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Publié le 20 Octobre 2024

La Fille du Régiment (Gaetano Donizetti -
11 février 1840, Opéra-Comique de Paris)
Représentation du 17 octobre 2024
Opéra Bastille

Marie Julie Fuchs
Marquise de Berkenfield  Susan Graham
Tonio  Lawrence Brownlee
Sulpice  Lionel Lhote
Hortensius  Florent Mbia
Duchesse de Crakentorp Dame Felicity Lott

Direction Musicale Evelino Pidò
Mise en scène Laurent Pelly (2007)

Production Metropolitan Opera de New York, Royal Opera House Covent Garden de Londres, Staatsoper de Vienne
 

Retransmission en direct le 06 novembre 2024 sur POP-Paris Opera Play, la plateforme de l'Opéra national de Paris

Créé le 11 février 1840, ‘La Fille du Régiment’ est le dernier grand succès du Théâtre des Nouveautés donné par la troupe de l’Opéra-Comique qui s’y était installée depuis 1832, avant qu’elle ne rejoigne sa seconde salle Favart trois mois plus tard.

Dans cette salle confiée à la direction de François-Louis Crosnier, ancien chef de bataillon, 'Le pré aux Clercs' d'Herold, ‘Le Chalet’ et ‘Le Postillon de Lonjumeau’ d’Adolphe Adam, ‘Le Cheval de bronze’ et ‘Le Domino noir’ d’Auber connaîtront également leurs premières représentations et seront tous de grandes réussites du genre tout au long du XIXe siècle.

Le premier opéra en français écrit pour Paris par Donizetti atteindra ainsi sa millième représentation à l’Opéra-Comique le 02 janvier 1908 avant de connaître un déclin à l’issue de la Première Guerre mondiale.

Julie Fuchs (Marie)

Julie Fuchs (Marie)

Par la suite, l’œuvre retrouvera sa popularité grâce à l’interprétation de Luciano Pavarotti et Joan Sutherland donnée au Royal Opera House de Londres en 1966 et 1967, maison lyrique qui présentera 40 ans plus tard une nouvelle coproduction de ‘La Fille du Régiment’ mise en scène par Laurent Pelly

Cette production sera jouée sur la scène de Covent Garden pendant 12 ans (36 représentations), mais aussi à Vienne (35 représentations), New-York (28 représentations), Paris (en 2012 et 2024 pour un total de 22 représentations), Barcelone (17 représentations), Madrid (14 représentations), Chicago (7 représentations), ainsi qu’à la Scala de Milan en 2025 (6 représentations), soit 165 représentations.

Il est ainsi très rare qu’une production lyrique soit présentée sur autant de scènes différentes à travers le monde, et rien ne laisse penser que son parcours ne soit achevé.

Susan Graham (La Marquise de Berkenfield) et Florent Mbia (Hortensius)

Susan Graham (La Marquise de Berkenfield) et Florent Mbia (Hortensius)

La Scénographie conçue par Laurent Pelly s’appuie sur un concept assez simple avec, en première partie, un relief composé de cartes militaires gigantesques représentant le terrain des régions autour du Tyrol où Napoléon avançait en 1815, ce qui donne une petite allure de bande dessinée à la mise en scène, puis, en seconde partie, un décor boisé d’appartement bourgeois transversal sur fond de pyramides et Sphinx égyptiens qui renvoient à une image d’Épinal fantasmée des campagnes napoléoniennes.

Le choix des costumes donne de la jeune vivandière Marie une image de garçon manqué qui veut aller en découdre au combat en première ligne de son régiment, et lorsque sa tante, en fait sa mère, la Marquise de Berkenfield, cherche à l’embourgeoiser, le comportement de Marie en robe de mariée montre le décalage entre sa personnalité et ce symbole social dépassé qui altère sa nature humaine.

Susan Graham (La Marquise de Berkenfield)

Susan Graham (La Marquise de Berkenfield)

Pour cette reprise, Julie Fuchs reprend la rôle qu’elle n’avait abordé jusqu’à présent qu’en 2016, à Lausanne d’abord, dans une mise en scène de Vincent Vittoz, puis à Vienne dans la production de Laurent Pelly.

Rodée à la comédie, elle impose avec évidence une présence drolatique en s’appuyant dans les parties chantées sur son sens du rythme et une vocalité enjouée dans une teinte constamment claire, et c’est à partir de la romance ‘Il faut partir !’ que son délié s’épanouit avec une souplesse pleinement grisante et lumineuse.

Elle approfondit ainsi l’âme de Marie en faisant ressortir une douceur très mozartienne.

Julie Fuchs (Marie) et les soldats

Julie Fuchs (Marie) et les soldats

Son amoureux, Tonio, incarné par Lawrence Brownlee s’inscrit totalement dans la joie de vivre mais aussi la vaillance pleinement virile, son timbre consistant aux colorations à la fois ombreuses et scintillantes se modulant de manière très fluide à la forte dynamique de tessiture imposée par l’écriture de Donizetti.

Ce qui est remarquable dans cet opéra de fond plutôt léger, mais qui réserve des passages mélancoliques, est que les deux chanteurs principaux sont constamment sollicités dans un registre de notes très élevées pour, finalement, jouer la comédie. Et de se prendre au jeu de cette comédie en ferait presque oublier la difficulté technique.

Lawrence Brownlee (Tonio) et Julie Fuchs (Marie)

Lawrence Brownlee (Tonio) et Julie Fuchs (Marie)

D’ailleurs, lors de la première de ce soir, l’engouement et la chaleur du public sont fortement sensibles, et cet enthousiasme communicatif contribue aussi à l’appréciation du spectacle car l’énergie circule dans toute la salle. Et depuis le début du mandat d’Alexander Neef, on remarque à plusieurs reprises une qualité du public dans sa réaction aux artistes et productions que l’on n’a pas toujours connu par le passé.

Il faut dire aussi que ‘La Fille du régiment’ exalte un chauvinisme bon enfant qui se retrouve dans les chœurs des soldats, excellemment percutants, ‘Rantanplan !’ et, bien sûr, ‘Salut à la France !’.

Lionel Lhote (Sulpice)

Lionel Lhote (Sulpice)

Les partenaires de Julie Fuchs et Lawrence Brownlee sont parfaitement à l’aise et, surtout, tout aussi intelligibles, car les passages parlés, légèrement sonorisés, sont nombreux. Pour Lionel Lhote, la diction est facile et le chant rayonnant, mais les qualités de comédienne de Susan Graham sont plus inattendues et fort appréciables. Elle accompagnera d’ailleurs elle-même Julie Fuchs au piano.

Dame Felicity Lott (Duchesse de Crakentorp)

Dame Felicity Lott (Duchesse de Crakentorp)

En Duchesse de Crakentorp issue d’un monde passé, Felicity Lott fait une apparition dans un rôle purement parlé mais effronté, et Florent Mbia décrit un Hortensius sympathique et jovial. Le paysan joué par Cyrille Lovighi est par ailleurs excellent et très percutant.

