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Publié le 16 Mai 2023

Der Fliegende Holländer (Richard Wagner – 1843)
Version de concert du 15 mai 2023
Théâtre des Champs-Elysées

Daland Karl-Heinz Lehner
Senta Ingela Brimberg
Erik Maximilian Schmitt
Mary Dalia Schaechter
Der Steuermann Dmitry Ivanchey
Der Holländer James Rutherford

Direction musicale François-Xavier Roth
Les Siècles
Chœur de l’Opéra de Cologne

Coproduction Théâtre des Champs-Élysées / Les Siècles / Atelier Lyrique de Tourcoing / Oper Köln / Bühnen Köln

                                                      François-Xavier Roth

10 ans après l’interprétation par l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam sous la direction de Yannick Nézet-Séguin (18 septembre 2013), et 50 ans après celle du Deutsche Staatsoper de Berlin menée par Wilfried Werz (19 mars 1973), le Théâtre des Champs-Élysées est à nouveau embarqué pour un soir dans l’élan romantique du ‘Vaisseau Fantôme’, mais avec cette fois une coloration musicale issue d’instruments allemands de l’époque de la création à Dresde.

James Rutherford (Der Holländer) et Ingela Brimberg (Senta)

James Rutherford (Der Holländer) et Ingela Brimberg (Senta)

Dés l’ouverture, qui se déroule dans une ambiance lumineuse ambrée, se dégagent les qualités orchestrales qui vont se déployer tout le long du concert, le charme des sonorités chantantes des vents au délié rond, bien timbré et très poétique, la chaleur et la tessiture un peu âpre des cuivres, le dessin soigné et nuancé des différentes lignes harmoniques, et un surprenant métal scintillant des cordes qui, toutefois, n’est pas aussi prédominant que dans d’autres versions plus expansives.

Et il y a surtout ce sens du tempo net et souple qui crée une théâtralité percutante d’une très grande élégance.

François-Xavier Roth, Les Siècles et le Chœur de l’Opéra de Cologne

François-Xavier Roth, Les Siècles et le Chœur de l’Opéra de Cologne

On aime également chez François-Xavier Roth cette manière passionnée de danser et d’humaniser la musique de Richard Wagner, d’en faire ressortir le toucher intime, mais aussi de galvaniser la scène à l'instar du grand choral ‘Johohoe!’ du dernier acte où les choristes de l’Opéra de Cologne, tous accourus à l’avant-scène, s’emparent de l’audience pour l’entraîner avec un impact franc phénoménal, et aussi avec grand sens de la cohésion et de la détermination qui induit un véritable sentiment fraternel entre eux.

François-Xavier Roth et Les Siècles

François-Xavier Roth et Les Siècles

Par ailleurs, si l’ensemble de la distribution est très impliqué, la psychologie de certains personnages montre de nouvelles facettes, à commencer par le Hollandais incarné par James Rutherford. Le baryton britannique se distancie d’une figure qui serait trop froide pour insuffler une forme d’autorité au gant de velours. Timbre homogène, voix sombre et attendrissante, il rend son personnage plus proche de nous, et il est très étonnant de voir comment Maximilian Schmitt lui oppose un Erik qui est son exact reflet physique, mais avec des expressions plus émotives, un tempérament bien écorché, la mise en espace semblant mettre en équilibre ces deux fortes personnalités face à Senta.

James Rutherford (Der Holländer)

James Rutherford (Der Holländer)

La soprano suédoise Ingela Brimberg brosse aussi un grand portrait wagnérien de la fille de Daland, un peu plus dur et moins romantique que d’autres interprètes, mais avec une solidité de timbre et un splendide aigu qui rendent une sensible impression névrotique à son caractère. Ses regards fusants sont à l’unisson de la forte pénétrance de son élocution ample et bien marquée, et point même l’envie d’y voir certains reflets de l’art déclamatoire de Waltraud Meier.

Ingela Brimberg (Senta)

Ingela Brimberg (Senta)

Autre personnalité forte, Karl-Heinz Lehner fait aussi vivre un Daland assez violent et particulièrement retentissant, dans une veine très théâtrale et vigoureuse où l’on sent l’influence d’un grand personnage straussien, le Baron Och du ‘Rosenkavalier’.

Quant à Dalia Schaechter, elle affiche une sévérité excessive alors que la nourrice de Senta pourrait révéler un visage maternel très attachant.

Dmitry Ivanchey (Der Steuermann) et Karl-Heinz Lehner (Daland)

Dmitry Ivanchey (Der Steuermann) et Karl-Heinz Lehner (Daland)

Et par contraste avec ses partenaires, Dmitry Ivanchey apporte une touche plus légère et mozartienne en dénuant le pilote de tout vague à l’âme sombrement mélancolique, tout en lui ajoutant, avec sa tessiture très claire, une tonalité humoristique inattendue.

Un version attachante, amoureusement dirigée, dont le souffle, la générosité et la précision musicale font à nouveau la valeur de cette brillante soirée wagnérienne donnée au Théâtre des Champs-Élysées.

Chœur de l’Opéra de Cologne

Chœur de l’Opéra de Cologne

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Publié le 19 Janvier 2023

Tristan und Isolde (Richard Wagner - 1865, Munich)
Représentations du 17 janvier et du 04 février 2023
Opéra Bastille

Isolde Mary Elizabeth Williams
Tristan Michael Weinius
Brangäne Okka von der Damerau
Kurwenal Ryan Speedo Green
König Marke Eric Owens
Melot Neal Cooper
Ein Hirt, ein Seeman Maciej Kwaśnikowski
Der Steuermann Tomasz Kumiega

Direction musicale Gustavo Dudamel
Mise en scène Peter Sellars (2005)
Corps terrestres Jeff Mills et Lisa Rhoden, John Hay et Sarah Steben
Vidéo Bill Viola

En collaboration avec la Los Angeles Philharmonic Association et le Lincoln Center for the Performing Arts

Spectacle emblématique de la première saison de Gerard Mortier en 2005, qui réunissait Ben Heppner et Waltraud Meier sous la direction d’Esa-Pekka Salonen, ce ‘Tristan und Isolde’ novateur par l’importance donnée à la technologie vidéographique de Bill Viola n’aurait pas dû se poursuivre au-delà de 2009, car ses droits de diffusion étaient initialement limités. 

Finalement, Nicolas Joel, Stéphane Lissner, et dorénavant Alexander Neef, ont eu l’occasion de le reprendre, ce qui lui aura donné une longévité de 18 ans. 

Mary Elizabeth Williams (Isolde) et Michael Weinius (Tristan)

Mary Elizabeth Williams (Isolde) et Michael Weinius (Tristan)

Le pouvoir évocateur de ces images alliées à la musique est imparable, que ce soit la scène des cierges dans une lueur d’ambre, les flots où s’engouffrent les corps des amants, la dilution des formes, le voyage vers les fonds marins selon les méandres orchestraux, et, bien sûr, l’embrassement d’un mur de feux devant lequel surgit une femme, suivi par l’ascension de Tristan qui se désincarne dans un océan de bleu.

Pour cette sixième série - la production aura atteint 46 représentations le 04 février 2023 -, la direction musicale est confiée à Gustavo Dudamel qui vient de diriger ce même ‘Tristan Project’ au Walt Disney Concert Hall de Los Angeles du 09 au 17 décembre 2022, là où il fut créé en décembre 2004, la mise en scène de Peter Sellars étant originalement conçue pour l’Opéra national de Paris.

Okka von der Damerau (Brangäne), Michael Weinius (Tristan) et Elizabeth Williams (Isolde)

Okka von der Damerau (Brangäne), Michael Weinius (Tristan) et Elizabeth Williams (Isolde)

L’interprétation est très différente de celle de Salonen, tant la vigueur et la clarté théâtrale prédominent. Des cuivres explosifs au son compact et finement ciselés, des cordes où subsiste la sensation de la matière, une ligne dramaturgique vivante, et toujours une très belle rondeur lumineuse des vents bois, éloignent cette conception des visions plus sombres et profondes de ‘Tristan und Isolde’ où les tissures orchestrales s’évadent à l’infini.

Manifestement, ce retour au concret va de concert avec la manière dont Peter Sellars a retravaillé sa mise en scène. Ainsi, l’éclairage s’intensifie fortement sur l’action scénique afin de créer un meilleur équilibre avec les vidéos, et les personnages jouent de manière plus réelle et manifeste, avec une expression de geste plus directe. 

L’invitation au rêve symbolique et idéalisant que représente l’œuvre s’estompe subtilement afin de raconter ce drame de façon plus humaine. Une des forces de ce travail réside dans la manière de faire intervenir Brangäne, le marin et le berger, Kurwenal ainsi que les cors et le chœur depuis les galeries de l’opéra Bastille, le spectateur se sentant encerclé par les voix dont il peut aussi apprécier les timbres bruts.

Tristan und Isolde (Williams Weinius Dudamel Sellars) Opéra de Paris

La distribution réunie se soir se compose en grande partie des mêmes chanteurs invités à Los Angeles. Michael Weinius, Okka von der Damerau, Ryan Speedo Green et Eric Owens n’ont probablement pas eu besoin de trop répéter, puisqu’ils étaient du voyage Outre-Atlantique le mois dernier.

Michael Weinius, qui interprétait Erik dans la reprise du Vaisseau Fantôme’, la saison dernière, débute par une incarnation tendre et solide de Tristan. La clarté et la précision de diction prédominent, et la qualité de son timbre dans le médium lui permet d’offrir un Tristan sobre et bien chantant.

Toutefois, dans le troisième acte, les souffrances qu'endure Tristan s’expriment avec un relief insuffisamment marqué pour qu’elles soient aussi prégnantes que celles d’autres interprètes aux couleurs plus torturées, le pouvoir de l’orchestre et des images prenant ainsi le dessus.

Ryan Speedo Green (Kurwenal), Eric Owens (Le Roi Marke), Michael Weinius (Tristan), Mary Elizabeth Williams (Isolde), Neal Cooper (Melot)

Ryan Speedo Green (Kurwenal), Eric Owens (Le Roi Marke), Michael Weinius (Tristan), Mary Elizabeth Williams (Isolde), Neal Cooper (Melot)

Sa partenaire, Mary Elizabeth Williams, n’a abordé le rôle d’Isolde que tout récemment à l’opéra de Seattle en début de saison. Elle n’est pas inconnue de l’institution parisienne, puisqu’elle a remporté en 2003 le prix lyrique de l’Académie de l’Opéra de Paris dont elle était membre. 

