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Publié le 27 Janvier 2025

Marcelo Alvarez (Massenet, Gomes, Cilea, Torroba, Sorozabal, Puccini, Rota, Cardillo) Salle Cortot
Récital du 22 janvier 2025
Salle Cortot

Jules Massenet    Le Cid ‘Ô souverain, Ô juge’
Georges Bizet        Carmen ‘Entracte de l’acte III’ (piano solo)
Carlos Gomes        Lo Schiavo ‘Quando nascesti tu’
Alfredo Catalani    ‘Rêverie’ (piano solo)
Francesco Cilea    L’Arlesiana ‘Lamento di Federico’
Giacomo Puccini    ‘Foglio d’album’ (piano solo)
                                Tosca ‘E lucevan le stelle’
Ennio Morricone    ‘Playing love’ (piano solo)
Nino Rota               ‘Parla piu piano’
Ruggero Leoncavallo  ‘Tarentalla’ (piano solo)
Salvatore Cardillo     ‘Core n’grato’
Enrique Granados    ‘Danses espagnoles n°5: Andaluza’ (piano solo)
Federico Moreno Torroba    Maravilla ‘Amor vida de mi vida’
Isaac Albeniz        ‘Tango’ (piano solo)
Pablo Sorozabal    La Tabernera del puerto ‘No puede ser’

Ténor Marcelo Alvarez
Piano Guilio Laguzzi
Bandonéon Francesco Bruno

Genève, le 05 novembre 2024 et Berlin, le 27 janvier 2025, dans le cadre de la Saison 2024/2025 Bellae Voces

Après un premier récital donné au Théâtre du Capitole de Toulouse le 01 février 2024 avec un programme similaire, Marcelo Alvarez relie Genève à Berlin en passant par Paris pour poursuivre une série de récitals d’airs d’opéra, de zarzuela et de chansons latino-américaines.

Le ténor argentin, qui approche ses 63 ans sans le paraître si l’on écoute le public de la salle Cortot qui lui donne plutôt une cinquantaine d’années à tout casser, n’a débuté sa carrière lyrique qu’en 1994 dans ‘Il Barbiere di Siviglia’ à Córdoba, à plus de 30 ans, après avoir chanté auparavant des airs populaires et du tango dans les bars argentins.

Il sera auditionné une première fois par Giuseppe Di Stefano qui est son véritable révélateur.

Marcelo Alvarez

Marcelo Alvarez

En France, Nicolas Joel, qui l’avait découvert à l’occasion de la première du ‘Leyla Voice Competition’ organisé à Istanbul en 1995, lui donna sa chance dans ‘Rigoletto’ pour interpréter le Duc de Mantoue au Théâtre du Capitole de Toulouse en 1997, et l’année d’après, Hugues Gall le fit débuter dans ‘La Traviata’ à l’Opéra Bastille, ce qui sera le point de départ d’une aventure parisienne qui durera 20 ans dans les grands ouvrages italiens, ‘Rigoletto’, ‘La Bohème, ‘Un Ballo in maschera‘, ‘Andrea Chénier’, ‘Luisa Miller’, ‘La Forza del destino’, ‘La Gioconda’, ‘Aida’, Adriana Lecouvreur’, ‘Tosca’, ‘Il Trovatore’, mais aussi ‘Manon' de Massenet.

Les spectateurs présents à Bastille en juillet 2018 n’oublieront jamais son interprétation enfiévrée et dramatique de Manrico auprès de Sondra Radvanovsky.

Guilio Laguzzi et Marcelo Alvarez

Guilio Laguzzi et Marcelo Alvarez

Ce soir, ce véritable ténor verdien a toutefois préféré se tourner principalement vers des références hispaniques en débutant le récital par l’air de Rodrigue extrait du ‘Cid’ de Massenet, 'Ô souverain, Ô juge, Ô père’.

Affectionnant énormément le rôle de ce jeune seigneur de la cour d’Espagne qu’il aurait aimé incarner à la scène, il l’interprète dans un style fortement affirmé qui montre immédiatement qu’il est toujours aussi à l’aise dans les larges aigus lancés avec une vaillance fièrement héroïque.

C’est donc un Rodrique sanguin avec beaucoup d’épaisseur et de couleurs ombrées qui s’adresse à un public qui va rester magnétisé toute la soirée par cette présence en apparence décontractée mais très concentrée.

