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Publié le 29 Avril 2024

Vojtěch Saudek (1951-2003) – Erwin Schulhoff (1894-1942) – Paul Hindemith (1895-1963) - Jan Krejčík (1970)
Concert du 23 avril 2024
Goethe Institut, 17 avenue Iena, Paris 16

Vojtěch Saudek
Quatuor à cordes n°2 (1989)

Erwin Schulhoff
11 inventions, op.36 (1921)

Paul Hindemith
Quatuor à cordes 7/6 (1945)

Jan Krejčík
Sur trois poèmes de Paul Celan pour mezzo-soprano, piano et quatuor à cordes (2024)

FAMA Quartet - David Danel et Roman Hranička (violons), Ondřej Martinovský (alto) et Balázs Adorján (violoncelle)
Tomáš Víšek piano
Marie Kopecká Verhoeven mezzo-soprano
Jan Krejčík direction

En hommage au centenaire de la disparition de l’écrivain juif tchèque Franz Kafka, le 03 juin 1924, le Goethe Institut présente en partenariat avec le Centre tchèque de Paris, sur une scène poétiquement baignée d'un beau bleu luminescent, un concert consacré au destin des familles post-Kafka, dont les vies ont été bouleversées par l’histoire tragique des années 30 et la Seconde Guerre mondiale.

Marie Kopecká Verhoeven, David Danel, Jan Krejčík et Roman Hranička

Marie Kopecká Verhoeven, David Danel, Jan Krejčík et Roman Hranička

Le mardi 11 décembre 1990 à 18h30, dans le cadre d’une soirée intitulée ‘Musique à Terezin’, en mémoire du camp de concentration où furent déportés, au nord de Prague, un certain nombre de compositeurs tchèques, Radio France confia une carte blanche à Vojtěch Saudek, petit neveu de Kafka par sa mère, au cours de laquelle le Quatuor Martinu créa son second quatuor à cordes.

Ce soir, le quatuor praguois FAMA, que l’on a pu entendre la veille au Centre tchèque de Paris au cours d’une soirée dédiée aux compositeurs contemporains, interprète ce quatuor méditatif aux sons ténus qui se développent en entrecroisements complexes de traits vifs et insaisissables. 

Les résonances des instruments ont un caractère très pictural - la matière boisée se ressentant fortement -, et cette énergie virevoltante et très piquée renvoie à des sentiments nostalgiques, sans fard et très intimes. Les pensées du compositeur sont en fait tournées vers ses grands parents qu’il ne connut jamais, mais dont il récupéra des lettres décrivant leurs impressions sensibles.

Tomáš Víšek (11 inventions, op.36 d'Erwin Schulhoff)

Tomáš Víšek (11 inventions, op.36 d'Erwin Schulhoff)

Puis Tomáš Víšek, pianiste tchèque né en 1957 et inspiré par l’excès de pathos de la pianiste soviétique Valentina Kameníková (1930-1989), prend seul possession de la scène pour emmener le public dans l’univers d’Erwin Schulhoff, pianiste juif praguois qui ne fut plus joué en Allemagne dès les années 30, et qui fut arrêté au moment de la rupture du pacte germano-soviétique et mis au camp de prisonnier de Würzburg, où il mourut en 1942 à l’âge de 48 ans.

Ses ‘11 inventions’ de 1921 sont dédiées à Maurice Ravel, et Tomáš Víšek les restitue avec beaucoup d’intensité en chargeant le son de noirceur et de gravité saisissantes, tout en ayant un jeu d’un allant direct et radical. La profondeur de son attachement à cette musique se lit dans son visage fort, bien qu'il limite ses expressions au cours de l’interprétation.

FAMA Quartet - David Danel et Roman Hranička (violons), Ondřej Martinovský (alto) et Balázs Adorján (violoncelle)

FAMA Quartet - David Danel et Roman Hranička (violons), Ondřej Martinovský (alto) et Balázs Adorján (violoncelle)

Paul Hindemith, Allemand, fut lui aussi marqué par la montée du nazisme et dut s’exiler aux États-Unis.

