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Publié le 10 Octobre 2022

Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny (Kurt Weill – 1930)
Représentation du 08 octobre 2022
Opera Ballet Vlaanderen – Gand 

Jim Mahoney Leonardo Capalbo
Jenny Hill Katharina Persicke
Leokadja Begbick Maria Riccarda Wesseling
Dreieinigkeitsmose Zachary Altman
Fatty der prokurisk James Kryshak
Sparbüchsenbill Thomas Oliemans
Jack O'Brien / Tobby Higgins Frédérick Ballentine
Alaskawolf Joe Marcel Brunner

Direction musicale Alejo Pérez
Mise en scène Ivo van Hove (2019)
Orchestra Symfonisch Orkest Opera Vlaanderen & Chorus Koor Opera Vlaanderen 

Coproduction Festival d'Aix-en-Provence, Metropolitain Opera, Dutch National Opera, Les Théâtres de la ville de Luxembourg

La reprise de la production de 'Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny' créée lors de l’édition 2019 du Festival d'Aix-en-Provence permet de profiter de ce spectacle dans une salle bien mieux taillée à son propos, l'Opéra Royal de Gand.

Zachary Altman (Dreieinigkeitsmose), Maria Riccarda Wesseling (Leokadja Begbick) et James Kryshak (Fatty der prokurisk)

Zachary Altman (Dreieinigkeitsmose), Maria Riccarda Wesseling (Leokadja Begbick) et James Kryshak (Fatty der prokurisk)

Car on pourrait croire qu’Ivo van Hove a lu et pris en compte les recommandations de mise en scène de Kurt Weill parues le 12 janvier 1930 sous le titre « Vorwort zum Regiebuch der Oper Mahagonny » dans le journal musical autrichien ‘Anbruch’ édité par Paul Stéphane, le biographe de Gustav Mahler (la traduction française est consultable sous le lien suivant : Remarques à propos de mon opéra Mahagonny).

Maria Riccarda Wesseling (Leokadja Begbick) et Zachary Altman (Dreieinigkeitsmose)

Maria Riccarda Wesseling (Leokadja Begbick) et Zachary Altman (Dreieinigkeitsmose)

Economie de moyens scéniques, structure simple de la scène pour faciliter sa transplantation, naturel et simplicité des gestes des acteurs et chanteurs, réalisme, projections qui illustrent l’évolution de la ville, on retrouve tous ces éléments dans cette production, à la nuance près que le système de projection est basé sur une technologie moderne qui permet de créer, à partir d’un fond vert disposé côté jardin, des incrustations vidéos plaquées en temps-réel sur des scènes de vie mimées par les chanteurs. 

Scène de maquillage chez Jenny Hill

Scène de maquillage chez Jenny Hill

L’anecdotique est évité – pas de camion en panne présent à l’arrivée de Leokadja Begbick et ses acolytes - , et il s’agit ici de gens d’aujourd’hui, sans distinction de classes sociales, habillés de manière tout à fait triviale, qui évoluent sur scène. Les six filles de Jenny sont par ailleurs rejointes pas un jeune travesti, rôle purement d’acteur, qui ajoute un élément de diversité de genre naturellement intégré à la société dépeinte, et une forme d'innocence pure qui a du charme.

Leonardo Capalbo (Jim Mahoney) et Katharina Persicke (Jenny Hill)

Leonardo Capalbo (Jim Mahoney) et Katharina Persicke (Jenny Hill)

Les deux points essentiels de cette mise en scène reposent ainsi sur l’imagerie parfois poétique qui est reconstituée sur l’écran – mais qui s’avère aussi un peu lourde lors de la scène répétitive au bordel de Mandeley -, sur l’humanité qui est montrée de l’ensemble des artistes, solistes, acteurs et choristes, appuyée par la vidéo – le parcours des visages de la population craignant l’arrivée de l’ouragan est saisissante -, une humanité qui est prise au piège – et c’est d’abord cette absence d’horizon possible qui est saillante –, qui se laisse parfois aller à une dérisoire rêverie, et qui est valorisée par la proximité avec les spectateurs.

Ensemble

Ensemble

Par ailleurs, sous la direction musicale d’Alejo Pérez, l’orchestre symphonique de l’Opéra des Flandres restitue non seulement la vitalité éclatante de l’écriture de Kurt Weill, mais lie également cet ensemble par un très beau continuo musical, souple et profond, sans sonorités trop austères et avec la tonicité nécessaire à son entrain.

