Articles avec #van mechelen tag

Publié le 13 Janvier 2024

Iphigénie en Tauride (Henry Desmarest / André Campra – Théâtre Royal de l'Académie royale de musique, le 06 mai 1704)
Version de concert du 09 janvier 2024
Théâtre des Champs-Élysées

Iphigénie Véronique Gens
Pylade Reinoud Van Mechelen
Oreste Thomas Dolié
Thoas David Witczak
Electre Olivia Doray
Diane Floriane Hasler
L’Ordonnateur / L’Océan Tomislav Lavoie
Un habitant de Délos / Triton / Le Grand Sacrificateur Antonin Rondepierre
Isménide, Première habitante de Délos / Première nymphe / Première prêtresse Jehanne Amzal
Deuxième habitante de Délos / Deuxième nymphe / Deuxième prêtresse Marine Lafdal-Franc

Direction musicale Hervé Niquet
Orchestre et Chœur Le Concert Spirituel            
              Reinoud Van Mechelen (Pylade)
Coproduction Centre de musique baroque de Versailles


Depuis 2022, Hervé Niquet et Le Concert Spirituel sont engagés dans l’enregistrement pour le label Alpha Classics d’une tétralogie baroque incluant ‘Ariane et Bacchus’ (Marin Marais – 1696), ‘Médée’ (Marc-Antoine Charpentier – 1693), ‘Iphigénie en Tauride’ (Henry Desmarest et André Campra - 1704) et ‘Persée’ (Jean-Baptiste Lully – 1682).

Jehanne Amzal (Isménide) et Véronique Gens (Iphigénie)

Jehanne Amzal (Isménide) et Véronique Gens (Iphigénie)

Si ‘Persée’ célèbre le règne de l’opéra courtisan sous Lully, ‘Ariane et Bacchus’ et ‘Médée’ sont représentatifs de l’après Lully qui ne trouvera pas son public, alors que ‘Iphigénie en Tauride’ d’Henry Desmarest, complété par Campra – pour le prologue et une grande partie du dernier acte principalement -, fera partie de la douzaine de titres les plus joués à l’Académie royale de musique au début du XVIIIe siècle avant l’avènement de Rameau. Cette tragédie inspirée d’Euripide sera même montée jusqu’en 1762 avec quelques ajouts composés par Pierre-Montan Berton.

Depuis, une résurrection partielle eut lieu le 10 octobre 1999 au Théâtre Montansier de Versailles, mais dans une version réduite enregistrée par France Musique.

Hervé Niquet et Le Concert Spirituel

Hervé Niquet et Le Concert Spirituel

L’histoire reprend le mythe d’Iphigénie abandonnée par Agamemnon et sauvée par Diane, tout en faisant intervenir Electre qui a suivi Oreste après le meurtre de Clytemnestre.

Thoas l’a faite prisonnière et veut la faire sienne en échange de la vie de son frère et de son ami, Pylade, arrivés en Tauride pour enlever l’image de Diane et laver Oreste de son acte vengeur envers sa mère. Diane apparaît une première fois pour tenter d’apaiser les tourments de ce dernier.

Malgré sa fureur, Thoas libère les Grecs, mais Oreste et Pylade accusent à tord Electre d’avoir céder au Roi.

Olivia Doray (Electre) et Reinoud Van Mechelen (Pylade)

Olivia Doray (Electre) et Reinoud Van Mechelen (Pylade)

Ce dernier, sous la menace de l’Oracle puis du Dieu Océan, qui désapprouve sa tendance à la compassion, retrouve finalement une ligne politique dure envers les Grecs. Iphigénie se désespère d’avoir à sacrifier les étrangers. 

Oreste se présente à elle et lui raconte le sort advenu à Agamemnon et Clytemnestre au Palais de Mycènes. Sur le parvis du Temple de Diane, ils se reconnaissent avec surprise en tant que frère et sœur, mais lorsque Thoas ordonne aux Scythes de détruire les Grecs armés par Iphigénie, Diane réapparaît pour foudroyer le Roi et les sauver. 

La malédiction des Atrides est ainsi levée sur Oreste et Iphigénie, et Electre peut enfin aimer Pylade.

Reinoud Van Mechelen (Pylade) et Thomas Dolié (Oreste)

Reinoud Van Mechelen (Pylade) et Thomas Dolié (Oreste)

La première impression qui frappe à la redécouverte de cet ouvrage oublié est la plasticité marine de l’orchestre, composé de plus de 50 musiciens et 25 choristes, une sorte de mer noire mélancolique dominée par les cordes qui imprègnent l’auditeur d’un son riche et continûment fourni. Et il est vrai que sur l’île de Tauride, les vents, les océans et leurs Dieux sont omniprésents. Le charme poétique des mélodies s’y entremêle et les mots préservent la dignité sentimentale de tous les personnages, un héritage du modèle lullyste.

La musique n’est pas véritablement théâtrale, mais elle permet d’entendre de charmants alliages tels le duo entre Electre et Pylade ‘Le ciel est sensible à nos larmes’, et aussi une impressionnante correspondance entre le voile orchestral noir et le chant d’Iphigénie, au début du quatrième acte, ‘C’est trop vous faire violence’.

L’œuvre s’apprécie comme un beau tableau vivant dépeint avec une personnalité austère qui s’infiltre subrepticement dans l’âme, et Hervé Niquet en restitue avec Le Concert Spirituel une homogénéité de couleur et une unité dans le mouvement qui valorise la qualité immersive des ambiances sonores. La luminosité du chœur s’y incorpore naturellement.