Le quatuor FAMA revient pour jouer son dernier quatuor à cordes composé à la fin de la Seconde Guerre mondiale. On retrouve une écriture plus douce et joyeuse, mais incarnée par la rusticité des tessitures des cordes d’un virtuosité très assurée.

Marie Kopecká Verhoeven et David Danel

Marie Kopecká Verhoeven et David Danel

Enfin, le dernier moment de ce riche concert est dédié à Paul Celan, un des plus grands poètes de langue allemande d’après-guerre, né à Tchernivtsi (Ukraine), qui passa par un camp de travail forcé, après le décès de ses parents en camp d’internement.

Jan Krejčík a composé en sa mémoire une pièce sur trois de ses poèmes qui convoque quatuor à cordes, piano et mezzo-soprano.

Tous les artistes se retrouvent sur scène, y compris le compositeur en tant que directeur de l’ensemble, et la musique combine très étroitement la rythmique saccadée des cordes, d’une part, et la liquidité du toucher du piano, d’autre part, selon une évolution graduelle et continue qui rappelle beaucoup les compositions minimalistes et répétitives du compositeur américain John Adams

Marie Kopecká Verhoeven y adjoint son timbre de mezzo aux vibrations agiles, afin de mêler une voix humaine à ce flux électrique et effervescent qui s'arrête, finalement, sur une rupture nette et abrupte.

Marie Kopecká Verhoeven, Tomáš Víšek, David Danel, Roman Hranička, Ondřej Martinovský, Balázs Adorján et Jan Krejčík

Marie Kopecká Verhoeven, Tomáš Víšek, David Danel, Roman Hranička, Ondřej Martinovský, Balázs Adorján et Jan Krejčík

Une expérience sonore qui trouve son unité dans un esprit de mémoire sans mettre à l’écart une vraie joie ludique, et qui laisse place, à travers toutes ces compositions, à un imaginaire fortement en éveil.

Jan Krejčík et Marie Kopecká Verhoeven

Jan Krejčík et Marie Kopecká Verhoeven

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Publié le 30 Novembre 2016

Cavalleria Rusticana / Sancta Susanna (Pietro Mascagni / Paul Hindemith)
Répétition du 26 novembre 2016 et représentation du 03 décembre 2016

Opéra Bastille

Cavalleria Rusticana (1890)
Production de la Scala de Milan (2011)
Santuzza Elena Zhidkova (le 26) Elina Garanca (le 03)
Turiddu Yonghoon Lee
Lucia Elena Zaremba
Alfio Vitaliy Bilyy
Lola Antoinette Dennefeld

Sancta Susanna (1922)
Nouvelle production
Susanna Anna Caterina Antonacci
Klementia Renée Morloc
Alte Nonne Sylvie Brunet-Grupposo
Die Magd Katharina Crespo
Ein Knecht Jeff Esperanza

Direction Musicale Carlo Rizzi
Mise en scène Mario Martone
Chœur et orchestre de l’Opéra National de Paris     
 Antoinette Dennefeld (Lola)

Comment et pourquoi réunir deux œuvres qui n’ont absolument rien à voir ? 
La première, Cavalleria Rusticana, est née d’un concours organisé par un éditeur italien, Sonzogno, désireux de concurrencer les éditeurs de Verdi, Puccini et Wagner.  Dès sa création à Rome, en 1880, l’opéra en un acte de Pietro Mascagni redéfinit un genre, le Vérisme.

Elena Zhidkova (Santuzza) - 26 novembre, Bastille

Elena Zhidkova (Santuzza) - 26 novembre, Bastille

La seconde, Sancta Susanna, est le dernier volet d’un triptyque érotique composé par Paul Hindemith, en 1921, dans une logique de provocation de la morale sexuelle bourgeoise, tout en restant fidèle au principe de tonalité. Cette dernière composition, née des fantasmes d’un jeune homme de 26 ans, fut jugée si choquante que l’Association des femmes catholiques de Frankfort réclama des dommages et intérêts.

La scénographie imaginée par Mario Martone pour Cavalleria Rusticana, en 2011, à la Scala de Milan, offre naturellement un élément commun aux deux opéras, un grand Christ en croix.