Ching-Lien Wu et le chœur de l'Opéra national de Paris

Ching-Lien Wu et le chœur de l'Opéra national de Paris

Et c’est avec grand plaisir que l’on retrouve Evelino Pidò à la direction de l’orchestre de l’Opéra national de Paris, très exigeant rythmiquement, sans le moindre relâchement, tout en faisant bien sonner les timbres des instrumentistes, entretenant une ligne mélodieuse qui a du corps, et nuançant de manière à faire apprécier la finesse musicale de la partition qui risquerait sinon de passer au second plan de la comédie. Il est pour beaucoup dans le relief rendu à cette soirée très réussie.

Dame Felicity Lott, Lionel Lhote, Laurent Pelly, Julie Fuchs, Ching-Lien Wu, Evelino Pidò, Lawrence Brownlee et Susan Graham

Dame Felicity Lott, Lionel Lhote, Laurent Pelly, Julie Fuchs, Ching-Lien Wu, Evelino Pidò, Lawrence Brownlee et Susan Graham

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Publié le 23 Janvier 2024

Jules César (Georg Friedrich Haendel - King's Theatre Haymarket de Londres, le 20 février 1724)
Représentations du 20 et 30 janvier 2024
Palais Garnier

Giulio Cesare Gaëlle Arquez
Tolomeo Iestyn Davies
Cornelia Wiebke Lehmkuhl
Sesto Emily d'Angelo
Cleopatra Lisette Oropesa
Achilla Luca Pisaroni
Nireno Rémy Bres
Curio Adrien Mathonat

Direction Musicale Harry Bicket
Mise en scène Laurent Pelly (2011)

A l’occasion des 300 ans de la création de l’ouvrage le 20 février 1724 au King’s Theatre de Londres, l’Opéra national de Paris reprend la production de ‘Giulio Cesare’ montée par Laurent Pelly en 2011, et en confie l’interprétation à son propre orchestre, une première depuis 1997 (‘Giulio Cesare’ sous la direction d’Ivor Bolton), les œuvres baroques étant habituellement confiées à des spécialistes tels 'Les Arts Florissants', 'Les Musiciens du Louvre' ou bien 'Le Concert d’Astrée'.

Gaëlle Arquez (Giulio Cesare)

Gaëlle Arquez (Giulio Cesare)

Cette ouverture du répertoire s’inscrit ainsi dans la même logique observée avec Gluck dont les deux dernières reprises d’’Iphigénie en Tauride’ (2016 et 2021) ont aussi été assurées par l’Orchestre de l’Opéra de Paris.

Harry Bicket a donc accepté de délaisser pour un temps ‘The English Concert’, et il entraîne les musiciens de la maison dans une lecture juvénile qui soigne la rondeur et la douceur du son. La pâte sonore est constamment fluide et brillamment polie, et le chef d’orchestre britannique s’assure de l’excellente continuité entre la vivacité instrumentale et l’expressivité vocale des chanteurs.

Lisette Oropesa (Cleopatra)

Lisette Oropesa (Cleopatra)

Dans cette mise en scène, la cohérence dramatique est délaissée au profit d’une vision qui consiste à faire revivre, dans l’entrepôt d’un musée qui pourrait être celui du Caire, les personnages de l’antiquité, tout en y mêlant la vie du personnel agissant sans les voir.

Cela permet d’introduire des scènes humoristiques, mais aussi de maintenir un regard distancié avec le passé colonialiste. La profusion de bustes et de statues, de la lionne mycénienne à l’Auguste Caesar, a aussi le pouvoir d’inspirer chez le spectateur un imaginaire qui lui permette de développer sa propre théâtralité intérieure.

Lisette Oropesa (Cleopatra)

Lisette Oropesa (Cleopatra)

A l’occasion de cette reprise, il se dégage de la part des solistes une unité d’ensemble fort plaisante à écouter, d’autant plus que la plupart des chanteurs ne sont pas des spécialistes du répertoire baroque.

Lisette Oropesa est par tempérament naturellement sensationnelle dans le rôle de Cléopâtre, très à l’aise à défier les aspects virtuoses de son personnage, mais elle fait aussi entendre une richesse de teintes vocales qui lui donne de la densité. Dans les fameux lamenti ‘Se pietà di me non senti, giusto ciel’ et ‘Piangerò la sorte mia’, elle n’hésite d’ailleurs pas à laisser filer des affects qui ajoutent subtilement de la vérité à la souffrance qu’elle exprime.

Rémy Bres (Nireno) et Lisette Oropesa (Cleopatra)

Rémy Bres (Nireno) et Lisette Oropesa (Cleopatra)

Nireno, le confident de la Reine égyptienne, est interprété par Rémy Bres, 26 ans, jeune contre-ténor avignonnais qui fait ses début à l’Opéra de Paris, et qui a déjà fréquenté l’année dernière, à Rome et à Leipzig, un autre rôle de cet ouvrage, Tolomeo.

Le timbre est chaleureux, rond et mélancolique, ce qui donne le sentiment d’une touchante candeur nimbée de séduction dans son air ‘Chi perde un momento di un dolce contento’, vif et scintillant, un air ajouté par Haendel peu après la création et réintroduit à l’occasion de cette production.

Wiebke Lehmkuhl (Cornelia)

Wiebke Lehmkuhl (Cornelia)

Profondément languide, Wiebke Lehmkhul rapproche l’auditeur de la noirceur retenue de Cornelia avec une tessiture d’une très belle noblesse, et Emily d'Angelo, dont la ligne androgyne fascine toujours autant, fait entendre la fureur de Sesto avec des traits violemment fauves et boisés dans la voix qui contribuent à lui donner un caractère fabuleusement perçant.

C’est d’autant plus saisissant qu’une fois revenue pour les saluts, la mezzo-soprano canadienne offre au public un sourire d’un charme absolument fou.

Emily d'Angelo (Sesto)

Emily d'Angelo (Sesto)

Et dans le rôle titre qu’elle a incarné au Théâtre des Champs-Élysées au printemps 2022, Gaëlle Arquez investit la carrure de cet Empereur vieillissant avec une conviction assez confondante, en faisant bien ressentir sa nature dépressive. Les lignes vocales sont souples, joliment moirées, avec de très fins effets filés, mais aussi un mordant sensible sans noirceur excessive.

Gaëlle Arquez (Giulio Cesare) et Lisette Oropesa (Cleopatra)

Gaëlle Arquez (Giulio Cesare) et Lisette Oropesa (Cleopatra)

Son hôte, l’odieux Tolomeo, est incarné par un contre-ténor passionné par l’univers haendélien, Iestyn Davies, qui joue de son assurance avec style, les couleurs du timbre se rapprochant d’ailleurs de celui de Rémy Bres en Nireno.

Iestyn Davies (Tolomeo)

Iestyn Davies (Tolomeo)

Enfin, Luca Pisaroni est un interprète d’Achilla d’une pleine autorité et Adrien Mathonat fait résonner en Curio un ébène dense et aristocratique.

Un grand plaisir mélodique soigné, qui s’apprécie pour les caractères inspirants et contrastés qui traversent cette histoire, dont la trame mêle de façon proche humour et douleur dans un cadre artistique très évocateur.

