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Publié le 3 Février 2024

Adriana Lecouvreur (Francesco Cilea – Teatro Lirico de Milan, le 6 novembre 1902)
Répétition générale du 13 janvier et représentation du 31 janvier 2024
Opéra Bastille

Adriana Lecouvreur  Anna Netrebko (le 13)
                                  Anna Pirozzi (le 31)
Maurizio Yusif Eyvazov (le 13)
                Giorgio Berrugi (le 31)

La Princesse de Bouillon Ekaterina Semenchuk (le 13)
                                    Clémentine Margaine (le 31)
Le Prince de Bouillon Sava Vemić
L’Abbé de Chazeuil Leonardo Cortellazzi
Michonnet Ambrogio Maestri
Quinault Alejandro Baliñas Vieites
Poisson Nicholas Jones
Mademoiselle Jouvenot Ilanah Lobel-Torres
Mademoiselle Dangeville Marine Chagnon
Un Majordome Se-Jin Hwang

Direction musicale Jader Bignamini
Mise en scène David McVicar (2010)

Coproduction Royal Opera House, Covent Garden, Londres, Gran Teatre del Liceu, Barcelone, Wiener Staatsoper, New-York Metropolitan Opera et San Francisco Opera

La production d’’Adriana Lecouvreur’ dans la mise en scène de David McVicar créée à Londres en 2010, qui fut accueillie par plusieurs capitales européennes ainsi qu’Outre-Atlantique, revient à Paris, 8 ans après son premier passage.

Anna Pirozzi (Adriana Lecouvreur)

Anna Pirozzi (Adriana Lecouvreur)

L’une des plus célèbres tragédiennes de la Comédie-Française, née d’une famille pauvre, devint, 120 ans après sa disparition, le sujet d’un drame d’Eugène Scribe et Ernest Legouvé, grand défenseur des droits des femmes, dont va s’inspirer 50 ans plus tard Arturo Colautti pour écrire le livret de l’opéra le plus célèbre de Francesco Cilea.

David McVicar choisit une évocation d’époque de l’ancienne Comédie Française des années 1729-1730, qui était située à l’actuel 14 rue de l’Ancienne Comédie, près de la place de l’Odéon, à travers un décor qui montre un condensé de l’arrière-scène débordant de vie, et que l’on retrouvera froid et éteint au dernier acte, ce théâtre symbolisant l’âme d’Adriana.

Anna Netrebko (Adriana Lecouvreur)

Anna Netrebko (Adriana Lecouvreur)

Les premières scènes permettent aux artistes de jouer à fond l’excitation de la vie de la compagnie, alors qu’au troisième acte, la salle de réception au Palais du Prince de Bouillon oblige à un jeu très retenu et figé.

Mais l’on vient surtout entendre cet ouvrage pour assister à un affrontement entre deux femmes, l’une comédienne au statut méprisé, et l’autre aristocrate, dominante en société, toutes deux éprises du Comte de Saxe, un homme volage qui se fait passer pour un simple officier.

Et le choix de confier les représentations à deux distributions différentes, l’une russo-turque, l’autre italo-latine, va parfaitement traduire l’ambiguïté qu’imprègne ’Adriana Lecouvreur’, entre ceux qui considèrent l’œuvre comme l’aboutissement le plus réussi du courant vériste italien, et ceux qui insistent sur sa nature belcantiste.

Ekaterina Semenchuk (La Princesse de Bouillon) et Yusif Eyvazov (Maurizio)

Ekaterina Semenchuk (La Princesse de Bouillon) et Yusif Eyvazov (Maurizio)

La première série permet donc de retrouver Anna Netrebko sur la scène Bastille, un an après être venue y incarner la Donna Leonora de la ‘Forza del Destino’. Le timbre est d’une luxueuse beauté sombre avec, parfois, des inflexions fortement morbides, presque monstrueuses, sa présence souveraine se complaît dans un glamour contemplatif hypnotisant, mais, surtout, elle réserve au dernier acte, quand elle reçoit le bouquet de violettes empoisonnées, une puissance dramatique phénoménale. Sa noirceur vocale devient absolument subjuguante tant elle évoque la souffrance intérieure sur le point d’expirer, alors que Jader Bignamini tisse une orchestration d’un soin infiniment précieux.