Le choeur

Le choeur

Elle est en apparence décevante, car l’ouverture est jouée face au grand rideau noir, même pendant l’air de Turiddu, et parce qu’elle se démarque par l’absence de références visuelles au pittoresque de la campagne sicilienne. Le lent déplacement d’une maison close, le temps d’une minute ou deux, témoigne cependant d’une volonté d’utiliser principalement l’espace vide et sombre de la scène pour renforcer l’impression d’isolement et d’opposition de Santuzza par rapport à la communauté de son village. Pendant l'office de Pâques, la jeune paysanne est en effet tournée vers le public, dos à la cérémonie,

Par sa présence, le chœur, assis au centre de la scène sur plusieurs rangées de chaises, magnifique et impressionnant de force et de détermination, induit une pression sociale qui cherche à la contraindre à renoncer à sa passion humaine afin de revenir vers Dieu. 

Elena Zaremba (Lucia)

Elena Zaremba (Lucia)

Mais malgré le plateau totalement nu, l’échange final entre Turiddu et sa mère en est poignant de désolation. On croirait alors, après le meurtre du jeune homme, que c’est le peuple lui-même, marchant lentement vers l'avant-scène, qui l’a éliminé afin de ramener le calme parmi les habitants.

Mario Martone a choisi le dépouillement théâtral, certes, mais il a travaillé les éclairages de façon à créer des clairs obscurs et des nuages d’ombres comme dans les tableaux du Caravage.

Yonghoon Lee (Turiddu)

Yonghoon Lee (Turiddu)

Yonghoon Lee, en Turiddu, est un ténor d’une solidité infaillible, très assuré, mais ancré dans une attitude si dure et noire qu’il ne laisse place à aucune nuance de compassion. Il n'en est pas moins touchant tant ses appels drainent un sentiment de désespérance fatale.

A l’inverse, Antoinette Dennefeld, en Lola, laisse transparaître un galbe pulpeux et séducteur que l’on retrouvera dans le rôle de Mercédès lors des représentations de Carmen prévues en seconde partie de saison.

Yonghoon Lee (Turiddu) et Elena Zhidkova (Santuzza) - le 26 novembre, Bastille

Yonghoon Lee (Turiddu) et Elena Zhidkova (Santuzza) - le 26 novembre, Bastille

Lucia tourmentée, Elena Zaremba évoque aussi la puissance de l’autorité maternelle à laquelle répond la théâtralité froide et tragique d’Elena Zhidkova. Le regard noir, la torpeur amoureuse dépourvue d’espoir, la volonté de ne rien masquer du cauchemar qu’elle vit, la soprano russe restitue tous ces sentiments terribles sans verser dans le mélodrame, une fascinante leçon de présence.

On ne peut alors qu'admirer la différence de perception scénique avec celle qui interprète également, en alternance, le rôle de Santuzza, Elina Garanca. Le timbre de la mezzo-soprano lettone a en effet le même pouvoir de séduction que la grande mezzo américaine des années 70/80, Shirley Verrett.

Elena Zaremba (Lucia) et Elina Garanca (Santuzza) - 03 décembre, Bastille

Elena Zaremba (Lucia) et Elina Garanca (Santuzza) - 03 décembre, Bastille

Aigus royaux, dramatisme et volupté des graves, sentiment d'une totalité vocale impressionnante, ses attitudes corporelles prolongent aussi de façon plus conventionnelle les tensions intérieures de l'héroïne. Sur ce dernier point, Elena Zhidkova, telle une bête blessée, apparaît plus névrosée et tendue vers une personnalité au bord du gouffre, ce qui est aussi très poignant à voir et à entendre.

Et Vitaliy Bilyy, en Alfio, complète cette distribution franche et sans concession, par une prestance fière, d’un impeccable aplomb.

Engagé dans une direction orchestrale vive, non dépourvue de tonitruances, et modérée dans ses effets de pathos, Carlo Rizzi n’en mène pas moins l’ensemble des artistes vers un engagement scénique assez galvanisant, qui va se déployer plus largement en seconde partie de soirée.