Floriane Hasler (Diane)

Floriane Hasler (Diane)

C’est avec beaucoup de plaisir que l’on retrouve Véronique Gens dans le rôle de l’Iphigénie de Desmarest, bien moins dramatique que celle de Gluck, dont la soyeuse noirceur est d’un très bel effet surtout dans la seconde partie, en suggérant un sentiment tragique resserré et contenu, alors qu’Olivia Doray offre à Electre une fraîcheur attendrissante qui surprend quand on sait quel personnage en a fait Strauss.

Fidèle à ses portraits très tourmentés, Thomas Dolié incarne un Oreste écorché et théâtral qui cherche à exprimer le ressenti viscéral du frère d’Iphigénie, alors que Reinoud Van Mechelen induit de son chant clair et doux un charme qui s’accorde harmonieusement à celui d’ Olivia Doray.

Antonin Rondepierre (Triton)

Antonin Rondepierre (Triton)

Et c’est avec une splendide éloquence vocale que Floriane Hasler impose d’emblée une Diane très forte avec une grande capacité de droiture qui saisit le spectateur par sa perfection classique. L’impression est grave et humaine, sans la moindre arrogance.

Quand on connaît le terrible Thoas de Gluck, celui de Desmarest est bien moins impressionnant et David Witczak n’arrive pas à lui donner ce surplus d’ampleur qui devrait mieux imposer ce personnage vindicatif.

Olivia Doray (Electre) et Véronique Gens (Iphigénie)

Olivia Doray (Electre) et Véronique Gens (Iphigénie)

Parmi les rôles secondaires, Antonin Rondepierre, en Triton, se démarque sensiblement par la fine intelligibilité et subtilité de son chant très léger, et Tomislav Lavoie (L’Océan), Jehanne Amzal et Marine Lafdal-Franc, en prêtresses, complètent cet ensemble avec conviction.

Connaissant ce qu’écrivirent bien plus tard Wagner ou Debussy, on a une écoute un peu particulière à cet ouvrage marqué par un continuo lancinant singulièrement prononcé.

Voir les commentaires

Publié le 17 Juin 2022

Platée (Jean-Philippe Rameau – 1745)
Répétition générale du 15 juin 2022
Palais Garnier

Thespis Mathias Vidal
Un satyre, Cithéron Nahuel di Pierro
Momus Marc Mauillon
Thalie, La Folie Julie Fuchs
L'amour, Clarine Tamara Bounazou
Platée Lawrence Brownlee
Jupiter Jean Teitgen
Mercure Reinoud Van Mechelen
Junon Adriana Bignagni Lesca

Direction musicale Marc Minkowski
Mise en scène Laurent Pelly (1999)
Les Musiciens du Louvre 

Coproduction avec le Grand théâtre de Genève, l'Opéra national de Bordeaux, l'Opéra national de Montpellier, le Théâtre de Caen et l'Opéra de Flandre 

Diffusion mardi 21 juin 2022 en direct sur Mezzo HD et L'Opera chez soi à 19h30 et en léger différé sur France 4 (canal 14) à 21h10

Si l'on avait dit aux contemporains de Jean-Philippe Rameau que ‘Platée’ ferait partie des 30 ouvrages les plus joués de l’ancienne Académie Royale de Musique, 250 ans  plus tard, cela aurait bien fait sourire.

Car après sa création au manège couvert de la Grande Écurie de Versailles, le 31 mars 1745,  le célèbre ballet-bouffon entra au répertoire de l’institution royale le 09 février 1749 où il fut joué une vingtaine de fois avant de ne revenir que sous forme de fragments en 1759. 

Lawrence Brownlee (Platée)

Lawrence Brownlee (Platée)

‘Platée’ réapparaît ensuite en version intégrale au Festival d’Aix-en-Provence en 1956, puis à la salle Favart le 21 avril 1977 dans une mise en scène d’Henri Ronse et une chorégraphie de Pierre Lacotte

Mais sa véritable résurrection a finalement lieu au Palais Garnier le 28 avril 1999 dans la production de Laurent Pelly qui en est aujourd’hui à sa cinquième reprise pour plus de 60 représentations à l’affiche. De succès d’estime au XVIIIe siècle, ‘Platée’ est devenu un incontournable de la scène parisienne au XXIe siècle.

Mathias Vidal (Thespis)

Mathias Vidal (Thespis)

Ainsi, l’alliance entre, d’une part, la forme musicale chargée d’harmonies incisives, moqueries, comédies, danses et virtuosités qu’a imaginé Rameau et, d’autre part, la vitalité de la mise en scène de Laurent Pelly qui s'amuse malicieusement avec le public qui pourrait se reconnaître à travers ces gradins revêtus de rouge velours tournés vers la salle de Garnier, et un jeu de scène qui déborde jusque sur la fosse d’orchestre réhaussée et les loges de côtés, est d’une très grande efficacité pour capter l’intérêt d’un large public étendu au-delà du public traditionnel d’opéra.

Progressivement, le décor de théâtre s’estompe sous les algues verdâtres du marais où vit la grenouille Platée, et, au second acte, les gradins séparés en deux représentent le relief sous marin du fond des eaux où se poursuit l’action. On peut même reconnaître dans ce décor une forme de pyramide à degrés qui sera reprise en 2007 par Laurent Pelly pour sa production de ‘L’Elixir d’amour’ afin de reconstituer un immense tas de bottes de foin.

