, ce que les deux femmes vont refuser dans un premier temps.

L’analyse du comportement de ces personnages contemporains, se donnant plus ou moins artificiellement de la contenance, lançant des sujets de conversation superficiels, cherchant à créer une ambiance en jouant des apparences, est formidable de précision, particulièrement le personnage de Fiordiligi chanté par Agneta Eichenholz, un modèle d’adaptation sociale très convainquant.

Un bref baisser de rideau permet de bien marquer l’articulation de l’intrigue dans le temps, et la scène des faux malades tend, en apparence, à alléger l’atmosphère.

Comme très souvent avec Tcherniakov, l’aspect anodin des choses ne s’éternise pas et atteint un point de bascule qui précipite l’irréversibilité du drame.

Patricia Petibon (Despina)

Patricia Petibon (Despina)

Dans la seconde partie, Guglielmo réussit à attirer Dorabella dans son lit, et Fiordiligi, qui avait pour un temps repoussé Ferrando, va être sensible à la blessure de ce dernier, vexé lorsque son ami, si l’on peut dire ainsi, lui a montré le film de ses ébats personnels. Ils couchent donc pas consolation et vengeance, comportement à la psychologie bien éprouvée.

Mais le cynisme de situation atteint son paroxysme lorsque Don Alfonso et Despina, disposant de toutes les preuves, les font chanter et obtiennent d’eux qu’ils leur signent, sous la menace, de gros chèques.

Une vengeance de classe se rajoute à la satire sociale, l’instigateur finissant finalement sous les balles de sa complice. On ne sait plus si la morale est sauve ou bien totalement pulvérisée.

Tout cela est joué avec un réalisme bluffant qui hisse tous ces artistes à un niveau théâtral absolument sidérant!  

Claudia Mahnke (Dorabella) et Agneta Eichenholz (Fiordiligi)

Claudia Mahnke (Dorabella) et Agneta Eichenholz (Fiordiligi)

Certes, aucun des chanteurs n’est à son zénith, mais ils démontrent qu’ils ont toujours en chacun d’eux l’essence du chant mozartien, vif et piqué, expressif et sans lourdeur.

Agneta Eichenholz se tire très bien des variations de Fiordiligi, et lorsqu’elle se résout à rejoindre Ferrando, leur duo ‘Fra gli amplessi’ s’achève même sous les applaudissements alors que, dans l’assistance, on verra une mère de famille retenir sa petite fille d’applaudir tant l’immoralité de la situation est rendue avec une très grande force. Son incarnation de la parfaite bourgeoise bien éduquée ne cesse d’ailleurs d’éblouir du début à la fin.

Claudia Mahnke (Dorabella), Agneta Eichenholz (Fiordiligi), Georg Nigl (Don Alfonso), Patricia Petibon (Despina), Russell Braun (Guglielmo) et Rainer Trost (Ferrando)

Claudia Mahnke (Dorabella), Agneta Eichenholz (Fiordiligi), Georg Nigl (Don Alfonso), Patricia Petibon (Despina), Russell Braun (Guglielmo) et Rainer Trost (Ferrando)

Claudia Mahnke, en Dorabella, préserve encore une rondeur de timbre chargée de noirceur, et donne une image de plus en plus sympathique en tant que femme qui aime pleinement les joies de la vie, ce qui l’apparie très bien au Guglielmo de Russell Braun, Mozartien depuis bientôt 30 ans, qui peut compter sur un jeu déclamatoire décomplexé pour compenser l’effacement d’une jeunesse vocale charmeuse.

Georg Nigl (Don Alfonso), Claudia Mahnke (Dorabella), Russell Braun (Guglielmo), Agneta Eichenholz (Fiordiligi), Rainer Trost (Ferrando) et Patricia Petibon (Despina)

Georg Nigl (Don Alfonso), Claudia Mahnke (Dorabella), Russell Braun (Guglielmo), Agneta Eichenholz (Fiordiligi), Rainer Trost (Ferrando) et Patricia Petibon (Despina)

Probablement le plus touchant de la distribution, Rainer Trost fait aussi ressentir des limites dans les aigus les plus sensibles, mais cela va tant de pair avec le portrait timoré, voir torturé, de Ferrando, qu’il en ressort une véritable intégrité de caractère - il chantait déjà le rôle en 1992 ! -.

Et c’est un Don Alfonso iconoclaste que fait entendre Georg Nigl, au mordant très clair, doté d’une souplesse corporelle stupéfiante, et d’un véritable goût pour les maléfices de l’esprit. Patricia Petibon trouve enfin auprès de lui un emploi qui lui permette d’exprimer la violence intérieure de Despina.