D’emblée, c’est la tessiture puissante et aigüe qui est sollicitée, et le rendu en salle sonne d’un métal tranchant avec des couleurs très disparates. Le rendu psychologique est donc celui d’une femme fortement blessée, déstabilisée, fonctionnant à l’instinct, qui ne se recentre que dans les passages plus posés dans le médium où son timbre retrouve une pleine unité. Les nuances apaisées du Liebestod final l’illustrent pleinement, et elle ne lâche rien de l’aplomb avec lequel elle portera Isolde jusqu’au bout.

Cette interprétation écorchée, dénuée de sensualité mais non de sensibilité, a visiblement déplu à un certain public wagnérien dont la pénétrance des lâches huées a choqué d’autres spectateurs.

Mais le plus beau réside dans la réaction bien plus importante de ceux qui, notamment jeunes et situés dans les balcons, ont salué chaleureusement cette artiste, malgré toutes les réserves que l’on peut avoir, car ils représentent la part du public qui écoute autant avec son cœur qu’avec ses oreilles.

Cela prouve qu’entre un public cultivé, parfois rongé d'aigreurs, et un public de cœur, mieux vaut préférer le second.

Eric Owens (Le Roi Marke), Michael Weinius (Tristan) et Mary Elizabeth Williams (Isolde)

Eric Owens (Le Roi Marke), Michael Weinius (Tristan) et Mary Elizabeth Williams (Isolde)

Mais d’autres chanteurs faisaient aussi leurs débuts sur la scène parisienne, à commencer par Okka von der Damerau, bien connue de la scène munichoise, où elle incarnait Brangäne lors de la prise de rôle de Jonas Kaufmann dans la mise en scène de 'Tristan und Isolde' par  Krzysztof Warlikowski, et de Bayreuth où elle fut une splendide Erda l’été dernier. Largeur vocale aux reflets cuivrés, rayonnement crépusculaire intense, elle accentue la personnalité charnelle de la servante d’Isolde, et représente une forme de sagesse maternelle supérieure.

Un autre artiste attaché au New-York Metropolitan Opera depuis 15 ans, Eric Owens, apparaît pour la première fois à Bastille, dans le rôle du Roi Marke. On assiste aux pleurs monolithiques d’un père lorsqu’il se trouve auprès de Tristan, très émouvants par leur noirceur bienveillante, et non aux reproches d’un roi autoritaire, froid et dominant. Il se situe ainsi sur le même plan que Tristan, avec presque trop d’humilité.

Très expressif au jeu théâtral consistant, le Kurwenal de Ryan Speedo Green est très impliqué, avec un chant percutant, comme si il était l’ami qui secoue fortement ce Tristan qui ne semble pas réagir aux dangers de situation. 

Maciej Kwaśnikowski, Ryan Speedo Green, Eric Owens, Mary Elizabeth Williams, Gustavo Dudamel, Michael Weinius, Okka von der Damerau, Neal Cooper, Tomasz Kumiega

Maciej Kwaśnikowski, Ryan Speedo Green, Eric Owens, Mary Elizabeth Williams, Gustavo Dudamel, Michael Weinius, Okka von der Damerau, Neal Cooper, Tomasz Kumiega

Et les rôles secondaires sont très bien tenus par Neal Cooper, déjà Melot lors de la dernière reprise, Tomasz Kumiega en pilote, et Maciej Kwaśnikowski qui donne beaucoup de personnalité, avec une belle assurance, au berger et au jeune marin, d’autant plus qu’il est magnifiquement mis en valeur par ses deux apparitions situées en galeries.

Il s'agit ainsi d'une version attachante par la diversité des réactions qu’elle suscite dans la salle, et qui tend même à démystifier Wagner.

Gustavo Dudamel et Peter Sellars

Gustavo Dudamel et Peter Sellars

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Publié le 14 Décembre 2022

Lohengrin (Richard Wagner - Weimar, 1850)
Représentation du 11 décembre 2022
Bayerische Staatsoper - Munich

Heinrich der Vogler Mika Kares
Lohengrin Klaus Florian Vogt
Elsa von Brabant Johanni van Oostrum
Friedrich von Telramund Johan Reuter
Ortrud Anja Kampe
Heerrufer des Königs Andrè Schuen
Brabantische Edle Liam Bonthrone, Granit Musliu, Gabriel Rollinson, Roman Chabaranok
4 Edelknaben Solist(en) des Tölzer Knabenchors

Direction musicale François-Xavier Roth
Mise en scène Kornél Mundruczó (2022)
Décors Monika Pormale
Costumes Anna Axer Fijalkowska
Lumières Felice Ross
Bayerisches Staatsorchester
Bayerischer Staatsopernchor
und                                       
 Johanni van Oostrum (Elsa)
Extrachor der Bayerischen Staatsoper
Coproduction Shanghai Grand Theatre

Lorsque la première munichoise de ‘Lohengrin’ fut jouée en présence du roi Maximillien II de Bavière, le 28 février 1858, sous la direction de Franz Lachner, Richard Wagner ne put y assister, toujours en exil depuis le soulèvement de Dresde de mai 1849 auquel il avait participé. 

Et même le jeune Ludwig, alors âgé de 15 ans, aura la chance d’assister à une représentation de son opéra romantique peu avant lui, le 02 février 1861, à l’Opéra royal de Munich, le compositeur devant attendre finalement le 15 mai 1861 pour l’entendre intégralement à Vienne.

Johanni van Oostrum (Elsa) et Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Johanni van Oostrum (Elsa) et Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Après avoir entendu ‘Lohengrin’, Ludwig écrira que ‘prendre comme modèle un homme de chair et d’os, bon et énergique en tous points et en faire son guide. Il faut se donner comme tâche et comme devoir d’imiter cet homme et, pour cela, il faut le connaître, le comprendre parfaitement et étudier sa vie’.

8 ans plus, tard, il initiera la construction du château de Neuschwanstein en hommage à Richard Wagner, et, de 1867 à 1892, 147 représentations de ‘Lohengrin’ seront données à l’Opéra de la capitale bavaroise.

Le chœur du Bayerische Staatsoper

Le chœur du Bayerische Staatsoper

Aujourd’hui, avec un peu plus de 50 représentations jouées ces 20 dernières années, ‘Lohengrin’ reste l'un des opéras fréquemment interprétés à Munich, et la nouvelle production confiée à Kornél Mundruczó, metteur en scène de théâtre et réalisateur de cinéma hongrois qui vient de proposer une nouvelle production de ‘Tannhäuser’ au Staatsoper de Hambourg, se focalise d’emblée sur l’attente et la fascination que peut avoir un peuple pour un nouveau leader en lequel il souhaite se projeter.

Sa scénographie s’articule autour d’un espace fermé aux parois d’une blancheur uniforme situé à l’avant scène, qui enserre un bout de Terre vallonné et verdoyant qui abrite un petit étang dominé par deux arbustes, mais aussi quelques rochers à l’avant-scène. Le chœur, le Hérault, le Roi, Ortrud et Telramund, vêtus simplement dans des teintes pastels bleu-gris ou jaune clair, vit dans une forme d’espérance statique.

Andrè Schuen (Heerrufer des Königs)

Andrè Schuen (Heerrufer des Königs)

C’est avec beaucoup d’émotion que se déroule l’ouverture sur le regard de ces personnes qui se dressent l'une après l'autre, au fur et à mesure que les mouvements de la musique progressent sous la direction d’une extrême finesse de François-Xavier Roth, qui souligne l’humanisme de cette scène en dessinant une ligne lumineuse d’une douceur magnifique.

Par la suite, le metteur en scène donne de l'expressivité au chœur par des gestes simples pour signifier son esprit de jugement envers Elsa – en deuil de son frère et donc habillée en noir -, tout autant que sa stupeur à l’arrivée de Lohengrin, mais aussi sa soif de sang au moment du combat par le feu avec Telramund – habile technique pour rester dans la symbolique des quatre éléments naturels et éviter le recours au combat d’épées kitsch -.

Cependant, il ne s’agit pas pour Kornél Mundruczó d’entrer dans des conflits politiques territoriaux, de classes sociales ou de religions – Ortrud, Telramund ou le Roi ne se distinguent pas par leur allure vestimentaire des autres membres de la communauté – mais bien d’analyser où peut conduire l’émoi d'un groupe d'hommes et de femmes pour un être qui semble différent.

Johanni van Oostrum (Elsa) et Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Johanni van Oostrum (Elsa) et Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Dans la seconde partie, la nature disparaît au profit d’une entrée de Palais stylisée, où seul le très beau relief d’une porte surmontée d’un balcon émerge au centre d’un mur lisse, composé de nombreux ouvrants par où le chœur pourra intervenir et chanter face à la salle.

Un escalier provenant du sous-sol permet à tout le monde d’y accéder, symbolisant ainsi le désir de grandeur dans lequel se reflète le peuple heureux d’avoir trouver un couple en lequel s'identifier. Ortrud et Telramund, eux, restent à l’extérieur dans les lumières orangées du soir.

Dans cet acte, se confirme le grand sens musical du metteur en scène qui trouve toujours une manière assez fine d’illustrer le discours orchestral – l’éclat des petits effets festifs est très bien dépeint -, et qui joue avec des symboles mystérieux et des dispositions géométriques précisément calculées qui ont du sens, tel ce vêtement doré qui transforme Elsa en Soleil, et celui noir et gris de Lohengrin qui fait apparaître une Lune sur son torse, et qui fait donc porter une positivité énergique sur la fille du Duc, plus que sur son sauveur.

C’est toute une mise en scène de la célébration qui est ainsi décrite, à peine interrompue par le couple déchu, couple qui n’est pas aussi tordu, ni aussi impressionnant, que dans d’autres interprétations, puisque la mise en garde qu'il cherche à éveiller a quelque chose de fondé.

Mika Kares (Heinrich der Vogler) et Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Mika Kares (Heinrich der Vogler) et Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Le dernier acte mélange l’intérieur d’une grande pièce aux murs blancs, dont l'unité est seulement brisée par 2 portes, avec, au milieu, à nouveau la végétation et le peuple qui reste présent même dans les moments intimes. C’est véritablement à cet acte que l’on saisit à quel point Lohengrin n’est que l’incarnation de l’âme de ce peuple avec lequel il ne fait qu’un, notamment quand ce dernier accompagne son geste pour tuer Telramund à jets de pierres.

C’est le fait que les êtres humains s’approprient cette violence qui sonne comme l’aboutissement de cette vénération dangereuse. L’effet de surprise est donc total lorsque le Cygne descend lentement sous forme d’une spectaculaire météorite aux reflets ferreux. La catastrophe planétaire vient du ciel pour détruire la violence du monde humain, et le détacher de son aveuglement.

