Résonances kafkaïennes (Quatuor FAMA Víšek Krejčík Verhoeven) Goethe Institut
Publié le 29 Avril 2024
Vojtěch Saudek (1951-2003) – Erwin Schulhoff (1894-1942) – Paul Hindemith (1895-1963) - Jan Krejčík (1970)
Concert du 23 avril 2024
Goethe Institut, 17 avenue Iena, Paris 16
Vojtěch Saudek
Quatuor à cordes n°2 (1989)
Erwin Schulhoff
11 inventions, op.36 (1921)
Paul Hindemith
Quatuor à cordes 7/6 (1945)
Jan Krejčík
Sur trois poèmes de Paul Celan pour mezzo-soprano, piano et quatuor à cordes (2024)
FAMA Quartet - David Danel et Roman Hranička (violons), Ondřej Martinovský (alto) et Balázs Adorján (violoncelle)
Tomáš Víšek piano
Marie Kopecká Verhoeven mezzo-soprano
Jan Krejčík direction
En hommage au centenaire de la disparition de l’écrivain juif tchèque Franz Kafka, le 03 juin 1924, le Goethe Institut présente en partenariat avec le Centre tchèque de Paris, sur une scène poétiquement baignée d'un beau bleu luminescent, un concert consacré au destin des familles post-Kafka, dont les vies ont été bouleversées par l’histoire tragique des années 30 et la Seconde Guerre mondiale.
Le mardi 11 décembre 1990 à 18h30, dans le cadre d’une soirée intitulée ‘Musique à Terezin’, en mémoire du camp de concentration où furent déportés, au nord de Prague, un certain nombre de compositeurs tchèques, Radio France confia une carte blanche à Vojtěch Saudek, petit neveu de Kafka par sa mère, au cours de laquelle le Quatuor Martinu créa son second quatuor à cordes.
Ce soir, le quatuor praguois FAMA, que l’on a pu entendre la veille au Centre tchèque de Paris au cours d’une soirée dédiée aux compositeurs contemporains, interprète ce quatuor méditatif aux sons ténus qui se développent en entrecroisements complexes de traits vifs et insaisissables.
Les résonances des instruments ont un caractère très pictural - la matière boisée se ressentant fortement -, et cette énergie virevoltante et très piquée renvoie à des sentiments nostalgiques, sans fard et très intimes. Les pensées du compositeur sont en fait tournées vers ses grands parents qu’il ne connut jamais, mais dont il récupéra des lettres décrivant leurs impressions sensibles.
Puis Tomáš Víšek, pianiste tchèque né en 1957 et inspiré par l’excès de pathos de la pianiste soviétique Valentina Kameníková (1930-1989), prend seul possession de la scène pour emmener le public dans l’univers d’Erwin Schulhoff, pianiste juif praguois qui ne fut plus joué en Allemagne dès les années 30, et qui fut arrêté au moment de la rupture du pacte germano-soviétique et mis au camp de prisonnier de Würzburg, où il mourut en 1942 à l’âge de 48 ans.
Ses ‘11 inventions’ de 1921 sont dédiées à Maurice Ravel, et Tomáš Víšek les restitue avec beaucoup d’intensité en chargeant le son de noirceur et de gravité saisissantes, tout en ayant un jeu d’un allant direct et radical. La profondeur de son attachement à cette musique se lit dans son visage fort, bien qu'il limite ses expressions au cours de l’interprétation.
FAMA Quartet - David Danel et Roman Hranička (violons), Ondřej Martinovský (alto) et Balázs Adorján (violoncelle)
Paul Hindemith, Allemand, fut lui aussi marqué par la montée du nazisme et dut s’exiler aux États-Unis.
Le quatuor FAMA revient pour jouer son dernier quatuor à cordes composé à la fin de la Seconde Guerre mondiale. On retrouve une écriture plus douce et joyeuse, mais incarnée par la rusticité des tessitures des cordes d’un virtuosité très assurée.
Enfin, le dernier moment de ce riche concert est dédié à Paul Celan, un des plus grands poètes de langue allemande d’après-guerre, né à Tchernivtsi (Ukraine), qui passa par un camp de travail forcé, après le décès de ses parents en camp d’internement.
Jan Krejčík a composé en sa mémoire une pièce sur trois de ses poèmes qui convoque quatuor à cordes, piano et mezzo-soprano.
Tous les artistes se retrouvent sur scène, y compris le compositeur en tant que directeur de l’ensemble, et la musique combine très étroitement la rythmique saccadée des cordes, d’une part, et la liquidité du toucher du piano, d’autre part, selon une évolution graduelle et continue qui rappelle beaucoup les compositions minimalistes et répétitives du compositeur américain John Adams.
Marie Kopecká Verhoeven y adjoint son timbre de mezzo aux vibrations agiles, afin de mêler une voix humaine à ce flux électrique et effervescent qui s'arrête, finalement, sur une rupture nette et abrupte.
Marie Kopecká Verhoeven, Tomáš Víšek, David Danel, Roman Hranička, Ondřej Martinovský, Balázs Adorján et Jan Krejčík
Une expérience sonore qui trouve son unité dans un esprit de mémoire sans mettre à l’écart une vraie joie ludique, et qui laisse place, à travers toutes ces compositions, à un imaginaire fortement en éveil.