Georg Nigl, Claudia Mahnke, Rainer Trost, Christophe Rousset, Agneta Eichenholz, Russell Braun et Patricia Petibon

Georg Nigl, Claudia Mahnke, Rainer Trost, Christophe Rousset, Agneta Eichenholz, Russell Braun et Patricia Petibon

Reste aux musiciens des Talens Lyriques à faire revivre la verve jeune et raffinée de Mozart, son éclat et son élégance de style, et Christophe Rousset leur impulse un superbe geste ferme et allant, agile et chaleureusement coloré qui, en permanence, figure l’esprit malicieux et tendre du compositeur. 

Une réalisation de très belle facture qui enveloppe l’action scénique pour aboutir à un spectacle des plus enthousiasmant et captivant, et qui démonte tous les poncifs ringards que l’on peut avoir sur le genre opératique. Le public, probablement en grande majorité éloigné des amateurs lyriques, a pu constater à quel point une œuvre du passé peut encore lui parler de ce qui le concerne.

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Publié le 3 Octobre 2019

Macbeth Underworld (Pascal Dusapin – 2019)
Livret de Frédéric Boyer
Représentation du 29 septembre 2019
Théâtre de La Monnaie de Bruxelles

Lady Macbeth Magdalena Kožená
Macbeth Georg Nigl
Three Weird Sisters Ekaterina Lekhina, Lilly Jørstad, Christel Loetzsh
Ghost Kristinn Sigmundsson
Porter Graham Clark
Archiluth Christian Rivet
Child Evelyne Maillard

Direction musicale Alain Altinoglu
Mise en scène Thomas Jolly (2019)

Nouvelle production et coproduction Opéra Comique (Paris), Opéra de Rouen Normandie                                         Georg Nigl (Macbeth)

Après Medeamaterial (1992) et Penthesilea (2015), Macbeth Underworld est le troisième opéra de Pascal Dusapin créé en première mondiale au Théâtre de la Monnaie, ce qui assoit la place du musicien français parmi les 25 compositeurs les plus joués dans ce théâtre, juste derrière Hector Berlioz et Piotr Ilyitch Tchaikovski.

Et en ravivant la mémoire du plus célèbre roi d’Ecosse, nul ne peut être surpris que la violence humaine soit à nouveau au cœur d’un ouvrage de Pascal Dusapin.

Le livret de Frédéric Boyer repose sur la pièce de Shakespeare (Macbeth – 1606), et condense l’action en interpénétrant à travers les scènes les interventions des principaux protagonistes et de leurs fantômes, situant ainsi en enfer le couple Macbeth condamné à se remémorer ses crimes passés.

Sisters Ekaterina Lekhina, Lilly Jørstad, Christel Loetzsh (Three Weird) et Kristinn Sigmundsson (Ghost)

Sisters Ekaterina Lekhina, Lilly Jørstad, Christel Loetzsh (Three Weird) et Kristinn Sigmundsson (Ghost)

Sur le plan structurel, la pièce débute par un monologue de la Lune maléfique, Hécate, un pur moment de théâtre élisabéthain, puis ouvre sur la rencontre de Macbeth et des sorcières, scène abrégée par rapport à l’original, et mène directement à la scène de la lettre puis à la préparation du meurtre de Duncan, jusqu’au passage au crime. S’en suit une remémoration macabre de la scène du banquet et d’une nouvelle rencontre avec les sorcières, jusqu’à la scène de la folie de Lady Macbeth et la mort de Macbeth dans la forêt de Birnam.

Les scènes avec Banquo et son fils Fléance, la famille de Macduff et la préparation de la révolte par Malcom sont, elles, totalement éludées.

S’il n’est pas possible à un auditeur qui ne connait pas la pièce de Shakespeare de reconstituer le drame intégral à partir de Macbeth Underworld, il peut cependant saisir l’essence du malheur de Macbeth que sont ses illusions démoniaques.

La mise en scène de Thomas Jolly, le fondateur et le directeur artistique de La Piccola Familia, une compagnie théâtrale en résidence à Rouen, repose sur un spectaculaire décor de château hanté incrusté dans une forêt d’arbres inquiétants, pivotant comme pour imager l’enfermement mental de Macbeth et sa femme, une vision étouffante de leur cerveau qui semble prisonnier d’une main maléfique.

Georg Nigl (Macbeth)

Georg Nigl (Macbeth)

La musique de Pascal Dusapin rend parfaitement sensible un discours des profondeurs, une langue de cordes sombres et visqueuses à l’épure minérale qui donne l’impression à l’auditeur d’être emporté dans des gangues d’agates polies, d’où éclot soudainement un miroitement de multiples éclats instrumentaux en forme d’amas de cristaux étranges. Le folklore s’invite même en divertissement léger au cours de la scène de fête lugubre, et des sections saillantes rythment la progression dramatique sans que le moindre sentiment mélancolique ne vienne s’y immiscer. La désespérance de l’inéluctable est plutôt ce que suggère cette aventure sans horizon possible menée par la direction ample et acérée d'Alain Altinoglu.