La rédemption est toutefois envisagée pour Elsa, emportée par l’objet sidéral – dans de superbes lueurs bleutées signées Felice Ross, artiste lumière associée à tous les spectacles de Krzysztof Warlikowski, qui donne même l'illusion de transformer Elsa en cygne -, alors que Lohengrin fait apparaître le jeune frère, un enfant libre et bien vivant, qui ne peut sortir le peuple de son sommeil profond.

Johanni van Oostrum (Elsa)

Johanni van Oostrum (Elsa)

Tout contribue à la poésie dans ce spectacle, non seulement la réalisation scénique, mais aussi la gestuelle, les mouvements du chœur, la manière dont Elsa est représentée en femme adolescente qui vit son amour pour Lohengrin avec grande pureté, ce qui préserve son innocence, et, bien évidemment, viennent s’ajouter les qualités de souplesse et de chaleur de l’orchestre – les cuivres, en particulier, ont une coloration très rougeoyante - auxquelles François-Xavier Roth insuffle un courant bouillonnant avec un toucher bienveillant

Sa maîtrise du drame se mesure à l’osmose qui lie le relief orchestral aux chanteurs, à une théâtralité vivante qui s’appuie sur la magnifique malléabilité du tissus de corde, sur les percussions sombres, sans briser la ligne dramatique, et en se préservant de toute brutalité. En loge située côté jardin, quatre trompettes de parade forment également un panache resplendissant.

Mais la finesse du chœur est aussi un allié de premier ordre pour ce rendu onirique, admirablement fondu dans l’ampleur orchestrale. Et comme s’il fallait aller jusqu’au bout de cet effet de grâce, nous retrouvons ce soir le même couple qui chantait dans la dernière reprise de ‘Lohengrin’, en novembre 2019, dans l'ancienne production de Richard Jones.

Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

L’entrée de Klaus Florian Vogt est absolument à pleurer tant l’intemporalité de son timbre est irréelle. Cette clarté androgyne, qui dure dorénavant depuis près de 20 ans, pourrait même justifier à elle seule la fascination mystique de la part du chœur. Et de plus, il exhale une splendide autorité et une puissance somptueuse d’un grand éclat. Sa délicatesse de jeu, brusque uniquement lorsque le caractère de Lohengrin l’exige, est à l’image de cette beauté de chant surnaturelle qui engendre une émotion profonde.

Mais aussi, quel magnifique timbre que celui de Johanni van Oostrum, qui gagne les cœurs par la fluidité homogène et le velouté de sa douce projection de voix ! En couleurs, elle s’allie idéalement à la tonalité chaleureuse de l’orchestre, et avec cette capacité à faire pétiller le naturel enfantin d’Elsa, elle en devient irrésistiblement touchante.

Johan Reuter (Friedrich von Telramund) et Anja Kampe (Ortrud)

Johan Reuter (Friedrich von Telramund) et Anja Kampe (Ortrud)

On trouve aussi ces belles qualités d’intégrité vocale chez le jeune Hérault interprété par Andrè Schuen, et chez Mika Kares, qui en rend le Roi sympathique avec une tessiture généreuse, de teinte fumée, qui se projette très bien.

Quant à Anja Kampe, elle offre un portrait d’Ortrud empathique envers Elsa, avec des effets de noirceurs bien marqués mais aussi un brillant vocal palpitant. Excellente actrice qui ne surjoue pas la négativité, elle est moins anguleuse qu’une autre grande Ortrud, Petra Lang, en ajoutant plus de rondeur à son interprétation.

Enfin, Johan Reuter est un baryton-basse très clair, qui incarne avec assurance un Telramund névrosé en souffrance, ce que l’on ressent fortement dans la complexité de ses facettes vocales à la brillance et dureté de granit. Très bon acteur, lui aussi, son incarnation n’est pas sans rappeler un autre personnage ambitieux et criminel, Macbeth.

François-Xavier Roth et Klaus Florian Vogt

François-Xavier Roth et Klaus Florian Vogt

Spectacle d’une grande sensibilité, visuellement et musicalement, il est rare de ressortir d’une représentation de ‘Lohengrin’ avec un tel sentiment de sérénité et de gratitude pour l’ensemble de ces artistes qui démontrent à nouveau l’importance de faire vivre cet art si complexe, mais si inspirant.

Klaus Florian Vogt, Johanni van Oostrum et François-Xavier Roth

Klaus Florian Vogt, Johanni van Oostrum et François-Xavier Roth

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Publié le 3 Septembre 2022

Poulenc, Aboulker, Wagner, Gounod, Massenet, Thomas, Meyerbeer
Récital du 02 septembre 2022
Amphithéâtre Bastille

Francis Poulenc
Les Banalités (Chanson d’Orkenise, Hôtel, Fagnes de Wallonie, Voyage à Paris, Sanglots) - 1940
Isabelle Aboulker
Les quatre saisons - Histoire d’un amour
Francis Poulenc
Mélancolie, pour piano solo - 1940
Richard Wagner
Les deux grenadiers (poème d’Henrich Heine traduit par François Adolphe Loeve-Veimar) - 1840
Charles Gounod - Roméo et Juliette – Théâtre Lyrique, 1867
Mab la reine des mensonges - Air de Mercutio (acte I)
Jules Massenet – Manon – Opéra Comique, 1884
À quoi bon l’économie - Air de Lescaut (acte III)
Camille Saint-Saëns – Paraphrase sur l'Opéra Thaïs de Massenet
Méditation pour piano solo
Ambroise Thomas – Hamlet – Opéra de Paris, 1868
Comme une pâle fleur - Air d’Hamlet (acte V)
Ô vin dissipe la tristesse - Air d’Hamlet (acte II)

Giacomo Meyerbeer - Le pardon de Ploermel – Opéra Comique, 1859
Ô puissante magie - Air de Hoël (acte I)

Baryton Florian Sempey
Piano Jeff Cohen

A la veille de l’ouverture de la saison 2022-2023 de l’Opéra de Paris avec ‘Tosca’, le public parisien se retrouve à l’amphithéâtre Bastille autour d’un récital enjoué offert par Florian Sempey et son accompagnateur au piano, Jeff Cohen.

Florian Sempey

Florian Sempey

La première partie, dédiée à des mélodies françaises peu connues, inspire des pensées pas nécessairement mélancoliques, mais plutôt une fine plénitude dans le rapport à la vie. 

Dans son interprétation des ‘Banalités’ de Poulenc, le baryton français arbore tout un jeu pantomimique suggestif qui souligne l’ironie du texte de Guillaume Apollinaire, pour lequel la noirceur joyeusement autoritaire du timbre renforce une présence ancrée en lien serré avec le regard du public. Le vague à l’âme ressort subtilement sur le dernier poème, ‘Sanglots’.

Récital Florian Sempey - Jeff Cohen - Amphithéâtre Bastille

Puis, ‘Les quatre saisons’ d’Isabelle Aboulker, que la compositrice d’opéras pour la jeunesse lui a dédié, revient à la vie éphémère du sentiment amoureux et de son reflet dans les paysages de la nature avec une fraîcheur expressive qui va encore plus se déployer dans ‘Les deux grenadiers’ mis en musique par Richard Wagner, où se concentrent fierté, puissance et accents généreux, sans se prendre au sérieux, et où l’on voit progressivement le chanteur vraiment incarner une âme patriotique joviale pleine de panache.

Florian Sempey et Jeff Cohen

Florian Sempey et Jeff Cohen

En seconde partie, ce sont cette fois des opéras français créés dans différentes salles parisiennes au cours de la seconde partie du XIXe siècle qui sont à l’honneur.

Très attendu, car il interprètera Mercutio auprès de la Juliette d’Elsa Dreisig, présente ce soir, sur la scène Bastille en juillet 2023, le portrait qu’il brosse de l’ami de Roméo est un débordement d’énergie qui met l’accent sur la nature cavalière de ce personnage haut en couleurs, ce qui suscite beaucoup de curiosité pour la fin de saison au moment où il en rendra toute la vie scénique.

Florian Sempey

Florian Sempey

Et si avec ‘À quoi bon l’économie’ le naturel joueur et moqueur de Lescaut est rendu dans toute son évidence, les deux airs sombres d’Hamlet, ‘Comme une pâle fleur’ et ‘Ô vin dissipe la tristesse’ , sont plus éloignés de l’humeur que l’on associe au jeune artiste.

C’est donc dans l’élan enflammé de ‘Ô puissante magie’ extrait du ‘Pardon de Ploermel’, où l’ivresse pousse au dépassement de soi, qu’il conclut vaillamment ce récital sans oublier de faire plaisir à l’audience en lui accordant trois bis, la délicate ‘Chanson de bébé’ de Rossini, un ‘Largo al factotum’ d’une jouissive luminosité – il venait de chanter Figaro sur la scène du théâtre gallo-romain de Sanxay trois semaines auparavant -, et un inattendu ‘Wanderers Nachtlied’ de Schubert qui résonne avec la première partie mélodique de cette soirée, et qui révèle aussi un très intéressant désir d’allègement.

Florian Sempey et Jeff Cohen

Florian Sempey et Jeff Cohen

Comme on peut l’entendre en solo dans ‘Mélancolie’ de Poulenc et ‘Méditation’ par Saint-Saëns, Jeff Cohen est un partenaire qui s’allie parfaitement à la verve heureuse de Florian Sempey dans un esprit de confiance apaisée.

