Articles avec #kozena tag

Publié le 3 Octobre 2019

Macbeth Underworld (Pascal Dusapin – 2019)
Livret de Frédéric Boyer
Représentation du 29 septembre 2019
Théâtre de La Monnaie de Bruxelles

Lady Macbeth Magdalena Kožená
Macbeth Georg Nigl
Three Weird Sisters Ekaterina Lekhina, Lilly Jørstad, Christel Loetzsh
Ghost Kristinn Sigmundsson
Porter Graham Clark
Archiluth Christian Rivet
Child Evelyne Maillard

Direction musicale Alain Altinoglu
Mise en scène Thomas Jolly (2019)

Nouvelle production et coproduction Opéra Comique (Paris), Opéra de Rouen Normandie                                         Georg Nigl (Macbeth)

Après Medeamaterial (1992) et Penthesilea (2015), Macbeth Underworld est le troisième opéra de Pascal Dusapin créé en première mondiale au Théâtre de la Monnaie, ce qui assoit la place du musicien français parmi les 25 compositeurs les plus joués dans ce théâtre, juste derrière Hector Berlioz et Piotr Ilyitch Tchaikovski.

Et en ravivant la mémoire du plus célèbre roi d’Ecosse, nul ne peut être surpris que la violence humaine soit à nouveau au cœur d’un ouvrage de Pascal Dusapin.

Le livret de Frédéric Boyer repose sur la pièce de Shakespeare (Macbeth – 1606), et condense l’action en interpénétrant à travers les scènes les interventions des principaux protagonistes et de leurs fantômes, situant ainsi en enfer le couple Macbeth condamné à se remémorer ses crimes passés.

Sisters Ekaterina Lekhina, Lilly Jørstad, Christel Loetzsh (Three Weird) et Kristinn Sigmundsson (Ghost)

Sisters Ekaterina Lekhina, Lilly Jørstad, Christel Loetzsh (Three Weird) et Kristinn Sigmundsson (Ghost)

Sur le plan structurel, la pièce débute par un monologue de la Lune maléfique, Hécate, un pur moment de théâtre élisabéthain, puis ouvre sur la rencontre de Macbeth et des sorcières, scène abrégée par rapport à l’original, et mène directement à la scène de la lettre puis à la préparation du meurtre de Duncan, jusqu’au passage au crime. S’en suit une remémoration macabre de la scène du banquet et d’une nouvelle rencontre avec les sorcières, jusqu’à la scène de la folie de Lady Macbeth et la mort de Macbeth dans la forêt de Birnam.

Les scènes avec Banquo et son fils Fléance, la famille de Macduff et la préparation de la révolte par Malcom sont, elles, totalement éludées.

S’il n’est pas possible à un auditeur qui ne connait pas la pièce de Shakespeare de reconstituer le drame intégral à partir de Macbeth Underworld, il peut cependant saisir l’essence du malheur de Macbeth que sont ses illusions démoniaques.

La mise en scène de Thomas Jolly, le fondateur et le directeur artistique de La Piccola Familia, une compagnie théâtrale en résidence à Rouen, repose sur un spectaculaire décor de château hanté incrusté dans une forêt d’arbres inquiétants, pivotant comme pour imager l’enfermement mental de Macbeth et sa femme, une vision étouffante de leur cerveau qui semble prisonnier d’une main maléfique.

Georg Nigl (Macbeth)

Georg Nigl (Macbeth)

La musique de Pascal Dusapin rend parfaitement sensible un discours des profondeurs, une langue de cordes sombres et visqueuses à l’épure minérale qui donne l’impression à l’auditeur d’être emporté dans des gangues d’agates polies, d’où éclot soudainement un miroitement de multiples éclats instrumentaux en forme d’amas de cristaux étranges. Le folklore s’invite même en divertissement léger au cours de la scène de fête lugubre, et des sections saillantes rythment la progression dramatique sans que le moindre sentiment mélancolique ne vienne s’y immiscer. La désespérance de l’inéluctable est plutôt ce que suggère cette aventure sans horizon possible menée par la direction ample et acérée d'Alain Altinoglu.

