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Publié le 5 Mai 2015

Macbeth (Giuseppe Verdi)
Représentation du 04 mai 2015
Théâtre des Champs-Élysées

Macbeth Roberto Frontali
Lady Macbeth Susanna Branchini
Banco Andrea Mastroni
Macduff Jean-François Borras
Malcolm Jérémy Duffau
Dama di Lady Macbeth Sophie Pondjiclis
Servo / Araldo Grégoire Guerin
Medico Patrick Ivorra
Duncan / Messager Georges Blanches
Fleance Alex Gallais

Mise en scène Mario Martone
Décors et costumes Ursula Patzak
Lumières Pasquale Mari

Direction Musicale Daniele Gatti
Orchestre National de France
Chœur de Radio France
                                                  Roberto Frontali (Macbeth)

Coproduction Radio France 

Quelques jours après la dernière représentation de ‘Macbeth’ à l’opéra d’Amsterdam qui, malheureusement, n’a pas bénéficié d’une mise en scène convaincante, le Théâtre des Champs Élysées en présente à son tour une nouvelle production.

La direction scénique est cette fois confiée au cinéaste Mario Martone, dont le dernier film, ‘Leopardi, Il giovane favoloso’, est sorti en salle il y a à peine un mois. Ainsi, après avoir révélé la vie du plus grand poète de l’Italie du XIXe siècle, il s’empare d’une des œuvres née d’un éclat de génie du grand compositeur italien de ce même XIXe siècle, Giuseppe Verdi.

Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Sa conception symbolique peut, au premier abord, apparaître comme un contrepied aux lectures modernes et souvent violentes de ces dernières années – Dmitri Tcherniakov à l’Opéra Bastille, Martin Kusej au Staatsoper de Munich et, surtout, l’inoubliable et fantastique mise en scène de Krzysztof Warlikowski à la Monnaie de Bruxelles. Elle va se révéler, pourtant, d’une fascinante sobriété propre à humaniser chacun des rôles, même les plus secondaires.

Chaque scène est donc dépeinte au centre d’un tableau ceint d’un abysse scénique obscur et subtilement éclairci.

Les sorcières en haillons, le (vrai) cheval du messager, noir, et celui du Roi Duncan, blanc, les trônes d’argent symboles du pouvoir, le grand miroir incliné narcissique et reflet de l’avenir, la longue table du banquet, les cadres de portes qui dessinent des issues vers l’inconnu, posent les éléments essentiels de la tragédie de Shakespeare.

Les somptueux costumes d'Ursula Patzak nous remémorent, inévitablement, les images d'une époque où Renato Bruson était le Macbeth de référence.

Les protagonistes entrent par les portes d'avant-scène, mais s'évanouissent dans les ombres de l'arrière-scène.

Roberto Frontali (Macbeth)

Roberto Frontali (Macbeth)

A ce décor qui canalise l’attention du spectateur dans un monde de plus en plus introspectif, Mario Martone incruste judicieusement plusieurs séquences vidéographiques – le fantôme enflammé de Banquo, la forêt de Birnam à laquelle se mêlent le chœur et la cérémonie d’enterrement des enfants de Macduff, le défilé des fils-rois de Banquo -, évitant habilement toute figuration incongrue.

Extraite d’un de ses courts métrages, ‘La meditazione di Hayez’ accompagne enfin, en prélude, la scène de somnambulisme. Lady Macbeth n’a plus qu’à prolonger la belle chorégraphie hors-du-temps de Raffaella Giordano, qui éveille la compassion du spectateur à l’égard de la meurtrière par procuration.

Andrea Mastroni (Banquo) et Alex Gallais (Fleance)

Andrea Mastroni (Banquo) et Alex Gallais (Fleance)

En introduction de cet univers clos, l’intensité très mesurée de l’Orchestre National de France, en apparence excessivement contrôlée par Daniele Gatti, s’écarte des lectures spectaculaires que l’on a pu notamment entendre de la part de chefs tels Teodor Currentzis, à Paris et Munich, ou de Claudio Abbado, au disque.

Mais l’on se rend très vite compte que cette tonalité chambriste concourt à un climat d’ensemble qui resserre encore plus le drame sur la tragédie intérieure des acteurs, et non sur les grands élans épiques. Cet orchestre est en effet celui qui a interprété ‘Parsifal’ dans cette même salle, et qui y interprétera ‘Tristan et Isolde’ la saison prochaine.

