Publié le 2 Février 2015
Idomeneo (Wolfgang Amadé Mozart)
Représentation du 01 février 2015
Opéra de Lille
Idomeneo Kresimir Spicer
Ilia Rosa Feola
Idamante Rachel Frenkel
Elettra Patrizia Ciofi
Arbace Edgaras Montvidas
Le Grand Prêtre Emilio Gonzalez Toro
La Voix de Neptune Bogdan Talos
L’enfant Ethanaël Secq
Danseur Yohann Baran
Un vieil Homme Raymond Bodart
Direction Musicale Emmanuelle Haïm
Le Concert d’Astrée choeur et orchestre
Mise en scène Jean-Yves Ruf
Sacrifice à Neptune
Depuis la fin du mois de janvier de cette année, deux villes françaises montent Idomeneo sur leur propre scène lyrique, suivant deux interprétations radicalement différentes.
Ainsi, après la version sombre et violente de Martin Kusej à l’Opéra National de Lyon, l’Opéra de Lille propose une version naïve et humaniste qui est plus à même de plaire à des spectateurs français. Ici, pas de réflexion sur la remise en question du pouvoir par le peuple, les personnages sont simplement ramenés à la nature essentielle de leurs liens. Et toutes les composantes de cette production sont pensées selon cet angle de vue.
Emmanuelle Haïm, en premier lieu, s’évertue à obtenir un rendu orchestral caressant, fait des textures ocre et boisées du Concert d’Astrée. Les cordes prédominent dans une tonalité continue et un peu austère, apparaissant comme le prolongement d’un univers baroque, plutôt que des conceptions dramatiques de la musique de Gluck. L’ouverture est d’une pompe majestueuse qui se révèle finalement trompeuse, car on ne retrouve pas cette impression dans la suite de la représentation.
Les voix, sans aucune exception, sont d’un grain homogène et harmonieux, en accord avec l’intériorité solennelle qui se dégage de ce spectacle.
Timbre quasi-solaire qui alterne atténuations subtiles et exagérations viriles, Kresimir Spicer suit une ligne théâtrale conventionnelle – mais le chanteur est encore jeune -, qui adoucit considérablement la psychologie du roi, et ne permet pas de faire ressentir les tourments d’Idomeneo. L’incarnation est encore trop gentille, mais l’air d’entrée est saisissant de présence.
Rachel Frenkel et Rosa Feola sont, elles, indissociables, car elles forment un couple original, juvénile, qui évolue entre Roméo et Juliette et Tamino et Pamina. La première est très légère, une adolescente, alors que la voix de la seconde est plus riche, une émission stable et digne, et un caractère écorché inhabituel dans ce rôle qui pourrait aussi avoir, à l’instar d’Elena Galistkaya sur la scène de l’Opéra de Lyon, une véritable dimension tragique.
L’Arbace d’Edgaras Montvidas est impeccable de tenue, presque trop sérieux, nul doute qu’il pourrait traduire avec plus de pathétique son affectation pour le sort d’Idomeneo.
Dans le même esprit, le chœur chante tout en nuances, sans emphase, avec la même chaleur humaine.
Et il y a Patrizia Ciofi. Avec elle, Elettra prend une ampleur humaine hallucinée et miraculeuse. Elle est la seule à savoir entièrement diffracter l’arc des sentiments les plus contradictoires, à puiser en elle pour rendre entièrement un personnage qui sombre progressivement dans la folie, et à émouvoir avec cette voix d’animal blessé. A Lyon, Ilia était une impressionnante Cassandre, à Lille, Elettra est le cœur noir et sincère qui domine sur scène.
Tous ces artistes sont dirigés par Jean-Yves Ruf dans un univers dépouillé et éclairé sur un fond bleu de fosses abyssales, un minimum d’objets, un rideau de fibres qui, comme des barreaux souples et perméables, séparent intérieur et extérieur, et un très bel arbre d’automne aux couleurs de sang, qui sera l’évocation tristanesque des amours d’Ilia et Idamante.
Peu de prises de risques scéniques, donc, mais plusieurs images sacrificielles dont un magnifique jeune homme chorégraphiant les spasmes d’une victime perdant la vie en blanc sous les coulées de sang.
Le public accepte sans réserve la violence des images qui, plus ou moins inconsciemment, renvoient aux souffrances christiques – Arbace finit même par s’entailler, et Idamante porte sur le flanc une blessure rougeoyante –, alors qu’à Lyon, il rejette celles qui, barbares, montrent les conséquences de massacres de masse, bien que le texte les suggère pourtant clairement.