Anna Netrebko (Adriana Lecouvreur)

Anna Netrebko (Adriana Lecouvreur)

Avec une correspondance de galbe vocal qui s’harmonise naturellement à celui de la soprano russe, Ekaterina Semenchuk impose aussi un fort caractère et une ampleur d’une grande noblesse, tout en ayant une attitude fortement tenue, à l’image de l’esprit général de ces premières représentations où le style musical se veut plus ampoulé que nerveux.

Le chef d’orchestre imprime en effet, pour ces premières représentations, un alanguissement fastueux qui ferait douter de la nature vériste de l’ouvrage et qui conforte les défenseurs d’une interprétation qui surligne la magnificence de l’écriture musicale, au détriment d’une urgence qui se fait souvent attendre.

Anna Pirozzi (Adriana Lecouvreur)

Anna Pirozzi (Adriana Lecouvreur)

En Maurizio, le ténor Azerbaïdjanais Yusif Eyvazov s’inscrit dans une matière bien différente, affichant un volontarisme héroïque qui rappelle surtout le personnage verdien de Manrico d’’Il Trovatore’. L’assise vocale et les aigus sont d’une solidité à toute épreuve, le soucis de la nuance palpable, et son feux intérieur transcende un sensibilité rugueuse.

Ayant lui même une forte personnalité, ses expressions gagnent en virilité un peu animale.

Leonardo Cortellazzi (L’Abbé de Chazeuil) et Clémentine Margaine (La Princesse de Bouillon)

Leonardo Cortellazzi (L’Abbé de Chazeuil) et Clémentine Margaine (La Princesse de Bouillon)

C’est pourtant à un tout autre spectacle qu’il est possible d’assister depuis le 28 janvier avec l’arrivée d’un autre trio principal qui, de notre point de vue, défend bien mieux la nature théâtrale d’’Adriana Lecouvreur’.

Anna Pirozzi, qui fit ses débuts à l’Opéra national de Paris il y a un an, à l’occasion de la même série de ‘La Forza del Destino’ qu’Anna Netrebko, offre un tout autre visage, la lumière dans le regard, une très grande clarté et une franchise de phrasé indispensable pour rendre justice aux talents de tragédienne d’Adriana Lecouvreur. Son rayonnement et sa grande sincérité touchent instantanément au cœur, et dans le grand monologue de ‘Phèdre’, ‘Giusto cielo !’, elle fait ressentir la pression d’une émotion qui finit par exploser avec un art de la gradation fabuleux. 

Giorgio Berrugi (Maurizio) et Anna Pirozzi (Adriana Lecouvreur)

Giorgio Berrugi (Maurizio) et Anna Pirozzi (Adriana Lecouvreur)

Elle aussi, dotée d’un mordant et d’une résonance impressionnants, Clémentine Margaine transforme la Princesse de Bouillon en une dame d’une violence féroce, les graves d'airain claquant dans la salle tout en gardant une excellente netteté.

On a là une femme à l’orgueil débordant qui vous secoue Maurizio avec un ‘Restate!’ à réveiller les morts.  Le terme de ‘vérisme’ s’applique aussi bien à l’interprétation de la mezzo-soprano narbonnaise qu’à celle de la soprano napolitaine, car toutes deux extériorisent les personnalités respectives de la princesse et de la comédienne avec une vérité humaine qui vous tient aux tripes de bout-en-bout.

Marine Chagnon (Dangeville), Ambrogio Maestri (Michonnet), Ilanah Lobel-Torres (Jouvenot)

Marine Chagnon (Dangeville), Ambrogio Maestri (Michonnet), Ilanah Lobel-Torres (Jouvenot)

Aucun artifice ici, nous sommes tous impliqués dans un drame où le Comte de Saxe, sous la figure de Giorgio Berrugi, apparaît comme un homme malmené par ces deux femmes, et qui, grâce au beau style ombré du ténor pisan, conserve une dignité qui, finalement, lui donne une allure plutôt conventionnelle.