Anna Caterina Antonacci (Susanna)

Anna Caterina Antonacci (Susanna)

Car après le vide de cet espace immense qui fait ressentir l’absence intérieure laissée dans l’âme de Santuzza, les 25 minutes de Sancta Susanna vont nous faire vivre un choc comparable à un condensé d’Elektra. Décor cette fois évocateur d’une petite cellule d’un couvent éclairée par une toute petite fenêtre et une lueur interne à la pièce, l’échange initial entre Klementia et Susanna, qui se déroule selon un mode conventionnel, laisse place à la rencontre entre la jeune sœur et une jeune femme, la montée d’un désir trouble qui prend soudainement une dimension totalement fantastique.

Anna Caterina Antonacci (Susanna)

Anna Caterina Antonacci (Susanna)

Eclatement du costume religieux d'Anna Caterina Antonacci, voix sidérante de couleurs sensibles au timbre inimitable, exaltation d’une poitrine que les éclairages érotisent tout en préservant la pudeur de cette scène de libération, danse sensuelle d’une actrice nue sur le corps du Christ en croix, ce tableau est si captivant et court, qu'on le vit comme un concentré fantasmatique qui ne laisse aucune place à la raison, d'autant plus qu'il s'achève, à nouveau, par l'effacement de cette vision au regard de la communauté religieuse.

Carlo Rizzi, lui aussi, se libère totalement dans cette musique volcanique, dont il n’est pas dit qu’il nous fasse entendre tous les tressaillements harmoniques, mais qui accentue les traits menaçants à en rendre palpable la présence diabolique sous jacente.

Amples respirations, détails insolites, la musique d'Hindemith est une formidable découverte qui vient s'ajouter au Cardillac, offert à Paris par Gerard Mortier, et à Mathis der Maler, sublimé par la mise en scène d'Olivier Py sous la direction de Nicolas Joel.

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Publié le 16 Novembre 2010

Mathis le Peintre (Hindemith)
Répétition générale du 13 novembre 2010
Opéra Bastille

Albrecht Scott MacAllister
Mathis Matthias Goerne
Ursula Melanie Diener
Regina Martina Welschenbach
Pommersfelden Thorsten Grümbel
Capito Wolfgang Ablinger-Sperrhacke
Riedinger Gregory Reinhart
Schwalb Michael Weinius
Sylvester Eric Huchet
La comtesse de Helfenstein Nadine Weissmann

Direction Musicale Christoph Eschenbach

Mise en scène Olivier Py

Sur fond de Guerre des paysans et de Réforme luthérienne allemande, mouvements majeurs de la période 1524-1526, Mathis der Maler évoque le parcours intellectuel de deux hommes, Matthias Grünewald, peintre de la Renaissance et auteur du Retable d'Issenheim conservé au musée d'Unterlinden de Colmar, et Albert de Brandebourg, archevêque de Mayence et cardinal de l’Eglise catholique.

Le Concert des Anges

Le Concert des Anges

A un moment de la vie où le sens de son art lui échappe, le peintre est si vivement pris de compassion pour le sort du peuple opprimé qu’il décide de le rejoindre dans la lutte.

Inversement, fasciné par l’essence divine qu’il décèle dans l’expression artistique, et qu’il ressent plus ou moins conscient comme hautement légitime, le Cardinal Albert aspire à rejoindre la condition de Matthias.

Matthias Goerne (Mathis le peintre)

Matthias Goerne (Mathis le peintre)

Le livret, écrit par Paul Hindemith, comporte un ensemble de réflexions qui montre les fortes imbrications, à cette époque, entre pouvoir financier, pouvoir militaire et pouvoir religieux, les contradictions entre missions ecclésiastiques et bien être du peuple, l’opposition entre pratique catholique et pratique protestante.

Il nécessite à lui seul une étude à part, car il n’est pas possible de saisir l’ensemble du texte au cours d’une seule représentation.