Et si l’écriture vocale intensément déclamée des deux principaux solistes, Georg Nigl et Magdalena Kožená, est assez familière du répertoire contemporain, on entend également un enfoncement dépressif chez Lady Macbeth qui est le contraire du rayonnement impérial qu’en fit Giuseppe Verdi dans son adaptation lyrique.

Les voix des trois sorcières, elles, sont celles qui drainent des lignes aiguës les plus fascinantes, des filles fleurs moins sensuelles que chez Wagner, plus perçantes tout en restant harmonieuses, un véritable personnage mental dans cet opéra qui accroît leur prégnance.

Magdalena Kožená (Lady Macbeth)

Magdalena Kožená (Lady Macbeth)

Le texte prend le plus saisissant de la matière de Shakespeare, et met par exemple en exergue cette spectaculaire scène où Lady Macbeth invoque les forces surnaturelles afin de la désexualiser, et une autre, peu après, qui suggère qu'elle connut l’enfantement et la haine envers le nouveau-né, paroles qui ne sont pas reprises chez Verdi.

Le fantôme de l’enfant, incarné par Evelyne Maillard, apparaît donc aussi pour harceler la culpabilité du couple maudit, tandis que le fantôme joué par la basse islandaise Kristinn Sigmundsson, un des piliers majeurs de l’Opéra Bastille au tournant des années 2000, incarne la mémoire de Banquo, alors que le portier grinçant de Graham Clark intervient comme un manipulateur de conscience aussi bien du public que de Macbeth.

Georg Nigl (Macbeth)

Georg Nigl (Macbeth)

L’excellente imprégnation du travail de Pascal Dusapin avec la mise en scène vivante, malgré sa noirceur, de Thomas Jolly qui crée également des ambiances lumineuses et des symboles naturels apocalyptiques (le miroir en forme d’éclipse totale de soleil) jouant sur l’effroi que peuvent susciter les ombres du décor, ainsi que la présence de tous les chanteurs, renvoient un concentré de névrose si puissant qu’il devrait totalement modifier notre perception de la pièce de Shakespeare si l’occasion nous était donnée d’y assister à nouveau.

L'Opéra Comique, où fut créée en 1910 la version lyrique du Macbeth d'Ernest Bloch dans un style marin de forme parfaitement débussyste, connaitra donc ce nouveau Macbeth au printemps prochain, avant que la ville natale de Thomas Jolly, Rouen, ne l'accueille peu après.

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Publié le 22 Octobre 2013

Die Eroberung von Mexico (Wolfgang Rihm)
La Conquête du Mexique
Représentation du 19 octobre 2013
Teatro Real de Madrid

Montezuma Nadja Michael
Cortez Georg Nigl
Un hombre que grita Graham Valentine
Malinche Ryoko Aoki
Soprano Caroline Stein
Contralto Katarina Bradic
Primer actor Stephan Rehm
Segundo actor Peter Pruchniewitz

Direction Musicale Alejo Perez
Chœur et orchestre du Teatro Real

Mise en scène Pierre Audi
Scénographie Alexander Polzin
Costumes Wojciech Dziedzic
Lumière Urs Schönebaum
Vidéo Claudia Rohrmoser                                               Nadja Michael (Montezuma)

Die Eroberung von Mexico est la première des six nouvelles productions programmées par Gerard Mortier pour la saison 2013/2014 du Teatro Real, saison qui devrait être le point culminant de son projet artistique.

L’opéra représenté ce soir est une œuvre que Wolfgang Rihm, un des grands compositeurs contemporains allemands, né à Karlsruhe en 1952, a élaboré entre 1987 et 1991.

Cette œuvre relate la rencontre historique entre le conquistador espagnol Hernán Cortés et l'empereur aztèque Montezuma vécue comme un choc émotionnel aux réactions imprévisibles.

Malgré les contraintes financières sévères, Mortier a fait tout son possible pour mettre en valeur cette pièce peu connue.

Nadja Michael (Montezuma) et Georg Nigl (Hernan Cortés)

Nadja Michael (Montezuma) et Georg Nigl (Hernan Cortés)

Ainsi, dès l’entrée dans le théâtre, trois panneaux lumineux éclairent le visiteur d’une part sur la biographie du compositeur, d’autre part sur son travail musical qui remonte aux sources antiques, et enfin, sur l’architecture de ‘La conquête du Mexique’.

Ces textes sont signés Jan Vandenhouwe, le jeune dramaturge musical que l’on a connu à Paris avec Mortier - il avait fait une analyse musicale de Parsifal fascinante - et que l’on retrouve dans nombre de spectacles européens aujourd’hui.
Un petit livret d’une trentaine de pages est également offert à tous.