Clémentine Margaine (La Princesse de Bouillon)

Clémentine Margaine (La Princesse de Bouillon)

Quels que soient les soirs, Ambrogio Maestri fait battre le grand cœur de Michonnet avec une prestance à la fois lumineuse et pudique, et tous les personnages qui entourent la comédienne, Quinault, Poisson, Mesdemoiselles Jouvenot et Dangeville, et le majordome, sont vivifiés avec brio par les artistes de la troupe, Alejandro Baliñas Vieites, Nicholas Jones, Ilanah Lobel-Torres et Marine Chagnon, et le choriste Se-Jin Hwang, auxquels le ténor Leonardo Cortellazzi adjoint un impact bien marqué avec une esprit de meneur dans le rôle de l’Abbé de Chazeuil.

Anna Pirozzi (Adriana Lecouvreur)

Anna Pirozzi (Adriana Lecouvreur)

Mais toute cette énergie jetée dans la bataille du drame ne pourrait avoir totalement prise si Jader Bignamini n’avait adapté sa direction d’orchestre à ce nouvel influx sanguin, s’en donnant à cœur joie dans les scènes d’une vitalité piquante, rendant même passionnante la musique pourtant anodine de la pantomime du troisième acte, et, surtout, déployant une somptuosité volcanique – le coup d’éclat d’Adriana, à la fin de son monologue, est rendu avec une splendeur retentissante et des couleurs de métal flamboyant absolument ensorcelants - et un sens de excitation dramatique qui faisaient défaut avec la première distribution.

Une interprétation de référence d’’Adriana Lecouvreur’ à l’opéra Bastille, en ce mercredi 31 janvier 2024, que l’on n’est pas près d’oublier de si tôt!

Sava Vemić, Clémentine Margaine, Anna Pirozzi, Jader Bignamini, Giorgio Berrugi, Ambrogio Maestri et Leonardo Cortellazzi

Sava Vemić, Clémentine Margaine, Anna Pirozzi, Jader Bignamini, Giorgio Berrugi, Ambrogio Maestri et Leonardo Cortellazzi

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Publié le 16 Mai 2017

Eugène Onéguine (Piotr Ilitch Tchaïkovski)
Répétition générale du 13 mai et représentations du 16, 19, 31 mai et 06 juin 2017
Opéra Bastille

Madame Larina Elena Zaremba 
Tatiana Anna Netrebko (mai)

            Elena Stikhina (31 mai) Nicole Car (juin)
Olga Varduhi Abrahamyan 
Filipievna Hanna Schwarz 
Eugène Onéguine Peter Mattei 
Lenski Pavel Černoch 
Le Prince Grémine Alexander Tsymbalyuk 
Monsieur Triquet Raúl Giménez 
Zaretski Vadim Artamonov 
Le Lieutenant Olivier Ayault 
Solo Ténor Gregorz Staskiewicz 

Direction musicale Edward Gardner                                Anna Netrebko (Tatiana)
Mise en scène Willy Decker (1995)

Créée au début du mandat d’Hugues Gall (1995-2004), représentée pendant trois de ses saisons, puis reprise par Nicolas Joel en 2010, la mise en scène d’Eugène Onéguine par Willy Decker ne peut égaler celle de Dmitri Tcherniakov qui avait atteint un niveau de crédibilité et de profondeur psychologique rare, mais elle offre un cadre pictural épuré qui rend possible de grandes représentations de répertoire si elle est associée à une distribution tout à fait hors norme.

Anna Netrebko (Tatiana)

Anna Netrebko (Tatiana)

Et c’est bien sûr ce qui justifie ce retour, car les interprètes choisis ont tous des moyens qui leur permettent de rivaliser les uns les autres à un jeu démonstratif exceptionnel.

Il ne faut donc pas attendre d’Anna Netrebko qu’elle retranche son personnage derrière les états d’âmes sensibles et incontrôlables de l’adolescence, car elle a les dimensions pour faire de Tatiana une femme mûre et lucide. Elle surprend, malgré la disproportion, à émouvoir par la violence des sentiments.

Aigus larges et puissants, noirceur animale, détresse dans le regard et expressions attendrissantes, transparaissent de cet aplomb fantastique les grandeurs de la Lady Macbeth qu’elle interprétait à Munich à la fin de l’année dernière.

Peter Mattei (Eugène Onéguine)

Peter Mattei (Eugène Onéguine)

Dans son face à face cruel, Peter Mattei lui oppose un Eugène Onéguine d’une rare froideur. C’est certes voulu par le metteur en scène, mais le chanteur suédois a naturellement un charisme personnel et une séduction de timbre qu’il pourrait employer afin de toucher l’auditeur. Pourtant, les expressions restent fermes, les couleurs mates, et sa prestance vocale se départit d’effets d’affectation.