A ces très grandes qualités orchestrales s’ajoute la présence presque animale du chœur dont la diversité des timbres se perçoit fort bien, tout en constituant une grande force populaire qui vient chercher l’auditeur au fond des tripes.

Leonardo Capalbo (Jim), Thomas Oliemans (Bill), Frédérick Ballentine (Jack) et Marcel Brunner (Joe)

Leonardo Capalbo (Jim), Thomas Oliemans (Bill), Frédérick Ballentine (Jack) et Marcel Brunner (Joe)

Dans un esprit d’expression viscérale et de caractérisation forte, la distribution réunie met en avant les qualités théâtrales de chacun des solistes. Ainsi, Maria Riccarda Wesseling, dont on ne peut oublier l’Iphigénie si sensible qu’elle composa au Palais Garnier lors de la première d’’Iphigénie en Tauride’ donnée au Palais Garnier le 08 juin 2006 dans la production de Krzysztof Warlikowski, montre une excellente présence dans les passages déclamés, assombrit peu son timbre, et donne une image très assurée de Leokadja Begbick sur laquelle le temps a pourtant passé.

Katharina Persicke (Jenny Hill)

Katharina Persicke (Jenny Hill)

Actrice très expressive, Katharina Persicke fait vivre Jenny Hill avec beaucoup d’impertinence et de coloris printaniers dans la voix, plutôt légère mais très malléable, et Leonardo Capalbo trouve ici un très beau rôle pour mettre en valeur un tempérament écorché, des variations d’intonations scandées qui expriment la sincérité acharnée, et plutôt héroïque, de Jim.

Cortège du corps de Jim

Cortège du corps de Jim

Mais les seconds rôles ont aussi leurs personnalités propres et un fort impact, comme le Dreieinigkeitsmose de Zachary Altman, baryton-basse au cuir ductile, ou bien le Jack O'Brien épanoui de Frédérick Ballentine.

On ressort ainsi de ce spectacle porté par son énergie vitale, malgré la fin sans espoir au moment du transport du corps de Jim, qui montre tout de même que cette humanité ne peut échapper à une unité de par le sort qui lui est dévolu.

Salle de l'Opéra Royal de Gand

Salle de l'Opéra Royal de Gand

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Publié le 2 Octobre 2019

Don Carlos (Giuseppe Verdi – 1886)
Représentation du 28 septembre 2019
Opera Vlaanderen – Anvers

Don Carlos Leonardo Capalbo
Élisabeth de Valois Mary Elizabeth Williams
Philippe II Andreas Bauer Kanabas
Rodrigue Kartal Karagedik
La princesse Eboli Raehann Bryce-Davis
Le Grand Inquisiteur Roberto Scandiuzzi
Un moine (Charles V) Werner Van Mechelen
Thibault, une voix céleste Annelies Van Gramberen
Le comte de Lerme, un héraut royal Stephan Adriaens

Direction musicale Alejo Pérez
Mise en scène Johan Simons  (2019)

Coproduction Opera Wrocławska

                                                                                                 Andreas Bauer Kanabas (Philippe II)

Parmi la trentaine de productions de Don Carlo qui seront données en Europe au cours de la saison 2019/2020, de Vienne à Londres en passant par Nuremberg, Moscou, Paris, Stuttgart, Venise, Francfort, Athènes, Liège, Essen, Salzbourg, Sofia, Munich et Dresde, pour ne citer qu’elles, celle de l’Opéra des Flandres est l’une des rares qui soit chantée dans sa langue originale française.

Leonardo Capalbo (Don Carlos)

Leonardo Capalbo (Don Carlos)

Ce n’est cependant pas la version 5 actes de la création parisienne de 1867, composée à partir du livret de Joseph Méry et Camille du Locle, qui est jouée sur la scène flamande, mais la version 5 actes de Modène 1886, basée sur le texte révisé par Charles Nuitter en 1884, née du remaniement par Verdi de sa propre partition pour la création à la Scala de Milan peu avant le coup d’éclat d’Otello.