Wiebke Lehmkuhl, Lisette Oropesa, Harry Bicket, Gaëlle Arquez et Emily d'Angelo

Wiebke Lehmkuhl, Lisette Oropesa, Harry Bicket, Gaëlle Arquez et Emily d'Angelo

Egalement, le compte-rendu de la création en Janvier 2011:

Giulio Cesare (Dessay - Zazzo msc Pelly) au Palais Garnier

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Publié le 25 Octobre 2021

L’Elixir d’Amour (Gaetano Donizetti - 1832)
Représentations du 24 et 27 octobre 2021
Opéra Bastille

Adina Pretty Yende (le 24)
           Aleksandra Kurzak (le 27)
Nemorino Pene Pati
Belcore Simone Del Savio
Il Dottor Dulcamara Ambrogio Maestri
Giannetta Lucrezia Drei

Direction musicale Giampaolo Bisanti
Mise en scène Laurent Pelly (2006)

Coproduction Royal Opera House, Covent Garden, Londres

 

                                                            Pretty Yende (Adina)

 

 

Depuis son arrivée sur la scène de l’opéra Bastille le 30 mai 2006 à l'initiative de Gerard Mortier, la production de L’Élixir d’Amour par Laurent Pelly s’est hissée parmi les 10 opéras les plus représentés à l’Opéra de Paris depuis les 15 dernières années avec plus de 60 soirées programmées sur cette période. 

Il est difficile de prédire si elle conservera le même rythme à l’avenir car elle a sans doute profité de l’absence de production des Noces de Figaro de Mozart pendant tout ce temps là, lacune qui sera heureusement comblée cette saison par la production de Netia Jones.

Pene Pati (Nemorino)

Pene Pati (Nemorino)

Cette reprise comporte plusieurs distributions, et la seconde série permet de découvrir pour la première fois le ténor Pene Pati originaire des Îles Samoa de Polynésie. Et la qualité de timbre qu’il révèle dans l’immensité de Bastille est impressionnante. 

Dans cette production relocalisée dans l’Italie des années 50, il incarne un Nemorino habillé de manière très simple comme s’il n’avait aucun sou, et il se glisse dans la peau de ce jeune homme maladroit avec une aisance qui paraît sans limite. Gesticulations mécaniques mais avec une très agréable souplesse de corps, mimiques expressives même quand il ne chante pas, il joue la carte du grand benêt bondissant en manque affectif avec une facilité qui lui vaut un répondant enchanté de la part du public, mais aussi parce que sa voix est d’une suavité savoureuse, une italianité aux clartés chantantes mêlée à une tessiture de crème ambrée profondément enjôleuse.

Sa complainte «Una furtiva lagrima» devient inévitablement le point culminant du spectacle car il déploie à ce moment là une amplitude poétique hypnotique et merveilleuse.

Pretty Yende (Adina) - le 24 octobre

Pretty Yende (Adina) - le 24 octobre

Pour un soir, c’est Pretty Yende qui incarne Adina auprès de lui. La soprano sud-africaine prend beaucoup de plaisir à jouer la comédie de cette jeune femme sûre d’elle-même avec nombre de petits rires moqueurs de ci de là, et se permet parfois des variations coloratures qui démontrent son agilité vocale et le tempérament coquet de son personnage.

Son chant médium se fond un peu trop dans les sonorités de l’orchestre et de l’ouverture de la salle, mais ses aigus s’épanouissent dans un souffle vainqueur qu’elle aime fièrement brandir.

Aleksandra Kurzak (Adina) - le 27 octobre

Aleksandra Kurzak (Adina) - le 27 octobre

Et pour un autre soir, le mercredi 27 octobre, c’est Aleksandra Kurzak qui fait vivre Adina auprès de Pene Pati, et la personnalité qu'elle découvre se révèle bien plus charnelle. Elle joue en effet sur une très belle association entre son timbre riche dans le médium, joliment chaloupé, qui la sensualise énormément, et son corps dont elle assume le pouvoir charmeur.

La projection de la voix est très homogène - alors que cette artiste sur-dynamitée bouge dans tous les sens - sans aller toutefois aussi loin que Pretty Yende dans le plaisir ornemental démonstratif, mais il en résulte un fort tempérament vivant et instinctivement très humain qui lui donne l'impression d'être encore plus spontanée et naturellement vraie.

Aleksandra Kurzak (Adina) - le 27 octobre

Aleksandra Kurzak (Adina) - le 27 octobre

Lui aussi bon comédien, mais sans verser dans l’exagération clownesque, Simone Del Savio offre à Belcore une très belle tenue vocale, légère et homogène mais avec de l’impact, et son personnage gagne en ambiguïté avec des parts d’ombre qui font qu’il peut être pris au sérieux, alors qu’à l’opposé, Ambrogio Maestri impose une présence vocale écrasante en faisant du Dottor Dulcamara un charlatan d’une très grande sagesse.

Il a en effet dans son comportement une attitude en apparence loufoque qui le rend tout à fait crédible par cette sorte de clairvoyance masquée qu’il a sur les illusions du monde qui l’entoure. Cet aspect là est remarquablement bien joué!  

Simone Del Savio (Belcore)

Simone Del Savio (Belcore)

Son rôle est discret, mais Lucrezia Drei fait ressortir tout le naturel pétillant de Giannetta dans la seconde partie où les bottes de foin se sont ouvertes pour créer un espace plus intime autour de la fête de mariage.

Rideau de scène à la fin de l'acte I de l'Elixir d'amour

Rideau de scène à la fin de l'acte I de l'Elixir d'amour

Pour animer tout ce petit monde d’un instant, Giampaolo Bisanti joue la carte des couleurs orchestrales gorgées d’un son dense, tenues par un bon rythme sans qu'il ne cherche la vivacité à tout prix, sans doute pour préserver une ambiance chaleureuse qui mette à l’aise l’ensemble des artistes.

Et le chœur, personnage à part entière, est d’un excellent relief où l’harmonie et l’expressivité sont parties prenantes de cette histoire.

Pene Pati (Nemorino), Pretty Yende (Adina) et Simone Del Savio (Belcore)

Pene Pati (Nemorino), Pretty Yende (Adina) et Simone Del Savio (Belcore)

Les gags - comme la tant attendue course réjouissante du petit chien qui traverse de part en part à plusieurs reprises le plateau - et le jeu de scène sont toujours aussi bien réglés, ce qui en fait une des productions phares de la scène Bastille pour faire aimer l’opéra au plus grand nombre.