Lawrence Brownlee (Platée), Clarine Tamara Bounazou (L'Amour) et Reinoud Van Mechelen (Mercure)

Lawrence Brownlee (Platée), Clarine Tamara Bounazou (L'Amour) et Reinoud Van Mechelen (Mercure)

En s’appuyant sur la très grande crédibilité des personnages incarnés par des chanteurs poussés à développer un jeu totalement abouti, et sur des chorégraphies déjantées très bien réglées et non dénuées d’élégance au rythme de la musique de Rameau, le tout enveloppé dans des costumes parfois très réussis, Platée et la Folie en particulier, se déroule une histoire en apparence drôle mais où point progressivement un final cruel et triste pour un être trop crédule sur les bonnes intentions de son entourage faussement affable.

L’équipe d’artistes réunie est totalement nouvelle hormis Julie Fuchs qui reprend les rôles de Thalie, et surtout de La Folie, avec une souplesse et tendresse dans la voix qui enjôlent à merveille, ainsi qu'une tendance à cultiver la coquetterie juvénile de son personnage dont elle ne se départit jamais.

Julie Fuchs (La Folie)

Julie Fuchs (La Folie)

Mathias Vidal, qui comme elle participait à la grande aventure ramiste à Bastille dans ‘Les Indes Galantes’, est splendide d’élégie sensible en Thespis, tel un jeune Hoffmann ayant un abattage extraverti toujours très surprenant, abattage que l’on retrouve aussi chez Marc Mauillon dont le timbre de baryton clair attendrissant et la vivacité d’élocution colorent gaiement ses multiples interventions.

Reinoud Van Mechelen (Mercure) et Adriana Bignagni Lesca (Junon)

Reinoud Van Mechelen (Mercure) et Adriana Bignagni Lesca (Junon)

Il est plus surprenant de découvrir Lawrence Brownlee dans le rôle de Platée, lui qui est un habitué du langage de Rossini et Donizetti. Son français est soigné, franc et très intelligible, un être en éveil dont il tire de la profondeur tout en étant très libéré dans les passages bouffes. Néanmoins, les noirceurs du timbre et la brillance de sa virtuosité prennent le dessus sur la clarté mélancolique des sonorités alanguies qui font aussi le charme un peu désuet du chant dans les opéras de Rameau.

Platée (Vidal Fuchs Brownlee Mauillon Minkowski Pelly) Opéra Paris

Les autres voix sont stylistiquement homogènes avec des nuances en couleurs bien différenciées, que ce soit la noblesse de belle facture de Nahuel di Pierro en Cithéron, le Mercure aux aigus piqués de Reinoud Van Mechelen, ou bien l’assise résonnante et métallique de Jean Teitgen en Jupiter. Et on pourrait même confondre l’Amour de Tamara Bounazou et La Folie de Julie Fuchs tant leurs teintes de voix sont proches.

Enfin, après avoir obtenu le premier prix du Concours des Grandes voix lyriques d’Afrique au printemps de cette année, Adriana Bignagni Lesca fait ses débuts sur la scène Garnier dans une incarnation de Junon débordante d’opulence animale, un portrait fort et indomptable de la déesse jalouse.

Ching-Lien Wu entourée des choeurs

Ching-Lien Wu entourée des choeurs

D’une présence enthousiaste et d’un brillant riche modulé par des élans d’ensemble enchanteurs, les chœurs sont une composante resplendissante de cette réussite musicale à laquelle les jeunes Musiciens du Louvre et leur chef, Marc Minkowski, délivrent une vigueur métallochromique et une rigueur acérée dont la tonicité se marie avantageusement à la théâtralité délurée mais précise de Laurent Pelly.

Nahuel di Pierro, Jean Teitgen, Lawrence Brownlee, Marc Minkowski, Julie Fuchs, Reinoud Van Mechelen et les Musiciens du Louvre

Nahuel di Pierro, Jean Teitgen, Lawrence Brownlee, Marc Minkowski, Julie Fuchs, Reinoud Van Mechelen et les Musiciens du Louvre

Voir les commentaires

Publié le 11 Août 2021

Die Meistersinger von Nürnberg (Richard Wagner – 1868)
Représentations du 01 et 09 août 2021
Festival de Bayreuth

Hans Sachs Michael Volle
Veit Pogner Georg Zeppenfeld
Kunz Vogelgesang Tansel Akzeybek
Konrad Nachtigal Armin Kolarczyk
Sixtus Beckmesser Bo Skovhus, Johannes Martin Kränzle
Fritz Kothner Werner Van Mechelen
Balthasar Zorn Martin Homrich
Ulrich Eisslinger Christopher Kaplan
Augustin Moser Ric Furman
Hermann Ortel Raimund Nolte
Hans Schwarz Andreas Hörl
Hans Foltz Timo Riihonen
Walther von Stolzing Klaus Florian Vogt
David Daniel Behle
Eva Camilla Nylund
Magdalene Christa Mayer
Ein Nachtwächter Günther Groissböck

Direction musicale Philippe Jordan                                        Philippe Jordan
Mise en scène Barrie Kosky (2017)
Orchester der Bayreuther Festspiele

Bien que les éditions 2017 et 2018 de cette magnifique production aient été abondamment commentées ici même, il est impossible de ne pas parler à nouveau succinctement des Meistersinger mis en scène par Barry Kosky, tant l’interprétation donnée en août 2021 semble avoir atteint un sommet insurpassable.

Klaus Florian Vogt (Walther von Stolzing)

Klaus Florian Vogt (Walther von Stolzing)

Même si l’on ne retrouve pas cette année les joyeux chiens dans le tableau d’ouverture, ce premier acte joué dans le salon reconstitué de la villa Wahnfried est toujours aussi haut en couleurs, et semble redonner vie au tableau de Friedrich Georg Papperitz « Richard Wagner à Bayreuth » de 1882, l’année de création de Parsifal qui sera dirigé par Herman Lévi dès sa première représentation.