Marcelo Alvarez

Marcelo Alvarez

En liant chaque aria par une mélodie lyrique jouée au piano par Giulio Laguzzi avec beaucoup d’intériorité, Marcelo Alvarez aborde ensuite les grands airs populaires, ‘Quando nascesti tu’ du compositeur brésilien Antonio Carlos Gomes, le ‘Lamento di Federico’ extrait de ‘L’Arlesiana’ de Francesco Cilea que Mario Lanza interprétait de manière enfiévrée dans le film d’Anthony Mann ‘Serenade’ (1956) sur la scène de Mexico, ou bien le célèbre ‘E Lucevan le stelle’ de ‘Tosca’ chanté non sans nuances.

Il vit tous ces airs intensément avec une générosité surdimensionnée par rapport au modeste volume de la salle Cortot, et c’est cette passion jusqu’au-boutiste que le public est venu entendre.

Francesco Bruno, Marcelo Alvarez et Guilio Laguzzi

Francesco Bruno, Marcelo Alvarez et Guilio Laguzzi

Il y met également un jeu affecté parfaitement dosé qui permet de dessiner des portraits d’une grande présence, ce qui renforce le sentiment d’admiration mêlé à une douce nostalgie que ce chant évoque tant.

Par des mimiques amusantes, il communique simplement avec le public qu’il applaudit même pour son enthousiasme, et, en dernière partie du récital, il laisse place au bandonéon de Francesco Bruno qui nous ramène aux attaches profondes du chanteur argentin en interprétant du tango au charme suranné et mélancolique.

Francesco Bruno, Marcelo Alvarez et Guilio Laguzzi

Francesco Bruno, Marcelo Alvarez et Guilio Laguzzi

Cette soirée est ainsi une manière de rendre hommage à un très grand chanteur qui a laissé au public parisien des souvenirs inoubliables pendant deux décennies par sa fougue et son rayonnement fabuleux, et de retrouver aussi cette puissante ardeur communicative qui remet chacun en contact avec ces grands airs d’opéras attachants que des personnalités telles Luciano Pavarotti, Placido Domingo ou José Carreras ont cherché à partager avec le plus grand nombre.

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Publié le 3 Février 2024

Adriana Lecouvreur (Francesco Cilea – Teatro Lirico de Milan, le 6 novembre 1902)
Répétition générale du 13 janvier et représentation du 31 janvier 2024
Opéra Bastille

Adriana Lecouvreur  Anna Netrebko (le 13)
                                  Anna Pirozzi (le 31)
Maurizio Yusif Eyvazov (le 13)
                Giorgio Berrugi (le 31)

La Princesse de Bouillon Ekaterina Semenchuk (le 13)
                                    Clémentine Margaine (le 31)
Le Prince de Bouillon Sava Vemić
L’Abbé de Chazeuil Leonardo Cortellazzi
Michonnet Ambrogio Maestri
Quinault Alejandro Baliñas Vieites
Poisson Nicholas Jones
Mademoiselle Jouvenot Ilanah Lobel-Torres
Mademoiselle Dangeville Marine Chagnon
Un Majordome Se-Jin Hwang

Direction musicale Jader Bignamini
Mise en scène David McVicar (2010)

Coproduction Royal Opera House, Covent Garden, Londres, Gran Teatre del Liceu, Barcelone, Wiener Staatsoper, New-York Metropolitan Opera et San Francisco Opera

La production d’’Adriana Lecouvreur’ dans la mise en scène de David McVicar créée à Londres en 2010, qui fut accueillie par plusieurs capitales européennes ainsi qu’Outre-Atlantique, revient à Paris, 8 ans après son premier passage.

Anna Pirozzi (Adriana Lecouvreur)

Anna Pirozzi (Adriana Lecouvreur)

L’une des plus célèbres tragédiennes de la Comédie-Française, née d’une famille pauvre, devint, 120 ans après sa disparition, le sujet d’un drame d’Eugène Scribe et Ernest Legouvé, grand défenseur des droits des femmes, dont va s’inspirer 50 ans plus tard Arturo Colautti pour écrire le livret de l’opéra le plus célèbre de Francesco Cilea.