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Publié le 17 Août 2022

Der Ring des Nibelungen (Richard Wagner - 1849/1876)
Bayreuther Festspiele 2022
10 août - Das Rheingold
11 août - Die Walküre
13 août - Siegfried
15 août - Götterdämmerung

Direction Musicale Cornelius Meister
Mise en scène Valentin Schwarz,  Dramaturgie Konrad Kuhn
Décors Andrea Cozzi, Costumes Andy Besuch
Lumières Reinhard Traub, Video Luis August Krawen

Wotan (Rheingold) Egils Silins                      Wotan / Der Wanderer Tomasz Konieczny
Siegmund Klaus Florian Vogt                         Sieglinde Lise Davidsen
Waltraute / Wellgunde Stephanie Houtzeel     Freia / Gutrune Elisabeth Teige
Fricka / Waltraute (Götterdämmerung) / Schwertleite Christa Mayer
Helmwige / Brünnhilde (Siegfried) Daniela Köhler 
Brünnhilde Iréne Theorin                               Erda / 1.Norn Okka von der Damerau
2. Norn Stéphanie Müther                             3. Norn / Gerhilde Kelly God
Loge Daniel Kirch                                         Alberich Olafur Sigurdarson
Hunding Georg Zeppenfeld                           Mime Arnold Bezuyen
Fasolt Jens-Erik Aasbø                                  Fafner Wilhelm Schwinghammer
Siegrune Nana Dzidziguri                             Grimgerde Marie Henriette Reinhold
Rossweisse / Flosshilde Katie Stevenson      Ortlinde Brit-Tone Müllertz
Woglinde Lea-ann Dunbar                            Waldvogel Alexandra Steiner
Froh Attilio Glaser                                        Gunther Michael Kupfer-Radecky    
Siegfried Andreas Schager                           Siegfried (Götterdämmerung) Stephen Gould
Hagen Albert Dohmen                                  Donner Raimund Nolte                          

Après la production du 'Ring' imaginée en 2013 par Frank Castorf qui décrivait de façon sombre et flamboyante la chute d’un monde violent et capitaliste en usant de grands symboles du pouvoir au XXe siècle – cette production atteindra un niveau interprétatif grandiose en 2014 sous la direction de Kirill Petrenko -, le Festival de Bayreuth découvre la nouvelle vision que propose Valentin Schwarz pour le 'Ring' de 2022, initialement programmée à l’été 2020.

Iréne Theorin (Brünnhilde)

Iréne Theorin (Brünnhilde)

Le metteur en scène autrichien, qui a travaillé avec des régisseurs tels Jossi Wieler & Sergio Morabito ou bien Kirill Serebrennikov, a une approche totalement différente, car il choisit de raconter cette histoire à travers le prisme d’une grande saga familiale à la manière des ‘soap operas’ américains des années 1980 tels ‘Dynasty’, où de puissants clans s’opposent et cherchent à faire perdurer leurs lignées avec une grande perversité.

L’idée est séduisante, mais pour développer son concept il est amené à fortement se détacher des symboles de la Tétralogie wagnérienne (Notung prend la forme de divers objets plus ou moins létaux sans aucun lien entre eux, l’Or du Rhin et l’Anneau se matérialisent en enfants et en un trophée pyramidal symbole d’immortalité), et à altérer les faits mêmes de l’histoire (Sieglinde semble être enceinte de Wotan).

La principale qualité de son travail réside, et il faut le reconnaître, dans la capacité à lier les quatre volets du 'Ring' en incluant des éléments qui les font se correspondre, et en insérant des personnages muets que l’on voit évoluer au cours des épisodes, le plus marquant étant le petit garçon qu’enlève Alberich au cours du prologue et qui deviendra plus tard Hagen. A charge du spectateur de lever ses propres interrogations tout au long du cycle, interrogations qui sont cependant artificielles car elles ne lui apprennent rien de profond sur le contenu de l’œuvre.

Christa Mayer (Fricka)

Christa Mayer (Fricka)

Das Rheingold

‘L’Or du Rhin’ s’ouvre sur une très poétique vidéo de deux enfants jumeaux nus et stylisés en position fœtale qui baignent en lévitation sur le motif de l’origine du Rhin, avant que cette belle image ne dégénère en gestes d’agressivité, l’un perçant l’œil de son frère alors que l’autre l’émascule, point de départ de la malédiction familiale qui va rejaillir sur la descendance.

Il s’agit d’un détournement car, selon la légende, Wotan et Alberich sont bien apparentés aux Albes, c’est à dire à des créatures originelles, le premier ayant perdu son œil en contrepartie du pouvoir qu’il a acquis, et le second ayant engendré un enfant de la reine Grimhilde, Hagen.

Ce film introductif signe donc également le début d’une distorsion de l’intrigue par Valentin Schwarz qui va perdurer tout au long des quatre épisodes.

Le prologue débute au bord d’une piscine où Alberich enlève l’un des enfants que surveillent les filles du Rhin, puis se poursuit dans une grande demeure d’une riche famille qui comprend chambre d’enfant, salon et autres pièces, et aussi un garage où attendent deux truands, Fasolt et Fafner. Loge est une sorte d’avocat de famille, et Fricka ressemble à une femme d’affaire qui manigance.

L’animation de ce petit monde est fort réaliste et se veut comme le reflet de la société d’aujourd’hui.

Mais la descente au Nibelheim est plus déconcertante puisque l’on y retrouve Alberich et son frère, Mime, encadrant des fillettes qui fabriquent des jouets. Le jeune garçon enlevé y est odieux, et c’est tout le thème de la perversion de l’enfance qui est ainsi développé dans ce premier volet, enfant qui est perçu comme un enjeu de réussite totale dans la société contemporaine et comme une projection du désir des adultes.

Au retour de Wotan en sa demeure, avec l’enfant, on assiste à un jeu d’échanges avec les géants entre lui, Freia et une autre fillette qu’Erda viendra protéger, sans doute Brünnhilde. 

L’exposition de la pyramide translucide préfigure au final l’élévation sociale que va atteindre cette famille à l’achèvement du Walhalla.

Il est cependant impossible d’avoir la moindre sympathie pour ce monde nettement malsain, malgré les nombreux traits d’humour qu’immisce Valentin Schwarz.

Olafur Sigurdarson (Alberich)

Olafur Sigurdarson (Alberich)

Musicalement, ‘L’Or du Rhin’ souffre d’un manque d’épanouissement du son depuis l’orchestre vers la salle qui est probablement dû au retrait du chef d’orchestre finlandais Pietari Inkinen, deux semaines avant la première représentation, qui n’a pas laissé suffisamment de temps à Cornelius Meister pour prendre pleinement possession du volume sonore.

L’ouverture est pourtant magnifiquement coulée dans une tonalité ouatée qui s’ouvre très progressivement, mais si les coloris de l’orchestre sont raffinés, le manque de contraste et de tension se fait souvent sentir ce qui prive le récit d’allant et d’impact dramatique.

Comme très souvent à Bayreuth, les solistes sont engagés dans un jeu scénique très fouillé auquel ils se livrent pleinement de bon cœur. Se distinguent Olafur Sigurdarson, qui incarne un Alberich doué de clartés franches et d’un mordant d’une grande intensité, notamment au moment de la malédiction de l’anneau, ainsi qu’Okka von der Damerau qui dépeint une somptueuse Erda tout aussi expressive au rayonnement chaleureux.

Le Wotan d’Egils Silins est correctement chanté mais est plus mat de timbre et moins charismatique, et Christa Mayer impose une Fricka humaine aux couleurs de voix changeantes.

En Loge, Daniel Kirch fait aussi montre d’un grand impact scénique sans être pour autant aussi vocalement acéré que d’autres interprètes du rôle, Jens-Erik Aasbø rend à Fasolt une certaine langueur mélancolique, et Wilhelm Schwinghammer annonce un grand Fafner pour ‘Siegfried’.

Enfin, dans le rôle d’une Freia dépressive, Elisabeth Teige, voix large et ondulante, fait un peu trop mûre pour incarner la voix de la jeunesse éternelle qu’adule cette famille, ce sont donc les trois filles du Rhin,  Lea-ann Dunbar, Stephanie Houtzeel et Katie Stevenson qui évoquent le mieux la chatoyance de la vie.

Okka von der Damerau (Erda) et Elisabeth Teige (Freia)

Okka von der Damerau (Erda) et Elisabeth Teige (Freia)

Die Walküre

Le premier acte qui ouvre ‘La Walkyrie’ se révèle par la suite moins surprenant puisque l’on se retrouve dans la maison sombre de Hunding, tapissée de souvenirs familiaux comme s’il avait perdu son bonheur conjugal, alors qu’un arbre s’est écroulé sur une partie des murs, signe possible d’une catastrophe personnelle. Il est l’un des gardes de la maison de Wotan.

Siegmund et Sieglinde s’y rencontrent, mais la jeune femme est déjà enceinte. Notung n’est qu’un simple revolver, et au moment de la reconnaissance entre les deux êtres, la maison du garde s’efface  pour faire apparaître deux chambres semblables à celles du palais de Wotan. Le guerrier et la prisonnière se rappellent leur enfance heureuse avec nostalgie, et deux enfants recouverts de paillettes et sans regards – il semble que ce soit une technique de Valentin Schwarz pour représenter sur scène les souvenirs et l’imaginaire – miment leurs jeux innocents. 

Lise Davidsen (Sieglinde)

Lise Davidsen (Sieglinde)

Le second acte découvre ensuite le palais de Wotan recouvert latéralement d’une façade pyramidale pour montrer qu’il a atteint son rêve de grandeur. Un enterrement en grande pompe a lieu, scène impressionnante. Freia s’est suicidée, probablement lasse de toutes les manigances dont elle a été victime, et l’entourage réagit de façon très vive et humaine. 

L’allure de Tomasz Konieczny évoque étonnamment celle de John Forsythe incarnant Blake Carrington dans ‘Dynasty’,  celle d’Iréne Theorin, d’abord rebelle, devient plus conventionnelle au moment de l’arrivée de Siegmund et Sieglinde au palais pour y retrouver peut-être une certaine bienveillance.

Klaus Florian Vogt (Siegmund) et Lise Davidsen (Sieglinde)

Klaus Florian Vogt (Siegmund) et Lise Davidsen (Sieglinde)

Sieglinde souffre à l’approche de son accouchement. Elle est disposée à avorter de l’enfant et repousse Siegmund, qui ne peut l’aider, puis Wotan dont les gestes ambigus laisse supposer que l’arrivée de cet enfant est une porte de salut pour lui, maintenant que Freia n’est plus là pour garantir l’immortalité. Mais l’on a vu Fricka ordonner en présence d’Hunding la mort de Siegmund, et, au moment de la confrontation, c’est Wotan qui abat son propre fils.

Le dernier acte n’a dorénavant plus rien d’épique, et les Walkyries sont devenues d’horribles bourgeoises réparant leur visage dans un salon de soin pour échapper au vieillissement, placage d’une réalité sociale plus absurde qu’autre chose. Sieglinde arrive à s’échapper de ce lieu hideux, mais c’est tout de même un beau tableau final qui est offert au moment où Wotan s’effondre sur une scène largement vide alors que Brünnhilde se dirige au loin vers une petite pyramide sombre percée d’un trait de lumière.

Etrangement, Fricka célèbre au champagne sa victoire, alors que Freia est morte et que Sieglinde a disparu avec l’enfant à naître.

Iréne Theorin (Brünnhilde) et Tomasz Konieczny (Wotan)

Iréne Theorin (Brünnhilde) et Tomasz Konieczny (Wotan)

Cette première journée est marquée par la grande prestance de Tomasz Konieczny et son imposant timbre fauve caverneux qui exprime une animalité en conflit avec ses troubles intérieurs, mais aussi par la ferveur de deux splendides artistes dramatiquement puissants, Lise Davidsen, à l’aigu de métal ardent, et Klaus Florian Vogt, à la clarté de bronze impériale, deux voix exceptionnelles et si émouvantes par leur magnificence.

