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Publié le 23 Avril 2024

Street Scene (Kurt Weill – Philadelphie, Schubert Theater, 16 décembre 1946,  New York, Adelphi Theatre, 9 janvier 1947 – version révisée)
Fragments de l’opéra de Broadway de 1948 Street Scene
Représentation du 19 avril 2024
MC93, Maison de la culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny

Artistes en résidence à l’Académie de l'Opéra de Paris

Greta Fiorentino Sima Ouahman
Emma Jones Seray Pinar
George Jones Luis Felipe Sousa
Carl Olsen Adrien Mathonat
Anna Maurrant Margarita Polonskaya
Frank Maurrant Ihor Mostovoi
Rose Maurrant Teona Todua
Sam Kaplan Kevin Punnackal
Shirley Kaplan Lisa Chaïb-Auriol
Mrs Hildebrand Sofia Anisimova

Artistes de la Maîtrise des Hauts-de-Seine
Charlie Hildebrand Noah Diabate
Willie Maurrant Nicolas Brière

Artistes invités
Mae Jones Lindsay Atherton
Dick McGann Robson Broad
Mr Sankey Teddy Chawa
Mr Fiorentino Francesco Lucii
Olga Olsen Cornelia Oncioiu
Harry Easter Jeremy Weiss

Direction musicale Yshani Perinpanayagam
Mise en scène Ted Huffman (2024)

Avec les musiciens de l’Académie de l’Opéra national de Paris et les musiciens de l'Orchestre atelier Ostinato
Coproduction avec la MC93 Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis

Après ‘Don Giovanni’ en 2014, chanté par l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, puis ‘La Chauve Souris’ en 2019, l’Académie de l’Opéra de Paris est de retour au MC93 de Bobigny pour y présenter des fragments de ‘Street Scene’, un des opéras de Kurt Weill qui inspirera plus tard Leonardo Bernstein par l’art avec lequel plusieurs influences musicales sont unifiées en une même composition orchestrale afin de conduire à un drame poignant.

Margarita Polonskaya (Anna Maurrant)

Margarita Polonskaya (Anna Maurrant)

Dans cette œuvre, le compositeur allemand, naturalisé ‘Américain’ en 1943, se base sur une nouvelle d’Emler Rice (1929) pour décrire la vie fourmillante d’un quartier de l’est de Manhattan où les habitants vivent en songeant à un avenir meilleur.

Plusieurs familles cohabitent plus ou moins difficilement, la famille Jones, menée par Emma, véritable commère mariée à un homme alcoolique, le couple suédois Olsen, le couple italo-allemand Fiorentino, la mère célibataire Hildebrand et son petit garçon, la famille érudite Kaplan dont le fils, Sam, est amoureux de Rose Maurrant autour de laquelle la tragédie va se cristalliser.

Et pour cette version réduite à une heure quarante, seuls dix-huit de la trentaine de personnages sont incarnés, dix par les artistes de l’Académie, deux enfants par les artistes de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, auxquels se joignent six autres artistes invités.

Cornelia Oncioiu (Olga Olsen) et Adrien Mathonat (Carl Olsen)

Cornelia Oncioiu (Olga Olsen) et Adrien Mathonat (Carl Olsen)

Le dispositif scénique est constitué de la fosse d’orchestre entourée de balustrades autour desquelles les chanteurs jouent des scènes vivantes et sensibles au milieu des spectateurs répartis de part et d’autre sur les gradins de l’amphithéâtre principal, ainsi que sur une estrade plus réduite placée en face à face.

Tout au long de la représentation, le son laqué de l’orchestre constitué de musiciens de l’Académie et de musiciens de l’Orchestre Atelier Ostinato, une formation de jeunes artistes de 18 à 25 ans, est très bien unifié, débordant d’un vrai lyrisme puccinien et d’un doux entrain dans les passages jazzy en apparence nonchalants. Pianiste, compositrice et directrice musicale, Yshani Perinpanayagam insuffle une énergie profonde, et même un dramatisme romantique dès l’ouverture, qui s’équilibre très bien avec la partie chantée, rehaussée par des micros pour assurer une proximité quel que soit le placement de l’auditeur.

