Publié le 28 Mai 2015

Les six années de Nicolas Joel à la direction de l’Opéra National de Paris ont été vécues comme un violent contrepied artistique opposé aux cinq années de direction de son prédécesseur, Gerard Mortier.

A la rencontre du monde du théâtre européen, des problèmes de sociétés et des œuvres musicales les plus audacieuses, Nicolas Joel a en effet préféré une sensibilité avant tout vocale, proposé des ouvrages pour mettre en valeur ses artistes fétiches, et privilégié des directeurs scéniques nationaux.

Par ailleurs, un directeur adjoint, Christophe Tardieu, a été nommé pour le seconder dans la gestion administrative de la maison, induisant de fait une culture de résultat inspirée du secteur privé et appliquée à une structure publique.

Toutefois, la programmation de la dernière saison, elle, a été partiellement modifiée par le nouveau directeur, Stéphane Lissner, passé aux commandes un an plus tôt afin d’assurer la transition.

Nicolas Joel a donc été le directeur de l’Opéra de Paris de 2009 à 2014, et il reste très largement l’inspirateur de la saison 2014/2015. Sur ces 6 ans, ce sont environ 19 ouvrages lyriques qui ont été présentés chaque saison.

Cet article peut se lire comme la suite de l'article Opéra de Paris 1995-2009 : Bilan comparé Gerard Mortier / Hugues Gall .

Opéra de Paris 2009-2015 : Bilan des saisons lyriques de Nicolas Joel

La diversité des ouvrages

En 5 ans, de 2004 à 2009, Gerard Mortier proposa 98 spectacles basés sur 76 œuvres différentes et représentatives de 42 compositeurs de toutes origines.

En 6 ans, Nicolas Joel a proposé 113 spectacles composés de 85 œuvres différentes et représentatives de 42 compositeurs également.

L’ancien directeur artistique du Capitole de Toulouse aura donc monté un nombre d’ouvrages différents plus important que son prédécesseur – même en prenant en compte l’année supplémentaire dont il a bénéficié. Le nombre de compositeurs invoqués reste identique.

Cependant, si 33% de la programmation de Gerard Mortier reposait sur la reprise d’œuvres créées par Hugues Gall ou Pierre Bergé, Nicolas Joel a bâti ses saisons à 50% sur ces reprises.

La diversité des ouvrages repose donc sur un recours très important aux productions anciennes, jusqu’à la résurrection des Noces de Figaro de Giorgio Strehler (1973) ou de Salomé mis en scène par André Engel (1994).

Jommelli, Beethoven, Halevy, Charpentier, Dukas, Bartok, Martinu, Schoenberg, Szymanowski, Chostakovitch, Dallapiccola, Poulenc, Messiaen, Sciarrino, Saariaho, Haas, Boesmans ont donc disparu de la programmation.

Cependant, Ponchielli, Gounod, Bizet, Lehar, Humperdinck, Giordano, Zandonai, Mascagni, Leoncavallo, Chausson, Cilea, Zemlinsky, Ravel, Korngold, Britten, Fenelon et Mantovani entrent ou reviennent au répertoire.

Les Noces de Figaro – ms Strehler (ONP 2010)

Les Noces de Figaro – ms Strehler (ONP 2010)

L’augmentation du prix des places

Comme sous le mandat Mortier, le prix moyen des places a augmenté de 25% en 6 ans. Mais l’application de cette augmentation n’est pas répartie de la même manière.

Alors que Mortier avait préservé la part de places bon marché (10% d‘augmentation seulement sur les 500 places les moins chères), l’équipe Joel-Tardieu a augmenté de 50%, en moyenne, le prix des 500 places les moins chères.

Chaque soir, en 2014, seules 4 % des places valent moins de 30 euros, et 600 places valent moins de 75 euros pour le lyrique à Bastille.

Bien que le mécénat ait poursuivi l’accroissement de ses dons – sa contribution passant de 7 à 11 millions d’euros par an -, il n‘a pas empêché une réduction importante de l‘accessibilité aux personnes les moins fortunées.

Et alors que la masse salariale a grimpé de 10 millions d’euros en 5 ans, la subvention d’état a baissé de 9 millions d’euros sur la même période, alors qu‘elle avait toujours accompagné, jusqu‘à présent, le mouvement des salaires.

C’est donc progressivement un manque à gagner de 19 millions d’euros annuels qu’il a fallu compenser.

Salle de l‘Opéra Bastille (Tous à l’Opéra – 2015)

Salle de l‘Opéra Bastille (Tous à l’Opéra – 2015)

 

L’Opéra du XVIIe et XVIIIe siècle

 

Avec Nicolas Joel, les deux premiers siècles de l’histoire de l’Opéra représentent 20% de la programmation, comme cela fut le cas avec Mortier et Gall.

Mozart, Rameau et Haendel constituent la majorité des auteurs programmés, Gluck se maintient et bénéficie d’une nouvelle production d’Alceste – mise en scène par Olivier Py -, ainsi que Monteverdi avec la nouvelle production du Couronnement de Poppée mis en scène par Robert Wilson.

A Paris, le Théâtre des Champs-Élysées consacre 50% de ses ouvrages à ce répertoire majeur, ce qui est son rôle reconnu.

 

Le Couronnement de Poppée – ms Robert Wilson (ONP 2014)

Le Couronnement de Poppée – ms Robert Wilson (ONP 2014)

L’Opéra du XIXe siècle

Par goût, Nicolas Joel augmente alors la part de l’Opéra du XIXe siècle, en le distribuant sur plus de 50% de sa programmation comme le faisait Hugues Gall.

Berlioz ne se maintient plus qu’avec un ouvrage, Roméo et Juliette chorégraphié par Sasha Waltz, mais Gounod, Bizet et Massenet sont à l’affiche à plusieurs reprises.

Ils seront les auteurs liés à la controverse sur les choix artistiques de Nicolas Joel, car les nouvelles productions de Faust, Carmen, Manon mises en scène par des directeurs français, respectivement Jean-Louis Martinoty, Yves Beaunesne et Coline Serreau, seront les pires réalisations scéniques de son mandat, mettant en danger la motivation et le talent des chanteurs.

