Publié le 20 Octobre 2024
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La Fille du Régiment (Gaetano Donizetti -
11 février 1840, Opéra-Comique de Paris)
Représentation du 17 octobre 2024
Opéra Bastille
Marie Julie Fuchs
Marquise de Berkenfield Susan Graham
Tonio Lawrence Brownlee
Sulpice Lionel Lhote
Hortensius Florent Mbia
Duchesse de Crakentorp Dame Felicity Lott
Direction Musicale Evelino Pidò
Mise en scène Laurent Pelly (2007)
Production Metropolitan Opera de New York, Royal Opera House Covent Garden de Londres, Staatsoper de Vienne
Retransmission en direct le 06 novembre 2024 sur POP-Paris Opera Play, la plateforme de l'Opéra national de Paris
Créé le 11 février 1840, ‘La Fille du Régiment’ est le dernier grand succès du Théâtre des Nouveautés donné par la troupe de l’Opéra-Comique qui s’y était installée depuis 1832, avant qu’elle ne rejoigne sa seconde salle Favart trois mois plus tard.
Dans cette salle confiée à la direction de François-Louis Crosnier, ancien chef de bataillon, 'Le pré aux Clercs' d'Herold, ‘Le Chalet’ et ‘Le Postillon de Lonjumeau’ d’Adolphe Adam, ‘Le Cheval de bronze’ et ‘Le Domino noir’ d’Auber connaîtront également leurs premières représentations et seront tous de grandes réussites du genre tout au long du XIXe siècle.
Le premier opéra en français écrit pour Paris par Donizetti atteindra ainsi sa millième représentation à l’Opéra-Comique le 02 janvier 1908 avant de connaître un déclin à l’issue de la Première Guerre mondiale.
Par la suite, l’œuvre retrouvera sa popularité grâce à l’interprétation de Luciano Pavarotti et Joan Sutherland donnée au Royal Opera House de Londres en 1966 et 1967, maison lyrique qui présentera 40 ans plus tard une nouvelle coproduction de ‘La Fille du Régiment’ mise en scène par Laurent Pelly.
Cette production sera jouée sur la scène de Covent Garden pendant 12 ans (36 représentations), mais aussi à Vienne (35 représentations), New-York (28 représentations), Paris (en 2012 et 2024 pour un total de 22 représentations), Barcelone (17 représentations), Madrid (14 représentations), Chicago (7 représentations), ainsi qu’à la Scala de Milan en 2025 (6 représentations), soit 165 représentations.
Il est ainsi très rare qu’une production lyrique soit présentée sur autant de scènes différentes à travers le monde, et rien ne laisse penser que son parcours ne soit achevé.
La Scénographie conçue par Laurent Pelly s’appuie sur un concept assez simple avec, en première partie, un relief composé de cartes militaires gigantesques représentant le terrain des régions autour du Tyrol où Napoléon avançait en 1815, ce qui donne une petite allure de bande dessinée à la mise en scène, puis, en seconde partie, un décor boisé d’appartement bourgeois transversal sur fond de pyramides et Sphinx égyptiens qui renvoient à une image d’Épinal fantasmée des campagnes napoléoniennes.
Le choix des costumes donne de la jeune vivandière Marie une image de garçon manqué qui veut aller en découdre au combat en première ligne de son régiment, et lorsque sa tante, en fait sa mère, la Marquise de Berkenfield, cherche à l’embourgeoiser, le comportement de Marie en robe de mariée montre le décalage entre sa personnalité et ce symbole social dépassé qui altère sa nature humaine.
Pour cette reprise, Julie Fuchs reprend la rôle qu’elle n’avait abordé jusqu’à présent qu’en 2016, à Lausanne d’abord, dans une mise en scène de Vincent Vittoz, puis à Vienne dans la production de Laurent Pelly.
Rodée à la comédie, elle impose avec évidence une présence drolatique en s’appuyant dans les parties chantées sur son sens du rythme et une vocalité enjouée dans une teinte constamment claire, et c’est à partir de la romance ‘Il faut partir !’ que son délié s’épanouit avec une souplesse pleinement grisante et lumineuse.
Elle approfondit ainsi l’âme de Marie en faisant ressortir une douceur très mozartienne.
Son amoureux, Tonio, incarné par Lawrence Brownlee s’inscrit totalement dans la joie de vivre mais aussi la vaillance pleinement virile, son timbre consistant aux colorations à la fois ombreuses et scintillantes se modulant de manière très fluide à la forte dynamique de tessiture imposée par l’écriture de Donizetti.
Ce qui est remarquable dans cet opéra de fond plutôt léger, mais qui réserve des passages mélancoliques, est que les deux chanteurs principaux sont constamment sollicités dans un registre de notes très élevées pour, finalement, jouer la comédie. Et de se prendre au jeu de cette comédie en ferait presque oublier la difficulté technique.
D’ailleurs, lors de la première de ce soir, l’engouement et la chaleur du public sont fortement sensibles, et cet enthousiasme communicatif contribue aussi à l’appréciation du spectacle car l’énergie circule dans toute la salle. Et depuis le début du mandat d’Alexander Neef, on remarque à plusieurs reprises une qualité du public dans sa réaction aux artistes et productions que l’on n’a pas toujours connu par le passé.
Il faut dire aussi que ‘La Fille du régiment’ exalte un chauvinisme bon enfant qui se retrouve dans les chœurs des soldats, excellemment percutants, ‘Rantanplan !’ et, bien sûr, ‘Salut à la France !’.
Les partenaires de Julie Fuchs et Lawrence Brownlee sont parfaitement à l’aise et, surtout, tout aussi intelligibles, car les passages parlés, légèrement sonorisés, sont nombreux. Pour Lionel Lhote, la diction est facile et le chant rayonnant, mais les qualités de comédienne de Susan Graham sont plus inattendues et fort appréciables. Elle accompagnera d’ailleurs elle-même Julie Fuchs au piano.
En Duchesse de Crakentorp issue d’un monde passé, Felicity Lott fait une apparition dans un rôle purement parlé mais effronté, et Florent Mbia décrit un Hortensius sympathique et jovial. Le paysan joué par Cyrille Lovighi est par ailleurs excellent et très percutant.
Et c’est avec grand plaisir que l’on retrouve Evelino Pidò à la direction de l’orchestre de l’Opéra national de Paris, très exigeant rythmiquement, sans le moindre relâchement, tout en faisant bien sonner les timbres des instrumentistes, entretenant une ligne mélodieuse qui a du corps, et nuançant de manière à faire apprécier la finesse musicale de la partition qui risquerait sinon de passer au second plan de la comédie. Il est pour beaucoup dans le relief rendu à cette soirée très réussie.