Lindsay Atherton (Mae Jones) et Ted Huffman

Lindsay Atherton (Mae Jones) et Ted Huffman

Ted Huffman, jeune metteur en scène new-yorkais que beaucoup de théâtres internationaux, mais aussi français, connaissent depuis une douzaine d’années, travaille le rendu psychologique des personnages afin de faire ressortir leur état d’esprit et leur condition sociale par leurs tenues contemporaines et ordinaires, mais aussi par leurs manières d’être.

Il évite de faire prendre aux chanteurs une tonalité trop mélodramatique, et montre surtout une vrai envie de faire ressentir qu’ils sont tous liés par une force symbolisée par l’orchestre central, le point de rencontre vers lequel ils reviennent toujours après qu’ils se soient retirés momentanément à travers les gradins.

Teona Todua (Rose Maurrant)

Teona Todua (Rose Maurrant)

Dans cette production, tous les artistes sont très jeunes, ce qui permet également d’entendre des voix d’une belle homogénéité même pour les personnages censés être bien plus âgés.

La soprano polonaise Margarita Polonskaya, en Anna Maurrant - une femme mariée qui entretient une relation avec le laitier, Mr Sankey, incarné par Teddy Chawa, un acteur qui est apparu récemment dans deux pièces de Tiphaine Raffier, ‘La réponse des hommes’ et ‘France fantôme’ -, possède déjà d’impressionnantes qualités lyriques avec une voix profonde, chargée d’intensité, qui évoquent couleurs et les vibrations de la soprano bulgare Krassimira Stoyanova.

Originaire de Donetsk, Teona Todua brosse le portrait de Rose, la fille d’Anna Maurrant, avec un jeu et un chant d’une fine émotivité, vêtue du rouge de la vie et de la passion au début, puis de noir en seconde partie lorsque s’annonce le drame passionnel qui aboutira au meurtre soudain de sa mère par son père jaloux.

Kevin Punnackal (Sam Kaplan)

Kevin Punnackal (Sam Kaplan)

Sa relation avec le jeune Sam Kaplan est le cœur palpitant de l’œuvre, car se pose en permanence la question de ce qu’elle éprouve confusément pour lui, et si elle le prend au sérieux. 

Le ténor indo-américain Kevin Punnackal dévoue au rôle de Sam Kaplan un charme vocal doux et boisé idéal pour exprimer une vraie maturité romantique, et la chaleur qu’il communique à l’audience se démarque de l’ambiance générale d’autant plus que Kurt Weill lui confie les pages les plus exaltées de l’ouvrage. 

Seray Pinar (Emma Jones)

Seray Pinar (Emma Jones)

Tous les caractères sont ainsi bien très bien dessinés et différenciés en terme de couleurs, que ce soit la noirceur bienveillante d’Adrien Mathonat en Carl Olsen, dont la femme est jouée avec naturel et familiarité par une ancienne de l’Atelier lyrique, Cornelia Oncioiu, ou bien la pétillance impertinente de Seray Pinar, très à l’aise dans le jeu social qu’elle entend animer, ou bien le sinistre Frank Maurrant dont Ihor Mostovoi exprime toutes les rancœurs hargneuses qui le mènent à la déchéance, puis au crime.

Et rodé à la comédie musicale – il intervenait récemment dans ‘Moulin Rouge’, le Musical, à Londres -, l’acteur Robson Broad joue de son jeune physique musclé pour interpréter un Dick McGann dragueur et joueur avec un brillant très nettement affiché.

Robson Broad (Dick McGann)

Robson Broad (Dick McGann)

Grand succès au final pour l’ensemble de l’équipe artistique qui réussit à rendre ce spectacle stimulant alors qu’il est joué sans décors, ce qui accentue la charge vitale de chacun des chanteurs et permet un échange d’énergie assez fort avec le public.