Les multiples visages de Wagner sont diffractés à travers les différents personnages, Sachs, Walther et David, et l’ensemble des chanteurs se livrent à un jeu de théâtre étourdissant dans un espace quelque peu restreint. Tout est magnifique, les costumes, l’ameublement de la bibliothèque, les attitudes caricaturales, et l’attention se porte particulièrement sur le personnage de Beckmesser, puisque Barrie Kosky lui fait prendre toutes les mauvaises attitudes pour projeter en lui l’antisémitisme que dissimule l’ouvrage.

« Richard Wagner à Bayreuth » de Friedrich Georg Papperitz (1882) - De gauche à droite, au premier rang : Siegfried et Cosima Wagner, Amalie Materna, Richard Wagner. Derrière eux : Franz von Lenbach, Emile Scaria, Fr. Fischer, Fritz Brand, Herman Lévi. Puis Franz Liszt, Han Richter, Franz Betz, Albert Niemann, la comtesse Schleinitz, la comtesse Usedom et Paul Joukowsky.

« Richard Wagner à Bayreuth » de Friedrich Georg Papperitz (1882) - De gauche à droite, au premier rang : Siegfried et Cosima Wagner, Amalie Materna, Richard Wagner. Derrière eux : Franz von Lenbach, Emile Scaria, Fr. Fischer, Fritz Brand, Herman Lévi. Puis Franz Liszt, Han Richter, Franz Betz, Albert Niemann, la comtesse Schleinitz, la comtesse Usedom et Paul Joukowsky.

Le second acte se déroule après la seconde guerre mondiale, la villa Wahnfried a été détruite, et les restes de la villa sont rassemblés dans un coin de la pièce. Un jeu de correspondance est alors établi entre, d’une part, le marteau de cordonnier de Sachs et le podium de chant, et, d’autre part, un marteau de juge et une barre de tribunal.

Dans cette partie, le jeu irrésistible dévolu à Beckmesser pour particulariser la figure juive qu’il représente s’achève en une bastonnade et une envahissante image parodique qui ne manque jamais de faire réagir les spectateurs. Johannes Martin Kränzle était souffrant pour les deux premières représentations et fut remplacé par Bo Skovhus qui s’en est bien sorti malgré l’impréparation, mais à son retour, le 09 août, il s’est à nouveau livré à un formidable jeu de scène fluide et dansant, usant d’intonation vocales claires et fulgurantes.

Michael Volle est évidemment toujours aussi impressionnant, un acteur d’une force naturelle unique alliée à un pouvoir vocal charismatique au beau délié d’un timbre qui peut se parer de velours comme se couvrir d’une écorce de roc.

Et Günther Groissböck est un veilleur de nuit de luxe, noir et inquiétant comme pour annoncer le triste final qui se prépare.

Michael Volle (Hans Sachs)

Michael Volle (Hans Sachs)

Quant au troisième acte, il se déroule au tribunal de Nuremberg, et Klaus Florian Vogt atteint son point culminant car depuis plus de 15 ans il parfait les clartés dorées de sa voix qui s’amplifient dans la salle du Palais des Festivals comme si celle-ci n’avait été conçue que pour mettre en valeur ce qu’elles ont de si surnaturel. Il y a chez lui un mélange de tendresse et de majesté inaccessible qui s’ennoblissent, et il a le souffle pour surpasser les tensions aigues de l’écriture musicale pour retrouver l’état poétique des susurrements intimes. Une interprétation merveilleuse finemenent maîtrisée.

En Pogner, Georg Zeppenfeld fait ressentir sa douce bienveillance habituelle, Daniel Behle dépeint brillamment l’impulsivité de David, et Camilla Nylund apporte une délicieuse touche de plénitude et d’espièglerie tout en maintenant Eva dans une posture digne. L’apparition de Werner Van Mechelen fait également ressortir le caractère bonhomme et impactant de Kothner.

Philippe Jordan

Philippe Jordan

Dans la fosse d’orchestre - des musiciens de l'orchestre de l'Opéra national de Paris font partie de la formation du Festival de Bayreuth auprès des meilleurs musiciens allemands -, Philippe Jordan est absolument merveilleux. Il magnifie le souffle épique des paysages sonores par des impressions de profondeur et une sculpture complexe des nervures orchestrales brillantes et légères.

Une poésie luminescente s'exhale à chaque instant, des réminiscences brucknériennes s'entendent parfois, et l'on peut vivre à plusieurs reprises comme d’extraordinaires levers de soleil, des bruissements des feuillages de forêts romantiques, une coloration dense et foisonnante avec laquelle on voudrait vivre indéfiniment.