On peut être surpris du choix de la langue française, habituellement c’est la traduction en italien par Angelo Zanardini qui est interprétée sur les scènes internationales, car il est difficile de trouver des chanteurs capables de rendre justice à la langue native de l’ouvrage. Mais à l’écoute de cette version qui propose une interprétation scénique psychanalytique en faisant de Don Carlos un enfant qui rejoue mentalement son drame, les intonations perdent de la véhémence de la langue italienne, ce qui accentue l’expression dépressive du chant. L’atténuation de la lisibilité du texte est donc contrebalancée par le fond mélancolique qui teinte tous les tableaux.

Werner Van Mechelen (Un moine)

Werner Van Mechelen (Un moine)

Globalement, l’ensemble de la distribution manque de précision de diction, hormis dans la voix d’Andreas Bauer Kanabas, qui compose un Philippe II intelligible, sévère mais aux failles sensibles, ainsi que dans l’interprétation du moine d’une très grande clarté par Werner Van Mechelen, et de Stephan Adriaens qui dresse une stature presque surnaturelle du comte de Lerme et du héraut royal.

Leonardo Capalbo est familier de la langue française, il a chanté Hoffmann à Londres, mais son naturel vaillant avec beaucoup d’ouverture privilégie l’impact à la souplesse et au caractère feutré du chant de Don Carlos.

La mise en scène lui faisant jouer un personnage malade et quasi-autiste du début à la fin, sa capacité à incarner un être dans toute sa complexité et qui évolue face aux épreuves n’est pas véritablement mise en valeur non plus.

Don Carlos (Capalbo-Williams-Bauer Kanabas-Karagedik-Bryce-Davis-Pérez-Simons) Anvers

Mary Elizabeth Williams s’en sort mieux du fait qu’elle fait d’Elisabeth une femme moderne et forte, malgré la fragilité induite par son mariage contraint avec Philippe II, et qu’elle peut compter sur les irisations de sa voix pour toucher la sensibilité de chacun.  Cependant, les accents perçants prennent le dessus sur la profondeur et l’ampleur impériale.

Fortement affaibli par le manque de contraste dans le chant de Kartal Karagedik, assourdi par la langue de Molière, Rodrigue reste trop en retrait, mais Raehann Bryce-Davis qui, de son chant palpitant aux mille reflets minéraux, imprime une Chanson du Voile aux coloratures un peu trop vite expédiées, ancre solidement son tempérament de feux dans une incarnation qui atteint son sommet au O Don Fatale immanquablement ardent.

Réduit à une entrée piteuse, Roberto Scandiuzzi n’arrive à rendre de l’Inquisiteur qu’un portrait usé qui ne peut inquiéter le Roi.

Raehann Bryce-Davis (La princesse Eboli)

Raehann Bryce-Davis (La princesse Eboli)

Le public de l’opéra des Flandres est habitué à des lectures psychologiques proches de l’absurde, à l’instar du Roi Candaule joué en 2016, et sans préjugé on peut adhérer au dépouillement de Johan Simons  qui recrée, sur une scène souvent nue, les passages de la vie de Don Carlos vécues depuis son lit d’hôpital, et qui fait apparaître et disparaitre en fond de scène des paysages de Flandres vallonnés ou de jardins royaux d’une très belle épure pastelle.

Et quand ceux-ci s’effacent, apparaît le chœur vêtu de costumes flamands fantasmés, et même toutes sortes de symboles architecturaux de la ville qui envahissent la chambre du malade au moment de la scène d’autodafé.
On remarque également l’inversion entre l’acte I et le premier tableau de l'acte II, artifice destiné à placer d’emblée Don Carlos en position dépressive avant de rejouer toute son histoire.

Ces références récurrentes aux couleurs des Flandres semblent ainsi comme destinées à rapprocher avec plus d’évidence l’histoire de Don Carlos du cœur de son public.

Mary Elizabeth Williams (Élisabeth de Valois)

Mary Elizabeth Williams (Élisabeth de Valois)

Le chœur, voilé en première partie, gagne en cohésion pour finir sur une attitude indicative et frontale d’une très grande force face aux spectateurs, grand moment d’emphase avec l’orchestre qui, sous la direction d’Alejo Pérez, aura été tout au long de la soirée le premier acteur du drame, enflant et débordant même les chanteurs, afin de décrire une trame historique noire, envahissante, assombrie même par les cuivres ronflants tapis dans l’ombre. L’impression domine d’une lecture d’ensemble théâtrale et inhabituelle qui paraît surdimensionnée face à l’absence de grandiose et au recueil intime de l’interprétation scénique.

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