Street Scenes (d’après Kurt Weill - Académie de l’Opéra de Paris ) MC93

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Publié le 13 Février 2024

‘Sein oder Nichtsein’
Récital du 12 février 2024
Théâtre de l’Athénée Louis-Jouvet

Johannes Brahms      Fünf Lieder der Ophelia WoO 22 (1873)
                                  Sech Lieder op.97/1 Nachtigall (1885)
Felix Mendelssohn    Sech Lieder op.71/4 Schilflied (1842)
Hugo Wolf                Mörike Lieder No. 42 Erstes Liebeslied eines Mädchens (1888)
Arthur Honegger      Trois chansons extraites de La Petite Sirène de Hans Christian Andersen (1926)
Franz Schubert         Rosamunde D 797 - Romanze ‘Der Vollmond strahlt auf Bergeshöh'n’ (1823)
Richard Strauss        Drei Lieder der Ophelia op. 67 (1918)
Kurt Weill                Das Berliner Requiem - Die Ballade vom ertrunkenen Mädchen (1928)
Robert Schumann    Sechs Gesänge op.107/1 Herzeleid (1851)
Hector Berlioz         Tristia op.18/2 La mort d'Ophélie (1842)
Franz Schubert        Der Tod und das Mädchen, opus 7 no 3, D.531 (1817)
John Dowland         Sorrow, Stay (1600)
Lecture de textes de William Shakespeare, Georg Heym, Heiner Müller & Georg Trakl

Bis       Kurt Weill    L'Opéra de Quat'sous, Liebeslied (1928)

Soprano Anna Prohaska
Voix Lars Eidinger
Piano Eric Schneider

A l’occasion des 400 ans de la mort de William Shakespeare, la soprano Anna Prohaska, l’acteur berlinois Lars Eidinger et le pianiste Eric Schneider ont donné à la salle Mozart de l’'Alte Oper’ de Frankfurt, le 01 décembre 2016, un concert en hommage au dramaturge anglais, élaboré à partir d’un programme regroupant des mélodies de différents compositeurs dédiées à la figure féminine d’Ophélie.

Eric Schneider, Lars Eidinger et Anna Prohaska

Eric Schneider, Lars Eidinger et Anna Prohaska

Depuis, ce récital a été repris dans plusieurs villes allemandes telles Potsdam et Dresde, et c’est le Théâtre de l’Athénée qui offre l’opportunité de l’entendre à Paris, quasiment à l’identique, moyennant un léger arrangement : ‘Mädchenlied’, le 6e des ‘Sieben Lieder’ op. 95 de Brahms, et ‘Am See’ D746 de Schubert ne sont pas repris, mais une ballade de Kurt Weill ‘Die Ballade vom ertrunkenen Mädchen’, extraite de son 'Requiem Berlinois', un texte sur la guerre, est ajoutée et chantée par Lars Eidinger qui alterne voix basse et voix de tête détimbrée pour en exprimer sa sensibilité.

Eric Schneider et Anna Prohaska

Eric Schneider et Anna Prohaska

Au total, dix compositeurs de John Dowland, contemporain de Shakespeare, à Kurt Weill, en passant par Brahms, Schubert, Mendelssohn, Wolf ou Strauss, sont réunis pour faire vivre la folie de l'âme doucereusement mélancolique de celle qui ne put épouser le Prince Hamlet

Les textes évoquent la quiétude d’eaux sombres dans une atmosphère nocturne, et Anna Prohaska les chante en ne sollicitant que sa tessiture aiguë, souple à la clarté âpre, évoquant ainsi une forme de plénitude à la recherche du visage de la mort, son corps semblant onduler à la faveur des ondes d’un lac imaginaire.

Anna Prohaska et Lars Eidinger

Anna Prohaska et Lars Eidinger

Dans les chansons extraites de ‘La Petite Sirène’ d’Arthur Honegger, sa prosodie est impeccablement nette, et cette forme de joie funèbre se trouve confortée par la charge qu’imprime Eric Schneider au toucher de son piano, tout le long du récital, un son dense, vibrant profondément, le poids de chaque note semblant méticuleusement calculé et appuyé en résonance avec les mots.