Klaus Florian Vogt (Walther von Stolzing), Eberhard Friedrich (Chef de Choeur) et Johannes Martin Kränzle (Beckmesser)

Klaus Florian Vogt (Walther von Stolzing), Eberhard Friedrich (Chef de Choeur) et Johannes Martin Kränzle (Beckmesser)

Voir les commentaires

Publié le 2 Octobre 2019

Don Carlos (Giuseppe Verdi – 1886)
Représentation du 28 septembre 2019
Opera Vlaanderen – Anvers

Don Carlos Leonardo Capalbo
Élisabeth de Valois Mary Elizabeth Williams
Philippe II Andreas Bauer Kanabas
Rodrigue Kartal Karagedik
La princesse Eboli Raehann Bryce-Davis
Le Grand Inquisiteur Roberto Scandiuzzi
Un moine (Charles V) Werner Van Mechelen
Thibault, une voix céleste Annelies Van Gramberen
Le comte de Lerme, un héraut royal Stephan Adriaens

Direction musicale Alejo Pérez
Mise en scène Johan Simons  (2019)

Coproduction Opera Wrocławska

                                                                                                 Andreas Bauer Kanabas (Philippe II)

Parmi la trentaine de productions de Don Carlo qui seront données en Europe au cours de la saison 2019/2020, de Vienne à Londres en passant par Nuremberg, Moscou, Paris, Stuttgart, Venise, Francfort, Athènes, Liège, Essen, Salzbourg, Sofia, Munich et Dresde, pour ne citer qu’elles, celle de l’Opéra des Flandres est l’une des rares qui soit chantée dans sa langue originale française.

Leonardo Capalbo (Don Carlos)

Leonardo Capalbo (Don Carlos)

Ce n’est cependant pas la version 5 actes de la création parisienne de 1867, composée à partir du livret de Joseph Méry et Camille du Locle, qui est jouée sur la scène flamande, mais la version 5 actes de Modène 1886, basée sur le texte révisé par Charles Nuitter en 1884, née du remaniement par Verdi de sa propre partition pour la création à la Scala de Milan peu avant le coup d’éclat d’Otello.

On peut être surpris du choix de la langue française, habituellement c’est la traduction en italien par Angelo Zanardini qui est interprétée sur les scènes internationales, car il est difficile de trouver des chanteurs capables de rendre justice à la langue native de l’ouvrage. Mais à l’écoute de cette version qui propose une interprétation scénique psychanalytique en faisant de Don Carlos un enfant qui rejoue mentalement son drame, les intonations perdent de la véhémence de la langue italienne, ce qui accentue l’expression dépressive du chant. L’atténuation de la lisibilité du texte est donc contrebalancée par le fond mélancolique qui teinte tous les tableaux.

Werner Van Mechelen (Un moine)

Werner Van Mechelen (Un moine)

Globalement, l’ensemble de la distribution manque de précision de diction, hormis dans la voix d’Andreas Bauer Kanabas, qui compose un Philippe II intelligible, sévère mais aux failles sensibles, ainsi que dans l’interprétation du moine d’une très grande clarté par Werner Van Mechelen, et de Stephan Adriaens qui dresse une stature presque surnaturelle du comte de Lerme et du héraut royal.

Leonardo Capalbo est familier de la langue française, il a chanté Hoffmann à Londres, mais son naturel vaillant avec beaucoup d’ouverture privilégie l’impact à la souplesse et au caractère feutré du chant de Don Carlos.

La mise en scène lui faisant jouer un personnage malade et quasi-autiste du début à la fin, sa capacité à incarner un être dans toute sa complexité et qui évolue face aux épreuves n’est pas véritablement mise en valeur non plus.

Don Carlos (Capalbo-Williams-Bauer Kanabas-Karagedik-Bryce-Davis-Pérez-Simons) Anvers

Mary Elizabeth Williams s’en sort mieux du fait qu’elle fait d’Elisabeth une femme moderne et forte, malgré la fragilité induite par son mariage contraint avec Philippe II, et qu’elle peut compter sur les irisations de sa voix pour toucher la sensibilité de chacun.  Cependant, les accents perçants prennent le dessus sur la profondeur et l’ampleur impériale.

Fortement affaibli par le manque de contraste dans le chant de Kartal Karagedik, assourdi par la langue de Molière, Rodrigue reste trop en retrait, mais Raehann Bryce-Davis qui, de son chant palpitant aux mille reflets minéraux, imprime une Chanson du Voile aux coloratures un peu trop vite expédiées, ancre solidement son tempérament de feux dans une incarnation qui atteint son sommet au O Don Fatale immanquablement ardent.

Réduit à une entrée piteuse, Roberto Scandiuzzi n’arrive à rendre de l’Inquisiteur qu’un portrait usé qui ne peut inquiéter le Roi.

Raehann Bryce-Davis (La princesse Eboli)

Raehann Bryce-Davis (La princesse Eboli)

Le public de l’opéra des Flandres est habitué à des lectures psychologiques proches de l’absurde, à l’instar du Roi Candaule joué en 2016, et sans préjugé on peut adhérer au dépouillement de Johan Simons  qui recrée, sur une scène souvent nue, les passages de la vie de Don Carlos vécues depuis son lit d’hôpital, et qui fait apparaître et disparaitre en fond de scène des paysages de Flandres vallonnés ou de jardins royaux d’une très belle épure pastelle.

Et quand ceux-ci s’effacent, apparaît le chœur vêtu de costumes flamands fantasmés, et même toutes sortes de symboles architecturaux de la ville qui envahissent la chambre du malade au moment de la scène d’autodafé.
On remarque également l’inversion entre l’acte I et le premier tableau de l'acte II, artifice destiné à placer d’emblée Don Carlos en position dépressive avant de rejouer toute son histoire.

Ces références récurrentes aux couleurs des Flandres semblent ainsi comme destinées à rapprocher avec plus d’évidence l’histoire de Don Carlos du cœur de son public.