David McVicar choisit une évocation d’époque de l’ancienne Comédie Française des années 1729-1730, qui était située à l’actuel 14 rue de l’Ancienne Comédie, près de la place de l’Odéon, à travers un décor qui montre un condensé de l’arrière-scène débordant de vie, et que l’on retrouvera froid et éteint au dernier acte, ce théâtre symbolisant l’âme d’Adriana.

Anna Netrebko (Adriana Lecouvreur)

Anna Netrebko (Adriana Lecouvreur)

Les premières scènes permettent aux artistes de jouer à fond l’excitation de la vie de la compagnie, alors qu’au troisième acte, la salle de réception au Palais du Prince de Bouillon oblige à un jeu très retenu et figé.

Mais l’on vient surtout entendre cet ouvrage pour assister à un affrontement entre deux femmes, l’une comédienne au statut méprisé, et l’autre aristocrate, dominante en société, toutes deux éprises du Comte de Saxe, un homme volage qui se fait passer pour un simple officier.

Et le choix de confier les représentations à deux distributions différentes, l’une russo-turque, l’autre italo-latine, va parfaitement traduire l’ambiguïté qu’imprègne ’Adriana Lecouvreur’, entre ceux qui considèrent l’œuvre comme l’aboutissement le plus réussi du courant vériste italien, et ceux qui insistent sur sa nature belcantiste.

Ekaterina Semenchuk (La Princesse de Bouillon) et Yusif Eyvazov (Maurizio)

Ekaterina Semenchuk (La Princesse de Bouillon) et Yusif Eyvazov (Maurizio)

La première série permet donc de retrouver Anna Netrebko sur la scène Bastille, un an après être venue y incarner la Donna Leonora de la ‘Forza del Destino’. Le timbre est d’une luxueuse beauté sombre avec, parfois, des inflexions fortement morbides, presque monstrueuses, sa présence souveraine se complaît dans un glamour contemplatif hypnotisant, mais, surtout, elle réserve au dernier acte, quand elle reçoit le bouquet de violettes empoisonnées, une puissance dramatique phénoménale. Sa noirceur vocale devient absolument subjuguante tant elle évoque la souffrance intérieure sur le point d’expirer, alors que Jader Bignamini tisse une orchestration d’un soin infiniment précieux.

Anna Netrebko (Adriana Lecouvreur)

Anna Netrebko (Adriana Lecouvreur)

Avec une correspondance de galbe vocal qui s’harmonise naturellement à celui de la soprano russe, Ekaterina Semenchuk impose aussi un fort caractère et une ampleur d’une grande noblesse, tout en ayant une attitude fortement tenue, à l’image de l’esprit général de ces premières représentations où le style musical se veut plus ampoulé que nerveux.

Le chef d’orchestre imprime en effet, pour ces premières représentations, un alanguissement fastueux qui ferait douter de la nature vériste de l’ouvrage et qui conforte les défenseurs d’une interprétation qui surligne la magnificence de l’écriture musicale, au détriment d’une urgence qui se fait souvent attendre.

Anna Pirozzi (Adriana Lecouvreur)

Anna Pirozzi (Adriana Lecouvreur)

En Maurizio, le ténor Azerbaïdjanais Yusif Eyvazov s’inscrit dans une matière bien différente, affichant un volontarisme héroïque qui rappelle surtout le personnage verdien de Manrico d’’Il Trovatore’. L’assise vocale et les aigus sont d’une solidité à toute épreuve, le soucis de la nuance palpable, et son feux intérieur transcende un sensibilité rugueuse.

Ayant lui même une forte personnalité, ses expressions gagnent en virilité un peu animale.

Leonardo Cortellazzi (L’Abbé de Chazeuil) et Clémentine Margaine (La Princesse de Bouillon)

Leonardo Cortellazzi (L’Abbé de Chazeuil) et Clémentine Margaine (La Princesse de Bouillon)

C’est pourtant à un tout autre spectacle qu’il est possible d’assister depuis le 28 janvier avec l’arrivée d’un autre trio principal qui, de notre point de vue, défend bien mieux la nature théâtrale d’’Adriana Lecouvreur’.

Anna Pirozzi, qui fit ses débuts à l’Opéra national de Paris il y a un an, à l’occasion de la même série de ‘La Forza del Destino’ qu’Anna Netrebko, offre un tout autre visage, la lumière dans le regard, une très grande clarté et une franchise de phrasé indispensable pour rendre justice aux talents de tragédienne d’Adriana Lecouvreur. Son rayonnement et sa grande sincérité touchent instantanément au cœur, et dans le grand monologue de ‘Phèdre’, ‘Giusto cielo !’, elle fait ressentir la pression d’une émotion qui finit par exploser avec un art de la gradation fabuleux. 