Pintura de Alexander Polzin

Pintura de Alexander Polzin

Une fois dans la salle, chacun peut contempler la répartition spatiale des instruments de musique dans tout le théâtre. Les percussions sont divisées en cinq groupes, deux dans la fosse, un dans la grande loge de face, et deux dans les loges de côté. Hautbois, trompettes et violons sont également disposés dans ces loges, cors, violoncelles, contrebasses et vents, ainsi qu’une harpe, un piano et deux basses électriques composant ainsi la formation principale de l’orchestre.

Quand la lumière s’éteint, les spectateurs se trouvent alors face à l’immense façade multicolore composée des murs et des toits de la ville de Tenochtitlan, qui se lève pour laisser apparaitre Montezuma dans un état de transe, et qui redescend à l’arrivée des Espagnols.

Georg Nigl (Hernan Cortés)

Georg Nigl (Hernan Cortés)

Les conquistadors, dissimulés sous des boucliers, arrivent la peur au ventre en longeant l’intérieur de la salle. Hernán Cortés, lui,  est représenté en tenant une grande croix tendue de la main,  signe d’une foi qui le rassure dans son avancée vers l’inconnu de la vie. Il arrive en traversant l’allée centrale de la salle.
 

On entend les voix des Aztèques, le chœur, derrière le décor, et il en sera ainsi pendant toute la représentation.

 

La musique, elle, est mystérieusement inquiétante, et les battements de percussions évoquent à la fois, au milieu d’éclats de voix étranges, l’ambiance naturelle et sauvage du milieu de vie des Aztèques, et les pulsations à cœur battant des Espagnols qui y pénètrent. 

 

Nadja Michael apparaît alors sous les traits de Montezuma. Elle se plie avec souplesse aux ondoyances de son corps félin, qui est une belle manière d’opposer à Cortés une vision dérangeante, lui qui est empreint d’une religion catholique qui a toujours entretenu de la méfiance vis-à-vis du corps.

 

L’ampleur et le bronze de la voix de cette artiste allemande incontournable dans les rôles de grandes héroïnes païennes (Médée, Salomé, Lady Macbeth) s’épanouissent d’autant mieux que ce chant puissant et parlé laisse le son se déployer somptueusement dans des aigus solides et saillants.

Baryton clair et expressif, Georg Nigl a une voix dont la texture dense se mélange très bien à celle de Nadja Michael, et bien qu’il soit Autrichien, sa technique porte une modernité qui rappelle celle des ténors que l’on entend dans les opéras de Britten, une sorte de juvénilité éperdue.

Nadja Michael (Montezuma) et Georg Nigl (Hernan Cortés)

Nadja Michael (Montezuma) et Georg Nigl (Hernan Cortés)

Dans le feu de la rencontre, la musique devient plus violente et émotionnellement prenante. L’effet est d’autant plus intense et saisissant, que la dispersion spatiale du son renforce la sensation d’intériorité de ce climat musical.

Survient même un passage où le chœur obsédant et la tension aigüe de la musique évoquent l’atmosphère infinie du Lux Æternam de György Ligeti immortalisée dans « 2001 l’Odyssée de l’Espace », le film culte de Stanley Kubrick.

Pour signifier le rôle d'intermédiaire de Malinche, une actrice et danseuse, Ryoko Aoki, intervient entre les deux protagonistes. Mais cette présence de la sagesse asiatique est vaine à réduire la tension des échanges.

Si la mise en scène rappelle quelques scènes factuelles de cette rencontre, comme la découverte de l’or accumulé par les Aztèques, et la fascination des conquistadors pour cette richesse abondante, l’image la plus troublante s’impose quand les corps des soldats des deux camps apparaissent suspendus sur cet univers sombre. 

Nadja Michael (Montezuma) et Georg Nigl (Hernan Cortés)

Nadja Michael (Montezuma) et Georg Nigl (Hernan Cortés)

Seules les artères et les veines rouges et bleues qui parcourent tout leurs corps sont visibles, concentrées vers le cœur. Ni le cerveau, ni le système nerveux ne sont représentés, image artistiquement humaine de l'émotion sans contrôle de l'esprit.
Tous ces êtres ne sont en interaction que par leurs pulsions sanguines, la raison n’y a pas sa place. Là sont les germes d'une totale incompréhension.

Cette image est forte, car elle renvoie une vision de la vie inquiétante lorsqu’elle est uniquement guidée par le cœur, un cœur naturellement aimant pouvant devenir profondément noir.

Et lorsque l’on prend conscience de la variété des instruments en jeu, on n’en a que plus d’admiration pour l’exaltation d’Alejo Perez à diriger une telle partition qui, parfois, réserve des moments de scintillements intenses extraordinaires, tout en ne lâchant rien à la violence sous-jacente de la musique.

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