Par ailleurs, l’humaine maturité empreinte de douceur de Georg Zeppenfeld est presque trop belle pour Hunding, et Christa Mayer est toujours une Fricka de belle tenue, avec des inflexions sombres et complexes.

Seule Iréne Theorin, pourtant douée d’un bel abattage, va petit à petit perdre en congruence, les variations de teintes et de reflets vocaux finissant par nuire à sa musicalité.

En comparaison avec ‘L’Or du Rhin’, Cornelius Meister donne plus de volume à l’orchestre, mais il en garde encore sous le pied, si bien que les grands moments emphatiques sont d’une riche élégance ornementale, sans toutefois le déferlement de fougue que l’on pourrait attendre.

Klaus Florian Vogt (Siegmund) et Lise Davidsen (Sieglinde)

Klaus Florian Vogt (Siegmund) et Lise Davidsen (Sieglinde)

Siegfried

Ce troisième volet est celui qui montre les limites de l’imagination prolifique de Valentin Schwarz qui jonche la scène de toutes sortes d’objets et de détails que seuls les spectateurs des premiers rangs du Palais des Festivals peuvent percevoir, à moins de disposer de jumelles.

La maison de Mime ressemble à celle de Hunding, et le nain, grimé en magicien, a organisé une grande journée d’anniversaire pour Siegfried, théâtre de marionnettes à l’appui, pour répondre aux questions du jeune homme sur ses origines. La scène est peu lisible et il est assez difficile de suivre dans le détail ce qu’il se joue, mais l’on comprend que ce premier acte dédié à la forge de l’épée met surtout en scène la crise d’émancipation de Siegfried de manière pas toujours très fine, comme lorsqu’un poster de femme nue est brandi. 

Le second acte se déroule dans une nouvelle pièce du Walhalla où le suspens est habilement tenu pour révéler que la personne alitée, en fin de vie, autour de laquelle attendent Albérich et Wotan, est Fafner. A nouveau, de petits gestes malsains à l’égard d’une des soignantes, qui se révèlera être l’oiseau, montrent un monde tombant en décrépitude.

Fafner, bien qu’ayant réussi à se lever, s’écroule finalement sans que Siegfried n’y soit pour grand-chose. Mais c’est un autre jeune homme, Hagen, qui s’empare de ses bijoux, le rôle étant à ce stade là joué par un acteur plus adulte que dans ‘Rheingold’.

Tomasz Konieczny (Wanderer) et Arnold Bezuyen (Mime)

Tomasz Konieczny (Wanderer) et Arnold Bezuyen (Mime)

En quête de Brünnhilde que la mort du vieux voyou a révélé, Siegfried est aux abords du Walhalla et délivre la Walkyrie où la confusion entre mère et femme amante est entretenue dans un décor où, enfin, un véritable moment de poésie s’installe à partir de la scène du réveil pour se poursuivre par un duo hypnotisant sous les lumières crépusculaires qui traversent les grandes parois de verre du palais.

Un nouveau personnage qui représente le fidèle Grane – on le comprendra au dernier épisode – intervient afin de créer une tension autour de Brünnhilde qui hésite à faire confiance à son libérateur. Une petite scène humoristique signe enfin la décision de suivre Siegfried.

Pour cette seconde journée, Tomasz Konieczny poursuit sa prestigieuse personnification du Wanderer avec une assise formidable et une force féroce, et Arnold Bezuyen fait sensiblement ressentir les faiblesses humaines de Mime qui résonnent fort bien avec sa personnalité incapable d’agir

Andreas Schager (Siegfried)

Andreas Schager (Siegfried)

Splendide par son abattage déluré avec lequel il défigure la maison de Mime et s’impose face à Fafner, Andreas Schager est pour beaucoup dans l’intérêt qui est porté à cette soirée, car sa vitalité éclatante arrive à transcender les trivialités visuelles. Il s’épuise néanmoins à la toute fin, mais personne ne lui en veut car le geste de cet artiste est irradiant.

Et excellent Fafner, Wilhelm Schwinghammer pourrait réveiller les morts tant la noirceur de son timbre est plaintive et insondable, alors que la rondeur profonde mais lumineuse d' Okka von der Damerau mériterait encore plus d’obscurité mortifère pour rendre la dernière intervention d’Erda absolument désespérée.

Enfin, lumineuse et touchante, Daniela Köhler offre un beau portrait classique d’une Brünnhilde rajeunie, mais qui n’aurait pas les graves suffisants si elle devait l’interpréter dans ‘Götterdämmerung’, et Cornelius Meister devient absolument merveilleux dans le grand tableau final où les cordes prédominent dans des nuances mahlériennes de toute beauté, sans faire oublier qu'il a tendance à retenir les cuivres nécessaires à l’élan et au tranchant musical dans certains passages antérieurs.

Daniela Köhler (Brünnhilde)

Daniela Köhler (Brünnhilde)

Götterdämmerung

Après la disparition des voyous, ‘Le Crépuscule des Dieux’ ouvre le champ aux exécutants d’Alberich. 
Dans la chambre où dort l’enfant de Siegfried, qui est devenu un homme bien installé issu d’une grande famille bourgeoise, apparaissent en songe les trois nornes, recouvertes de paillettes au regard dissimulé, ainsi qu’Alberich qui arrive à se saisir de l’arme-jouet de l’enfant. 

Cette arme réapparaitra au second acte sans qu’elle paraisse jouer un rôle fondamental.

Une fois que s’achève ce prologue sur la scène d’exaltation entre Siegfried et Brünnhilde, un nouvel appartement en cours d’aménagement se déploie sur toute sa longueur, et le couple formé par Gunther et Gutrune auquel est lié Hagen se présente comme une famille de nouveaux riches sadiques – un tableau les montre tous trois chassant le zèbre en Afrique – sans colonne vertébrale morale et prête à tout pour détruire les puissants.

Gunther porte un pull où est inscrit ‘Who the fuck is grane ?’ en lettres luminescentes, et Gutrune est affublée d’une superbe robe vert-fluo.

Et une fois le sang du fidèle serviteur versé dans la coupe qui va servir à faire perdre la mémoire à Siegfried, le malheureux Grane est lacéré de coups, torturé et découpé sans aucune raison et dans l’indifférence générale.

Albert Dohmen (Hagen) et Michael Kupfer-Radecky (Gunther)

Albert Dohmen (Hagen) et Michael Kupfer-Radecky (Gunther)

Le jeu d’acteurs de cette séquence est particulièrement bien affuté pour Gunther qui dégage une épaisseur délirante et vicieuse, et même Gutrune apparaît comme véritablement complice et non comme une femme effacée. Hagen est, lui, plus introverti.

Retour dans la chambre de l’enfant de Siegfried où Brünnhilde assiste à l’arrivée de sa sœur Waltraute qui, terrorisée et ayant envie d’en finir avec la vie, vient lui annoncer que le Walhalla n’est plus qu’un palais de fantômes, ce que Wotan avait déjà constaté lorsqu’il y avait retrouvé Erda au dernier acte de ‘Siegfried’

La scène est d’une grande puissance dramatique, mais une fois Waltraute partie, c’est Gunther qui baillonne l’enfant et tente d’abuser de la Walkyrie. Siegfried est complice.

La solitude moribonde de Hagen est ensuite présentée dans une grande salle uniquement occupée par un punching-ball sous des éclairages froids et lugubres très réussis. Avec Alberich, tous deux paraissent ne posséder qu’un grand vide, et l’instant de basculement de la malédiction est marqué par l’arrivée du chœur habillé de noir et affublé de masques rouges de mythologie nordique aux mêmes dessins que ceux que l’on voyait régulièrement dans les mains des enfants depuis ‘Rheingold’, sans que l’on ne sache auparavant ce que traduisaient ces petits indices annonciateurs, c'est à dire le sceau du destin qui pèse sur les clans de Wotan et Alberich. 

Elisabeth Teige  (Gutrune) et Stephen Gould (Siegfried)

Elisabeth Teige (Gutrune) et Stephen Gould (Siegfried)

Et si ‘La Walkyrie’ et ‘Siegfried’ s’achevaient sur les deux plus belles images de cette Tétralogie, c’est la fin du deuxième acte de ‘Götterdämmerung’ qui offre la troisième belle image lorsque Brünnhilde contemple en contre-jour, impuissante, le duo formé au loin par Siegfried et Gutrune.

Car le dernier acte de cette dernière journée s’achève sur la sordide vision d’un large conteneur, qui pourrait représenter les profondeurs du Rhin asséché, où l’on voit Siegfried apprendre à son enfant à pêcher à la ligne, instant de bonheur dérisoire au fond d’un triste puit. C’est là que Hagen tue banalement le héros alors que Gunther descend pour y jeter la tête de Grane, avant de s’enfuir sous l’effet de la panique. Les Gibichungen, tous saouls, viennent entourer la fosse, puis surgit Brünnhilde qui entame une danse à la Salomé avec la tête de Grane et finit par se coucher près de Siegfried, une image du néant absolu, alors qu'en filigrane une icône des frères jumeaux originels enlacés et, cette fois, réconciliés apparait.

C’est très pesant à voir et n’a aucun sens, et il faut véritablement la détermination d’Iréne Theorin, plus intègre vocalement que dans ‘La Walkyrie’, pour donner un intérêt à cet acte où Michael Kupfer-Radecky réalise une incarnation sauvage et forte de Gunther comme rarement il est possible de le voir. 

Sur ce plan, la réussite du portrait psychologique de ce personnage totalement détraqué est à mettre au crédit de Valentin Schwarz et du baryton allemand.

Iréne Theorin (Brünnhilde) et Christa Mayer (Waltraute)

Iréne Theorin (Brünnhilde) et Christa Mayer (Waltraute)

Christa Mayer est elle aussi fascinante en Waltraute aux aigus bien dardés et dotée de couleurs vocales altérées qui lui donnent un caractère enténébré, ainsi qu’Elisabeth Teige en Gutrune, vibrante d’une noirceur toute charnelle. Quant à Albert Dohmen, il décrit un Hagen dépressif avec une intériorité sombre mais pas abyssale pour autant.

Et depuis le début, Olafur Sigurdarson porte la voix d’Alberich avec une éloquence très assurée, alors que Stephen Gould se charge de contenir Siegfried dans une tonalité désabusée, plus monotone qu’Andreas Schager, ce qui, dans le cadre de cette mise en scène qui espace chaque épisode d’une génération à chaque fois, a plutôt du sens.