Anna Caterina Antonacci souffrit beaucoup de ce Carmen, elle se rattrapera six mois plus tard en interprétant une grande Pénélope (Gabriel Fauré) au Théâtre des Champs-Élysées. Elle reprendra ce rôle à Strasbourg, en octobre 2015, dans une mise en scène d’Olivier Py.

I Puritani – Maria Agresta & Dmitry Korchak (ONP – 2013)

I Puritani – Maria Agresta & Dmitry Korchak (ONP – 2013)

Bellini et Rossini seront cependant à la fête (I Puritani, I Capuleti e i Montecchi, la Sonnambula, L’Italienne à Alger, la Cenerentola, la Donna del lago, le Barbier de Séville), auteurs d’un répertoire belcantiste et virtuose, mais peu dramatique.

En revanche, Verdi, le grand dramaturge du XIXe siècle avec Wagner, ne représente plus que 8% du répertoire de l‘Opéra de Paris (15% avec Hugues Gall et Gerard Mortier), et aucun de ses opéras de jeunesse, c’est-à-dire ceux qui précèdent Luisa Miller, n‘est joué.

Cependant, Aida et la Force du Destin font leur retour à l’Opéra National de Paris dans de nouvelles productions, sous la direction de Philippe Jordan.

La Forza del Destino – Violeta Urmana (ONP – 2011)

La Forza del Destino – Violeta Urmana (ONP – 2011)

L’Opéra du XXe et XXIe siècle

Sous Nicolas Joel, le répertoire du XXe et XXIe siècle perd en représentativité pour revenir à la part que lui consacrait Hugues Gall, soit 25% des soirées.

Trois ouvrages de Janacek sont repris (La Petite Renarde Rusée, Katia Kabanova, L’Affaire Makropoulos), Britten revient sur scène (Billy Budd), Strauss reste très présent, mais globalement, la part du répertoire slave du XXe siècle est réduite de moitié.

Billy Budd – Lucas Meachem (ONP – 2010)

Billy Budd – Lucas Meachem (ONP – 2010)

Les œuvres tardives de Puccini, Il Trittico et La Fanciulla del West, entrent au répertoire, et Nicolas Joel met en scène la création d’Akhmatova sur la musique de Bruno Mantovani. Cet hommage à la poétesse russe est un moment fort qui rend palpable son univers mélancolique et son amour de la vie.

Enfin, une splendeur est créée sur la scène de l’Opéra Bastille : Mathis der Maler. Olivier Py réalise une magnifique mise en scène de cet opéra de Paul Hindemith, où il y trouve tous les thèmes qu’il affectionne, les guerres de religions, la révolte, l’oppression nazi, l’art et l’amour.

Après la belle mise en scène de Cardillac conçue par André Engel, Hindemith a dorénavant deux productions éblouissantes à l’opéra de Paris.

Mathis der Maler – Matthias Goerne, ms Olivier Py (ONP – 2010)

Mathis der Maler – Matthias Goerne, ms Olivier Py (ONP – 2010)

L’Opéra Français

Beaucoup attendaient de Nicolas Joel un renforcement de l’opéra français. Il ne représente cependant qu’à peine 20% de la programmation, ce qui est un peu plus qu’avec Gerard Mortier (15%), mais moins qu’avec Hugues Gall (25%).

Néanmoins, les nouvelles productions d’opéras français sont confiées à des metteurs en scène nationaux. Si Werther (Benoit Jacquot) et Alceste (Olivier Py) sont bien défendus, Faust, Manon, Carmen ne le sont pas.

Seul opéra français dirigé par un metteur en scène britannique, Le Roi Arthus est interprété  – par Jordan, Alagna, Koch, Hampson – avec une telle magnificence, qu’il surmonte la déception visuelle.

Pelléas et Mélisande – Stéphane Degout (ONP – 2015)

Pelléas et Mélisande – Stéphane Degout (ONP – 2015)

Pelléas et Mélisande, repris deux fois de la production de Robert Wilson (1997), sous la direction de Philippe Jordan et sous le charme d’Elena Tsallagova et de Stéphane Degout, est aussi une des grandes reprises de ce mandat.

Un DVD immortalise cette production, résultat d’une compétition avec le Teatro Real de Madrid où Mortier monta la version pour ténor – Yann Beuron – dans la même mise en scène.

Autre production enregistrée en DVD, Werther, chanté par Jonas Kaufmann sous la direction de Michel Plasson, est unanimement reconnue.

Werther – Jonas Kaufmann (ONP – 2010)

Werther – Jonas Kaufmann (ONP – 2010)

L’Opéra Italien

L’Opéra italien est le genre dominant, voir écrasant, du mandat de Nicolas Joel. Avec plus de 50% des soirées à lui seul, il est plus représenté que sous Hugues Gall (45%) et Gerard Mortier (40%).

Giuseppe Verdi est certes moins joué qu'au cours des 20 années précédentes, mais deux ouvrages symbolisant l’héritage de Verdi sont interprétés sur la scène de Bastille : La Gioconda (Ponchielli) et Francesca da Rimini (Zandonai).

Ce dernier opéra est, comme le Roi Arthus l'est pour la France, le témoignage d’une volonté d’intégrer le wagnérisme dans le renouvellement de l’art lyrique national.

C’est par ailleurs dommage qu’il n’y ait pas eu une volonté dramaturgique de rapprocher ces œuvres.

I Pagliacci – Vladimir Galouzine (ONP – 2012)

I Pagliacci – Vladimir Galouzine (ONP – 2012)

En parallèle de Verdi et de ses successeurs, Nicolas Joel introduit le vérisme à l’Opéra National de Paris, Andrea Chénier, Cavalleria Rusticana, Paillasse, Adrienne Lecouvreur, genre absent depuis 20 ans.

Cependant, La Wally, prévue pour la dernière saison, est supprimée par Stéphane Lissner.

Il double également la présence de Puccini, en en faisant, pour la première fois, le compositeur italien le plus représenté (11%).

Le Triptyque – Oksana Dyka ( ONP – 2010)

Le Triptyque – Oksana Dyka ( ONP – 2010)

L’Opéra Allemand

Avec un peu moins de 25% de la programmation, l’Opéra Allemand est légèrement plus à l‘affiche que sous Mortier ou Gall (20%).