Il ne se dégage ainsi nulle sympathie de ce grand profil longiligne, qui est aussi glaçant qu’Anna Netrebko peut, elle, inspirer une générosité chaleureuse.

Varduhi Abrahamyan (Olga) et Pavel Černoch (Lenski)

Varduhi Abrahamyan (Olga) et Pavel Černoch (Lenski)

L’homme sensible et romantique est donc incarné par Pavel Černoch, Lenski d’une personnalité entière donnée à une voix brillante et adoucie par une tessiture légèrement voilée.

En émane le charme de la nostalgie slave, surtout lorsque l’air ‘Kuda, Kuda vï udalilis’ , qui précède le duel, laisse pressentir que ce chanteur sera, la saison prochaine, un Don Carlos profondément poignant.

Alexander Tsymbalyuk (Le Prince Grémine)

Alexander Tsymbalyuk (Le Prince Grémine)

Et au dernier acte, sous l’immense luminaire d’un palais austère serti de diamants et empli d’un vide sans âme, la noblesse du lieu s’incarne soudainement sous les traits d’Alexander Tsymbalyuk.

Il compose un impressionnant Prince Grémine, nourri de graves qui suggèrent l’expérience bienveillante, mais pas encore l’âge de la vieillesse. L’homme est de plus élégant, la posture affirmée, et son grand air d’amour ‘Lyubvi vsye vozrati pokorni’ est empreint d’une gravité recueillie absolument expressive.

Anna Netrebko (Tatiana)

Anna Netrebko (Tatiana)

Parmi les rôles secondaires, Hanna Schwarz fait son retour à l’Opéra National de Paris, 30 ans après sa dernière interprétation de Cornelia dans Giulio Cesare, et confie à Filipievna toute une palette d’expressions discrètes, du murmure obscur à l’exclamation soudaine et vitale, la seule qui a un véritable dialogue avec Tatiana.

Peter Mattei (Eugène Onéguine)

Peter Mattei (Eugène Onéguine)

Quant à Varduhi Abrahamyan, elle caricature beaucoup trop Olga en soubrette au point de la rendre totalement creuse, et Raúl Giménez, qui a le mérite de chanter l’air de Monsieur Triquet en français, compense l'ambiguïté de sa diction par des nuances soulignées et une projection impressionnante pour ce rôle d’amuseur grand public.

Enfin, Elena Zaremba use de son timbre de glace pour installer en Madame Larina un caractère autoritaire et inflexible.

Elena Zaremba (Madame Larina)

Elena Zaremba (Madame Larina)

Les chœurs, homogènes, donnent un peu de vie aux tableaux atones de la mise en scène, et la direction d’Edward Gardner, lisse et volumineuse, laisse les couleurs françaises de l’orchestre s’épanouir au point de rapprocher la musique de Tchaïkovski des compositions de Jules Massenet ou de Charles Gounod, ce qui suggère, à plusieurs reprises, les ambiances bucoliques de Mireille.

Anna Netrebko

Anna Netrebko

Et malgré la beauté des motifs instrumentaux et du lustre orchestral, une forme de dolence fait perdre ce qu’il y a d’éveil frémissant et d’urgence dans la partition d’Eugène Onéguine, alors qu’il faudrait plus d’énergie pour combler les lacunes d’une mise en scène qui a fait son temps.

Elena Stikhina (Tatiana)

Elena Stikhina (Tatiana)

Remplaçante d'Anna Netrebko pour un seul soir, le mercredi 31 mai, Elena Stikhina a eu droit à un accueil triomphal, aussi bien après la scène de la lettre qu'au baisser de rideau où elle s'est montrée très émue. Elle a su toucher le public pour son interprétation, mais également pour sa personne.

Vocalement et scéniquement, elle est plus proche de Tatiana qu'Anna Netrebko.
Aigus aussi puissants, mais attitudes moins démonstratives (elle ne se pose pas face aux spectateurs, tête vers le haut, pour montrer l'étendue de ses moyens, et joue le drame et dirige sa voix en fonction de ce que doit exprimer Tatiana avec pudeur), son timbre est plus clair, d'une belle rondeur dans le médium, sans graves morbides fortement prononcés, et la jeune artiste réalise une incarnation très proche de ce que faisait Olga Guryakova dans la plénitude de ses moyens au cours des deux dernières décennies.