Avec une recherche de clarté et de force visuelle, Olivier Py s’attaque à un opéra rarement joué dont il réussit à former une imagerie fantastique en entrelaçant l’époque Renaissance du peintre et la période national-socialiste contemporaine du compositeur.

Tableau 3 scène 1 : Gregory Reinhart (Riedinger) et Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Capito)

Tableau 3 scène 1 : Gregory Reinhart (Riedinger) et Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Capito)

Dans un univers ténébreux, les chars, les chiens des officiers nazis et les néons mortels surgissent du noir, répriment toute contestation au cours de la scène la plus violente et la plus expressionniste du quatrième tableau, lorsque les façades délabrées, leurs fenêtres de verres opaques et brisés tournoient au milieu de la scène sous les projecteurs en alerte. Mathis, rescapé mais atterré par la folie du peuple, se détourne de ce dernier après sa débâcle.

Matthias Goerne (Mathis le peintre) et l'Ange

Matthias Goerne (Mathis le peintre) et l'Ange

L ’entière machinerie hydraulique de l’Opéra Bastille est sollicitée pour enchaîner les changements de décors ascendants et descendants, qu’il s’agisse d’illustrer avec des acteurs réels, en chair et en os, des tableaux du Retable, comme Le Concert des Anges, et son éphèbe messager divin aux ailes rouges, ou bien de révéler les fondations de la cité sur un édifice de livres, mémoire de l’esprit, articulé sous forme de trois arches.

Cette dimension tripartite du Retable définit l’architecture de la plupart des tableaux, comme l’arche des livres, mais aussi l’articulation du décor de la cité de Mayence, basé sur trois blocs style gothique à un étage, finement décorés.

La débauche de richesse acquise sur le dos du peuple, symbolisée par l’immense sphère créatrice en or qui surplombe  le château, s’évanouit lorsque le décor se retourne lui-même en temple protestant gris, froid et austère, à la terrasse duquel Ursula tente de convertir Albrecht.

Melanie Diener (Ursula)

Melanie Diener (Ursula)

 Avec une constance dans la force et la continuité des lignes, ennoblies par la précision du phrasé, avec une dynamique ample entre plaintes aiguës et noirceur angoissée, Melanie Diener impose un respect également par la droiture de son personnage et sa capacité à faire ressentir désarroi et humanité désespérée.
Sa défense de la foi protestante, supportée par la musique glaçante d’Hindemith, est d’une implacable conviction.

Martina Welschenbach (Regina)

Martina Welschenbach (Regina)

Matthias Goerne, homonyme du peintre qu’elle aime, modèle le texte pour en restituer toute la tristesse mêlée à l’espoir, une voix si douce et si diffuse qu’elle porte en elle ses propres qualités spirituelles.

Qualités bien différentes de celles de Scott MacAllister (Albrecht) et de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Capito), dont les voix semblent indistinctement similaires, terrestres par leur mordant et par leurs sonorités métalliques et saillantes, et d'une grande force de présence.

La jeune Régina, pour laquelle Martina Welschenbach se fait toute simple et toute sensible et surtout lumineuse déchirure au dernier tableau, fait un des gestes les plus forts de l'ouvrage en rendant le ruban que lui avait remis Matthias, se libérant ainsi de l'envie de possession que subtilement ce présent faisait peser sur elle.

 Tableau 6 : la Tentation de Saint-Antoine

Tableau 6 : la Tentation de Saint-Antoine

On peut supposer que ce sont ses craintes au septième tableau « Le bruissement des arbres, le murmure de l’eau me parlent de tout près de l’horreur de la mort », qui inspirèrent Olivier Py pour illustrer en vidéo le fond de scène du premier tableau, de la même manière que beaucoup de symboles du livret se matérialisent dans toute sa mise en scène.

Une des plus belles images, de celles qui vous happent le coeur, illustre ce fameux ruban qu'Ursula déroule de la poitrine de Regina, avant que la prise de conscience des sentiments du peintre pour la jeune paysanne ne fasse vaciller celle qui vivait dans l'illusion de son amour passé.

Après une succession de plans alternant ombres et lumières, façades et populations statiques aux libertés bridées, Matthias Goerne se retrouve seul avec lui même et son art pour quitter tout ce qui l'attache, tout ce qui l'aveugle, y compris les idéologies.