Les productions de Strauss d’Hugues Gall et de Pierre Bergé sont à nouveau réemployées (deux productions différentes de Salomé, deux reprises d’Ariane à Naxos, une reprise de Capriccio), et deux coproductions d’Arabella et d’Elektra en provenance respectivement de Graz et de Florence sont données à Bastille.

La Walkyrie – ms Günter Krämer ( ONP – 2010)

La Walkyrie – ms Günter Krämer ( ONP – 2010)

Mais pour la première fois depuis 50 ans, l’Anneau des Nibelungen est joué intégralement à l’Opéra National de Paris.

La tétralogie de Richard Wagner occupe ainsi la moitié des saisons de Nicolas Joel, et la mise en scène de Günter Krämer en donne une couleur fortement germanique bien plus intéressante que les versions tape-à-l‘œil de Robert Lepage à New-York ou de Guy Cassier à Milan et Berlin.

Tristan et Isolde, dans la mise en scène de Peter Sellars et de Bill Viola, est repris un mois après la disparition de Gerard Mortier, et deux mois après sa reprise au Teatro Real de Madrid.

Tristan & Isolde – Violeta Urmana, Robert Dean Smith (ONP – 2014, reprise de la production de Bill Viola et Peter Sellars – 2005)

Tristan & Isolde – Violeta Urmana, Robert Dean Smith (ONP – 2014, reprise de la production de Bill Viola et Peter Sellars – 2005)

Bien que complètement opposé aux conceptions du directeur flamand, Nicolas Joel lui rendra hommage à la première de Tristan, par une minute de silence, et les artistes, Violeta Urmana, Robert Dean Smith et Philippe Jordan, vont se surpasser pour laisser au public un des plus beaux souvenirs de cette période.

En revanche, la production de Parsifal dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski a été détruite. Un dommage irréparable et irrespectueux pour les spectateurs qui ont apprécié ce spectacle comme pour les citoyens qui ont contribué à son financement public.

Hors Wagner et Strauss, les deux chefs-d’œuvre d’Alban Berg, Wozzeck et Lulu, sont repris, et Die Tote Stadt d’Erich Wolfgang Korngold est représenté dans la belle production de Willy Decker.

Die Tote Stadt – Stéphane Degout (ONP – 2009)

Die Tote Stadt – Stéphane Degout (ONP – 2009)

L’Opéra Slave

Mis à l’honneur avec 20% de la programmation par Gerard Mortier, l’opéra slave est le grand perdant du mandat de Nicolas Joel.

Sa présence est réduite de deux tiers (plus que 7% des spectacles), et aucune nouvelle production ou coproduction ne lui est dédiée.

Et toutes les œuvres reprises sont des ouvrages joués sous le mandat de Gerard Mortier, hormis la Khovantchina mise en scène par André Serban. Cette reprise remplacera la nouvelle production de la Légende de la ville invisible de Kitezh initialement prévue.

La Dame de Pique – Vladimir Galouzine, Larissa Diadkova (ONP – 2012)

La Dame de Pique – Vladimir Galouzine, Larissa Diadkova (ONP – 2012)

Les reprises et nouvelles productions

En moyenne, Nicolas Joel a présenté 7 nouvelles productions par an, c’est-à-dire le niveau minimum de nouveautés, très en dessous des 10 productions par an de Gerard Mortier.

Et seule la moitié de ces productions sont des Nouvelles Productions de l’Opéra National de Paris. Beaucoup viendront de Toulouse, Londres, Vienne et d’autres théâtres européens.

50% des spectacles sont donc des reprises des productions d’Hugues Gall, Pierre Bergé, Gerard Mortier, et même Rolf Liebermann (Les Noces de Figaro).

Cependant, nombre de ces reprises vont être très bien distribuées et laisser le souvenir de très grandes soirées : Billy Budd (Meachem,Tate), Les Noces de Figaro (Tézier, Pisaroni), La Dame de Pique (Galouzine, Guryakova, Jurowski), Ariane à Naxos (Mattila, Vogt), Luisa Miller (de Biasio, Stoyanova), Rusalka (Aksenova, Hrusa), La Clémence de Titus (d’Oustrac, Gerzmava), Lucia di Lammermoor (Yoncheva, Fabiano), Pelléas et Mélisande (Degout, Tsallagova, Jordan), Tristan et Isolde (Urmana, Dean Smith, Jordan), Lulu (Aikin, Schonwandt).

Lucia di Lammermoor – Sonya Yoncheva (ONP – 2013)

Lucia di Lammermoor – Sonya Yoncheva (ONP – 2013)

Quant aux nouvelles productions, elles vont souffrir de la préférence de Nicolas Joel pour les metteurs en scène nationaux, métier qu’il reprendra lui-même pour Mireille, en ouverture de mandat, et Akhmatova.

Les productions de Jean-Louis Martinoty, Yves Beaunesne et Coline Serreau pour Faust, Carmen et Manon seront une catastrophe.

Celles de Jean-Claude Auvray, Marianne Clément, Zabou Breitman, Laurent Pelly, Pierre Audi et Benoit Jacquot, respectivement pour La Force du destin, Hansel et Gretel, L’enlèvement au sérail, Jules César et Les Puritains, Tosca et Traviata ne soulèveront pas l’enthousiasme non plus.

Restent les productions confiées à Olivier Py, véritable homme de théâtre, avec lesquelles Mathis le peintre, Alceste, et la très controversée Aida empreinte de colonialisme, auront enchanté ou secoué le public.

Le Ring et Le Roi Arthus, dirigés par Philippe Jordan, seront confiés respectivement à Günter Krämer et Graham Vick, mais il est peu probable qu’ils soient repris.

Aida – ms Olivier Py – Oksana Dyka (ONP – 2013)

Aida – ms Olivier Py – Oksana Dyka (ONP – 2013)

Vers un retour sur la scène internationale

Après le passage de Gerard Mortier et sa vision dramatique de la condition humaine, l’orientation de Nicolas Joel et de Christophe Tardieu a donné le sentiment d’une plus grande légèreté dans le choix des œuvres afin de privilégier la rentabilité financière de l’Opéra national de Paris.

