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Publié le 14 Juin 2021

Simon Boccanegra (Giuseppe Verdi – 1881)
Répétition générale du 09 juin 2021
Théâtre des Arts de Rouen

Simon Boccanegra Dario Solari
Jacopo Fiesco Jongming Park
Maria Boccanegra (Amelia) Klara Kolonits
Gabriele Adorno Otar Jorjikia
Paolo Albani Kartal Karagedik
Pietro André Courville

Direction musicale Antonello Allemandi
Mise en scène Philipp Himmelmann (2018)

Orchestre de l'Opéra Rouen Normandie
Choeur Accentuus / Opéra de Rouen Normandie
Coproduction Opéra de Dijon et Stadttheater Klagenfurt

                                        Otar Jorjikia (Gabriele Adorno)

A l’instar de l’Opéra Bastille, l’Opéra de Rouen n’avait plus joué d’opéra depuis 450 jours, mais avait pu, entre-temps, rouvrir pour représenter quelques concerts symphoniques.

Une répétition ouverte au public le jour même du report du couvre-feu à 23h constituait donc un jalon majeur pour la vie du Théâtre des Arts, car retrouver des spectateurs autour d’une œuvre lyrique redevenait enfin possible.

Simon Boccanegra est l’une des œuvres les plus sombres de Giuseppe Verdi où le compositeur représente les luttes des factions afin de faire naître chez les Italiens l’horreur des guerres fratricides. L’œuvre débute en 1339 au moment où Simon Boccanegra, corsaire au service de Gênes, eut une fille illégitime avec Maria, fille de son ennemi Fiesco, qui sera retrouvée morte. Vingt-cinq ans plus tard, le corsaire est devenu le premier doge à vie. Mais une conspiration redoutable est montée contre lui.

Choeur et solistes de Simon Boccanegra salués par l'orchestre installé au parterre.

Choeur et solistes de Simon Boccanegra salués par l'orchestre installé au parterre.

La fluidité des langueurs orchestrales est un élément essentiel de cet ouvrage qui semble créer une résonance entre la puissance évocatrice des paysages marins et les forces conspiratrices de la République.

Cette dimension est particulièrement bien menée par la direction d’Antonello Allemandi qui structure avec brio l'allant de l’orchestre dans les grands mouvements d'ensemble où cordes et cuivres fusionnent parfaitement. Cet alliage est très beau et abouti, et donne beaucoup d’allure et de nerfs tout en préservant une impression de force tranquille. On remarque également que les bois se détachent nettement, surtout les bois graves (basson).

Cette recherche de noirceur et de puissance soutient ainsi la mise en scène qui, toutefois, ne souligne ni les chatoyances ni les lueurs d'espoir contenues dans l’œuvre, que ce soit les lueurs du port de Gênes ou bien la mise en avant d’Adorno comme successeur prometteur de Simon Boccanegra.

Dario Solari (Simon Boccanegra)

Dario Solari (Simon Boccanegra)

Philipp Himmelmann joue en effet sur des impressions claustrophobiques à travers un décor fermé et réagençable autour d’une pièce en forme de cube où l’image sordide du suicide de Maria hante d’emblée le spectateur. La vision de la mer transparaît à travers un fin tableau allongé, et l’ombre du déplacement d’une pale de ventilation induit un sentiment dépressif latent.

Pas de bleu merveilleux ou de référence à une splendeur nouvelle, c’est en vérité l’intérieur éteint de Boccanegra qui est représenté. La mise en scène souffre cependant d’une faiblesse générale dans la direction d’acteur qui n’accentue aucunement les caractères des différents protagonistes alors que tous disposent de timbres bien caractéristiques impossibles à confondre.

De par sa haute tenue, Dario Solari fait belle impression avec un chant souple et charmeur, légèrement velouté, qui donne une crédible amplitude humaine et spirituelle au Doge de Gênes, alors que le Fiesco de Jongming Park résonne de noirceurs caverneuses qui évoquent le dragon Fafner imaginé par Wagner pour Siegfried, sans la moindre rudesse. Le jeu reste stéréotypé, mais la portée vocale profondément noble.