Elena Stikhina (Tatiana)

Elena Stikhina (Tatiana)

Peter Mattei est apparu comme un partenaire passionné, attentif, un très grand soutien pour elle qui a du tenir un rôle romantique majeur face à une salle pleine qui attendait sa consoeur russe.

Elle semble idéale pour incarner de grands rôles de soprano dramatiques, plus mûres que Tatiana, telle Desdémone par exemple.

La saison prochaine, elle incarnera Leonora dans la reprise d'Il Trovatore, en juin et juillet 2018.

Elena Zaremba (Madame Larina) et Nicole Car (Tatiana)

Elena Zaremba (Madame Larina) et Nicole Car (Tatiana)

Et au cours du mois du juin, une jeune artiste australienne, Nicole Car, fait revivre la plus authentique des Tatiana, car totalement naturelle et fidèle à la psychologie de la jeune fille.

Point d'effets dramatiques, aucun surjeu, tout est juste avec une belle continuité des couleurs, ce qui permet d'apprécier la sensibilité de son personnage dans les moindres détails.

Ses gestes sont purs, et les sentiments qu'elle reflète sont une image précieuse et fragile qui font la valeur de la soirée.

Interprète accomplie, elle l'est, et malgré l'immensité de la salle, elle réussit à créer un lien intime entre elle, l'auditeur et l'oeuvre, en parfaite osmose avec la musicalité de l’orchestre.

Peter Mattei (Eugène Onéguine) et Nicole Car (Tatiana)

Peter Mattei (Eugène Onéguine) et Nicole Car (Tatiana)

D'ailleurs, Edward Gardner paraît très inspiré ce soir, souffle et relief tragiques submergent les musiciens dans un allant acéré, il est un chef véritablement imprévisible...

Et Peter Mattei, dans ses grands jours, offre de magnifiques moments charmeurs et agrémentés de touches séductrices, et laisse passion et urgence le dépasser pour, petit à petit, traduire la vie qui s'extériorise que trop tardivement en Eugène Onéguine,

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Publié le 31 Mai 2008

I Capuleti e i Montecchi (Bellini)

Représentations du 24 et du 31 mai 2008
Opéra Bastille

Direction musicale Evelino Pidò

Mise en scène Robert Carsen

Giulietta Anna Netrebko (24 mai)

             Patricia Ciofi     (31 mai)

Romeo Joyce DiDonato

Tebaldo Matthew Polenzani

Lorenzo Mikhail Petrenko

Capellio Giovanni Battista Parodi

Il est fort peu probable que Bellini aurait imaginé que près de deux siècles plus tard sa version de « Romeo et Juliette » puisse recueillir un tel succès. Il ne reste pas grand-chose du drame de Shakespeare et donc tout repose sur le savoir faire mélodique du compositeur et surtout les qualités vocales des interprètes.

Car « Les Capulets et les Montaigus » est un opéra créé pour de belles voix.
La force des sentiments liant les amants s’y exprime d’une manière telle que les déclamations initiales de Tebaldo, pourtant vaillantes un instant, pâlissent et s’effacent définitivement lors de leur premier duo.

Anna Netrebko (Giulietta)

Anna Netrebko (Giulietta)

Anna Netrebko était donc très attendue pour sa première apparition à l’Opéra de Paris, et indéniablement nous avons eu droit à un festival vocal.

La souplesse et la pureté des lignes portent parfois préjudice à l’élocution mais il y a chez la soprano russe un plaisir évident à jouer d’une puissance qui surprend tout spectateur et lui rappelle ainsi qu’il n’entend pas un chant d’une soudaine ampleur tous les jours. Surtout que la dame n’est pas avare de petits ornements de ci de là effectués avec une aisance stupéfiante.

Sans doute cela réveille t-il aussi une certaine nostalgie d’une époque où des chanteuses et chanteurs spectaculaires galvanisaient un public au bord de l’hystérie.