Giorgio Berrugi (Maurizio) et Anna Pirozzi (Adriana Lecouvreur)

Giorgio Berrugi (Maurizio) et Anna Pirozzi (Adriana Lecouvreur)

Elle aussi, dotée d’un mordant et d’une résonance impressionnants, Clémentine Margaine transforme la Princesse de Bouillon en une dame d’une violence féroce, les graves d'airain claquant dans la salle tout en gardant une excellente netteté.

On a là une femme à l’orgueil débordant qui vous secoue Maurizio avec un ‘Restate!’ à réveiller les morts.  Le terme de ‘vérisme’ s’applique aussi bien à l’interprétation de la mezzo-soprano narbonnaise qu’à celle de la soprano napolitaine, car toutes deux extériorisent les personnalités respectives de la princesse et de la comédienne avec une vérité humaine qui vous tient aux tripes de bout-en-bout.

Marine Chagnon (Dangeville), Ambrogio Maestri (Michonnet), Ilanah Lobel-Torres (Jouvenot)

Marine Chagnon (Dangeville), Ambrogio Maestri (Michonnet), Ilanah Lobel-Torres (Jouvenot)

Aucun artifice ici, nous sommes tous impliqués dans un drame où le Comte de Saxe, sous la figure de Giorgio Berrugi, apparaît comme un homme malmené par ces deux femmes, et qui, grâce au beau style ombré du ténor pisan, conserve une dignité qui, finalement, lui donne une allure plutôt conventionnelle.

Clémentine Margaine (La Princesse de Bouillon)

Clémentine Margaine (La Princesse de Bouillon)

Quels que soient les soirs, Ambrogio Maestri fait battre le grand cœur de Michonnet avec une prestance à la fois lumineuse et pudique, et tous les personnages qui entourent la comédienne, Quinault, Poisson, Mesdemoiselles Jouvenot et Dangeville, et le majordome, sont vivifiés avec brio par les artistes de la troupe, Alejandro Baliñas Vieites, Nicholas Jones, Ilanah Lobel-Torres et Marine Chagnon, et le choriste Se-Jin Hwang, auxquels le ténor Leonardo Cortellazzi adjoint un impact bien marqué avec une esprit de meneur dans le rôle de l’Abbé de Chazeuil.

Anna Pirozzi (Adriana Lecouvreur)

Anna Pirozzi (Adriana Lecouvreur)

Mais toute cette énergie jetée dans la bataille du drame ne pourrait avoir totalement prise si Jader Bignamini n’avait adapté sa direction d’orchestre à ce nouvel influx sanguin, s’en donnant à cœur joie dans les scènes d’une vitalité piquante, rendant même passionnante la musique pourtant anodine de la pantomime du troisième acte, et, surtout, déployant une somptuosité volcanique – le coup d’éclat d’Adriana, à la fin de son monologue, est rendu avec une splendeur retentissante et des couleurs de métal flamboyant absolument ensorcelants - et un sens de excitation dramatique qui faisaient défaut avec la première distribution.

Une interprétation de référence d’’Adriana Lecouvreur’ à l’opéra Bastille, en ce mercredi 31 janvier 2024, que l’on n’est pas près d’oublier de si tôt!

Sava Vemić, Clémentine Margaine, Anna Pirozzi, Jader Bignamini, Giorgio Berrugi, Ambrogio Maestri et Leonardo Cortellazzi

Sava Vemić, Clémentine Margaine, Anna Pirozzi, Jader Bignamini, Giorgio Berrugi, Ambrogio Maestri et Leonardo Cortellazzi

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Publié le 23 Juin 2015

Adriana Lecouvreur (Francesco Cilea)
Répétition générale du 20 juin et
Représentations du 23 et 29 juin 2015
Opéra Bastille

Adriana Lecouvreur Angela Gheorghiu
                               Svetla Vassileva
Maurizio Marcelo Alvarez
La Princesse de Bouillon Luciana d’Intino
Le Prince de Bouillon Wojtek Smilek
L’Abbé de Chazeuil Raul Gimenez
Michonnet Alessandro Corbelli
Quinault Alexandre Duhamel
Poisson Carlo Bosi

Direction musicale Daniel Oren
Mise en scène David McVicar (2010)
                       Angela Gheorghiu (Adriana Lecouvreur)

Coproduction Royal Opera House, Covent Garden, Londres,
Le Gran Teatre del Liceu, Barcelone,
Le Wiener Staatsoper et Le San Francisco Opera

Après vingt ans d’absence, le retour d’Adriana Lecouvreur sur la grande scène de l’opéra Bastille clôt le cycle vériste italien développé au cours du mandat de Nicolas Joel.