Mary Elizabeth Williams (Élisabeth de Valois)

Mary Elizabeth Williams (Élisabeth de Valois)

Le chœur, voilé en première partie, gagne en cohésion pour finir sur une attitude indicative et frontale d’une très grande force face aux spectateurs, grand moment d’emphase avec l’orchestre qui, sous la direction d’Alejo Pérez, aura été tout au long de la soirée le premier acteur du drame, enflant et débordant même les chanteurs, afin de décrire une trame historique noire, envahissante, assombrie même par les cuivres ronflants tapis dans l’ombre. L’impression domine d’une lecture d’ensemble théâtrale et inhabituelle qui paraît surdimensionnée face à l’absence de grandiose et au recueil intime de l’interprétation scénique.

Voir les commentaires

Publié le 24 Avril 2018

Lohengrin (Richard Wagner)
Représentation du 22 avril 2018
Théâtre Royal de La Monnaie de Bruxelles

Heinrich der Vogler Gabor Bretz
Lohengrin Éric Cutler
Elsa von Brabant Ingela Brimberg
Friedrich von Telramund Andrew Foster-Williams
Ortrud Elena Pankratova
Heerrufer Werner van Mechelen

Direction musicale Alain Altinoglu
Mise en scène Olivier Py (2018)

Coproduction Opera Australia, Capitole de Toulouse

                                                                                        Elena Pankratova (Ortrud)

Deuxième spectacle d'Olivier Py à La Monnaie de Bruxelles cette saison, quelques mois après un Dialogues des Carmélites encensé par le public, Lohengrin est également le quatrième opéra de Richard Wagner qu'il met en scène, un sujet qui lui permet de s’identifier à la condition de l’artiste comme ce fut le cas pour Le Vaisseau Fantôme et Tannhäuser.

Éric Cutler (Lohengrin), Elena Pankratova (Ortrud) et Andrew Foster-Williams (Telramund)

Éric Cutler (Lohengrin), Elena Pankratova (Ortrud) et Andrew Foster-Williams (Telramund)

Et dans cette œuvre, ainsi qu'il le livre au public juste avant de débuter la représentation, le rapport de l'artiste au pouvoir l'intéresse tout particulièrement dans le contexte extrême de l'instrumentalisation du Romantisme Allemand par le National-Socialisme.

Il montre cela à partir d'un imposant décor de théâtre endommagé par les éclats des bombes qui s'abattirent pendant la Seconde Guerre mondiale, installation qui pivote sur un axe central afin de fluidifier l'enchaînement des différents tableaux, le chœur étant éclaté dans les multiples alcôves.

Plusieurs figures artistiques païennes récupérées par les Nazis, tel le Soleil noir inspiré de l'imagination mérovingienne, sont ostensiblement brandies au cours du spectacle.

Gabor Bretz (Heinrich der Vogler)

Gabor Bretz (Heinrich der Vogler)

Les changements de configuration du plateau, les éclairages crépusculaires qui créent une opposition entre le monde sombre des hommes et une lumière céleste diffuse, les contrastes entre le blanc de la pureté et le noir des conspirateurs, évoquent la dichotomie claire qui imprègne le livret de Lohengrin.

Et si certains clichés ne sont pas évités – les toiles peintes représentant la nature idéalisée du romantisme -, l’aboutissement du second acte, qui s’ouvre sur un fond bleu-obscur de ville délabrée se recouvrant d’une pluie de cendres alors que le chœur célèbre l’alliance entre Lohengrin et Elsa, est d’une troublante beauté nocturne.

Éric Cutler (Lohengrin) et la pureté de l'artiste

Éric Cutler (Lohengrin) et la pureté de l'artiste

Et Olivier Py décrit comment, dans un monde divisé par des luttes de pouvoir, un artiste brillant est appelé par une femme innocente, Elsa, afin d’insuffler à ce peuple une aspiration qui le relève de ses propres échecs, et lui permette de dépasser la violence de ses instincts naturels.

La scène du combat entre Lohengrin et Telramund à la fin du premier acte est d’ailleurs une des plus convaincantes interprétations jamais vue, car ce combat est mené de façon totalement intellectuelle par le Chevalier au cours d’une partie d’échecs avec son opposant, alors que ce sont les hommes qui s’affrontent en arrière-plan.

Et le geste de rage de Telramund qui renverse la table de jeu sur un coup de théâtre musical est d’un impact soudainement éloquent.

Éric Cutler (Lohengrin) et Ingela Brimberg (Elsa)

Éric Cutler (Lohengrin) et Ingela Brimberg (Elsa)

Lohengrin est ainsi présenté tout au long de l’opéra comme un être qui refuse toute violence physique, aucun geste brusque n'est porté vis-à-vis d’Elsa malgré sa curiosité maladive, mais qui doit fatalement y avoir recours au moment où Telramund tente de le tuer au milieu d’en ensemble de sculptures symbolisant l’imagination romantique du monde germanique.

Cet acte signe la souillure définitive de l’artiste au contact du monde humain, ainsi que son incompatibilité avec les luttes politiques – ce qu’Olivier Py signifie en lui faisant refuser tout un tas de couronnes au moment où il chante au dernier acte la gloire du Graal et de sa couronne divine -, et l’échec de son instrumentalisation.

Il ne peut donc rester dans ce monde incarné, et laisse avant de partir un jeune corps sans vie comme héritier du Brabant.

Elena Pankratova (Ortrud)

Elena Pankratova (Ortrud)

Le trait est sans doute appuyé et réducteur par rapport à tout ce que l’œuvre de Wagner contient en contradictions – on pourrait en effet porter un regard moins complaisant sur Lohengrin et montrer ce qu’il y a de tordu en Elsa dans ses marques de défiances -, mais ce traitement conflictuel qui renvoie finalement l’Art à lui-même laisse pensif et permet d’alimenter une réflexion en filigrane dans un temps qui va dépasser la simple durée du spectacle.