Au creux de l’atmosphère de ce lundi soir, pratiquement dénuée de la moindre toux, seuls quelques craquements de sièges signalent la présence des auditeurs, et le regard intériorisé de Lars Eidinger, lui qui peut être des plus exubérants, est ici au service de textes de Shakespeare, un de ses auteurs de prédilection, qu’il incarne dans un esprit totalement recueilli.

Lars Eidinger, Anna Prohaska et Eric Schneider

Lars Eidinger, Anna Prohaska et Eric Schneider

Et en bis, Anna Prohaska et Lars Eidinger entonnent le 'Liebeslied' de l''Opéra de Quat'sous' de Kurt Weill, pour offrir une image finale plus heureuse.

En à pleine plus d’une heure, on se serait cru à une soirée musicale à Berlin ou Munich, se laissant aller avec joie à la sérénité de sentiments noirs, poétisés magnifiquement par trois artistes d’une sincère humilité.

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Publié le 10 Octobre 2022

Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny (Kurt Weill – 1930)
Représentation du 08 octobre 2022
Opera Ballet Vlaanderen – Gand 

Jim Mahoney Leonardo Capalbo
Jenny Hill Katharina Persicke
Leokadja Begbick Maria Riccarda Wesseling
Dreieinigkeitsmose Zachary Altman
Fatty der prokurisk James Kryshak
Sparbüchsenbill Thomas Oliemans
Jack O'Brien / Tobby Higgins Frédérick Ballentine
Alaskawolf Joe Marcel Brunner

Direction musicale Alejo Pérez
Mise en scène Ivo van Hove (2019)
Orchestra Symfonisch Orkest Opera Vlaanderen & Chorus Koor Opera Vlaanderen 

Coproduction Festival d'Aix-en-Provence, Metropolitain Opera, Dutch National Opera, Les Théâtres de la ville de Luxembourg

La reprise de la production de 'Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny' créée lors de l’édition 2019 du Festival d'Aix-en-Provence permet de profiter de ce spectacle dans une salle bien mieux taillée à son propos, l'Opéra Royal de Gand.

Zachary Altman (Dreieinigkeitsmose), Maria Riccarda Wesseling (Leokadja Begbick) et James Kryshak (Fatty der prokurisk)

Zachary Altman (Dreieinigkeitsmose), Maria Riccarda Wesseling (Leokadja Begbick) et James Kryshak (Fatty der prokurisk)

Car on pourrait croire qu’Ivo van Hove a lu et pris en compte les recommandations de mise en scène de Kurt Weill parues le 12 janvier 1930 sous le titre « Vorwort zum Regiebuch der Oper Mahagonny » dans le journal musical autrichien ‘Anbruch’ édité par Paul Stéphane, le biographe de Gustav Mahler (la traduction française est consultable sous le lien suivant : Remarques à propos de mon opéra Mahagonny).

Maria Riccarda Wesseling (Leokadja Begbick) et Zachary Altman (Dreieinigkeitsmose)

Maria Riccarda Wesseling (Leokadja Begbick) et Zachary Altman (Dreieinigkeitsmose)

Economie de moyens scéniques, structure simple de la scène pour faciliter sa transplantation, naturel et simplicité des gestes des acteurs et chanteurs, réalisme, projections qui illustrent l’évolution de la ville, on retrouve tous ces éléments dans cette production, à la nuance près que le système de projection est basé sur une technologie moderne qui permet de créer, à partir d’un fond vert disposé côté jardin, des incrustations vidéos plaquées en temps-réel sur des scènes de vie mimées par les chanteurs. 

Scène de maquillage chez Jenny Hill

Scène de maquillage chez Jenny Hill

L’anecdotique est évité – pas de camion en panne présent à l’arrivée de Leokadja Begbick et ses acolytes - , et il s’agit ici de gens d’aujourd’hui, sans distinction de classes sociales, habillés de manière tout à fait triviale, qui évoluent sur scène. Les six filles de Jenny sont par ailleurs rejointes pas un jeune travesti, rôle purement d’acteur, qui ajoute un élément de diversité de genre naturellement intégré à la société dépeinte, et une forme d'innocence pure qui a du charme.