Angela Gheorghiu (Adriana Lecouvreur)

Angela Gheorghiu (Adriana Lecouvreur)

Ce courant musical, qui cherchait une suite à Giuseppe Verdi en prenant pour objet des scènes de vie simples et passionnelles, a laissé des œuvres théâtralement fortes, mais, et ses propres auteurs le reconnurent à l’orée de l’entre-deux guerres, jamais il ne put surpasser le talent du compositeur devenu le symbole du rassemblement italien.

L’opéra le plus célèbre de Francesco Cilea a pour lui l’originalité d’inclure un extrait du Monologue de Phèdre (Jean Racine) récité par la comédienne de la Comédie Française, un véritable défi pour toute chanteuse désireuse de vivre intensément ses talents de pure tragédienne.

Luciana d’Intino (La Comtesse de Bouillon)

Luciana d’Intino (La Comtesse de Bouillon)

Un des premiers enregistrements intégraux au disque permet ainsi d’entendre l’interprétation incroyablement poignante de Carla Gavazzi (Fonit Cetra – 1951) dans un son très épuré pour l’époque, et de mesurer ce que l’on peut attendre de ce rôle en profondeur humaine.

Carla Gavazzi « Giusto cielo! » Adriana Lecouvreur – 1951

Dans la production montée ce mois-ci à l’Opéra National de Paris, Adriana Lecouvreur est figurée, en alternance, par deux artistes, Angela Gheorghiu et Svetla Vassileva (à partir du 29 juin).

La soprano roumaine affectionne beaucoup le personnage de cette actrice telle que l’œuvre la présente, amoureuse au point de mettre sur un piédestal un homme, Maurice de Saxe, qui joue pourtant avec ses sentiments et ceux de la Comtesse de Bouillon.

Angela Gheorghiu (Adriana Lecouvreur) et Marcelo Alvarez (Maurice de Saxe)

Angela Gheorghiu (Adriana Lecouvreur) et Marcelo Alvarez (Maurice de Saxe)

Angela Gheorghiu sur-joue d’emblée le maniérisme et les penchants narcissiques d’Adriana Lecouvreur qui se reflètent dans son propre miroir de théâtre, et fait sourire tant elle parait elle-même dans ce portrait plaisant qui lui offre une première occasion de laisser entendre son ineffable chant infiniment filé et doucereusement moiré, parfois même surligné par un subtil souffle d'une des flûtes de l’orchestre.

Marcelo Alvarez la rejoint pour un duo plein de légèreté comme s’il cherchait en premier lieu à plaire aux spectateurs. Au second acte, lorsqu’il retrouve la Comtesse de Bouillon, il paraît toujours aussi cavalier, forçant la vaillance, mais avec une plus grande implication dans sa relation à cette femme qu’il se prépare à quitter. On croit cependant bien plus aux pleurs de sa partenaire.

Luciana d’Intino (La Comtesse de Bouillon) et Angela Gheorghiu (Adriana Lecouvreur)

Luciana d’Intino (La Comtesse de Bouillon) et Angela Gheorghiu (Adriana Lecouvreur)

Luciana d’Intino, mezzo-soprano qui l’incarne avec une voix unique faite de graves généreux et impressionnants subitement transformés en aigus fauves, aime tellement partager sa noble noirceur qu’elle en oublie parfois l’exigence de vérité qui consiste à donner du nerf à ses répliques – un tale insulto! Lo scontera !-.  La Comtesse apparaît alors plus comme une femme ayant la tête froide et réfléchie que le sang chaud, même face aux effets appuyés d’Angela Gheorghiu au cours de son monologue saisissant par nature, mais loin d’être l’expression d’une insondable déchirure, la déclamation lui étant par ailleurs plus difficile à projeter.