Pretty Yende (Adina) et Ambrogio Maestri (Il Dottor Dulcamara)

Pretty Yende (Adina) et Ambrogio Maestri (Il Dottor Dulcamara)

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Publié le 8 Septembre 2019

I Puritani (Vincenzo Bellini – 1835)
Répétition générale du 04 septembre et représentation du 07 septembre 2019
Opéra Bastille

Elvira Elsa Dreisig
Lord Gualtiero Walton Luc Bertin-Hugault
Sir George Walton Nicolas Testé
Lord Arturo Talbot Javier Camarena
Sir Riccardo Forth Igor Golovatenko
Sir Bruno Roberton Jean-François Marras
Enrichetta di Francia Gemma Ní Bhriain

Direction musicale Riccardo Frizza
Mise en scène Laurent Pelly (2013)

 

                              Igor Golovatenko (Riccardo)

I Puritani est une oeuvre profondément attachée à Paris, car c’est dans la capitale française qu’elle fut créée par la troupe du Théâtre des Italiens qui logeait depuis 1825 à la première salle Favart, alors que l’Opéra-Comique l’avait quittée depuis 1801 sur ordre de Napoléon pour fusionner avec la troupe de la salle Feydeau.

Première et dernière œuvre parisienne de Vincenzo Bellini – le compositeur rendra son dernier soupir le 23 septembre 1835 à Puteaux - I Puritani apparaît comme un tournant avant l’avènement de Giuseppe Verdi, les voix portant en elles l’urgence et les germes d’une volonté incendiaire.

Elsa Dreisig (Elvira)

Elsa Dreisig (Elvira)

On n’en voudra pas à Laurent Pelly d’avoir aussi sommairement cherché à donner vie à un livret peu inspirant, car son décor, basé sur une structure en fer forgé tout en dentelle qui reproduit un imaginaire Fort des Puritains, préserve un climat esthétique et poétique sous des lumières mauves et bleutées sans aucune réelle incongruité. On peut même parler de véritable oeuvre d'art à propos de cet ouvrage scénique si bien en valeur dans une tonalité qui évoque, à certains moments, celle hypnotique des scénographies de Bob Wilson.

I Puritani (Dreisig-Camarena-Testé-Golovatenko-Frizza-Pelly) Bastille

Le spectacle est donc principalement musical et incarné, et d’emblée la direction énergique de Riccardo Frizza délie une ampleur orchestrale qui donne de l’espace à la musique et beaucoup de clarté à chaque instrumentiste. Le son se dégage totalement de la fosse, résonne sur les parois latérales, envahit la scène et crée plusieurs plans sonores qui donnent une toute autre dimension à ce que vécurent ceux qui assistèrent à la création sur la scène de la salle Favart.

Les sonorités frémissantes des cordes aiguës s’accordent d’une patine brillante et légèrement métallique, les vents sont gorgés de lignes mélodieuses et fort bien dessinées, et la chaleur des cors évoque le calme naturel d’un appel lointain. 

Elsa Dreisig (Elvira)

Elsa Dreisig (Elvira)

Pour son premier rôle majeur à l’Opéra de Paris, Elsa Dreisig se mesure ainsi à une personnalité vocale belcantiste et technique que peu de sopranos abordent à l’âge de 28 ans (Maria Callas apprit le rôle à 25 ans en six jours sous la contrainte, et Mariella Devia ne l’a incarné dans toute sa plénitude qu'à 36 ans), et il faut bien mesurer le courage et la prise de risque à se jeter à cœur perdu dans une écriture aussi exigeante. 

Mais l’on saisit très vite que c’est le tempérament d’Elvira qui inspire la jeune artiste.

Possédée dès le départ par sa passion amoureuse, et tiraillée par la haine qui oppose le camp des Cromwell et celui des Stuart, Elvira est à la fois au bord de l’extase amoureuse et de l’épuisement conflictuel.

Elsa Dreisig (Elvira) et Javier Camarena (Arturo)

Elsa Dreisig (Elvira) et Javier Camarena (Arturo)

Elsa Dreisig transfigure le personnage d’Elvira au point d’en soustraire totalement l’âme blanche et incorporelle afin de la rendre viscéralement humaine et ancrée dans les passions folles du désir. Les inflexions de son timbre clair, vibrant et lumineux aux accents réalistes se démarquent en partie des pures lignes belcantistes pour s’approcher de personnages verdiens tels Gilda (Rigoletto), et l'on entend, en signe de cette candeur qui se débat avec elle-même, les réminiscences touchantes d’une Ileana Cotrubas.

Javier Camarena (Arturo) et Elsa Dreisig (Elvira)

Javier Camarena (Arturo) et Elsa Dreisig (Elvira)

Elle prend le temps autant de soigner les petites vocalises intimes que de libérer de longues plaintes splendidement projetées, et son approche profondément expressive fait furtivement se croiser des personnalités aussi capricieuses que Salomé et aussi hallucinées que Lucia di Lammermoor.

Certains aigus ne sont certes pas pleinement exécutés, comme celui qui clôt le duo 'Vieni fra queste braccia' sur une note hystérique mixée à celle du ténor, mais une telle présence et personnalité ne peut qu’accrocher l’auditeur qui souhaite vibrer avec un personnage scénique qui refuse la soumission à un ordre établi et qui cherche à respirer malgré un univers oppressant.

I Puritani (Dreisig-Camarena-Testé-Golovatenko-Frizza-Pelly) Bastille

Auprès d’une interprète aussi volubile, Javier Camarena, Lord Arturo d’un fondant de miel, s’inscrit totalement dans la tradition du chant coulé, finement clair dans les aigus, plus profond et solide dans le médium, qui fuse sur les notes avec un déroulé impressionnant. Le plus surprenant, c’est d’entendre comment il peut incarner l’amoureux sensible, à la limite du détimbrage, parfois, pour toucher au plus près du cœur humain, puis délivrer une vaillance puissante qui assoit son autorité et sa colère. Par ailleurs, chacun de ses suraigus, au profil voilé et nullement agressif, a cette fantastique capacité à figer l’instant d’une façon radicalement implacable. 

Elsa Dreisig (Elvira) et Nicolas Testé (Sir George Walton)

Elsa Dreisig (Elvira) et Nicolas Testé (Sir George Walton)

Et la plus émouvante humanité est figurée par Nicolas Testé qui dépeint en Sir George Walton, l’oncle d’Elvira, un chant affecté au cœur blessé d’une affliction telle qu’elle nous transporte vers les grands rôles paternels verdiens.

Jamais on ne sent en lui un caractère oppressif, et c’est avec un magnifique panache qu’il aborde ‘Suoni la tromba intrepido’ en duo avec Igor Golovatenko, le malheureux Riccardo, doué d’une saisissante impulsivité qui donne de l’allant incisif à la noirceur de sa voix.

Gemma Ní Bhriain (Enrichetta di Francia)

Gemma Ní Bhriain (Enrichetta di Francia)

Enfin, parmi les rôles secondaires, Luc Bertin-Hugault se distingue par sa souplesse corporelle et ses belles résonances de basse qui affirment la présence de Lord Gualtiero Walton, et Gemma Ní Bhriain livre un portrait dépressif et sans espoir de la veuve de Charles Ier qu’Arturo, par sens politique, souhaite délivrer à la grande méprise d’Elvira qui croit y voir une intrigue amoureuse.