Leonardo Capalbo (Jim Mahoney) et Katharina Persicke (Jenny Hill)

Leonardo Capalbo (Jim Mahoney) et Katharina Persicke (Jenny Hill)

Les deux points essentiels de cette mise en scène reposent ainsi sur l’imagerie parfois poétique qui est reconstituée sur l’écran – mais qui s’avère aussi un peu lourde lors de la scène répétitive au bordel de Mandeley -, sur l’humanité qui est montrée de l’ensemble des artistes, solistes, acteurs et choristes, appuyée par la vidéo – le parcours des visages de la population craignant l’arrivée de l’ouragan est saisissante -, une humanité qui est prise au piège – et c’est d’abord cette absence d’horizon possible qui est saillante –, qui se laisse parfois aller à une dérisoire rêverie, et qui est valorisée par la proximité avec les spectateurs.

Ensemble

Ensemble

Par ailleurs, sous la direction musicale d’Alejo Pérez, l’orchestre symphonique de l’Opéra des Flandres restitue non seulement la vitalité éclatante de l’écriture de Kurt Weill, mais lie également cet ensemble par un très beau continuo musical, souple et profond, sans sonorités trop austères et avec la tonicité nécessaire à son entrain.

A ces très grandes qualités orchestrales s’ajoute la présence presque animale du chœur dont la diversité des timbres se perçoit fort bien, tout en constituant une grande force populaire qui vient chercher l’auditeur au fond des tripes.

Leonardo Capalbo (Jim), Thomas Oliemans (Bill), Frédérick Ballentine (Jack) et Marcel Brunner (Joe)

Leonardo Capalbo (Jim), Thomas Oliemans (Bill), Frédérick Ballentine (Jack) et Marcel Brunner (Joe)

Dans un esprit d’expression viscérale et de caractérisation forte, la distribution réunie met en avant les qualités théâtrales de chacun des solistes. Ainsi, Maria Riccarda Wesseling, dont on ne peut oublier l’Iphigénie si sensible qu’elle composa au Palais Garnier lors de la première d’’Iphigénie en Tauride’ donnée au Palais Garnier le 08 juin 2006 dans la production de Krzysztof Warlikowski, montre une excellente présence dans les passages déclamés, assombrit peu son timbre, et donne une image très assurée de Leokadja Begbick sur laquelle le temps a pourtant passé.

Katharina Persicke (Jenny Hill)

Katharina Persicke (Jenny Hill)

Actrice très expressive, Katharina Persicke fait vivre Jenny Hill avec beaucoup d’impertinence et de coloris printaniers dans la voix, plutôt légère mais très malléable, et Leonardo Capalbo trouve ici un très beau rôle pour mettre en valeur un tempérament écorché, des variations d’intonations scandées qui expriment la sincérité acharnée, et plutôt héroïque, de Jim.

Cortège du corps de Jim

Cortège du corps de Jim

Mais les seconds rôles ont aussi leurs personnalités propres et un fort impact, comme le Dreieinigkeitsmose de Zachary Altman, baryton-basse au cuir ductile, ou bien le Jack O'Brien épanoui de Frédérick Ballentine.

On ressort ainsi de ce spectacle porté par son énergie vitale, malgré la fin sans espoir au moment du transport du corps de Jim, qui montre tout de même que cette humanité ne peut échapper à une unité de par le sort qui lui est dévolu.

Salle de l'Opéra Royal de Gand

Salle de l'Opéra Royal de Gand

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Publié le 23 Novembre 2010

Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny (Kurt Weill)
Livret de Bertolt Brecht
Représentation du 21 novembre 2010
Théâtre du Capitole de Toulouse

Leocadia Begbick Marjana Lipovsek
Fatty « Le Fondé de pouvoir » Chris Merritt
Moïse la Trinité Gregg Baker
Jenny Hill Valentina Farcas
Jim Mahonney Nikolai Schukoff
Jack 0’ Brien / Toby Higgins Roger Padullés
Billy Tiroir-Caisse Tommi Hakala
Joe Loup d’Alaska Harry Peeters

Direction Musicale Ilan Volkov
Mise en scène Laurent Pelly

                                                                                                                Nikolai Schukoff (Jim)

La création de deux nouvelles productions de Mahagonny à un mois d’intervalle et à quelques centaines de kilomètres de distance, à Madrid en ouverture du mandat de Gerard Mortier et à Toulouse sous la direction de Frédéric Chambert, est un signe fort de l’emprise d’une situation sociale sur la vie artistique.