En Kartal Karagedik on peut retrouver les intonations verdiennes et les ambiguïtés d’un Macbeth, ce qui correspond parfaitement au personnage de Paolo Albani, mais là aussi le metteur en scène ne met pas suffisamment en exergue les ombres calculatrices de cet homme qui est le cerveau de la conspiration contre Simon.

Klara Kolonits (Amelia)

Klara Kolonits (Amelia)

Le Gabriele Adorno d’Otar Jorjikia devient vocalement un solide opposant avec une personnalité puissante et virile, relativement homogène sur toute la tessiture, qui fait de lui un être à la hauteur des dirigeants génois.  D’ailleurs, une telle consistance semble encore plus le prédestiner à des répertoires italiens post-verdiens et réalistes, ou au répertoire slave post-romantique du XXe siècle.

Philipp Himmelmann amoindrit cependant son rôle politique en ne lui donnant pas la possibilité de se substituer à Boccanegra – Adorno reste physiquement indifférencié au final -, et on trouve aussi un assombrissement mélancolique d’Amelia par un traitement assez noir de son caractère malgré l’aisance de Klara Kolonits à soutenir des aigus sans peine, mais qui naturalise trop la fille du doge dans la tessiture médiane.

Le chœur est d’une précision d'élocution, d'une clarté et d’un ton chantant absolument magnifiques de bout en bout, comme un précieux collier de perles omniprésent au cours de ce spectacle sans doute trop pessimiste, mais qui ne l’est pas plus que la version de Calixto Bieito que nous connaissons à Paris.

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Publié le 2 Octobre 2019

Don Carlos (Giuseppe Verdi – 1886)
Représentation du 28 septembre 2019
Opera Vlaanderen – Anvers

Don Carlos Leonardo Capalbo
Élisabeth de Valois Mary Elizabeth Williams
Philippe II Andreas Bauer Kanabas
Rodrigue Kartal Karagedik
La princesse Eboli Raehann Bryce-Davis
Le Grand Inquisiteur Roberto Scandiuzzi
Un moine (Charles V) Werner Van Mechelen
Thibault, une voix céleste Annelies Van Gramberen
Le comte de Lerme, un héraut royal Stephan Adriaens

Direction musicale Alejo Pérez
Mise en scène Johan Simons  (2019)

Coproduction Opera Wrocławska

                                                                                                 Andreas Bauer Kanabas (Philippe II)

Parmi la trentaine de productions de Don Carlo qui seront données en Europe au cours de la saison 2019/2020, de Vienne à Londres en passant par Nuremberg, Moscou, Paris, Stuttgart, Venise, Francfort, Athènes, Liège, Essen, Salzbourg, Sofia, Munich et Dresde, pour ne citer qu’elles, celle de l’Opéra des Flandres est l’une des rares qui soit chantée dans sa langue originale française.

Leonardo Capalbo (Don Carlos)

Leonardo Capalbo (Don Carlos)

Ce n’est cependant pas la version 5 actes de la création parisienne de 1867, composée à partir du livret de Joseph Méry et Camille du Locle, qui est jouée sur la scène flamande, mais la version 5 actes de Modène 1886, basée sur le texte révisé par Charles Nuitter en 1884, née du remaniement par Verdi de sa propre partition pour la création à la Scala de Milan peu avant le coup d’éclat d’Otello.

On peut être surpris du choix de la langue française, habituellement c’est la traduction en italien par Angelo Zanardini qui est interprétée sur les scènes internationales, car il est difficile de trouver des chanteurs capables de rendre justice à la langue native de l’ouvrage. Mais à l’écoute de cette version qui propose une interprétation scénique psychanalytique en faisant de Don Carlos un enfant qui rejoue mentalement son drame, les intonations perdent de la véhémence de la langue italienne, ce qui accentue l’expression dépressive du chant. L’atténuation de la lisibilité du texte est donc contrebalancée par le fond mélancolique qui teinte tous les tableaux.