Roberto Frontali (Macbeth)

Roberto Frontali (Macbeth)

On découvre donc avec quelle flexibilité il peut modifier sa texture, pour faire ressortir les moindres vibrations naturelles, presque brutes, de chaque instrument, peindre avec finesse les moindres inflexions poétiques et pathétiques, et empreindre ce chef-d’œuvre d’un charme suranné qui met en valeur sa psychologie musicale.

Daniele Gatti allonge les tempi, mais ne lâche pas la bride non plus quand il s’agit de donner de l’impulsion au drame, laissant à peine un motif s’achever pour tisser une nouvelle trame encore plus dynamique.

On aurait alors envie d’entendre cette interprétation dans un théâtre italien, tel celui de Parme ou de Busseto, afin que la correspondance avec l’esprit du compositeur soit totale, bien que la version de ‘Macbeth’ choisie aujourd'hui, la plus communément représentée, soit celle que Verdi réécrivit en partie pour l’Opéra de Paris, en y ajoutant des effets impressionnants.

Roberto Frontali (Macbeth) et Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Roberto Frontali (Macbeth) et Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Cette version (1865) est par ailleurs rendue intégralement ce soir, hormis le ballet des sorcières prévu avant que Macbeth ne vienne les revoir, le chœur des Sylphes étant, lui, conservé.

Dans le même esprit, le chœur de Radio France enlaidit volontairement ses voix féminines pour incarner la méchanceté sauvage des sorcières, et ne retrouver une humanité intègre que dans les scènes populaires, depuis la soirée festive au château du seigneur d’Ecosse jusqu’à la déploration dans la forêt. Et la marche finale, sans la moindre pompe, laisse une dernière empreinte belle par sa justesse et sa dignité.

Et l’on mesure avec quel sens de l’unité les solistes ont été choisis pour incarner tous ces personnages.

Susanna Branchini (Lady Macbeth)

Susanna Branchini (Lady Macbeth)

La Lady Macbeth de Susanna Branchini a, à la fois, des accents complexes et torturés, de belles lignes longues et sombres dans les aigus, une diction incisive, et des couleurs nettement plus confidentielles dans les graves.

Et si elle se ménage dans les suraigus, aux deux premiers actes, elle compose une fascinante scène de somnambulisme tout en nuances et notes filées, comme si son âme s’évanouissait dans la nuit. Au cours de ce dernier passage, l’Orchestre National de France l’accompagne avec une lenteur déchirante qui fait ressortir ce que la musique de Verdi contient en prémisses du futur 3ème acte de ‘Traviata’ composé six ans après sa première version de ‘Macbeth’ (1847).

Son jeu reste parfois empreint de conventions, les notes pointées s’accompagnent d’à-coups physiques, mais un sang bouillonnant coule dans les veines de cette grande artiste italienne aux origines caribéennes, et on le ressent dans les intonations de sa voix.

Roberto Frontali (Macbeth) – scène des sorcières, Acte III

Roberto Frontali (Macbeth) – scène des sorcières, Acte III

Et le courant passe bien avec son partenaire, Roberto Frontali. Ce baryton clair, dont le timbre rappelle la présence de José Van Dam, exprime des états d’âmes attendrissants que l’on pourrait retrouver dans la figure damnée et paternelle de Rigoletto. Ses déchirements intérieurs le poussent également à prendre des risques en anticipant des attaques – comme celui succédant au ballet des Sylphes – qu’il réussit alors à tenir et amplifier pour laisser le temps à l’orchestre de le rejoindre dans une même communion musicale. Impulsivité, puissance, terreurs maîtrisées, accélérations subites pour ne rien relâcher en tension, ce chanteur est, en effet, un acteur de la musique.

Nettement plus en retrait, et bien qu’il ne fasse de Banco une antre de sonorités inquiétantes, Andrea Mastroni soigne, en revanche, la musicalité de ce rôle souvent confié à des basses volumineuses. Son doux air d’adieu à Fleance, avant de trouver la mort, prend inévitablement une pudeur résignée.

Chœur de Radio France (Ballet des Sylphes)

Chœur de Radio France (Ballet des Sylphes)

Quant à Jean-François Borras, au cœur de la forêt de cendres stylisée, il interprète une déploration magnifiquement chantée, dans la même tonalité, quasi-religieuse, du chœur.

Et chacun aura été impressionné par la dimension nobiliaire de Sophie Pondjiclis, qui hisse la Dama di Lady Macbeth au niveau des couleurs vocales de la princesse Eboli (‘Don Carlo’),

Jérémy Duffau (Malcolm) et Patrick Ivorra (Le Médecin) participent, eux-aussi, à l’équilibre de cette composition vocale réussie.