Iréne Theorin (Brünnhilde)

Iréne Theorin (Brünnhilde)

Il faut un certain temps pour apprivoiser la fosse de Bayreuth, mais ‘Götterdämmerung’ se présente comme le volet le plus abouti par Cornelius Meister qui œuvre avec un geste éthéré et luxuriant – il faut entendre ces agrégats de cuivres argentés, de bois chauds et de cordes filées qui se mêlent magnifiquement au sein d’une respiration ample -, et qui estompe aussi les noirceurs pour leur donner une valeur plus subtile et subconsciente.

Il est indéniable qu’une partie du public a apprécié cette démarche dramaturgique qui tire son intérêt de tous les éléments introduits qui posent des dizaines questions, mais si dans une approche de divertissement cela peut se comprendre, il reste que l’auditeur qui veut mieux appréhender les vérités contenues dans cet ouvrage monumental, et apprécier une meilleure concordance avec les mouvements de la musique, sera tenté d’aller découvrir les prochains ‘Ring’ par Dmitri Tcherniakov à Berlin (2022/2023),  Calixto Bieito à Paris (2024/2026) ou bien Tobias Kratzer à Munich (2024/2026).

Cornelius Meister et l'orchestre du Festival de Bayreuth

Cornelius Meister et l'orchestre du Festival de Bayreuth

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Publié le 13 Juin 2022

Parsifal (Richard Wagner – 1882)
Représentations du 06 et 12 juin 2022
Opéra Bastille

Amfortas Brian Mulligan
Titurel Reinhard Hagen
Gurnemanz Kwangchul Youn
Klingsor Falk Struckmann
Kundry Marina Prudenskaya
Parsifal Simon O'Neill
Erster Gralsritter Neal Cooper
Zweiter Gralsritter William Thomas
Vier Knappen Tamara Banjesevic, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Tobias Westman, Maciej Kwaśnikowski
Klingsors Zaubermädchen Tamara Banjesevic, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Ramya Roy, Kseniia Proshina, Andrea Cueva Molnar, Claudia Huckle
Eine Altstimme aus der Höhe Claudia Huckle                  
Simon O'Neill (Parsifal)

Direction musicale Simone Young
Mise en scène Richard Jones (2018)

La nouvelle production de ‘Parsifal’ par Richard Jones ayant souffert en 2018 d’un accident de plateau qui avait engendré l’annulation de la moitié des représentations, une reprise quatre ans plus tard était nécessaire pour en faire profiter le plus de spectateurs possible.

Marina Prudenskaya (Kundry)

Marina Prudenskaya (Kundry)

Ces dernières années, l’ouvrage a connu à Paris et à l’étranger des mises en scène fortes, intelligentes et d’une grande complexité de la part de Stefan Herheim (Bayreuth 2008), Krzysztof Warlikowski (Opéra Bastille 2008), Calixto Bieito (Stuttgart 2010) ou bien plus récemment Kirill Serebrennikov (Vienne 2021), si bien que celle de Richard Jones se présente comme une antithèse qui choisit de raconter l’histoire de manière factuelle sans tenir compte de la symbolique attachée aux divers objets ou à son contexte chrétien.

Les faits se déroulent au sein d’une confrérie d’aujourd’hui (les tuniques vertes des adeptes sont marquées de l'année 1958 en caractères romains) qui veille les derniers jours de son maître spirituel et opère un rite autour d’une coupe dorée dans l’espoir de retrouver l’autre objet perdu par Amfortas, la lance.

Klingsor est présenté littéralement comme celui qui « a fait du désert un jardin de délices où poussent de démoniaques beautés », comme le raconte Gurnemanz au premier acte, et devient ainsi un généticien inventeur de créatures mi-humaines mi-plantes que Parsifal affrontera et détruira. Mais dès l’arrivée de Kundry au second acte, le metteur en scène ne travaille plus qu’une seule idée afin de montrer par un jeu d’ombres habile la métamorphose de celle-ci, mère protectrice, en femme séductrice.

Kwangchul Youn (Gurnemanz) et William Thomas (Second chevalier)

Kwangchul Youn (Gurnemanz) et William Thomas (Second chevalier)

Le principal atout de cette dramaturgie est de reposer sur un immense décor tout en longueur qui bénéficie des larges espaces latéraux de la scène pour défiler selon les différents lieux de l’action de manière totalement fluide. Richard Jones arme Parsifal d’un glaive pour bien montrer que la lance n’est qu’un objet décoratif, et non une arme magique et destructrice, et une fois de retour dans la communauté, le jeune innocent libère ses occupants en leur faisant prendre conscience qu’ils doivent se libérer avant tout de leur endoctrinement et des ‘mots’ (‘Wort’ en allemand) qui les éloignent de la vie.

Parsifal part ainsi avec Kundry vers une nouvelle spiritualité, et Jones, par son refus de relire le texte de l’ouvrage, montre à travers sa mise en scène toute la distance qu’il entretient avec ce texte qu’il invite de manière sous-jacente à laisser de côté.

Parsifal (O'Neill Prudenskaya Mulligan Young Jones) Opéra de Paris

Simone Young n’était jusqu’à présent venue qu’une seule fois à l’Opéra de Paris à l’occasion de la production des 'Contes d’Hoffmann' jouée sur la scène Bastille dans la mise en scène de Roman Polanski en octobre 1993.

Pour son retour près de trois décennies plus tard, elle se saisit d’un orchestre éblouissant avec lequel elle se livre à une lecture mesurée dans le prélude pour gagner progressivement en ampleur à partir de la scène du rituel du premier acte. Avec beaucoup de réussite dans les moments spectaculaires où la puissance des percussions et des cuivres soulève la masse orchestrale tout en préservant la chaleur du son, elle met magnifiquement en valeur la poésie et la rondeur des timbres et s’approprie l’entièreté de l’espace sonore avec une grande clarté. Et si elle ne laisse aucun silence s’installer, transparaît surtout une envie de ne pas rompre la narration et le mouvement des chanteurs et de les emporter dans une grande respiration symphonique d’une superbe luminosité. C’est particulièrement convaincant lors de la confrontation entre Parsifal et Kundry où il ne se passe quasiment rien sur une scène sombre et dépouillée.

Brian Mulligan (Amfortas)

Brian Mulligan (Amfortas)

Les ensembles de chœurs sont également splendides, et parfois féroces pour ceux qui sont sur scène, d’une élégie un peu tourmentée pour ceux qui œuvrent dans les coulisses, et d’une touchante picturalité pour les femmes situées en couloirs de galeries.

On ne présente plus Kwangchul Youn qui chante Gurnemanz sur toutes les scènes du monde et qui a laissé un souvenir mémorable dans la production de Stefan Herheim à Bayreuth. Le timbre est dorénavant plus austère mais toujours d’une pleine homogénéité si bien qu’il incarne une sagesse un peu taciturne. 

Doué d’une tessiture acide et très claire qui évoque plus naturellement l’héroïsme tête-brûlée de Siegfried, Simon O'Neill n’en est pas moins un Parsifal intéressant par la précision de son élocution et la détermination qu’il affiche, imperturbable en toute situation. Son endurance dénuée de tout glamour est un atout précieux car elle assoit un caractère viril fort.

Simon O'Neill (Parsifal) et Marina Prudenskaya (Kundry)

Simon O'Neill (Parsifal) et Marina Prudenskaya (Kundry)

Brian Mulligan ne fait certes pas oublier les accents de tendresse blessée qui font le charme des incarnations de Peter Mattei, sa voix métallique est cependant une gangue impressionnante pour faire ressentir les tortures de douleurs presque bestiales que subit Amfortas, et son personnage est en tout cas bien mieux dessiné que celui de Klingsor auquel Falk Struckmann apporte une certaine expressivité rocailleuse qui solidifie beaucoup trop le magicien dans une peinture prosaïque.

La Kundry de Marina Prudenskaya est évidemment le portrait le plus fort de la soirée, elle qui est corporellement si souple et fine et qui dispose pourtant d’une voix aux graves très développés. D’une très grande aisance théâtrale, les exultations en tessiture aiguë se font toujours avec une légère adhérence pour finalement s’épanouir en un tranchant vif et coloré, et ce mélange de sensualité et de monstruosité en fait un véritable caractère wagnérien troublant.

Marina Prudenskaya, Ching-Lien Wu, Simone Young et Simon O'Neill

Marina Prudenskaya, Ching-Lien Wu, Simone Young et Simon O'Neill

Et les filles fleurs intensément vivantes de Tamara Banjesevic, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Ramya Roy, Kseniia Proshina, Andrea Cueva Molnar et Claudia Huckle, ont de quoi impressionner par leur débauche de traits fusés avec une violence implacable.

Enfin, parmi les rôles secondaires, Maciej Kwaśnikowski se fait remarquer par sa droiture et sa clarté juvénile, ainsi que William Thomas pour sa noble noirceur hypnotique.

Malgré toutes les réserves que l’on peut avoir sur le parti pris de la mise en scène qui trivialise beaucoup trop le livret, la beauté de cette interprétation musicale sublime tout, d’autant plus que la dernière représentation s’est jouée sans surtitres sur le panneau central, ce qui a accru la prégnance de la musique et permis de voir nombre de spectateurs échanger aux entractes sur le sens de ce qu’ils venaient de voir.

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Publié le 24 Avril 2022

L’Or du Rhin (Richard Wagner – 1869)
Version de concert du 23 avril 2022
Théâtre des Champs-Elysées

Wotan Michael Volle
Loge Gerhard Siegel
Alberich Samuel Youn
Mime Thomas Ebenstein
Erda Wiebke Lehmkuhl
Fasolt Stephen Milling
Fafner Mikhail Petrenko
Fricka Jamie Barton
Froh Issachah Savage
Donner Thomas Lehman
Freia Christiane Karg
Wellgunde Iris van Wijnen
Flosshilde Maria Barakova
Woglinde Erika Baikoff

Direction musicale Yannick Nézet-Séguin
Rotterdams Philharmonisch Orkest
Diffusion sur France Musique le le 21 mai 2022

Depuis 12 ans qu’il dirige le Théâtre des Champs-Élysées, Michel Franck représente régulièrement les œuvres de Richard Wagner dont il a déjà programmé deux versions de concert de ‘Parsifal’, une version de concert de ‘Tristan und Isolde’, ‘La Walkyrie’ et ‘Le Vaisseau Fantôme’, et une version scénique de ‘Tristan und Isolde’.