Et Olivier Py a de la chance, car il doit composer avec des interprètes, un chœur et un orchestre qui s’impliquent totalement dans cette vision théâtralement resserrée.

Lohengrin (Cutler-Brimberg-Foster Williams-Pankratova-dm Altinoglu-ms Py) La Monnaie

Le Roi Heinrich de Gabor Bretz a ainsi belle allure, un rayonnement et un relief vocal fermement dirigés, on croit même en l’ambition humaine de son personnage, et il est assisté par un Hérault qui, sous les traits de Werner van Mechelen, renforce la stature volontaire de cette royauté déclinante.

Le plus expressif du plateau est cependant Andrew Foster-Williams qui métamorphose Telramund en un être vif et complexe, loin d’être un simple looser, une richesse d’inflexions qui trahit les humeurs intérieures de son personnage et le bouillonnement de ses contrariétés, avec une voix mordante et sans fard qui lui donne un tranchant dramatique excitant.

On a là un véritable acteur digne des grands rôles shakespeariens, et le Macbeth de Verdi n’est déjà plus très loin.

Le soldat idéaliste, l'alliage de la perfection artistique et de la force

Le soldat idéaliste, l'alliage de la perfection artistique et de la force

Elena Pankratova, elle, dessine une Ortrud aux lignes sensiblement pures et s'attache à préserver l'harmonie d'un chant qui fuse avec précision tout en affichant une détermination qui ne recherche ni l'outrance vériste ni l'exagération théâtrale. Cette modération dans le jeu a ainsi pour effet d'entretenir un équilibre constant au sein du couple qu'elle forme avec Andrew Foster-Williams.

Entre Éric Cutler et Ingela Brimberg l'alliage est moins évident car la soprano suédoise dispose de moyens dramatiques saisissants, une austérité de couleurs qui rendent à Élisabeth la pleine maturité qui tranche avec le portrait lunaire et un peu fade qui en est parfois dressé.

Moins lisse et éthérée que d'autres interprètes, elle exprime surtout une souffrance digne et puissante et une fierté qui atteint et dépasse même la mesure de Lohengrin.

Ingela Brimberg (Elsa)

Ingela Brimberg (Elsa)

Car le ténor américain, avec sa solide carrure de joueur de Rugby, affirme mesure et simplicité en toutes circonstances, chante d'un timbre ocreux le rayonnement du cœur, renforcé par le personnage présent mais non dominant qu'il lui est demandé de jouer.

Mais ces artistes ne seraient pas si farouchement galvanisés s'il n'y avait la direction formidablement théâtrale d'Alain Altinoglu. L'osmose et l'allant vers les chanteurs et le chœur sont une de ses lignes de force, et il tire des musiciens une énergie violente soutenue par la puissance élancée et tellurique des cuivres qui submerge à plusieurs reprises la fosse.

Ingela Brimberg, Éric Cutler, Alain Altinoglu, Olivier Py, Elena Pankratova, Gabor Bretz

Ingela Brimberg, Éric Cutler, Alain Altinoglu, Olivier Py, Elena Pankratova, Gabor Bretz

Certes, moins de motifs mystérieux et insaisissables ne se perçoivent que dans d'autres interprétations plus transparentes, cependant, les ensembles de cordes réservent de très beaux moments généreux, et le corps pulsant de l'orchestre révèle une capacité ensorcelante à happer l'auditeur au delà de ce qui se joue sur scène.

Et avec un chœur capable d'emplir tout autant la salle de son élégie vigoureuse, l'enthousiasme du public est à son comble et augure d'un Tristan und Isolde  intense la saison prochaine.

Voir les commentaires

Publié le 22 Avril 2013

Parsifal (Richard Wagner)
Représentation du 20 avril 2013
Vlaamse Opéra Gent

Amfortas Werner Van Mechelen
Gurnemanz Georg Zeppenfeld
Klingsor Robert Bork
Kundry Susan Maclean
Parsifal Zoran Todorovich
Titurel Jaco Huijpen

Mise en scène Tatjana Gürbaca

Direction musicale Eliahu Inbal
Symfonisch Orkest van de Vlaamse Opera
Koor & Kinderkoor van de Vlaamse Opera

                                                                                                          Robert Bork (Klingsor)

 

A Gand (ville natale de Charles Quint et, plus modestement, de Gerard Mortier) se trouve le Château des comtes de Flandre construit par le Comte Philippe d’Alsace lorsque qu'il revint de la seconde croisade (1180).

Il y invita le troubadour Chrétien de Troyes afin d’écrire, pour son fils, un roman d'initiation : "Perceval ou le conte du Graal".
La passage sur le Graal, d’une extrême beauté, est très court (25 vers sur 9000), et le livre est resté inachevé.

Susan Maclean (Kundry)

Susan Maclean (Kundry)

Une fois Perceval entré dans le château du roi Pescheor, un très beau cortège de jeunes filles et de jeunes hommes défile sous ses yeux (avec de magnifiques descriptions des robes, des visages ...) en portant trois symboles : une pierre, le Graal (sorte de coupe) et une lance dont coule du sang.
La beauté de cette vision émerveille tout le monde et est décrite avec beaucoup de sensualité.

Entendre ainsi le Parsifal de Richard Wagner à l’Opéra de Gand est une façon de revenir aux origines médiévales du roman, sur les lieux-mêmes de sa création, et d’y découvrir la nouvelle mise en scène de Tatjana Gürbaca.