Tous les autres protagonistes, Thorsten Grümbel et Eric Huchet (terribles Pommersfelden et Sylvester), Gregory Reinhart (très autoritaire Riedinger), Nadine Weissmann (Comtesse traversée par le temps) et le plus strident des ténors, Michael  Weinius (Schwalb), composent des portraits très typés.

Melanie Diener (Ursula) et Matthias Goerne (Matthias Grünewald)

Melanie Diener (Ursula) et Matthias Goerne (Matthias Grünewald)

Chœurs admirablement lyriques et surnaturels, orchestre conscient de l'évènement et à l'unisson sous la direction de Christoph Eschenbach, la musique de Hindemith est une grande fresque où s'enchaînent de grands mouvements sombres et épiques, parfois exagérément enflés de cuivres, le Guerre et Paix de Prokofiev n’est plus très loin, et d'instants frémissants quand les cordes vibrent pour ne plus former qu'un fin trait de lumière.

Nicolas Joel a remonté les Noces de Figaro de Strehler pour une série de plus de vingt représentations à Bastille, sous prétexte d’un hommage à Liebermann, avec beaucoup d'opportunisme.

Mais si la conséquence directe est de pouvoir réunir les moyens nécessaires à une production très réussie d‘un opéra majeur et peu connu comme Mathis der Maler, de la même façon que le bourgeois Riedinger apporte les moyens financiers pour permettre à Albrecht de se consacrer à l’art, alors il n’y a plus rien à dire. L'équilibre est conservé.

Olivier Py

Olivier Py

Depuis Cardillac en 2005, Paul Hindemith est entré au répertoire de l’Opéra de Paris avec deux très belles productions de deux de ses opéras. Il faudrait pouvoir découvrir le dernier de ses chefs-d’œuvre, Die Harmonie der Welt (L'Harmonie du Monde) dédié à la vie de l’astronome Johannes Kepler.

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Publié le 21 Décembre 2009

Les Nouvelles du Jour (Paul Hindemith)
Opéra amusant (lustige Oper) créé au Kroll Oper de Berlin en 1929
Version originale en langue allemande
Représentation du 20 décembre 2009 au Grand Théâtre de Dijon.

 

Laura Tatjana Gazlik
Eduard Josef Wagner
Der schöne Herr Hermann Mark Milhofer
Frau M. Theresa Kronthaler
Herr M. Matthias Aeberhard

Mise en scène Olivier Desbordes

Direction Thomas Rösner

Choeur de l'Opéra de Dijon
Orchestre Dijon Bourgogne

 

                                   Tatjana Gazlik (Laura)

 

Glaciaire et fraîchement enneigée, la ville natale de Jean-Philippe Rameau offre, pour ce premier week-end d'hiver, un opéra de Paul Hindemith jamais joué en France, Les Nouvelles du Jour.

Il y a quatre ans, Gerard Mortier avait créé Cardillac à Bastille dans la luxueuse mise en scène de André Engel, et Nicolas Joel devrait monter dans un an Mathis der Maler (Matthias Le Peintre) à l'Opéra de Paris.

Le compositeur allemand de l'entre deux guerres est donc à l'honneur dans l'hexagone, et c'est d'ailleurs à Dijon qu'il vint pour un court séjour, quelques mois avant sa mort.

Neues vom Tage est une satire sociale qui prend le prétexte d'un couple souhaitant divorcer, afin de railler les travers d'une société qui ne veut laisser chacun libre de sa vie, et qui reste attachée aux étiquettes qu'elle a besoin de fixer à l'autre.

Nous pouvons y voir une irrésistible parodie du duo amoureux entre Laura et son amant Hermann, allusion au duo de La Bohème par exemple, genre de comédie qui se joue tous les jours.

Olivier Desbordes choisit des coloris gris dans toute la première partie, ce qui fait briller d'éclat l'épisode du cabaret dans lequel le couple met en scène son propre divorce meurtrier, pour s'enrichir du voyeurisme des autres.