Seulement, nonchalance et jeu scénique très prévisible contribuent aussi à diluer une impression d’indifférence et un état d’esprit tourné plus vers le démonstratif que vers l’identification à un personnage.

A cet égard, Joyce Di Donato, qui s’était déjà révélée une interprète idéale de la fougue adolescente

d’Idamante (Idomeneo), réédite une incarnation enflammée du rôle de Roméo avec une audace parfois très risquée. Elle est capable d’exprimer une variété de sentiments en une seule phrase traduisant ainsi le chaos intérieur des émotions au travers duquel l’élan chevaleresque et passionné du jeune homme reste imparable.

Les duos avec Giulietta sont à chaque fois des moments où le temps perd tout son sens à la manière des sensations d’enivrement. C’est très particulier et d’ailleurs dans cet opéra l’action importe peu.

A partir de l’endormissement de la fille de Capuleti, Joyce Di Donato devient affectée par une douleur incroyablement déchirante, le final où les deux femmes meurent étant un drame aussi bien pour l’œuvre elle-même que pour le spectateur qui se trouve privé de deux des plus belles voix qu’il ait entendu depuis longtemps.

  

Joyce Di Donato (Romeo)

Le triomphe fait aux deux chanteuses est sans appel.

Mais soyons juste, Matthew Polenzani est sans doute un des meilleurs ténors capables d’interpréter Tebaldo.

C’est très étrange, l’émission est très affirmée et s’appuie sur un souffle d’une grande profondeur, mais en même temps les vibrations du timbre lui donnent comme une sorte de fragilité qui le débarrasse de toute arrogance.

C’est à l’occasion de Lucia di Lammermoor il y a deux ans que le chanteur s’était petit à petit affirmé dans le rôle d’Edgar. La belle assurance affichée aujourd’hui confirme la voie choisie.

 

Mikhail Petrenko et Giovanni Battista Parodi sont tout à fait biens dans leurs rôles, et ce n’est pas moi qui critiquerait le style trépidant de la direction d’ Evelino Pidò, bien que tenir le rythme n’a pas toujours semblé évident pour les choristes.

Joyce DiDonato (Roméo) et Anna Netrebko (Juliette)

Joyce DiDonato (Roméo) et Anna Netrebko (Juliette)

La mise en scène d’un Robert Carsen de jeunesse se concentre sur l’essentiel : le rouge des Capulets (parti des Guelfes lié au Pape), bras droit d’une religion oppressive et sanglante, s’oppose au noir, tout autant tragique, des Montaigus (parti des Gibelins lié à l’Empereur).

Se distingue une belle idée qui consiste à laisser Giulietta endormie après avoir bu le breuvage somnifère, tandis que les soldats morts se lèvent pour se réconcilier au cours d’un bref passage dans le monde des esprits.

Mais maintenant il reste à entendre la Giulietta de Patricia Ciofi , tragédienne née.

De retour donc à l’Opéra Bastille, une semaine plus tard, pour retrouver la chanteuse italienne remplaçante d’Anna Netrebko pour au moins trois soirs.

L’amateur de vérité humaine ne peut que sortir convaincu de cette représentation, tant Patricia Ciofi possède le talent de rendre son personnage émouvant. D’aucun soulignera sans doute que sa Giulietta ressemble à Lucia ou Traviata, mais la manière dont l’auditeur est pris par l’interprétation diffère fortement du vécu le jour de la première.

 

Patricia Ciofi (Giulietta)

Si la soprano Russe jouait sur le pouvoir psychique de sa puissance virtuose et de sa beauté glamour, avec madame Ciofi le sentimentalisme de chacun est bien plus sollicité par la délicatesse de la voix, des gestes et de son regard tragiquement illuminé.

Toute la légèreté de l’aigu envahit la salle et révèle une pureté d’âme qui touche au cœur.

Le jeu avec Joyce di Donato (à nouveau passionnément exaltée) en est également plus caressant et sensuel.

Joyce DiDonato (Roméo) et Patricia Ciofi (Juliette)

Joyce DiDonato (Roméo) et Patricia Ciofi (Juliette)

Ce soir, Matthew Polenzani affiche encore plus de subtilité et laisse un peu de côté son caractère incisif. 

L'intensité vécue par les spectateurs n'est que très justement retournée vers les artistes au rideau final en remerciement pour cette soirée mémorable.

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