Le doublement de la présence de Puccini et de Rossini, fait bien plus marquant que l’introduction du répertoire purement vériste, le recours quasi-exclusif à des metteurs en scène français, la reprise d’un nombre record d’anciennes productions, la réalisation d’une seule création mondiale, sont les signes d’un goût modéré pour la prise de risques.

Cela a du bon quand il s’agit de donner de l’éclat à des reprises illuminées par l’interprétation orchestrale et vocale, ce qui a souvent été le cas.

Il s’agit ici de la réussite incontestable de Nicolas Joel.

On pardonne donc d’autant moins les ratages scéniques des nouvelles productions d’opéras français, survenus à mi-parcours, alors que, grand paradoxe, la première saison Joel a été couronnée par le prix du syndicat de la critique pour la production de Werther (mis en scène par Benoit Jacquot) réunissant Michel Plasson, Jonas Kaufmann, Sophie Koch, Anne Catherine Gillet et Ludovic Tézier.

Alceste – ms Olivier Py – Sophie Koch (ONP – 2013)

Alceste – ms Olivier Py – Sophie Koch (ONP – 2013)

Seul Olivier Py a sauvé l’image du théâtre français, et l’on se demande toujours pourquoi Jean-François Sivadier, Vincent Boussard et Stéphane Braunschweig ne sont pas invités à l’Opéra National de Paris, alors qu’ils sont des directeurs plus subtils que ceux dont on a vu le travail ces dernières saisons ?

L’Opéra est théâtre et il n’est plus possible de le penser aujourd’hui autrement s’il n’est pas raccroché à notre monde. Gerard Mortier l’a prouvé, et son héritage est précieux pour nombre d’artistes.

Cela est d’autant plus vrai que l’Art lyrique est un art fragile et couteux, que l’on ne peut justifier uniquement, même s’il en est la base fondamentale, par le seul choix des interprètes musicaux.

Le Roi Arthus – ms Graham Vick – Roberto Alagna (ONP – 2015)

Le Roi Arthus – ms Graham Vick – Roberto Alagna (ONP – 2015)

Et malgré un Ring musicalement fabuleux, la grande fresque de Mathis der Maler et la résurrection du Roi Arthus, il y a maintenant nécessité à retisser les liens avec ce qui s’est construit jusqu’en 2009, tout en conservant le meilleur du passage de Nicolas Joel.

Stéphane Lissner est nommé pour cette tâche jusqu’en 2021, Philippe Jordan l’accompagnera jusqu’à cette échéance – une chance fantastique -, et c’est à lui maintenant de donner cohérence et sens à la vie artistique de l’Opéra National de Paris.

Cela commencera, la saison prochaine, par le retour de grands metteurs en scène internationaux, Dmitri Tcherniakov, Krzysztof Warlikowski, La Fura dels Baus, Claus Guth, Stefan Herheim, Alvis Hermanis, Katie Mitchell, Romeo Castellucci, Calixto Bieito, et par la présence de quatre œuvres de Verdi, compositeur fortement lié à l’histoire de notre Opéra.

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Publié le 17 Mai 2015

Le Roi Arthus (Ernest Chausson)
Répétitions piano et générale des 09 et 13 mai 2015
Représentation du 16 mai 2015

Genièvre Sophie Koch
Arthus Thomas Hampson
Lancelot Roberto Alagna
Mordred Alexandre Duhamel
Lyonnel Stanislas de Barbeyrac
Allan François Lis
Merlin Peter Sidhom
Le laboureur Cyrille Dubois
Un Chevalier Tiago Matos
Un Ecuyer Ugo Rabec

Mise en scène Graham Vick
Direction musicale Philippe Jordan

Nouvelle production                                                        Roberto Alagna (Lancelot)

C’est à une semaine entièrement dédiée à la création du Roi Arthus sur la grande scène de l’Opéra Bastille que le public curieux a été convié depuis le week-end Tous à l’Opéra ! du 9 et 10 mai, jusqu’à la première représentation le week-end d’après.

Parrain de la neuvième édition d’une manifestation couverte par une centaine de maisons lyriques en Europe, le directeur musical de l’Opéra National de Paris et du Wiener Symphoniker, Philippe Jordan, s’est considérablement impliqué, aussi bien dans les médias que sur scène, pour faire partager sa passion de la musique.

Roberto Alagna (Lancelot)

Roberto Alagna (Lancelot)

Ainsi, a t-il proposé de mener une master-classe à l’amphithéâtre Bastille, afin de faire progresser au chant de Mozart des élèves de l’Atelier Lyrique, non sur le plan de la pure technique vocale, mais plutôt par l’analyse de la logique rythmique et expressive de son écriture musicale. Pour l’auditeur, la confrontation directe aux exigences de cet art fragile change le regard qu’il peut avoir sur l’interprète comme sur l’interprétation.

Mais la veille, durant tout le samedi après-midi, le public a eu également la chance d'investir les deux balcons de la salle principale, afin d’assister à la répétition piano des deux premiers actes du Roi Arthus, l’unique opéra d’Ernest Chausson.
Sans l’orchestre, et accompagnés seulement par une pianiste talentueuse jouant depuis la fosse déserte, les artistes ont donc pu répéter par intermittences, sous la supervision de Graham Vick, le metteur en scène, et sous le regard bienveillant de Philippe Jordan.

Adriana Gonzales (Soliste) et Philippe Jordan – Master-classe Tous à l’Opéra!

Adriana Gonzales (Soliste) et Philippe Jordan – Master-classe Tous à l’Opéra!

Roberto Alagna, chantant avec une aisance déconcertante, nous a prouvé avec quelle évidence il tient un rôle immense, à croire qu’il fut écrit pour lui.

Puis, quatre jours plus tard, la répétition générale publique permit de faire découvrir aux parisiens la version intégrale d’un opéra jamais représenté sur la scène de l’Opéra National de Paris. Le premier rapport avec cette œuvre, pour les connaisseurs de la musique de Wagner, est de constater dans quelle mesure l’imaginaire musical d’Ernest Chausson a subi l’influence prégnante de son modèle allemand, que ce soit par le duo de Tristan et Isolde au premier acte, les préludes névrotiques des seconds actes de Lohengrin et de Siegfried qui enchainent des motifs inquiétants de violoncelles et de contrebasses suivis des convolutions du basson dans le troisième acte, les enchantements lumineux inspirés par Parsifal ou Lohengrin, et par un enchevêtrement incessant de références sans, toutefois, la récurrence de leitmotivs facilement identifiables.