                                              La statue de Jean Philippe Rameau, place du Grand Théâtre.

Les lumières écarlates et les reflets du public dans les glaces, hypnotisants, se retirent à la toute fin sur le théâtre encombré d’ accessoires, ce qui rappellera pour certains le final de Capriccio à Garnier (dirigé par Robert Carsen).

Plus alerte que dans Cardillac, la musique de Neues vom Tage est un flux entraînant qui coule à la vitesse de l'intrigue. Flûtes et clarinettes se font courants d'air, et le banjo pure fantaisie. Elle porte quelque chose de vivifiant, et seuls quelques passages vocaux excessivement forte fatiguent inutilement.

Tatjana Gazlik (Laura) et Mark Milhofer (Der schöne Herr Hermann)

Tatjana Gazlik (Laura) et Mark Milhofer (Der schöne Herr Hermann)

Devant être de bons comédiens de boulevard, les chanteurs font briller l'ouvrage, Mark Milhofer en tête - ténor léger au timbre un peu durci - dans une interprétation débridée de l'amant Hermann. Tatjana Gazdik (Laura) et Josef Wagner (Eduard) sont des partenaires du même niveau, elle excellente actrice, lui vocalement très imposant à la façon d'un Ludovic Tézier.

Dans la fosse, la rigueur et l'enthousiasme règnent, difficile tâche qu'a Thomas Rösner pour maintenir le rythme entre l'orchestre et les chanteurs.

Malgré un livret un peu démodé, l'ouvrage se rapproche de l'esprit d' Yvonne Princesse de Bourgogne créée à Garnier en début d'année, où il s’agit également de se moquer d’un groupe social.

Il est donc un peu dommage que l'initiative d'Olivier Desbordes n'ait pas été plus soutenue, car le Théâtre Dijon n'était pas plein pour l'ultime représentation.
Le spectacle qui devait être repris à l’Opéra de Massy en avril 2010, en langue française cette fois, vient d'être malheureusement annulé.

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Publié le 27 Janvier 2008

Cardillac (Paul Hindemith)
Répétition générale du 26 janvier 2008 à l’Opéra Bastille


Cardillac                      Franz Grundeber
Die Tochter                       Angela Denoke
Der Officier               Christopher Ventris
Die Dame        Hannah Esther Minutillo
Der Kavalier                Charles Workman
Der Goldhändler               Roland Bracht
Der Anführer der Prévoté       David Bizic

Direction musicale                  Kazushi Ono
Mise en scène                        André Engel
Chef des chœurs     Winfried Maczewski

 

                                                                                                                             Angela Denoke (La fille)

Repris pour cinq représentations seulement, du 29 janvier au 16 février, Cardillac n’est évidemment pas une œuvre facile musicalement. Elle possède néanmoins des points d’accroches, le charme nocturne de la chambre de la dame, le touchant échange de Cardillac et de sa fille, empreint de reproches, ou bien le quatuor du IIIème acte.

Vient s’y ajouter un chœur superbement dirigé par Winfried Maczewski, où la difficulté consiste à faire suivre par les voix les mouvements de la foule sans repère mélodique particulier. L’effet est très impressionnant. 

Nous retrouvons donc Charles Workman avec un superbe timbre de rêveur passionné, H.E Minutillo en Dame totalement accomplie, Christopher Ventris  qui laisse présager un Parsifal fascinant de vaillance juvénile, et Angela Denoke surprenante dans un rôle de jeune femme qui cherche à se libérer d’elle-même.

Franz Grundeber fait de Cardillac un homme moins inquiétant qu’il ne pourrait l’être, accentuant ainsi l’étrange fascination de l’Officier pour l’artiste, que la fille de l’orfèvre a bien du mal à contrer.

 La Dame (Hannah Esther Minutillo) dans sa chambre

La Dame (Hannah Esther Minutillo) dans sa chambre

La mise en scène d’André Engel, par son souci du détail et son esthétique cinématographique, est un élément de séduction qui compte. Kazushi Ono propose une lecture plus poétique qu’agressive.

Voir également la présentation du spectacle.

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