La capitale occitane doit cependant composer avec un budget et un espace scénique bien différents des moyens dont dispose la capitale castillane, à charge de Laurent Pelly d’animer par sa verve le petit monde de la capitale du plaisir.

Chris Merritt (Fatty) et Marjana Lipovsek (Leocadia Begbick)

Chris Merritt (Fatty) et Marjana Lipovsek (Leocadia Begbick)

Au bord d’une autoroute surgissant de l’arrière scène vers la salle, et dans une immuable atmosphère nocturne, les structures à base de néons colorés sertissent chaises, comptoirs, soleil artificiel, compteur boursier qui dégringole, et offrent une petite scène d’une poésie magnifique lorsque Jenny et Jim chantent seuls au premier acte, sous deux flèches, l’une rouge et l’autre bleue, clignotant selon l’interprète, comme un cœur battant.

Dans l’ensemble, la scénographie illustre simplement la séquence des tableaux, ponctuée de gags furtifs (les marqueurs « No » « Sex » des arbitres de tennis par exemple), et ose les images répulsives de la cité permissive (les empilements de hamburgers, de kleenex au sortir des peep show) comme la chaise électrique finale façon « Grand Guignol ».

Très à l’aise dans les mouvements de foule de caractères caricaturés, Laurent Pelly permet au chœur de jouer un rôle très vivant, d’autant plus que ce dernier alterne fortes mises en avant et jolies nuances.

Chris Merrit (Fatty) et Gregg Baker (Moïse)

Chris Merrit (Fatty) et Gregg Baker (Moïse)

L’humble participation de Chris Merritt, avec un regard si attentionné vis-à-vis de ses partenaires, l’art déclamatoire de Marjana Lipovsek, qui puise dans les richesses d’un médium clair et encore tendre, la haute allure de Gregg Baker, le mordant et la proximité de Nikolai Schukoff, que quelques aigus durcissent un peu plus, et la souplesse du corps de Valentina Farcas, musicale et très légère, sont soutenus par la direction alerte et souvent avantageusement lyrique de Ilan Volkov, variant les volumes mais encline à retenir les effets tranchants et à lisser l’ironie de la langue allemande.

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Publié le 18 Octobre 2010

Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny (Kurt Weill)

Livret de Bertolt Brecht
Représentation du 16 octobre 2010

Teatro Real de Madrid

Leocadia Begbick Jane Henschel
Fatty « The Bookkeeper » Donald Kaasch
Trinity Moses Willard White
Jenny Smith Elzbieta Szmytka
Jim MacIntyre Christopher Ventris
Jack 0’ Brien / Toby Higgins John Easterlin
Bank-Account Bill Otto Katzameier
Alaska-Wolf Joe Steven Humes

Direction Musicale Pablo Heras-Casado
Mise en scène Alex Ollé, Carlus Padrissa (La Fura dels Baus)

Il n’y a pas temps plus juste pour recréer sur scène Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny, à un moment où la vie économique européenne connaît ses plus grands tourments depuis la Grande Dépression de 1929.

Après l'accueil houleux en 1929 de  Neues vom Tage, l'opéra satirique de Paul Hindemith, le directeur musical du Krol Oper de Berlin, Otto Klemperer, préféra ne pas renouveler l’expérience avec l’Opéra de Kurt Weill et de Bertolt Brecht.

Willard White (Trinity Moses)

Willard White (Trinity Moses)

Le 9 mars 1930, le public lyrique de Leipzig connut ainsi, avec graves agitations, la création de Mahagonny, première carrière éphémère qui s’acheva deux ans plus tard par la destruction des partitions sur ordre des nazis.