Et si l’écriture vocale intensément déclamée des deux principaux solistes, Georg Nigl et Magdalena Kožená, est assez familière du répertoire contemporain, on entend également un enfoncement dépressif chez Lady Macbeth qui est le contraire du rayonnement impérial qu’en fit Giuseppe Verdi dans son adaptation lyrique.

Les voix des trois sorcières, elles, sont celles qui drainent des lignes aiguës les plus fascinantes, des filles fleurs moins sensuelles que chez Wagner, plus perçantes tout en restant harmonieuses, un véritable personnage mental dans cet opéra qui accroît leur prégnance.

Magdalena Kožená (Lady Macbeth)

Magdalena Kožená (Lady Macbeth)

Le texte prend le plus saisissant de la matière de Shakespeare, et met par exemple en exergue cette spectaculaire scène où Lady Macbeth invoque les forces surnaturelles afin de la désexualiser, et une autre, peu après, qui suggère qu'elle connut l’enfantement et la haine envers le nouveau-né, paroles qui ne sont pas reprises chez Verdi.

Le fantôme de l’enfant, incarné par Evelyne Maillard, apparaît donc aussi pour harceler la culpabilité du couple maudit, tandis que le fantôme joué par la basse islandaise Kristinn Sigmundsson, un des piliers majeurs de l’Opéra Bastille au tournant des années 2000, incarne la mémoire de Banquo, alors que le portier grinçant de Graham Clark intervient comme un manipulateur de conscience aussi bien du public que de Macbeth.

Georg Nigl (Macbeth)

Georg Nigl (Macbeth)

L’excellente imprégnation du travail de Pascal Dusapin avec la mise en scène vivante, malgré sa noirceur, de Thomas Jolly qui crée également des ambiances lumineuses et des symboles naturels apocalyptiques (le miroir en forme d’éclipse totale de soleil) jouant sur l’effroi que peuvent susciter les ombres du décor, ainsi que la présence de tous les chanteurs, renvoient un concentré de névrose si puissant qu’il devrait totalement modifier notre perception de la pièce de Shakespeare si l’occasion nous était donnée d’y assister à nouveau.

L'Opéra Comique, où fut créée en 1910 la version lyrique du Macbeth d'Ernest Bloch dans un style marin de forme parfaitement débussyste, connaitra donc ce nouveau Macbeth au printemps prochain, avant que la ville natale de Thomas Jolly, Rouen, ne l'accueille peu après.

Voir les commentaires

Publié le 22 Décembre 2015

Pelléas et Mélisande (Claude Debussy)
Représentation du 19 décembre 2015
Philharmonie de Berlin

Mélisande Magdalena Kožená
Pelléas Christian Gerhaher
Geneviève Bernarda Fink
Arkel Franz-Josef Selig
Golaud Gerald Finley
Ynoild Solist des Tölzer Knabenchors Knabensopran
Ein Arzt Jörg Schneider Bass
Schäfer Sascha Glin
tenkamp

Mise en scène Peter Sellars                                            Peter Sellars (Photo: Monika Rittershaus)
Direction musicale Simon Rattle
Berliner Philharmoniker

La collaboration artistique entre Peter Sellars et le Berliner Philharmoniker existe depuis plus de cinq ans. Elle est à l’origine d’une version semi-scénique de la Passion selon Saint-Matthieu de Jean-Sébastien Bach, enregistrée à la Philharmonie en 2010, avec Magdalena Kosena et Christian Gerhaher dans les rôles principaux.

Ces interprètes, présents dès le début de cette aventure, se retrouvèrent en 2014 pour jouer une version semi-scénique de la Passion selon Saint Jean.
La mémoire de ces deux spectacles existe dorénavant en DVD.

Et nous retrouvons à nouveau ce même cœur humain pour incarner une nouvelle vision de l’opéra de Claude Debussy, Pelléas et Mélisande.

Dans le décor naturel de la Philharmonie où un dédale d’escaliers s’élève de part et d’autre de la vingtaine de balcons qui l’ornent comme des pétales de fleurs, Peter Sellars y fait évoluer les chanteurs depuis la scène principale jusqu’aux promontoires les plus élevés, et nous donne l’impression que le drame se joue à l’intérieur d’un palais souterrain imaginaire.