Stanislas de Barbeyrac (Lyonnel)

Stanislas de Barbeyrac (Lyonnel)

Le prolongement du Roi Arthus dans l’histoire de Tristan et Isolde est clair, comme le fut l'évolution de Tristan en chevalier de la cour du Roi par des poètes médiévaux. L’évocation des combats avec l’envahisseur saxon permet également de situer l’action au VIe siècle, et il n’est guerre question d’un filtre pour unir les deux amants, sinon, que l’amour de Lancelot et Genièvre prend sa source dans l’amour et l’admiration qu’ils portent à un même homme, un Roi.

Mais c'est à la première représentation du samedi 16 mai que nous allons entendre une restitution musicale miraculeuse.

Depuis son passage à Bayreuth, en 2012, où il dirigea Parsifal dans la dernière reprise de la mise en scène de Stefan Herheim – une lecture fantastico-historique de l’histoire allemande du XXe siècle -, Philippe Jordan a considérablement fait évoluer sa direction, et gagner en ampleur et richesse de timbres, ce qui nous a valu une reprise de l’Anneau des Nibelungen fabuleuse à l’Opéra Bastille l’année suivante.

Roberto Alagna (Lancelot) et Sophie Koch (Genièvre)

Roberto Alagna (Lancelot) et Sophie Koch (Genièvre)

Toutes ses interprétations d’opéras symphoniques tels Tristan et Isolde ou Pelléas et Mélisande en font des mondes immersifs fascinants, et le Roi Arthus est à nouveau un ouvrage dont sa lecture va rester dans les mémoires et l’histoire de l’Opéra.

Car dès l’ouverture, la fluidité allante de l’orchestre déroule une légèreté grisante, suivie par l’introduction d’un chœur éclatant et sans limites, encore plus puissant que dans Les Troyens de Berlioz. L’auditeur est alors saisi par un ensemble de plans sonores spectaculaires ou irréels, un univers qui démultiplie les mouvements instrumentaux tout en les unifiant par une architecture d’ensemble qui wagnérise considérablement la musique d’Ernest Chausson, sans l’alourdir pour autant.

Sophie Koch (Genièvre)

Sophie Koch (Genièvre)

Il suffit ainsi de se laisser submerger par le lyrisme de l’interlude du deuxième acte qui suit l’échange conflictuel et passionnel entre Lancelot et Genièvre, pour y vivre une émotion aussi puissante que celle des adieux de Wotan à Brunhilde dans la Walkyrie.

Énergie et hédonisme se rejoignent en une grande fresque épique et romantique peinte de couleurs flamboyantes et d’une profusion d’ornements, alors que la violence sous-jacente des sentiments sublime le rythme du discours musical qui aurait pu se complaire dans une esthétique purement poétique.

Le drame gagne en corps et en esprit, et il est fort probable que si le compositeur avait pu assister à cette représentation, ses propres débordements d’émotion lui auraient tiré des pleurs de joie.

Thomas Hampson (Arthus), Roberto Alagna (Lancelot) et Stanislas de Barbeyrac (Lyonnel)

Thomas Hampson (Arthus), Roberto Alagna (Lancelot) et Stanislas de Barbeyrac (Lyonnel)

Et ce Roi Arthus est de surcroît défendu par une distribution exceptionnelle qui se surpasse dès ce premier soir.

Roberto Alagna est d’une profondeur impressionnante, son chant, une référence à vie pour sa clarté de diction et ses belles couleurs fauves, et le personnage de Lancelot l’enrichit car il lui permet à la fois de jouer avec cœur les grands élans chevaleresques hors du temps qu’il affectionne, mais également de gagner en théâtralité par sa manière de décharger des accumulations de tension très crédibles et très surprenantes chez lui.

Il donne tout avec une intense générosité à laquelle se rallie Sophie Koch dans un état de surtension elle aussi incroyable. Les aigus flambent à travers la salle, sa fierté rayonnante imprègne Genièvre dès le duo du premier acte, puis, elle se transforme en une Vénus dominante et extraordinaire au deuxième acte quand elle sent qu’elle perd Lancelot, et livre un portrait pathétique et bouleversant au dernier acte comme l’était sa Charlotte dans Werther.

Thomas Hampson (Arthus)

Thomas Hampson (Arthus)

Ces deux immenses personnages gravitent autour d’un Thomas Hampson vaillant et vocalement intègre, chantant dans une langue qu’il a toujours affectionné au cours de sa carrière, depuis le Don Carlos interprété avec Roberto Alagna au Théâtre du Châtelet en 1996.

Il brosse une ligne noble, charmeuse et quelque peu innocente du Roi Arthus, ne lui laissant des noirceurs névrotiques qu’au cours de l’entrevue avec Merlin ainsi qu'au dernier acte. Ses affectations impressionnantes donnent cependant le sentiment qu’il recherche plus l’effet que le réalisme psychologique. Il a en fait quelque chose de Philippe II aussi bien au cours de sa rencontre avec l’enchanteur Merlin, tenu par un Peter Sidhom complexe et dépressif – un échange à la hauteur du duo Empereur/Inquisiteur de Don Carlos –, qu'à son grand moment d’abandon final.

Cyrille Dubois, Stanislas de Barbeyrac, Sophie Koch et Roberto Alagna

Cyrille Dubois, Stanislas de Barbeyrac, Sophie Koch et Roberto Alagna

Et les seconds rôles sont défendus par des chanteurs issus de l’Atelier Lyrique, tous resplendissants. Alexandre Duhamel est un jeune Mordred noir et humain, Cyrille Dubois un laboureur splendide et incroyablement poétique – son passage en arrière scène évoque l’appel lunaire du marin dans Tristan et Isolde -, et Stanislas de Barbeyrac offre une très belle émission colorée et légèrement sombre, dont il travaille maintenant la teneur dramatique, qui laisse présager un futur grand Cassio.

Avec un Orchestre et un Chœur de l’Opéra National de Paris monumentaux et inflexibles, tous ces artistes se surpassent pour une œuvre qui vaut un tel investissement musical et interprétatif.