Un Verdi au surnaturel atténué, tourné vers l’intimité et l’enfermement de ses personnages, une pénombre omniprésente et une peinture musicale qui s’approfondit au cours de la soirée, voilà ce que l’on a entendu avec un recueillement presque trop serein face à la tragédie humaine racontée sur scène.

 

Retransmission de la dernière représentation du samedi 16 mai sur France Musique dès 19h.

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Publié le 3 Mars 2009

Adrienne Lecouvreur (Francesco Cilea)
Représentation du 28 février 2009
New York Metropolitan Opera

Direction musicale Marco Armiliato
Mise en scène Mark Lamos (1963)

Adriana Lecouvreur Maria Guleghina
Maurizio Placido Domingo
La Princesse de Bouillon Olga Borodina
Michonnet Roberto Frontali
Le Prince de Bouillon John Del Carlo
L’Abbé de Chazeuil Bernard Fitch

 

                 Olga Borodina (La Princesse de Bouillon)

 

Comme une grande fantaisie théâtrale, l’Adrienne Lecouvreur du MET ressurgit sans complexe, actrice de la Comédie française devenue invraisemblable chanteuse à l’Opéra Garnier, et vision qui n’est pas sans provoquer une certaine émotion.

Nous sommes donc dans un délire baroque total qui se permet tout, l’orientalisme, les fresques surchargées de stuc, les dégradés de tons verts et bleus nuit des appartements de la Princesse de Bouillon, un ballet kitschissime, images pulvérisées à la dernière scène lorsque Adrienne achève sa vie brutalement, étrange rapprochement avec la Violetta de Verdi.

Totalement exaltée, Maria Guleghina se lâche avec bonheur, perfore le public de ses puissantes injonctions, néglige aussi, et il faut le reconnaître, les lignes les plus subtiles, mais les regards frondeurs et perfides de ce phénomène vivant, qu’il faut avoir vu au moins une fois sur scène, ne cessent de fasciner.

Maria Guleghina (Adrienne Lecouvreur de la Comédie Française)

Maria Guleghina (Adrienne Lecouvreur de la Comédie Française)

Les repères temporels se bousculent encore plus avec l’arrivée de Placido Domingo, l’air de rien, comme si après 50 ans de carrière et 40 ans après son entrée au MET dans le même rôle, il était tout à fait naturel de se présenter sur les planches avec une décontraction confondante.

Sans doute les sirupeuses couleurs de l’âge d’or ont quelque peu disparu, pourtant ni la clarté insouciante, ni la passion virile ne semblent atteintes, et le ténor conclut même ses airs en déchargeant une tension à donner le frisson.
Extraordinaire! aurait-on envie de s’écrier, car ce chanteur d'exception donne une leçon de résistance aux âges stupéfiante.

La comparaison avec Marcelo Alvarez quelques heures auparavant dans Il Trovatore est étonnante, car il est évident que sans en faire des tonnes, Domingo communique une sincérité d’une grâce incroyable

Cet homme aime les femmes, et cela se voit.

Olga Borodina et Placido Domingo

Olga Borodina et Placido Domingo

Autre tempérament, Olga Borodina use de son charisme vocal, fusion noble de noirceur et de tendresse.

Certes le duo avec Guleghina, lorsque les deux femmes se reconnaissent comme rivales, semble trop retenu, et le chef évite les accélérations brusques, mais elles se rattrapent toutes deux dans le fameux monologue de Phèdre (la soprano ukrainienne est une excellente diseuse), et le « Un tale insulto! » de la mezzo-soprano se ressent comme une déclaration de guerre nette.

Dans les seconds rôles, Roberto Frontali se distingue pas son portrait sensible de Michonnet, l'Abbé de Bernard Fitch jouant avec piquant l' impertinence.

Maria Guleghina (Adrienne Lecouvreur) et Placido Domingo (Maurizio)

Maria Guleghina (Adrienne Lecouvreur) et Placido Domingo (Maurizio)

Ce style d'opéra, passionné et sanguin, est la réponse inverse à la musique de Wagner et à ses influences sur l'âme humaine.

L’outrance ici fait le plaisir, ce qui ne rend pas le final pathétique des plus poignants, la direction de Marco Armiliato ayant elle même contribué à la fois par sa légèreté et ses tonitruances (mais ce n’est pas un reproche) à faire de cette soirée un moment complètement irréel.

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