Aujourd’hui, l’ouvrage n’engendre plus de réactions excessives, mais le public madrilène est apparu partagé face à cette nouvelle production accueillie par un enthousiasme haut sur pied, mêlé à un scepticisme qui ne s’attendait pas à tant de dérèglements sur une scène lyrique, malgré l’épatant engagement musical et théâtral de tous les artistes.

La Fura Dels Baus n’a sûrement pas cherché à flatter le goût pour l’esthétique clinquante, et a imaginé Mahagonny comme un lieu émergent sur une gigantesque décharge publique qui envahit toute la scène, y compris ses extensions latérales.

Elzbieta Szmytka (Jenny Smith)

Elzbieta Szmytka (Jenny Smith)

Dans sa première phase ascendante, la belle lune verte d’Alabama, que chante Jim, se matérialise en un terrain de golf où des hommes d’affaires viennent dilapider leur argent.

Au milieu de cette Ile du plaisir, chacun cherche son bonheur, notamment Jack dont les lunettes d’intellectuel et la coupe de cheveux soignée en font un sosie amusant de Gerard Mortier.

En plus de ses talents d’acteur, John Easterlin interprète avec un style touchant et agréable une présentation humoristique du nouveau directeur artistique, d’abord séduit par deux jeunes dragueurs, avant de céder à un péché mignon qui va le conduire à sa perte lorsque tout devient permis au nom de l‘argent : la nourriture.

John Easterlin (Jack O'Brien)

John Easterlin (Jack O'Brien)

La créativité de l’équipe catalane est un flux d’idées qui s’enchainent sans temps mort.
Il y a la vision repoussante d’hommes et de femmes vivant dans les détritus au point de s’y fondre par mimétisme, l’exhibition des chairs, les prostituées aux perruques roses qui n’oublient aucune position et rythme mécanique, le sexe sans implication, la mise en mouvement d’un monde qui n’est que théâtre, le grand souffle d’ivresse sur le radeau de la liberté.

Willard White (Trinity Moses) - en arrière plan - et Christopher Ventris (Jim MacIntyre)

Willard White (Trinity Moses) - en arrière plan - et Christopher Ventris (Jim MacIntyre)

La poésie surgit enfin au cours du duo de Jenny et Jim, non pas bras l’un dans l’autre, mais tristement séparés sous l’éclairage d’une lumière rasante. La solitude se révèle après l'illusion d'un vivre ensemble superficiel.

L'impossibilité de cet amour, après l'arrestation de Jim, est ici figurée par une reprise de la mise en scène du Journal d'un disparu, monté par La Fura Dels Baus à Garnier en 2007, où de la même manière le héros restait le corps emprisonné sous terre, ne pouvant que subir la vision des déhanchés érotiques de la femme de ses rêves, sans pouvoir la rejoindre.

Mahagonny (dir.esc. La Fura dels Baus) Teatro Real Madrid

Tous les chanteurs jouent naturellement, la souple et féline Elzbieta Szmytka, soufflant les mots subtilement avec douceur plus qu’elle ne les mord,  Christopher Ventris, le mâle incisif et éclatant à l’accent fêlé, Jane Henschel, maîtresse de ses sentiments, le regard dominateur perçant sans état d’âme, la voix percutante, Donald Kaasch et le charismatique, mais plus relâché, Willard White en deux vieux compères manipulateurs, Otto Katzameier et Steven Humes tout simplement humains.

Pablo Heras-Casado

Pablo Heras-Casado

Cette énergie inspire autant les chœurs que l’orchestre du Teatro Real qui, sous la direction du jeune Pablo Heras-Casado, révèlent une capacité à assumer les à-coups d’une partition descriptive, claquante, parfois violente, parfois chaleureusement lyrique, un élan qui triomphe dans un défilé de banderoles dont une seule semble ajoutée par rapport au livret original : « Pour la grandeur de la Société ».

Le lendemain, vers midi, vous ne jetez plus le même regard sur la foule qui s’accapare chocolats, pâtes d’amandes de toutes les couleurs dans les grandes pâtisseries de Madrid.

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