Chœur puissant au souffle aussi vital que celui qui porte tous les solistes, non seulement il y a une essence patriotique inédite dans I Puritani, et même une certaine violence dans l’orchestration, mais l’intensité de l’interprétation tend à faire de l’ultime chef-œuvre de Bellini une transition probante vers l’univers plus dramatique qu’ouvrira Verdi dans les années qui suivront.

Javier Camarena, Riccardo Frizza, Elsa Dreisig et Igor Golovatenko

Javier Camarena, Riccardo Frizza, Elsa Dreisig et Igor Golovatenko

Et comme le répertoire du bel canto romantique italien sera représenté deux fois au cours de cette saison, nous retrouverons peu avant Noël, au Palais Garnier, Riccardo Frizza pour deux représentations en version de concert d’Il Pirata, le premier opéra scaligère de Bellini.

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Publié le 23 Janvier 2015

Ariane à Naxos (Richard Strauss)
Représentation du 22 janvier 2015
Opéra Bastille

Le Majordome Franz Grundherer
Le Maître de musique Martin Gantner
Le Compositeur Sophie Koch
Le Ténor (Bacchus) Klaus Florian Vogt
Un Maître à danser Dietmar Kerschbaum
Zerbinette Elena Mosuc
La Primadonna (Ariane) Karita Mattila
Arlequin Edwin Crossley-Mercer
Naïade Olga Seliverstova
Driade Agata Schmidt
Echo Ruzan Mantashyan

Direction Musicale Michael Schonwandt                       Karita Mattila (Ariane)
Mise en scène Laurent Pelly (2003)

Souvenir des années fastes du second mandat d’Hugues Gall, directeur de l’Opéra National de Paris entre 1995 et 2004, la nouvelle production d’Ariane à Naxos dans la mise en scène de Laurent Pelly était d’un bel éclat musical quand les voix de Natalie Dessay, Sophie Koch et Stéphane Degout émerveillaient l’opéra Garnier.

Les temps sont un peu plus difficiles aujourd’hui, et le spectacle s’est déplacé à Bastille, mais la perspective de l’annonce prochaine de la première saison de Stéphane Lissner réchauffe le cœur, d’autant plus que la première représentation de cette reprise est d’une beauté orchestrale et vocale qui nous conforte dans notre sensibilité à une forme artistique qui nous dépasse.

Elena Mosuc (Zerbinette)

Elena Mosuc (Zerbinette)

On se souvient de la finesse avec laquelle Michael Schonwandt avait dirigé Lulu à l’automne 2011, lissant légèrement les sonorités dissonantes de la partition, il ne s’écarte pas plus de cette ligne chatoyante pour la musique d’Ariane à Naxos.
Ses talents de symphoniste devraient beaucoup plaire à Philippe Jordan, car le chef danois – il sera le nouveau directeur musical de l’opéra de Montpellier à la fin de l’été prochain - emplit la fosse d’un déploiement riche et chaleureux de cordes entremêlées d’étincelles et de sonorités chantantes. Le final du premier acte entre Zerbinette et le Compositeur prend même une profondeur poétique qui annonce le lyrisme pathétique de la seconde partie.

Karita Mattila (Ariane)

Karita Mattila (Ariane)

Cette volonté de lier par une même onde subliminale la vitalité musicale de l’actrice et le fleuve de désespérance d’Ariane se retrouve aussi dans la similarité des voix des deux chanteuses, Elena Mosuc et Karita Mattila. Car la soprano roumaine n’a pas uniquement de l’aisance dans les coloratures propres à son rôle ; elle a une voix profondément lyrique qui lui donne une épaisseur de caractère supplémentaire. Le contraste avec les lamentations de la princesse s’atténue donc sensiblement.

Mais la soprano finlandaise n’a, elle, rien perdu de son expressivité dramatique si touchante par la colère intérieure qu’elle révèle. Son chant est d’une beauté nocturne qui ne trahit aucune faille même dans la tessiture aiguë, et ce n’est qu’émerveillement sous ce charme de velours ample et envoutant. Avec, de plus, l’émotion à l’écoute d’une voix qui défie la vie et le passage du temps.

Karita Mattila (Ariane)

Karita Mattila (Ariane)

Ensuite, uniquement dans le prologue, nous retrouvons les deux chanteurs qui étaient sur scène dès la création de la production à Garnier, Martin Gantner, en maître de musique, et Sophie Koch, en compositeur.
Le premier, toujours aussi impressionnant de présence, est un baryton au chant de charme, très agréable à écouter, comme si sa tessiture se diluait dans l’atmosphère.
La seconde, qui fut sur cette même scène Fricka et Vénus, est confondante par son apparence masculine jeune et fine. Son incarnation brille d’impétuosité et de vitalité, et sa voix dirigée bien frontalement révèle uniquement des graves plus intimes.

Klaus Florian Vogt (Bacchus)

Klaus Florian Vogt (Bacchus)

Et comme il s’agit d’une soirée faite pour réunir des stars, Klaus Florian Vogt – qui surgit du devant de la scène pour révéler la vision de Bacchus à Ariane – est un véritable dieu dans ce rôle à sa mesure. Il n’est pas fait pour la comédie de boulevard, mais dès qu’il s’agit d’incarner un personnage à l’apparence de surhomme mais avec un cœur bien humain, la clarté et l’éloquence de sa voix, à la fois céleste et terrestre, est un éblouissement de l’âme.

Les trois nymphes, Olga Seliverstova, Agata Schmidt et Ruzan Mantashyan, composent avec bonheur un superbe ensemble enchanteur.

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Publié le 23 Novembre 2013

I Puritani (Vincenzo Bellini)
Répétition générale du 22 novembre 2013 et représentation du 25 novembre 2013
Opéra Bastille

Elvira Maria Agresta
Lord Arturo Talbot Dmitri Korchak
Sir Riccardo Forth Mariusz Kwiecien
Sir Giorgio Michele Pertusi
Sir Bruno Roberton Luca Lombardo
Enrichetta di Francia Andreea Soare
Lord Gualtiero Valton Woljtek Smilek

Direction musicale Michele Mariotti
Mise en scène Laurent Pelly

Nouvelle Production

 

                                                                               Maria Agresta (Elvira) et Michele Pertusi (Giorgio)

 

A une époque où la représentation d’opéra a sensiblement évolué pour devenir une expérience autant théâtrale que musicale, la programmation d’une œuvre lyrique telle Les Puritains ne peut que satisfaire entièrement les amoureux du belcanto romantique italien, mais engendrer aussi quelques doutes chez celles et ceux qui veulent vivre une intense expérience dramatique.
 

Pour apprécier le spectacle qui se joue sur la scène de l’Opéra Bastille jusqu’au début de l’hiver, il est nécessaire de laisser tomber toute analyse psychologique des personnages, toute accroche à la logique dramatique, et se laisser prendre uniquement par l’atmosphère d’ensemble.

Le plus souvent, Laurent Pelly est un metteur en scène qui surcharge ses productions d’agitations excessives, pensant ainsi recréer artificiellement le flux de la vie.
Ce n’est pas du tout cet angle d’approche qu’il saisit pour Les Puritains, et son idée est plutôt de construire un visuel fluide, poétique et fin, qui s’allie subtilement à la délicatesse de l’orchestration et du chant.