Malgré une économie de moyens qui pourrait rebuter les amateurs de pures visions esthétiques, on peut voir dans son travail les signes de la décadence d’un monde dont le pessimisme dépasse le texte de l’œuvre.

Les trois actes sont développés dans la blancheur d’un espace circulaire sur lequel des stries ensanglantées se déversent dès l’ouverture, suivant le fil de la musique.

Werner Van Mechelen (Amfortas)

Werner Van Mechelen (Amfortas)

La tension théâtrale du premier acte repose en grande partie sur le long passage au cours duquel les chevaliers, des hommes en tenues d’aujourd’hui, lavent soigneusement des « Cygnes » transfigurés en jeunes garçons - un culte de la pureté de la jeunesse en laquelle la communauté voit peut-être de futurs héros - et s’extasient devant le sang versé qu’ils prennent sans doute, dans leur folie, pour un signe glorifiant de la présence du Christ.
Ces larmes de sang, qui coulent en dessinant des fissures comme des plaies qui s‘ouvrent indéfiniment, reflètent les plaintes indéfinissables de la musique.

Lors de l’apparition du Graal, l’enfant que porte Kundry en elle est donc accueilli dans un émerveillement béat, pour remplacer le « Cygne » que Parsifal a volontairement tué à son arrivée.

Puis, dans le monde crépusculaire, vieillissant et sordide où vit Klingsor, ne reste que sa relation tendue avec Kundry, et la jeunesse des filles fleurs. La venue de Parsifal pourrait lever un espoir, mais il refuse les avances d’une Kundry présentée comme une femme entière, maternelle. Il préfère verser le sang de sa lance en détruisant le magicien.

Susan Maclean (Kundry)

Susan Maclean (Kundry)

Le dernier acte, malheureusement trop longuement vide jusqu’à l’arrivée d’Amfortas, montre alors une communauté qui lui en veut à mort, car il implore la mise à mort de Titurel. Or, au premier acte, Tatjana Gürbaca identifiait Titurel à la communauté du Graal, en faisant chanter Jaco Huijpen en coulisse et mimer ses paroles par les chevaliers.


Amfortas est donc celui qui a compris dans quelle perdition est son monde, ne souhaite que sa perte, et est tué pour cela par Parsifal, être faible d’esprit et influençable. Kundry offre, dans un dernier geste de sacrifice, son sang à l’avidité maladive des chevaliers, avant de mourir. Puis, l'abruti de Parsifal peut s'armer et être glorifié comme un immense croisé combattant.
 

On peut critiquer cette façon de contourner les difficultés pour extraire de ce drame une vision qui approche le regard personnel de la régisseur sur notre époque, pourtant, il faut reconnaître qu’elle montre comment on peut lui donner une force, malgré les inévitables blancs et un matériau théâtral simple.

Pour soutenir cet ensemble, Eliahu Inbal décline une lecture mélancolique qui alterne de beaux instants de pureté et de finesse, et des enchaînements moins bien liés à la fin du second acte et au début du troisième acte. Il puise la force de l’orchestre dans la noirceur des cordes basses, les couleurs profondes et sombres des cuivres, et la poésie d’instruments délicats comme les hautbois. Les flûtes, elles, paraissent en décalage quand les effets de scintillements constellent la texture orchestrale.
 

                                                                 Zoran Todorovich (Parsifal) et Susan Maclean (Kundry)

 

Georg Zeppenfeld, en permanence aux commandes d‘un fauteuil roulant, livre un impressionnant Gurnemanz, volontaire et avec une énergie de vie poignante. Sa figure est dominante, sa voix très présente.

Il est le personnage le plus fascinant de la représentation avec Susan Maclean, elle qui fut Kundry l‘été dernier à Bayreuth. La mise en scène met en valeur la nature maternelle de celle-ci, ce qui lui convient magnifiquement, car elle peut renvoyer vers la salle le superbe galbe noir de sa voix, et la rondeur d‘un phrasé plein de tendresse.
Elle connait ses faiblesses quand elle doit tenir de puissants aigus, et limite donc au juste nécessaire l’émission dans cette tessiture tendue.

Zoran Todorovich a bien plus de mal à donner crédibilité à son personnage. Il n‘est pas bon comédien, est même exaspérant quand il use trop de ses bras et de ses mains pour ne rien dire, mais retrouve soudainement une unité saisissante à partir du moment où il se remémore violemment, au second acte, la faute d‘Amfortas. Là, il est enfin entier, grave, et plongé dans la prise de conscience.
Son chant est puissant, sincère et expressif dans les graves, mais trop prosaïque pour séduire, ce qui n’est pas contradictoire avec une mise en scène qui ne l’avantage pas.

Susan Maclean (Kundry) et Georg Zeppenfeld (Gurnemanz)

Susan Maclean (Kundry) et Georg Zeppenfeld (Gurnemanz)

L’humaine interprétation d’Amfortas par Werner Van Mechelen est un peu atténuée par la vision permanente du sang sur son torse. Il est pour autant très bien impliqué dans le rapport de force qui l’oppose au chœur des chevaliers, et tient surtout solidement les puissantes exhortations qu’impose son rôle.

Enfin, Robert Bork ravage la salle entière avec son Klingsor monstrueusement sonore, à créer des frissons d‘effroi comme on aime les ressentir.

Les chœurs sont puissants, autant les hommes que les femmes, mais il y a une fraicheur authentique à entendre les enfants se répondre depuis les hauteurs extrêmes des galeries du théâtre, des voix d‘une jeunesse fragile et spontanée naturellement élégiaque qui ne s‘oublient pas.

Voir les commentaires