Angela Gheorghiu (Adriana Lecouvreur)

Angela Gheorghiu (Adriana Lecouvreur)

Et tout au long des trois premiers actes, Daniel Oren prend soin des moindres motifs de la partition pour jouer avec leurs lignes – profitant des belles sonorités de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris -, et en souligner les atmosphères intimes – magnifique lueur musicale nocturne au moment mystérieux où Adriana assombrit le pavillon bleuté de la Duclos.
En revanche, il étend l’emphase des mouvements orchestraux, tout en les nuançant, sans jamais chercher à donner plus de vie aussi bien dans les premières scènes se déroulant en coulisse, que dans les grands moments théâtraux dont il atténue le volcanisme pour une raison qui se révèle au dernier acte.

Alessandro Corbelli (Michonnet) et Angela Gheorghiu (Adriana Lecouvreur)

Alessandro Corbelli (Michonnet) et Angela Gheorghiu (Adriana Lecouvreur)

En effet, la dernière partie devient un sublime moment d’élégie – et le mot est faible pour décrire l’irréalité et la grâce des tissus infinis qui nous mettent à genoux – où s’entendent les moindres frémissements, comme de fins courants d’air, tirant ainsi l’expression du sentimentalisme vers un raffinement qui exalte notre joie intérieure.
Angela Gheorghiu est par ailleurs à son accomplissement le plus entier dans cette scène qui rejoint les souffrances de Violetta, maladie d’amour qui file sous son chant fragile et immensément caressant.

De bout en bout, Alessandro Corbelli fait de Michonnet une référence sincère dont l’âme tranche avec les faux-semblants du milieu qu’il fréquente. Lorsqu’on le voit et l’entend, les mots et le cœur sonnent juste, et l’on regrette alors qu’Adriana n’ait pas la conscience suffisante pour comprendre l’objet de ses souffrances.

Acte I - Le Théâtre de la Comédie

Acte I - Le Théâtre de la Comédie

Pour sa mise en scène dévoilée au Covent Garden de Londres en 2010, David McVicar a recréé l’arrière scène de La Comédie en 1730 et son architecture en bois, dans laquelle se déroulent les rencontres entre actrices et notables de la ville, le salon de la Duclos et le théâtre Kitsch du Prince de Bouillon. Le jeu d’acteur est conforme aux conventions, et le plus beau réside dans le noir qui isole la scène centrale des coulisses.

Et en regard de l’interprétation charmeuse et mélodramatique d’Angela Gheorghiu, le rôle d’Adriana est repris pour trois soirs par la soprano bulgare Svetla Vassileva, qui avait rendu un portrait bouleversant de Madame Butterfly sur cette même scène l’année dernière.

Svetla Vassileva (Adriana Lecouvreur)

Svetla Vassileva (Adriana Lecouvreur)

Les traits de voix filés et irréels de la première s’évanouissent pour laisser place à des expressions vocales plus franches, claires et surtout plus dramatiques, même si les sonorités basses deviennent inaudibles, avant que, soudainement, ses éclats perçants, les cris du cœur, émergent puissamment.

Et après un premier acte où l’on entend une femme s’ennuyer un peu en marge de sa vie de scène, le tempérament immensément théâtral de Svetla Vassileva se révèle dès la seconde partie, tout d’abord dans sa relation à Maurice de Saxe, puis, dans sa confrontation intense et prenante avec la Comtesse de Bouillon. Tout est vécu sans fausses larmes.

Svetla Vassileva (Adriana Lecouvreur)

Svetla Vassileva (Adriana Lecouvreur)

Ainsi, Marcelo Alvarez apparaît particulièrement protecteur vis-à-vis de sa partenaire, comme si les fragilités qu’elle exprimait pouvaient induire une plus grande vérité et sincérité dans le jeu du chanteur. C’est quelque chose d’absolument fascinant à voir, et cette artiste n’a pas fini de nous surprendre au moment du très attendu monologue de Phèdre.

Bien que projetée inégalement, sa déclamation du texte est infailliblement celle d'une âme blessée, et nous avons là, sur scène, une véritable tragédienne qui sait hausser le ton quand il le faut, exprimer failles et troubles de tout son corps, et décrire une humanité spectaculairement incarnée.