Christian Gerhaher (Pelléas) et Magdalena Kožená (Mélisande) - Photo Monika Rittershaus

Christian Gerhaher (Pelléas) et Magdalena Kožená (Mélisande) - Photo Monika Rittershaus

Des fuseaux lumineux bleus, verts, rouges ou violets, aux couleurs des chemises multicolores bien connues du metteur en scène, sont disposés aux endroits clés où les scènes vont se dérouler : à l’extrême hauteur à gauche et à droite, au fond sur les parois latérales, plus bas derrière l’orchestre, là où se tiendra pendant quasiment toute la représentation Arkel, et à l’avant-scène à proximité d’une sorte de pierre tombale noire.

Tous les personnages sont vêtus de noir, et aucun costume ne vient donner une image symbolique qui les différencie les uns les autres.

Dès l’ouverture, nous avons alors l’impression de nous trouver au troisième acte de Parsifal, dans un monde désenchanté. Mélisande, femme mûre, méprise plus qu’elle ne craint un Golaud infantilisé, Pelléas semble être le frère jumeau de ce dernier en plus mature, et Arkel est d’emblée le pivot patriarcal de ce monde clos.

La force du travail de Peter Sellars est qu’il interdit tout rapport romantique entre les êtres. A la limite du naturalisme, chaque relation est empreinte de souffrance, mais le petit Yniold est la lueur d’espoir qui semble insuffisante à réveiller cet univers mu par ses propres fantômes.

Magdalena Kožená (Mélisande) - Photo Monika Rittershaus

Magdalena Kožená (Mélisande) - Photo Monika Rittershaus

Et si la première partie se déroule sur tous les surplombs possibles de l’orchestre, elle se termine par une scène de voyeurisme saisissante de Golaud et Yniold dominant Pelléas et Mélisande figés selon une posture immobile. La course impressionnante d’Yniold à travers les escaliers labyrinthiques qui s’achève dans les bras de Mélisande, alors que Simon Rattle fait soudainement tendre et se resserrer le son métallique des cordes du Philharmonique, est une des plus belles surprises de ce spectacle.

La seconde partie se déroule autour du chef d’orchestre. Mélisande subit gestes violents ou libidineux, Pelléas lui déclare son amour mais personne n’y croit, et tout l’enjeu repose sur la survie de son enfant né d’un univers sans amour.

L’ensemble des artistes livre un chant d'une excellente diction, mordante et précise, qui respecte intégralement l'intelligibilité du texte. Gerald Finley et Christian Gerhaher se correspondent parfaitement, selon une même ligne franche et désespérée, presque agressive, le baryton allemand s’exprimant sur deux plans vocaux bien distincts, un chant parlé clair et naturel, et un chant grave dramatique qui rejoint donc celui du baryton canadien, théâtralement poussé aux limites de la folie possessive.

Simon Rattle - Photo Metropolitan Opera

Simon Rattle - Photo Metropolitan Opera

Magdalena Kožená surjoue, certes, stupeur et effroi, mais ce portrait de femme tranche avec l’image plus éthérée habituellement représentée. Mélisande n’en est pas moins une victime proche de la révolte. De plus, elle trouve en Bernarda Fink un visage humain compassionnel doublé d’une très agréable clarté vocale.

Et Franz-Joseph Selig a toujours cette stature vocale et pathétique inaltérable au temps, quand le jeune interprète d’Yniold, lui, oppose une très touchante candeur traversée de sentiments d’inquiétude, sans névrose et au cœur aimant.

Au centre de ce dispositif scénique, Simon Rattle débute une lecture fluide aux mouvements vifs et complexes, et soigne précautionneusement la finesse texturale du Berliner Philharmoniker où cordes, bois et vents se fondent très naturellement. Peu d’ombres, mais des frissonnements permanents sur la surface orchestrale, la prégnance subliminale de la musique est d’abord l’écrin de la force théâtrale des chanteurs.

Voir les commentaires