Werner Van Mechelen (Un moine)

Werner Van Mechelen (Un moine)

Globalement, l’ensemble de la distribution manque de précision de diction, hormis dans la voix d’Andreas Bauer Kanabas, qui compose un Philippe II intelligible, sévère mais aux failles sensibles, ainsi que dans l’interprétation du moine d’une très grande clarté par Werner Van Mechelen, et de Stephan Adriaens qui dresse une stature presque surnaturelle du comte de Lerme et du héraut royal.

Leonardo Capalbo est familier de la langue française, il a chanté Hoffmann à Londres, mais son naturel vaillant avec beaucoup d’ouverture privilégie l’impact à la souplesse et au caractère feutré du chant de Don Carlos.

La mise en scène lui faisant jouer un personnage malade et quasi-autiste du début à la fin, sa capacité à incarner un être dans toute sa complexité et qui évolue face aux épreuves n’est pas véritablement mise en valeur non plus.

Don Carlos (Capalbo-Williams-Bauer Kanabas-Karagedik-Bryce-Davis-Pérez-Simons) Anvers

Mary Elizabeth Williams s’en sort mieux du fait qu’elle fait d’Elisabeth une femme moderne et forte, malgré la fragilité induite par son mariage contraint avec Philippe II, et qu’elle peut compter sur les irisations de sa voix pour toucher la sensibilité de chacun.  Cependant, les accents perçants prennent le dessus sur la profondeur et l’ampleur impériale.

Fortement affaibli par le manque de contraste dans le chant de Kartal Karagedik, assourdi par la langue de Molière, Rodrigue reste trop en retrait, mais Raehann Bryce-Davis qui, de son chant palpitant aux mille reflets minéraux, imprime une Chanson du Voile aux coloratures un peu trop vite expédiées, ancre solidement son tempérament de feux dans une incarnation qui atteint son sommet au O Don Fatale immanquablement ardent.

Réduit à une entrée piteuse, Roberto Scandiuzzi n’arrive à rendre de l’Inquisiteur qu’un portrait usé qui ne peut inquiéter le Roi.

Raehann Bryce-Davis (La princesse Eboli)

Raehann Bryce-Davis (La princesse Eboli)

Le public de l’opéra des Flandres est habitué à des lectures psychologiques proches de l’absurde, à l’instar du Roi Candaule joué en 2016, et sans préjugé on peut adhérer au dépouillement de Johan Simons  qui recrée, sur une scène souvent nue, les passages de la vie de Don Carlos vécues depuis son lit d’hôpital, et qui fait apparaître et disparaitre en fond de scène des paysages de Flandres vallonnés ou de jardins royaux d’une très belle épure pastelle.

Et quand ceux-ci s’effacent, apparaît le chœur vêtu de costumes flamands fantasmés, et même toutes sortes de symboles architecturaux de la ville qui envahissent la chambre du malade au moment de la scène d’autodafé.
On remarque également l’inversion entre l’acte I et le premier tableau de l'acte II, artifice destiné à placer d’emblée Don Carlos en position dépressive avant de rejouer toute son histoire.

Ces références récurrentes aux couleurs des Flandres semblent ainsi comme destinées à rapprocher avec plus d’évidence l’histoire de Don Carlos du cœur de son public.

Mary Elizabeth Williams (Élisabeth de Valois)

Mary Elizabeth Williams (Élisabeth de Valois)

Le chœur, voilé en première partie, gagne en cohésion pour finir sur une attitude indicative et frontale d’une très grande force face aux spectateurs, grand moment d’emphase avec l’orchestre qui, sous la direction d’Alejo Pérez, aura été tout au long de la soirée le premier acteur du drame, enflant et débordant même les chanteurs, afin de décrire une trame historique noire, envahissante, assombrie même par les cuivres ronflants tapis dans l’ombre. L’impression domine d’une lecture d’ensemble théâtrale et inhabituelle qui paraît surdimensionnée face à l’absence de grandiose et au recueil intime de l’interprétation scénique.

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