Cyrille Dubois, Philippe Jordan, Sophie Koch, Roberto Alagna

Cyrille Dubois, Philippe Jordan, Sophie Koch, Roberto Alagna

Face à ce déferlement de beautés sonores, les décors, costumes et lumières de la mise en scène de Graham Vick jurent par leur contemporanéité et leur détachement avec ce que l’on entend. Rarement se fondent-ils dans la musique, mais le propos est cohérent.
Le régisseur britannique suit une logique qui montre comment le rêve de bonheur très bourgeois du Roi Arthus – la construction d’une maison, son ameublement avec son canapé et ses petits meubles en bois, son jardin de fleurs jaunes anecdotique – a quelque chose de dérisoire, et va être pulvérisé par l’histoire d’amour entre son ami et sa femme, puis par la guerre.

Philippe Jordan

Philippe Jordan

Au fur et à mesure des scènes, le décor éclate, l’illusion du sens de l’honneur explose – la demeure sort du champ d’épées entourant la table ronde – et ne restent que des débris et un canapé calciné à la fin.

On rêve d’un Bill Viola et d’un Peter Sellars à la mise en scène, tant Philippe Jordan aura été prodigieux.

 

Diffusion de la représentation du 02 juin en direct sur Culturebox, et en différé sur France Musique le samedi 06 juin.

 

 

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Publié le 5 Mai 2015

Macbeth (Giuseppe Verdi)
Représentation du 04 mai 2015
Théâtre des Champs-Élysées

Macbeth Roberto Frontali
Lady Macbeth Susanna Branchini
Banco Andrea Mastroni
Macduff Jean-François Borras
Malcolm Jérémy Duffau
Dama di Lady Macbeth Sophie Pondjiclis
Servo / Araldo Grégoire Guerin
Medico Patrick Ivorra
Duncan / Messager Georges Blanches
Fleance Alex Gallais

Mise en scène Mario Martone
Décors et costumes Ursula Patzak
Lumières Pasquale Mari

Direction Musicale Daniele Gatti
Orchestre National de France
Chœur de Radio France
                                                  Roberto Frontali (Macbeth)

Coproduction Radio France 

Quelques jours après la dernière représentation de ‘Macbeth’ à l’opéra d’Amsterdam qui, malheureusement, n’a pas bénéficié d’une mise en scène convaincante, le Théâtre des Champs Élysées en présente à son tour une nouvelle production.

La direction scénique est cette fois confiée au cinéaste Mario Martone, dont le dernier film, ‘Leopardi, Il giovane favoloso’, est sorti en salle il y a à peine un mois. Ainsi, après avoir révélé la vie du plus grand poète de l’Italie du XIXe siècle, il s’empare d’une des œuvres née d’un éclat de génie du grand compositeur italien de ce même XIXe siècle, Giuseppe Verdi.

Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Sa conception symbolique peut, au premier abord, apparaître comme un contrepied aux lectures modernes et souvent violentes de ces dernières années – Dmitri Tcherniakov à l’Opéra Bastille, Martin Kusej au Staatsoper de Munich et, surtout, l’inoubliable et fantastique mise en scène de Krzysztof Warlikowski à la Monnaie de Bruxelles. Elle va se révéler, pourtant, d’une fascinante sobriété propre à humaniser chacun des rôles, même les plus secondaires.

Chaque scène est donc dépeinte au centre d’un tableau ceint d’un abysse scénique obscur et subtilement éclairci.

Les sorcières en haillons, le (vrai) cheval du messager, noir, et celui du Roi Duncan, blanc, les trônes d’argent symboles du pouvoir, le grand miroir incliné narcissique et reflet de l’avenir, la longue table du banquet, les cadres de portes qui dessinent des issues vers l’inconnu, posent les éléments essentiels de la tragédie de Shakespeare.

Les somptueux costumes d'Ursula Patzak nous remémorent, inévitablement, les images d'une époque où Renato Bruson était le Macbeth de référence.

Les protagonistes entrent par les portes d'avant-scène, mais s'évanouissent dans les ombres de l'arrière-scène.

Roberto Frontali (Macbeth)

Roberto Frontali (Macbeth)

A ce décor qui canalise l’attention du spectateur dans un monde de plus en plus introspectif, Mario Martone incruste judicieusement plusieurs séquences vidéographiques – le fantôme enflammé de Banquo, la forêt de Birnam à laquelle se mêlent le chœur et la cérémonie d’enterrement des enfants de Macduff, le défilé des fils-rois de Banquo -, évitant habilement toute figuration incongrue.

Extraite d’un de ses courts métrages, ‘La meditazione di Hayez’ accompagne enfin, en prélude, la scène de somnambulisme. Lady Macbeth n’a plus qu’à prolonger la belle chorégraphie hors-du-temps de Raffaella Giordano, qui éveille la compassion du spectateur à l’égard de la meurtrière par procuration.

Andrea Mastroni (Banquo) et Alex Gallais (Fleance)

Andrea Mastroni (Banquo) et Alex Gallais (Fleance)

En introduction de cet univers clos, l’intensité très mesurée de l’Orchestre National de France, en apparence excessivement contrôlée par Daniele Gatti, s’écarte des lectures spectaculaires que l’on a pu notamment entendre de la part de chefs tels Teodor Currentzis, à Paris et Munich, ou de Claudio Abbado, au disque.

Mais l’on se rend très vite compte que cette tonalité chambriste concourt à un climat d’ensemble qui resserre encore plus le drame sur la tragédie intérieure des acteurs, et non sur les grands élans épiques. Cet orchestre est en effet celui qui a interprété ‘Parsifal’ dans cette même salle, et qui y interprétera ‘Tristan et Isolde’ la saison prochaine.

Roberto Frontali (Macbeth)

Roberto Frontali (Macbeth)

On découvre donc avec quelle flexibilité il peut modifier sa texture, pour faire ressortir les moindres vibrations naturelles, presque brutes, de chaque instrument, peindre avec finesse les moindres inflexions poétiques et pathétiques, et empreindre ce chef-d’œuvre d’un charme suranné qui met en valeur sa psychologie musicale.