Svetla Vassileva (Adriana Lecouvreur)

Svetla Vassileva (Adriana Lecouvreur)

Son dernier acte joint Adriana à la candeur bafouée de Desdémone, les douleurs intérieures prennent à partie la salle entière, et sa grandeur se magnifie dans un dernier souffle.

Orchestre tout aussi merveilleux, plus théâtral, violemment coloré.

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Publié le 3 Mars 2009

Adrienne Lecouvreur (Francesco Cilea)
Représentation du 28 février 2009
New York Metropolitan Opera

Direction musicale Marco Armiliato
Mise en scène Mark Lamos (1963)

Adriana Lecouvreur Maria Guleghina
Maurizio Placido Domingo
La Princesse de Bouillon Olga Borodina
Michonnet Roberto Frontali
Le Prince de Bouillon John Del Carlo
L’Abbé de Chazeuil Bernard Fitch

 

                 Olga Borodina (La Princesse de Bouillon)

 

Comme une grande fantaisie théâtrale, l’Adrienne Lecouvreur du MET ressurgit sans complexe, actrice de la Comédie française devenue invraisemblable chanteuse à l’Opéra Garnier, et vision qui n’est pas sans provoquer une certaine émotion.

Nous sommes donc dans un délire baroque total qui se permet tout, l’orientalisme, les fresques surchargées de stuc, les dégradés de tons verts et bleus nuit des appartements de la Princesse de Bouillon, un ballet kitschissime, images pulvérisées à la dernière scène lorsque Adrienne achève sa vie brutalement, étrange rapprochement avec la Violetta de Verdi.

Totalement exaltée, Maria Guleghina se lâche avec bonheur, perfore le public de ses puissantes injonctions, néglige aussi, et il faut le reconnaître, les lignes les plus subtiles, mais les regards frondeurs et perfides de ce phénomène vivant, qu’il faut avoir vu au moins une fois sur scène, ne cessent de fasciner.

Maria Guleghina (Adrienne Lecouvreur de la Comédie Française)

Maria Guleghina (Adrienne Lecouvreur de la Comédie Française)

Les repères temporels se bousculent encore plus avec l’arrivée de Placido Domingo, l’air de rien, comme si après 50 ans de carrière et 40 ans après son entrée au MET dans le même rôle, il était tout à fait naturel de se présenter sur les planches avec une décontraction confondante.

Sans doute les sirupeuses couleurs de l’âge d’or ont quelque peu disparu, pourtant ni la clarté insouciante, ni la passion virile ne semblent atteintes, et le ténor conclut même ses airs en déchargeant une tension à donner le frisson.
Extraordinaire! aurait-on envie de s’écrier, car ce chanteur d'exception donne une leçon de résistance aux âges stupéfiante.

La comparaison avec Marcelo Alvarez quelques heures auparavant dans Il Trovatore est étonnante, car il est évident que sans en faire des tonnes, Domingo communique une sincérité d’une grâce incroyable

Cet homme aime les femmes, et cela se voit.

Olga Borodina et Placido Domingo

Olga Borodina et Placido Domingo

Autre tempérament, Olga Borodina use de son charisme vocal, fusion noble de noirceur et de tendresse.

Certes le duo avec Guleghina, lorsque les deux femmes se reconnaissent comme rivales, semble trop retenu, et le chef évite les accélérations brusques, mais elles se rattrapent toutes deux dans le fameux monologue de Phèdre (la soprano ukrainienne est une excellente diseuse), et le « Un tale insulto! » de la mezzo-soprano se ressent comme une déclaration de guerre nette.

Dans les seconds rôles, Roberto Frontali se distingue pas son portrait sensible de Michonnet, l'Abbé de Bernard Fitch jouant avec piquant l' impertinence.

Maria Guleghina (Adrienne Lecouvreur) et Placido Domingo (Maurizio)

Maria Guleghina (Adrienne Lecouvreur) et Placido Domingo (Maurizio)

Ce style d'opéra, passionné et sanguin, est la réponse inverse à la musique de Wagner et à ses influences sur l'âme humaine.

L’outrance ici fait le plaisir, ce qui ne rend pas le final pathétique des plus poignants, la direction de Marco Armiliato ayant elle même contribué à la fois par sa légèreté et ses tonitruances (mais ce n’est pas un reproche) à faire de cette soirée un moment complètement irréel.

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