Quant à ’L’Anneau du Nibelung’, il n’avait plus été joué depuis avril 1988 lorsque deux cycles intégraux furent interprétés dans la mise en scène de Daniel Mesguisch conçue pour l’Opéra de Nice. ‘L’Or du Rhin’ fait donc son grand retour avenue Montaigne après 34 ans d’absence.

Michael Volle et Yannick Nézet-Séguin

Michael Volle et Yannick Nézet-Séguin

Et l’on croise les doigts pour que le prologue magnifiquement dépeint ne soit que le début d’un cycle intégral tant l’extraordinaire théâtralité de la direction orchestrale et de l’ensemble de la distribution a contribué à déployer un drame sans relâche et totalement prenant tout le long de la soirée, alors que la première de cette série venait juste d’avoir lieu la veille à Rotterdam. Tous se retrouveront ensuite à Dortmund et à Baden Baden, respectivement les 28 et 30 avril, pour deux autres représentations.

Iris van Wijnen (Wellgunde) et Maria Barakova (Flosshilde)

Iris van Wijnen (Wellgunde) et Maria Barakova (Flosshilde)

Dans l’alcôve qui sert d’écrin au Rotterdams Philharmonisch Orkest, l’introduction, loin d’être comme une lointaine évocation d’un fleuve à l’origine du monde, saisit pas sa présence et la tension vive et colorée des bois sombres qui l’animent, et la concentration dans la salle dès ce prélude est encore plus palpable.

Samuel Youn (Alberich)

Samuel Youn (Alberich)

Les ondines du Rhin, Iris van Wijnen, Maria Barakova et Erika Baikoff, ont toutes trois une aisance scénique servie par des timbres de voix bien marqués, la première mettant en avant des effets coloratures audacieux alors que la seconde fait vivre des opulences graves comme pour charmer et que la troisième représente le mieux la raison.

Michael Volle (Wotan)

Michael Volle (Wotan)

L’arrivée de Samuel Youn est absolument fantastique car il va personnifier Alberich, le nain qui s’emparera de l’or gardé par les nymphes, avec une expressivité délirante, des expressions du visage qui traduisent acuité et intentions maléfiques perçantes, et une agressivité corporelle inattendue chez ce chanteur qui incarnait le Hollandais volant à Bayreuth jusqu’en 2015 de façon bien plus réservée. 

Jamie Barton (Fricka) et Christiane Karg (Freia)

Jamie Barton (Fricka) et Christiane Karg (Freia)

Le timbre gris-argent est fait d’un métal à la fois souple et endurci qui lui donne une pénétrance infaillible et rend son personnage passionnant d’admiration. Et son insertion avec la vitalité de la musique – magnifiques clins d’œil à de furtifs motifs orchestraux – démontre aussi en quoi Wagner raconte de manière incomparable un puissant drame théâtral que Yannick Nézet-Séguin intériorise de manière déchaînée.

Stephen Milling (Fasolt) et Mikhail Petrenko (Fafner)

Stephen Milling (Fasolt) et Mikhail Petrenko (Fafner)

Splendide, lui aussi, et souverain d’allure puisque Wotan règne à la fois sur les dieux, les géants, les hommes et les nains, Michael Volle est loin d’être un puissant sur le déclin tant sa déclamation est assurée sans le moindre ébranlement, qu’il porte en lui une autorité naturelle magnifiée par une noblesse de timbre feutrée éloquente, et qu’il inspire autant la ruse que le bouillonnement éruptif prêt à paralyser son auditoire.

Thomas Lehman (Donner) et Issachah Savage (Froh)

Thomas Lehman (Donner) et Issachah Savage (Froh)

Son jeu de connivence avec le Loge de Gerhard Siegel est d’une très haute tenue, le ténor allemand ayant toujours de cet éclat imparable qui assoit la consistance manipulatrice de son personnage, avec toutefois un peu plus d’ombres dans le timbre de voix qui accroît l’impression de maturité et met en retrait la nature démoniaque du dieu du feu.

Gerhard Siegel (Loge) et Michael Volle (Wotan)

Gerhard Siegel (Loge) et Michael Volle (Wotan)

Et quelle correspondance stupéfiante entre la carrure massive de Stephen Milling et Mikhail Petrenko, d’une part, et les géants Fasolt et Fafner, d’autre part, venus demander leur rétribution pour la construction du Walhalla, la résidence des dieux, qu’ils évoquent avec une distinction d’expression qui correspond très bien à leurs caractères. 

Samuel Youn (Alberich) et Thomas Ebenstein (Mime)

Samuel Youn (Alberich) et Thomas Ebenstein (Mime)

Stephen Milling a ainsi des inflexions de voix et un rendu noble et sensible qui font beaucoup penser au Roi Marke de ‘Tristan und Isolde’, et cette sensibilité reflète avec justesse les sentiments pour Freia, dirigée de manière percutante par Christiane Karg, alors que Mikhail Petrenko est plus froid et acerbe ce qui le prédispose à être celui qui tuera son frère pour s’emparer de la totalité du trésor remis aux géants par Wotan.

Yannick Nézet-Séguin et le Rotterdams Philharmonisch Orkest

Yannick Nézet-Séguin et le Rotterdams Philharmonisch Orkest

Avec sa voix qui draine des agrégats de textures mélangeant graves profonds, multiples vibrations aux reflets hétéroclites et des aigus fauves, Jamie Barton est loin de simplement jouer une Fricka se sentant abandonnée par Wotan attaché à son désir d’éternelle jeunesse, mais évoque déjà la stature plus dominatrice de la déesse que nous retrouverons plus tard dans ‘La Walkyrie’. 

Wiebke Lehmkuhl (Erda)

Wiebke Lehmkuhl (Erda)

La sensualité sauvage est donc portée par Wiebke Lehmkuhl dont la beauté opulante du chant dépasse la simple expression de la sagesse d’Erda, mère des trois Nornes fileuses du destin, pour en faire une femme d’une somptueuse séduction ensorceleuse. 

Maria Barakova (Flosshilde), Iris van Wijnen (Wellgunde) et Erika Baikoff (Woglinde)

Maria Barakova (Flosshilde), Iris van Wijnen (Wellgunde) et Erika Baikoff (Woglinde)

Et même les traits de caractère de Mime, dont la déclamation assombrie de Thomas Ebenstein traduit bien le tempérament veule, et la posture vaillante et fiable de Issachah Savage et Thomas Lehman en Froh et Donner, participent à la crédibilité de cette histoire de famille dont l’avenir du monde dépend.

Michael Volle et Yannick Nézet-Séguin

Michael Volle et Yannick Nézet-Séguin

Yannick Nézet-Séguin et le Rotterdams Philharmonisch Orkest sont ainsi éblouissants dans le rendu de cette version extraordinairement dramatique de ‘L’Or du Rhin’ qui dispense un son superbement chaleureux aux colorations d’or rougeoyant, vivifiée par un courant finement nuancé et une rondeur merveilleusement poétique dans les solo de vents. Les chatoiements des coups d'enclumes au moment de la plongée vers le Nibelung ont aussi un effet enchanteur par l'émerveillement qu'ils procurent.

Les changements d’ampleur sont menés sans ambages mais sans brusquerie non plus, avec un soin à ne pas saturer le son et faire perdre en richesse de détails, et cette lecture à la fois intime et galvanisante réussit quelque chose de très rare dans une salle de spectacle qui est d’absorber totalement l’attention du public dans un tout avec la musique et les solistes de par la magnificence du récit et sa prégnance interprétative.

Jamie Barton, Gerhard Siegel, Michael Volle, Yannick Nézet-Séguin et Samuel Youn

Jamie Barton, Gerhard Siegel, Michael Volle, Yannick Nézet-Séguin et Samuel Youn

Beaucoup sont sortis du Théâtre des Champs-Élysées probablement abasourdis par cet emport qui les a dépassé.

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Publié le 6 Mars 2022

Le Crépuscule des Dieux (Richard Wagner – 1876)
Représentation du 27 février 2022
Teatro Real de Madrid

Siegfried Andreas Schager 
Gunther Lauri Vasar
Alberich Martin Winkler
Hagen Stephen Milling
Brünnhilde Ricarda Merbeth
Gutrune Amanda Majeski
Waltraute Michaela Schuster
Les trois Nornes Claudia Huckle, Kai Rüütel, Amanda Majeski
Woglinde Elizabeth Bailey
Wellgunde Maria Miró 
Flosshilde Claudia Huckle

Direction musicale Pablo Heras-Casado
Mise en scène Robert Carsen (2002)                            
Claudia Huckle (Une Norne)
Chœur et Orchestre du Teatro Real de Madrid

Créé à Cologne de 2000 à 2002 où il sera repris intégralement en 2007 après un passage à Venise ('La Walkyrie' joué à la Sérénissime en 2006 avait été commenté ci-après - La Walkyrie à la Fenice), le Ring mis en scène par Robert Carsen a ensuite voyagé au Liceu de Barcelone de 2013 à 2016 pour être finalement monté au Teatro Real de Madrid à partir de 2019.

Andreas Schager (Siegfried) et Ricarda Merbeth (Brünnhilde)

Andreas Schager (Siegfried) et Ricarda Merbeth (Brünnhilde)

La soirée du 27 février 2022 clôt ainsi la reprise de ce cycle dans des conditions bien particulières, trois jours après le début de l’attaque Russe en Ukraine.

La scénographie de Robert Carsen se limite à seulement trois unités de lieu avec une économie de moyens qui explique la facilité à la déployer de théâtres en théâtres. 

Andreas Schager (Siegfried)

Andreas Schager (Siegfried)

Ainsi, le prologue se déroule dans une pièce désertée d’un palais où les Nornes scellent le vieux mobilier entassé au centre de la pièce principale sous une lumière orangée crépusculaire tout en prédisant l’incendie prochain du Walhalla.

Quant aux trois actes qui suivent, ils alternent entre un champ de bataille dévasté jonché des restes vestimentaires de soldats morts au combat, auxquels s’ajouteront ultérieurement des débris de bombardements, et le palais des Gibichungen transformé en état major militaire d’une nation dictatoriale où trône, en arrière plan, deux cartes du Rhin qui s'étendent respectivement au nord et au sud de Cologne, le lieu de création de la production.

Stephen Milling (Hagen) et Lauri Vasar (Gunther)

Stephen Milling (Hagen) et Lauri Vasar (Gunther)

Incarnant les trois filles d’Erda, Claudia Huckle, Kai Rüütel, Amanda Majeski forment un groupe de femmes visionnaires et soudées aux timbres bien distincts et complémentaires, avec une certaine âpreté dans leur brillance, et quand apparaissent Andreas Schager et Ricarda Merbeth, la scène s’enflamme une première fois de par le rayonnement héroïque avec lequel ils confrontent Siegfried et Brünnhilde à la salle dans une exaltation vocale et orchestrale formidablement galvanisante.