Daniele Gatti allonge les tempi, mais ne lâche pas la bride non plus quand il s’agit de donner de l’impulsion au drame, laissant à peine un motif s’achever pour tisser une nouvelle trame encore plus dynamique.

On aurait alors envie d’entendre cette interprétation dans un théâtre italien, tel celui de Parme ou de Busseto, afin que la correspondance avec l’esprit du compositeur soit totale, bien que la version de ‘Macbeth’ choisie aujourd'hui, la plus communément représentée, soit celle que Verdi réécrivit en partie pour l’Opéra de Paris, en y ajoutant des effets impressionnants.

Roberto Frontali (Macbeth) et Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Roberto Frontali (Macbeth) et Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Cette version (1865) est par ailleurs rendue intégralement ce soir, hormis le ballet des sorcières prévu avant que Macbeth ne vienne les revoir, le chœur des Sylphes étant, lui, conservé.

Dans le même esprit, le chœur de Radio France enlaidit volontairement ses voix féminines pour incarner la méchanceté sauvage des sorcières, et ne retrouver une humanité intègre que dans les scènes populaires, depuis la soirée festive au château du seigneur d’Ecosse jusqu’à la déploration dans la forêt. Et la marche finale, sans la moindre pompe, laisse une dernière empreinte belle par sa justesse et sa dignité.

Et l’on mesure avec quel sens de l’unité les solistes ont été choisis pour incarner tous ces personnages.

Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Susanna Branchini (Lady Macbeth)

La Lady Macbeth de Susanna Branchini a, à la fois, des accents complexes et torturés, de belles lignes longues et sombres dans les aigus, une diction incisive, et des couleurs nettement plus confidentielles dans les graves.

Et si elle se ménage dans les suraigus, aux deux premiers actes, elle compose une fascinante scène de somnambulisme tout en nuances et notes filées, comme si son âme s’évanouissait dans la nuit. Au cours de ce dernier passage, l’Orchestre National de France l’accompagne avec une lenteur déchirante qui fait ressortir ce que la musique de Verdi contient en prémisses du futur 3ème acte de ‘Traviata’ composé six ans après sa première version de ‘Macbeth’ (1847).

Son jeu reste parfois empreint de conventions, les notes pointées s’accompagnent d’à-coups physiques, mais un sang bouillonnant coule dans les veines de cette grande artiste italienne aux origines caribéennes, et on le ressent dans les intonations de sa voix.

Roberto Frontali (Macbeth) – scène des sorcières, Acte III

Roberto Frontali (Macbeth) – scène des sorcières, Acte III

Et le courant passe bien avec son partenaire, Roberto Frontali. Ce baryton clair, dont le timbre rappelle la présence de José Van Dam, exprime des états d’âmes attendrissants que l’on pourrait retrouver dans la figure damnée et paternelle de Rigoletto. Ses déchirements intérieurs le poussent également à prendre des risques en anticipant des attaques – comme celui succédant au ballet des Sylphes – qu’il réussit alors à tenir et amplifier pour laisser le temps à l’orchestre de le rejoindre dans une même communion musicale. Impulsivité, puissance, terreurs maîtrisées, accélérations subites pour ne rien relâcher en tension, ce chanteur est, en effet, un acteur de la musique.

Nettement plus en retrait, et bien qu’il ne fasse de Banco une antre de sonorités inquiétantes, Andrea Mastroni soigne, en revanche, la musicalité de ce rôle souvent confié à des basses volumineuses. Son doux air d’adieu à Fleance, avant de trouver la mort, prend inévitablement une pudeur résignée.

Chœur de Radio France (Ballet des Sylphes)

Chœur de Radio France (Ballet des Sylphes)

Quant à Jean-François Borras, au cœur de la forêt de cendres stylisée, il interprète une déploration magnifiquement chantée, dans la même tonalité, quasi-religieuse, du chœur.

Et chacun aura été impressionné par la dimension nobiliaire de Sophie Pondjiclis, qui hisse la Dama di Lady Macbeth au niveau des couleurs vocales de la princesse Eboli (‘Don Carlo’),

Jérémy Duffau (Malcolm) et Patrick Ivorra (Le Médecin) participent, eux-aussi, à l’équilibre de cette composition vocale réussie.

Un Verdi au surnaturel atténué, tourné vers l’intimité et l’enfermement de ses personnages, une pénombre omniprésente et une peinture musicale qui s’approfondit au cours de la soirée, voilà ce que l’on a entendu avec un recueillement presque trop serein face à la tragédie humaine racontée sur scène.

 

Retransmission de la dernière représentation du samedi 16 mai sur France Musique dès 19h.

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Publié le 1 Mai 2015

TV-Web Mai 2015 Lyrique et Musique

Vendredi 01 mai 2015 sur Mezzo HD à 20h30
Idomeneo (Mozart)

Theater an der Wien (Micheletto, Jacobs)

Samedi 02 mai 2015 sur Mezzo à 20h30
La Flûte Enchantée (Mozart)

Baden-Baden (Simon Rattle, Robert Carsen)

Dimanche 03 mai 2015 sur Mezzo à 17h00
Don Pasquale (Donizetti)

MET (Schenk, Levine) avec A.Netrebko

Mardi 05 mai 2015 sur Mezzo à 20h30
Le Messie (Haendel)

Theater an der Wien (Guth, Spinosi)

Mercredi 06 mai 2015 sur Mezzo HD à 20h30
L'Or du Rhin (Wagner)

MET (Terfel, Owens,Levine)

Jeudi 07 mai 2015 sur France 3 à 00h30
Prélude à l'après-midi d'un faune (Debussy)

Cto en sol (Ravel), Symphonie fantastique (Berlioz)
Chamayou, Sokhiev

Vendredi 08 mai 2015 sur Mezzo HD à 20h30
La Walkyrie (Wagner)

MET (Terfel, Kaufmann, Voigt,Levine)

Samedi 09 mai 2015 sur Mezzo à 21h30
Don Giovanni (Mozart)

Badeb Baden (Netrebko-Schrott)

Dimanche 10 mai 2015 sur Arte à 00h00
Jules César (Haendel)

Festival de Pentecôte de Salzbourg
Bartoli, Scholl

Dimanche 10 mai 2015 sur Arte à 17h30
Ténors mythiques, les héros de la scène lyrique