Sur la scène, la dentelle en fer forgé d’une immense structure dessine les contours des tours, salles et chambres du fort puritain, l’action s’y déroulant à l’intérieur tout en laissant au chant l’ouverture totale sur l’extérieur pour qu’il rayonne dans l’immensité du théâtre.

                                                                                          Marius Kwiecien (Sir Riccardo Forth)

Le mouvement lent et tournoyant du plateau central suit l’évolution de l’action et des changements de tableaux, le chœur apparaît de manière figée et conventionnelle, et les solistes évoluent plutôt librement dans des poses qui les mettent à l’aise.


L’ambiance lumineuse est principalement d’une tonalité bleutée, ou aigue-marine, s’y disséminent des zones d’ombre et d’intenses points focaux sur les chanteurs, et le duo de Sir Riccardo et Sir Giorgio est chanté sur le plateau intégralement vide, sans décor, même latéral.

Dmitri Korchak (Lord Arturo Talbot) et Maria Agresta (Elvira)

Dmitri Korchak (Lord Arturo Talbot) et Maria Agresta (Elvira)

Une fois dépassées quelques imprécisions qui s’évanouiront dans le temps, la lecture orchestrale du jeune chef Michele Mariotti est d’une surprenante fraicheur et s’harmonise idéalement au charme vocal des chanteurs, avec de l‘élégance dans les enchainements, sans noirceur, un anti Evelino Pido en somme. Cette douce majestuosité oublie cependant, à quelques rares moments, la tonicité qui pourrait rendre, par exemple, le grand duo "Suoni la tromba" encore plus enlevé.

Dmitri Korchak (Lord Arturo Talbot) et Andreea Soare (Enrichetta di Francia)

Dmitri Korchak (Lord Arturo Talbot) et Andreea Soare (Enrichetta di Francia)

Les deux principaux interprètes sont magnifiques. Maria Agresta n’est certes pas émouvante en soi, par son caractère trop naïf, mais elle est d’une aisance lumineuse qui se décline en une vaillance qui n’a d’égal que celle de son partenaire, Dmitri Korchak, archange splendide et attendrissant, franc et romantique, d’une tenue hautement fière à laquelle ne manque qu’un soupçon de sensualité vocale.

Tout lui réussit, depuis son serment d’amour « A te, cara, amor talora » phrasé avec grâce même dans le suraigu solaire, jusqu’au duo « Credeasi, misera » qui s’achève sur un alliage vocal parfait et puissamment projeté des deux artistes.

Maria Agresta (Elvira)

Maria Agresta (Elvira)

C’est cette façon qu’ils ont de jeter leur cœur sans retenue dans l’intensité du chant sans rechercher l’effet spectaculaire qui s’admire tant.

Avec son beau timbre brun, Andreea Soare est une Enrichetta di Francia grave et sensuelle, mais les hommes murs de la distribution s’insèrent moins bien dans le style de l’œuvre. Wojtek Smilek est une basse expressive à l’émission rocailleuse, Michele Pertusi se contente de chanter avec de beaux déroulés et un certain détachement le rôle de Sir Giorgio, et le timbre slave impressionnant de Mariusz Kwiecien ne suffit pas tout à fait à rattraper les imperfections, toutes relatives, de sa ligne vocale.

Dmitri Korchak (Lord Arturo Talbot) et Maria Agresta (Elvira)

Dmitri Korchak (Lord Arturo Talbot) et Maria Agresta (Elvira)

Ainsi, il faut véritablement vivre ce grand moment de finesse musicale et de légèreté visuelle, au cours duquel les personnalités se désincarnent pour ne devenir que de pures émanations vocales angéliques, en intériorisant profondément ce sentiment de retour à l’innocence poétique pour une oeuvre lyrique qui porte en elle quelque chose d'inévitablement spirituel dont on a pleinement besoin dans la vie.

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Publié le 29 Octobre 2012

La Fille du Régiment (Donizetti)
Représentation du 27 octobre 2012
Opéra Bastille


La Marquise de Berkenfield Doris Lamprecht
Marie Natalie Dessay
La Duchesse de Crakentorp Dame Felicity Lott
Sulpice Alessandro Corbelli
Tonio Juan Diego Florez
Hortensius Francis Dudziak
Un Paysan Robert Catania
Le Caporal Daejin Bang
Un Notaire Olivier Girard

Mise en scène Laurent Pelly  (2007)
Direction musicale Marco Armiliato

 

                                                                                                Juan Diego Florez (Tonio)

Coproduite avec New-York, Londres et Vienne, La Fille du Régiment est l’archétype même de l’œuvre lyrique qui séduit le public traditionnel.
Le livret exalte la vie en régiment, vie que Marie ne souhaite que rejoindre après avoir connu l’ennui et les contraintes de la vie bourgeoise affectionnée par sa tante, la Marquise de Berkenfield.

S’il avait su qu’un siècle plus tard l’Europe allait s’enflammer dans deux Guerres Mondiales, Donizetti n’aurait probablement pas songé à s’amuser avec un tel sujet, et, de toute évidence, la légèreté ringarde des paroles restent malgré tout un prétexte à sourire, surtout que la mise en scène de Pelly, avec ses personnages mécaniques et caricaturaux, convient bien à cet univers proche du théâtre de Marivaux.

Natalie Dessay (Marie) et Juan Diego Florez (Tonio)

Natalie Dessay (Marie) et Juan Diego Florez (Tonio)

Délirante sur scène, Natalie Dessay révèle non seulement une agréable adresse à jouer avec les coloratures éclatantes et vivantes, mais encore une très belle pureté de ligne, fort émouvante, effilée sur le temps. Seul le timbre a perdu de sa brillance originelle.

Seulement, ce n’est pas l’interprétation musicale qui suscite questionnement ce soir, l’orchestre étant lui-même emporté par un allant insouciant, mais surtout, et uniquement, la réaction des spectateurs après l’air de Tonio, composé de neufs contre-ut.
L’aisance de Juan Diego Florez à faire percuter tous ces aigus vibrants, avec un français superbement enjôleur, a un indéniable pouvoir hallucinatoire.

Mais comment expliquer ces nombreuses minutes d’applaudissements sur cet air pyrotechnique, alors qu’un Roberto Alagna n’a jamais reçu un tel accueil sur le "Di Quella Pira" du Trouvère?

Natalie Dessay (Marie)

Natalie Dessay (Marie)

On veut bien croire que se réveillent les souvenirs idéalisés de la renaissance de l’œuvre dans les années 1970, interprétée par Luciano Pavarotti, Alfredo Kraus ou Joan Sutherland.

Peut-être, également, le patriotisme sous-jacent à la prouesse vocale qui exalte la vie militaire, chantée de surcroit en français à Bastille, un symbole d’un 14 juillet pour lequel l’œuvre fut reprise jusqu’en 1914 à l'Opéra Comique, dans une mise en scène transposée à cette époque, a eu un effet galvanisant.

Au final, et pour la première fois dans cette salle, le public a obtenu la reprise d’un air spectaculaire, et cela en a étonné plus d'un.

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Publié le 17 Janvier 2011

Jules César (Georg Friedrich Haendel)
Répétition générale du 15 janvier 2011
Opéra Garnier

Giulio Cesare Lawrence Zazzo
Tolomeo Christophe Dumaux
Cornelia Varduhi Abrahamyan
Sesto Isabel Leonard
Cleopatra Natalie Dessay
Achilla Nathan Berg
Nireno Dominique Visse
Curio Aimery Lefèvre

Direction Musicale Emmanuelle Haïm
Mise en scène Laurent Pelly                                             Natalie Dessay (Cléopâtre)
Orchestre du concert d’Astrée

 

La saison théâtrale 2010/2011, au sens large, accorde une place importante aux mises en scène de Laurent Pelly, telles Mahagonny, Funérailles d’hiver, l’Opéra de quat’sous, Ariane à Naxos  ou bien Giulio Cesare dans le cas présent.

Pour apprécier la transposition dans la section antique d’un musée d’histoire de l’homme - l’amoncellement des sculptures de marbre ou de granite, au milieu duquel s’affaire un personnel nord-africain, nous situerait probablement au musée du Caire - il faut imaginer la joie et l'émotion qu’ont du éprouver les techniciens de l’Opéra de Paris à reproduire avec une très grande précision les bustes de personnages illustres grecs, la statue de César, ou bien le gigantesque Ramsès de Memphis sur lequel Cléopâtre et Ptolémée se laissent aller à leurs rêves de pouvoir.

Natalie Dessay (Cléopâtre)

Natalie Dessay (Cléopâtre)

Car le spectateur, situé à une distance bien plus grande, ne peut que souhaiter se faufiler derrière la scène, à la fin du spectacle, pour pourvoir s'émerveiller des lignes parfaites de toutes ces copies, à moins qu'il n'attende une retransmission télévisuelle qui lui permettra de profiter des gros plans.

En jouant sur la confusion entre le réel, la vie dans le musée, et l'imaginaire, les protagonistes issus des œuvres, la confusion entre les époques, contemporaine et antique, la confusion entre le personnel égyptien du musée et l'armée égyptienne de Cléopâtre, le traitement des caractères principaux reste finalement superficiel et agité, et une distanciation s'opère avec ce qu'il y a de plus vital en chacun d'eux.

Giulio Cesare (Dessay - Zazzo msc Pelly) au Palais Garnier

Natalie Dessay n'a donc plus qu'à y superposer son personnage, toujours sympathique, calé sur deux uniques dimensions, un temps One women show, un autre temps femme sensible, et Laurent Pelly peut faire courir ses personnages en diagonale, de gauche à droite et de droite à gauche.

Manifestement, la démarche vivante et populaire de l'affiche Pelly-Dessay l'emporte.

Pourtant, après un premier acte quelque peu ennuyeux, des images deviennent moins innocentes, et cherchent à toucher l’inconscient du spectateur. Il y est question d’oppression lorsque l’empereur romain s’en prend à des tribus nord-africaines, et d’anticolonialisme et de libération, lorsque les égyptiens se lèvent pour rejeter violemment César.
Les histoires qui lient cultures latines, hellénistiques et nord-africaines ressurgissent.

Varduhi Abrahamyam (Cornelia)

Varduhi Abrahamyam (Cornelia)

Mais si Laurent Pelly avait fait de Sesto un Romain qui rallie la cause du peuple égyptien pour assassiner Ptolémée, le tyran, et lui donner ainsi une dimension politique, il aurait presque pu passer pour un visionnaire.

Si le procédé engendre une certaine déconcentration musicale, écouter Giulio Cesare reste l’occasion d’entendre l’opéra de Haendel le plus prolifique en airs, avec Alcina, airs qui sont comme les porte-paroles les plus purs des âmes chahutées.

Emmanuelle Haïm, entourée des musiciens du Concert d’Astrée, ceux avec lesquels elle peut travailler avec une naturelle complicité, ne cherche finalement pas à faire rougeoyer les sentiments, mais plutôt à garantir la rigueur et le raffinement d’une musique, le classicisme d’une époque de l’humanité.

Constante dans son rôle de pleureuse, Varduhi Abrahamyam offre un portrait à la fois digne et émouvant de Cornelia, timbre vibrant de sombres fragilités alors que celui d’Isabel Leonard, plus neutre et léger, se distingue le mieux lorsque Sesto retrouve son espérance.

Natalie Dessay (Cléopâtre) et Lawrence Zazzo (César)

Natalie Dessay (Cléopâtre) et Lawrence Zazzo (César)

Capable de percutants coups d’éclat, Tolomeo est d’un caractère dur et agressif lorsque Christophe Dumaux s’empare du personnage, à l’opposé du Nireno de Dominique Visse, tellement décontracté que sa voix en fait des vagues, et de l‘Achilla brouillon de Nathan Berg.

A croire qu’il y a un pouvoir des sentiments en musique, l’instant où Cléopâtre prend conscience de son amour pour César, vers la fin du second acte, est également le moment où Natalie Dessay se détache de son personnage bien trop connu pour s’abandonner à la gravité de ses états d‘âmes. Ce qu’elle fait est simplement magnifique. Et c’est ce que l'on retient, plutôt que les autres scènes plus légères à tout point de vue...

L’impression est identique avec Lawrence Zazzo, humain et interrogatif, d’une profondeur terne, marquant les graves avec fermeté, et avec tout de même une certaine sensualité à défaut de volupté. Son personnage se densifie pour trouver une cohérence forte, et son plus bel air, au dernier acte.

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Publié le 11 Décembre 2010

Ariane à Naxos (Richard Strauss) 
Répétition générale du 09 décembre 2010
Opéra Bastille

Le Majordome Franz Mazura
Le Maître de musique Martin Ganther
Le Compositeur Sophie Koch
Le Ténor (Bacchus) Stefan Vinke
Un Maître à danser Xavier Mas
Zerbinette Jane Archibald
La Primadonna (Ariane) Ricarda Merbeth
Arlequin Edwin Crossley-Mercer
Naïade Elena Tsallagova
Driade Diana Axentii
Echo Yun Jung Choi

Direction Musicale Philippe Jordan
Mise en scène Laurent Pelly                                        Sophie Koch (Le compositeur)

Pour celles et ceux qui se souviennent des soirées de décembre à Garnier, à la fin de l’année 2003,  au cours desquelles tous les regards restaient fascinés par Natalie Dessay lorsqu’elle venait  déranger celle que Thésée avait abandonnée à ses pensées les plus noires,  Ariane à Naxos, livrée à la légèreté de Laurent Pelly, trouve sa place parmi les spectacles de divertissements à l‘approche de l’hiver. 

Ariane à Naxos (Koch -Merbeth -Archibald msc Pelly) Bastille

Mais avec ses aspects ironiques, l’ouvrage est une impertinente analyse des vicissitudes de l’âme humaine sous l’emprise du sentiment amoureux.