Portraits de Kaufmann, Vogt, Grigolo, Seiffert, Calleja

Dimanche 10 mai 2015 sur Arte à 18h30
Schubert (Matthias Goerne)

Dir Jordan

Dimanche 10 mai 2015 sur Mezzo HD à 20h30
Tristan et Isolde (Wagner)

MET (Dean Smith, Voigt,Levine)

Dimanche 10 mai 2015 sur Arte à 23h00
Une voix pour César

Scholl (contre-ténor)

Mardi 12 mai 2015 sur Mezzo à 20h30
Le Couronnement de Poppée (Monteverdi)

Opéra de Lille (Yoncheva, Cencic, Haim)

Mercredi 13 mai 2015 sur Mezzo HD à 20h30
Siegfried (Wagner)

MET (Terfel, Morris, Voigt,Levine)

Jeudi 14 mai 2015 sur France 3 à 00h30
Shéhérazade (Rimski-Korsakov)

Philh. de Saint-Pétersbourg, dir. Temirkanov

Vendredi 15 mai 2015 sur France 2 à 00h30
6ème symphonie (Beethoven), Lever de soleil (Haydn)

Les Dissonances, dir et violon David Grimal

Vendredi 15 mai 2015 sur Mezzo HD à 20h30
Le Crépuscule des Dieux(Wagner)

MET (Terfel, Morris, Voigt,Levine)

Dimanche 17 mai 2015 sur Mezzo HD à 20h30
Parsifal (Wagner)

MET (Kaufmann, Gatti)

Jeudi 21 mai 2015 sur Mezzo HD à 20h30
L'Or du Rhin (Wagner)

MET (Terfel, Owens,Levine)

Vendredi 22 mai 2015 sur Mezzo HD à 20h30
La Walkyrie (Wagner)

MET (Terfel, Kaufmann, Voigt,Levine)

Samedi 23 mai 2015 sur Mezzo à 20h30
Tosca (Puccini)

MET (Mattila, Alvarez)

Vendredi 22 mai 2015 sur France 2 à 00h30
Wozzeck (Berg)

Nigl, Byers, Muravitsky, Théâtre du Bolchoi
ms Tcherniakov, dir Currentzis

Dimanche 24 mai 2015 sur Mezzo HD à 20h30
Tristan et Isolde (Wagner)

MET (Dean Smith, Voigt,Levine)

Lundi 25 mai 2015 sur Arte à 00h45
Messe en si (Bach)

Freiburger Barockorchester, dir. Biller

Mardi 26 mai 2015 sur Mezzo à 20h30
Arabella (Strauss)

Opéra de Vienne (Magee, Kuhmeier)

Mercredi 27 mai 2015 sur Mezzo HD à 20h30
Siegfried (Wagner)

MET (Terfel, Morris, Voigt,Levine)

Mercredi 27 mai 2015 sur France 3 à 23h50
La belle excentrique

Poulenc, Fauré, Satie, Rosenthal, Hahn (Patricia Petibon)
Mise en espace Olivier Py

Vendredi 29 mai 2015 sur Mezzo HD à 20h30
Le Crépuscule des Dieux(Wagner)

MET (Terfel, Morris, Voigt,Levine)

Samedi 30 mai 2015 sur Mezzo à 20h30
L'Or du Rhin (Wagner)

MET (Terfel, Owens,Levine)

Dimanche 31 mai 2015 sur Arte à 17h30
Histoire de la Scala de Milan

Dimanche 31 mai 2015 sur Mezzo HD à 20h30
La Traviata (Verdi)

Opéra de Paris (Damrau)

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Hommage à Gerard Mortier (Théâtre de la Monnaie de Bruxelles)


Le Roi Roger (Royal Opera House - Covent Garden) à partir du 16 mai 2015

Ariane et Barbe-Bleue (Opéra de Strasbourg) à partir du 06 mai 2015

Doctor Atomic (Opéra de Strasbourg) jusqu’au 06 mai 2015

Dance – Lucinda Childs (Théâtre de la Ville) jusqu’au 06 mai 2015
Penthesilea (La Monnaie de Bruxelles) jusqu’au 13 mai 2015
Didon et Enée (Opéra de Rouen) jusqu’au 17 mai 2015
Moïse et Pharaon (Opéra de Marseille) jusqu’au 03 juin 2015
La Clémence de Titus (Théâtre des Champs Elysées) jusqu’au 18 juin 2015
Artaserse de Vinci (Opéra National de Lorraine) jusqu’au 23 juin 2015
Tamerlano (La Monnaie) jusqu’au 06  août 2015
Don Quichotte de Shirley et Dino (Opéra Royal de Versailles) jusqu’au 08  août 2015
Alcina (La Monnaie) jusqu’au 10  août 2015
Médée (Bâle) jusqu’au 16  août 2015
Francesca da Rimini (Nancy) jusqu’au 18  août 2015
Aleko (Nancy) jusqu’au 18  août 2015
Les Fêtes Vénitiennes (Opéra Comique) jusqu’au 27 août 2015


El Publico (Teatro Real de Madrid) jusqu'au 06 septembre 2015
Don Pasquale (Opéra de Vichy) jusqu'au 06 septembre 2015
Don Giovanni (Opéra de Monte Carlo) jusqu'au 23 septembre 2015
Alceste (La Fenice de Venise) jusqu'au 23 septembre 2015
Orfeo Chaman de Pluhar (Teatro Mayor de Bogota) jusqu'au 24 septembre 2015
Parsifal (Staatsoper de Berlin) jusqu'au 20 octobre 2015
Médée (Grand Théâtre de Genève) jusqu'au 24 octobre 2015
La Traviata (Teatro Real de Madrid) jusqu’au 09 novembre 2015
Luisa Miller (Opéra Royal de Wallonie) jusqu’au 03 décembre 2015
Tosca (Opéra Royal de Wallonie) jusqu’au 30 décembre 2015


I Capuleti e i Montecchi (La Fenice de Venise) jusqu’au 18 janvier 2016
Rigoletto (Opéra Royal de Wallonie) jusqu’au 28 mars 2016
Dardanus (Grand Théâtre de Bordeaux) jusqu’au 23 avril 2016

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Rédigé par David

Publié dans #TV Lyrique