Alors qu’Ariane se complait dans une vie accordée à son idéal d’amour, et dont la dépendance la fait sombrer lorsque la trahison survient, Zerbinette se démarque d’elle, non pas qu’elle manque de profondeur, mais tout simplement parce qu’en femme totalement consciente, elle est toute en éveil dans son rapport à la vie.

Elle est la voix dont Ariane a besoin pour se libérer d’une âme encline à l’attacher à l’être aimé. 

Ricarda Merbeth (Ariane)

Ricarda Merbeth (Ariane)

Les images qu’utilise Laurent Pelly partent de l’architecture délabrée d’un hôtel, qui n’est autre que le squelette de la demeure dans laquelle se prépare l’opéra pendant le prologue, et dont on pense bien qu’elles sont là pour suggérer les ravages mentaux auxquels Ariane est soumise. Le décalage est complet lorsque surgissent Zerbinette et ses comparses, accoutrés en touristes des tropiques, traversant parfois la scène en d’éphémères traits de vie, procédé cher au metteur en scène.

La rencontre finale avec Bacchus, peint en or, et au pied duquel Ariane se prosterne de joie en en faisant des tonnes alors que la lumière ne cible plus qu'elle même, est tristement attendrissante, car l’on pourrait penser que la jeune femme s‘est reprise, alors que toute cette extase exagérée laisse présager la rechute prochaine.

Ariane à Naxos (Koch -Merbeth -Archibald msc Pelly) Bastille

Le souvenir de sa forte et sensible Sieglinde subsiste, Ricarda Merbeth se fond à présent dans la peau d’une femme entière, terrienne dans sa gestuelle corporelle, au portrait clivé par des états d’âmes où s’entrecroisent rage, sourires hallucinatoires et désespoirs, et coloré d’un timbre à la fois charnel et nébuleux.

A l‘inverse, les longues lignes aristocratiques que dessine le fin physique de Jane Archibald sont toutefois encore un peu raides pour Zerbinette, la souplesse même de la vie, traits que l’on retrouve uniquement dans les vocalises les plus aigues, les rondeurs musicales étant bien souvent généreuses par ailleurs. 

 Jane Archibald (Zerbinette)

Jane Archibald (Zerbinette)

Et le festival vocal se poursuit avec les nymphes bienveillantes, Elena Tsallagova, Diana Axentii, Yun Jung Choi, toutes trois lumineuses, harmonieusement accordées, et chaleureusement réconfortantes.

Surgi des ombres de la scène, plaintif, mais suffisamment puissant pour soutenir les fortissimo de l‘orchestre sans sacrifier la moindre musicalité, le bien gentil Bacchus de Stefan Vinke s’épanche avec compassion sur Ariane, sans révéler par quel mystère il arrive à quitter la scène à reculons sans heurter le moindre obstacle.

Et ceci n’est que la confirmation d’une intuition apparue dès le prologue, ouvert sur la vision involontairement farceuse d'une pluie de neige cotonneuse, le lendemain d’une journée chaotique mémorable en région parisienne, intuition du soin avec lequel les qualités vocales des chanteurs ont été assorties. 

Ricarda Merbeth (Ariane)

Ricarda Merbeth (Ariane)

Alors que les arrières plans lumineux de ce tableau, compensés par les ombres que les colonnes impriment, préparent l’imaginaire du spectateur, les accents à la fois chantants et mordants de Franz Mazura, la présence captivante de Martin Ganther, et surtout la clarté adolescente avec laquelle Sophie Koch rajeunit son personnage, pour ne délivrer ses noirceurs dramatiques qu’à la toute fin, se laissent guider par la main confiante de Philippe Jordan.

Malgré l’effectif réduit, il tire de l’orchestre un volume sonore gonflé aux dimensions de la salle, réalise des merveilles de fusion entre cuivres et cordes, fait entendre les motifs les plus ronds, les fragiles courants des vibrations d’archers dans les passages symphoniques, détails piqués qui se perdent parfois dans les récitatifs.

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Publié le 23 Novembre 2010

Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny (Kurt Weill)
Livret de Bertolt Brecht
Représentation du 21 novembre 2010
Théâtre du Capitole de Toulouse

Leocadia Begbick Marjana Lipovsek
Fatty « Le Fondé de pouvoir » Chris Merritt
Moïse la Trinité Gregg Baker
Jenny Hill Valentina Farcas
Jim Mahonney Nikolai Schukoff
Jack 0’ Brien / Toby Higgins Roger Padullés
Billy Tiroir-Caisse Tommi Hakala
Joe Loup d’Alaska Harry Peeters

Direction Musicale Ilan Volkov
Mise en scène Laurent Pelly

                                                                                                                Nikolai Schukoff (Jim)

La création de deux nouvelles productions de Mahagonny à un mois d’intervalle et à quelques centaines de kilomètres de distance, à Madrid en ouverture du mandat de Gerard Mortier et à Toulouse sous la direction de Frédéric Chambert, est un signe fort de l’emprise d’une situation sociale sur la vie artistique.

La capitale occitane doit cependant composer avec un budget et un espace scénique bien différents des moyens dont dispose la capitale castillane, à charge de Laurent Pelly d’animer par sa verve le petit monde de la capitale du plaisir.

Chris Merritt (Fatty) et Marjana Lipovsek (Leocadia Begbick)

Chris Merritt (Fatty) et Marjana Lipovsek (Leocadia Begbick)

Au bord d’une autoroute surgissant de l’arrière scène vers la salle, et dans une immuable atmosphère nocturne, les structures à base de néons colorés sertissent chaises, comptoirs, soleil artificiel, compteur boursier qui dégringole, et offrent une petite scène d’une poésie magnifique lorsque Jenny et Jim chantent seuls au premier acte, sous deux flèches, l’une rouge et l’autre bleue, clignotant selon l’interprète, comme un cœur battant.

Dans l’ensemble, la scénographie illustre simplement la séquence des tableaux, ponctuée de gags furtifs (les marqueurs « No » « Sex » des arbitres de tennis par exemple), et ose les images répulsives de la cité permissive (les empilements de hamburgers, de kleenex au sortir des peep show) comme la chaise électrique finale façon « Grand Guignol ».

Très à l’aise dans les mouvements de foule de caractères caricaturés, Laurent Pelly permet au chœur de jouer un rôle très vivant, d’autant plus que ce dernier alterne fortes mises en avant et jolies nuances.

Chris Merrit (Fatty) et Gregg Baker (Moïse)

Chris Merrit (Fatty) et Gregg Baker (Moïse)

L’humble participation de Chris Merritt, avec un regard si attentionné vis-à-vis de ses partenaires, l’art déclamatoire de Marjana Lipovsek, qui puise dans les richesses d’un médium clair et encore tendre, la haute allure de Gregg Baker, le mordant et la proximité de Nikolai Schukoff, que quelques aigus durcissent un peu plus, et la souplesse du corps de Valentina Farcas, musicale et très légère, sont soutenus par la direction alerte et souvent avantageusement lyrique de Ilan Volkov, variant les volumes mais encline à retenir les effets tranchants et à lisser l’ironie de la langue allemande.

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