Andreas Schager (Siegfried) et Lauri Vasar (Gunther)

Andreas Schager (Siegfried) et Lauri Vasar (Gunther)

Le ténor autrichien s'avère d’une solidité à toute épreuve, d’une grande clarté légèrement ombrée et un soupçon de tendresse qu’il détourne progressivement pour jouer un personnage sûr de lui et plaisantant de manière fort drôle, même avec ses ennemis, tant il est inconscient de la situation. Probablement est-il toujours aujourd’hui le Siegfried le plus complet de sa génération qui allie générosité et innocence adolescente attachante.

Stephen Milling (Hagen)

Stephen Milling (Hagen)

Depuis le temps qu’elle apparaît sur toutes les scènes wagnériennes, Ricarda Merbeth tient toujours fièrement une vaillance chevillée au corps, sa voix peu colorée dans les graves se déployant largement dans l’aigu en vibrations soyeuses aux teintes d’ivoire, comme si une joie transcendante irradiait en permanence son chant.

Quand on la retrouve plus loin avec Michaela Schuster qui apporte à Waltraute un sens de l’urgence dramatique dans une tessiture médium grave à l’homogénéité assez bien maîtrisée, la soprano allemande renvoie aussi une image de grande force intérieure naturellement poignante.

Ricarda Merbeth (Brünnhilde) et Michaela Schuster (Waltraute)

Ricarda Merbeth (Brünnhilde) et Michaela Schuster (Waltraute)

Dans la famille des Gibichungen et affiliés, Amanda Majeski dépeint une Gutrune noble et attendrissante, telle une Lady Diana œuvrant pour la paix, et Lauri Vasar, au spectre vocal nettement focalisé, incarne un Gunther empreint de fulgurances et de détermination, mais qui apparait aussi comme quelqu’un de facilement manipulable.

Amanda Majeski (Gutrune)

Amanda Majeski (Gutrune)

Stephen Milling est évidemment un impressionnant Hagen aux belles résonances inquiétantes, un peu atténuées toutefois par la grandeur de l’espace scénique, et ressemble fortement à une sorte d’apparatchik qui contrôle les leaders militaires, Gunther compris, pour arriver à ses fins.

Et si 'Le Crépuscule des Dieux' n’est pas le volet qui met le mieux en valeur le rôle d’Alberich, Martin Winkler investit cependant excellemment chaque instant à faire vivre la nervosité vociférante de son personnage.

Ricarda Merbeth (Brünnhilde)

Ricarda Merbeth (Brünnhilde)

Maîtrisant un ensemble de musiciens devenus une redoutable phalange depuis le travail de rénovation entrepris par Gerard Mortier 12 ans plus tôt, Pablo Heras-Casado emporte le flot musical en déroulant de splendides volutes aux colorations de fer forgé par des cuivres rougeoyants, une fusion de timbres où des tissures de lumières d’or se faufilent au milieu de cette lave vivante souple et majestueuse. 

Côté cour, s’admire une batterie de cuivres chauds disposés dans les premières loges, et côté jardin, une autre batterie de harpes induit une limpide poésie aux sonorités moirées de l’orchestre central, et nous avons donc là un récit fluide noir et crépusculaire, amplifié par de très belles images désolées et des contre-jours de brumes ou de feux.

Andreas Schager (Siegfried)

Andreas Schager (Siegfried)

Et soudain, survient un moment politique fort quand apparaît le corps de Siegfried enveloppé du drapeau Ukrainien après son lâche assassinat par Hagen. L’attitude digne et le regard en veille désespérée de Ricarda Merbeth à ce moment là resteront à jamais gravés dans les mémoires de chacun. 

Ricarda Merbeth (Brünnhilde) et Andreas Schager (Siegfried)

Ricarda Merbeth (Brünnhilde) et Andreas Schager (Siegfried)

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Publié le 9 Octobre 2021

Richard Wagner (Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg, Tristan und Isolde, Die Walküre)
Concert du 07 octobre 2021
Grande salle Pierre Boulez, Philharmonie de Paris

Richard Wagner
Maîtres Chanteurs de Nuremberg, Ouverture  (Bayerische Staatsoper - 1868)
Tristan et Isolde, Prélude et Mort d'Isolde (Bayerische Staatsoper - 1865)
La Walkyrie, acte 1 (Bayerische Staatsoper - 1870)

Sieglinde Jennifer Holloway
Siegmund Stuart Skelton
Hunding Mika Kares

Direction musicale Jaap van Zweden
Orchestre de Paris

                                                                Jaap van Zweden

 

Les wagnériens sont visiblement gâtés en cette rentrée lyrique parisienne, car après l’orchestre du Festival de Bayreuth venu pour la première fois à la Philharmonie de Paris début septembre, voilà que l’Orchestre de Paris dédie deux soirées au compositeur allemand quand le Vaisseau Fantôme débute au même moment une série de représentations sur la scène Bastille.

Jennifer Holloway (Sieglinde) et Stuart Skelton (Siegmund)

Jennifer Holloway (Sieglinde) et Stuart Skelton (Siegmund)

L’évènement de ces deux concerts réside aussi en la venue de Jaap van Zweden qui, mi septembre, a annoncé dans le New-York Times qu’il quitterait la direction du New-York Philharmonic à la fin de la saison 2023-2024 par désir de liberté. L’épidémie de covid, qui l’a obligé à rester aux Pays-Bas pendant 18 mois loin de son orchestre, l’a en effet incité à réviser ses directions de vie et notamment à se réinvestir dans sa fondation qui s’emploie à utiliser la musique pour aider les familles d’enfants autistes.

Il se concentre cependant sur la réouverture du Geffen Hall de New-York, pour lequel 550 millions de $ de travaux de rénovation ont été engagés, attendue à l’automne 2022 avec deux ans d’avance.

Wagner (Jennifer Holloway - Stuart Skelton - Mika Kares - Jaap van Zweden) Philharmonie de Paris

La manière avec laquelle il s’empare de l’Orchestre de Paris dit beaucoup du tempérament de ce chef d’orchestre et de sa recherche de somptuosité. La pâte sonore est d’une onctuosité très dense, les courants des cordes s’entrelacent avec une énergie haletante, et sa lecture suit un rythme cinématographique efficace sans que le son jaillissant des percussions ne sature pour autant les couleurs de l’orchestre. Cela bénéficie à l’ouverture des Meistersinger qui, petit à petit, fait monter les frissons chez l’auditeur, et l’on retrouve exactement ce même sens de la progression émotionnelle dans le Prélude de Tristan und Isolde d’une très belle luminosité. Ce sera un peu moins le cas pour la Mort d’Isolde même si la finesse orchestrale est tout aussi soyeuse.

Mais sans doute le plus beau était d’admirer tous ces jeunes présents partout, surtout dans les balcons, et qui peut-être ont pu faire des rapprochements entre la musique de Wagner et des films tels Melancholia de Lars Von Triers ou Roméo et Juliette de Baz Luhrmann qui intègrent respectivement le Prélude et la Mort d’Isolde. On aimerait qu’ils aient apprécié à cette même mesure une telle musique et y reviennent tout autant.

Mika Kares (Hunding)

Mika Kares (Hunding)

En seconde partie, le premier acte de la Walkyrie ouvre avec ce même influx tendu lors de la tempête avec un beau déploiement et un beau fondu des différentes strates de cordes, et le duo entre Jennifer Holloway et Stuart Skelton va se révéler d’une tendresse véritablement touchante.

La soprano américaine, que l’on retrouvera auprès de Véronique Gens dans Hulda de César Franck au Théâtre des Champs-Élysées, en juin prochain, offre un portrait sensible, doué d’une luminosité ombrée bien focalisée, mais avec une largeur de rayonnement appréciable. La fragilité de son personnage et la puissance de son désir d’exister se ressentent, et le ténor australien lui voue une tendresse magnifique, un aplomb vocal spectaculaire qui offre à son timbre au grain chaleureux une gangue de souffle d’une profondeur inouïe – beaucoup ont remarqué son volontarisme d’airain qui semblait concurrencer Lauritz Melchior à travers les Wälse ! -.

Il s’agit ici d’une incarnation très réfléchie dans les moindres détails de ses inflexions, d’une humanité entière beaucoup plus proche de chacun que celle d’un héros romantique inaccessible.

Mika Kares (Hunding), Stuart Skelton (Siegmund) et Jennifer Holloway (Sieglinde)

Mika Kares (Hunding), Stuart Skelton (Siegmund) et Jennifer Holloway (Sieglinde)

Et Mika Kares confirme qu’il est une des valeurs montantes dans les rôles de basses qui s’impose sur toutes les scènes du monde. Il met en avant une stature inflexible mais couverte par un timbre dont le velouté laisse transparaître des failles humaines retenues qui évitent de renvoyer une image trop monolithique. Son Hunding gagne ainsi en caractère et noblesse.

La joie de l'Orchestre de Paris

La joie de l'Orchestre de Paris

Quand s’acheva ce premier acte au final survoltant, quel regret qu’il ne fut possible d’enchaîner immédiatement sur l’ouverture du second acte et son ascension vertigineuse, car le temps ne comptait plus.

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Publié le 7 Octobre 2021

Le Hollandais volant (Richard Wagner - 1843)
Répétition générale du 06 octobre 2021 et représentations du 25 et 28 octobre 2021
Opéra national de Paris - Bastille

Daland Günther Groissböck
Senta Ricarda Merbeth
Erik Michael Weinius
Mary Agnes Zwierko
Der Steuermann Thomas Atkins
Der Holländer Tomasz Konieczny

Direction musicale Hannu Lintu
Mise en scène Willy Decker (2000)

La production du Vaisseau Fantôme que l’Opéra de Paris n’avait plus programmé depuis le 09 octobre 2010 était très attendue car il s’agit du premier drame wagnérien proprement dit. Sa simplicité et son romantisme s’adressent à tous, et les contrées qu’il décrit avec sa musique créent en chacun des impressions visuelles fort évocatrices.

Tomasz Konieczny (Der Holländer)

Tomasz Konieczny (Der Holländer)

L’œuvre n’est entrée au répertoire qu’en 1937, 40 ans après sa création parisienne au Théâtre des Nations de l’Opéra Comique - à l'actuel emplacement du Théâtre de la Ville -, mais elle fait dorénavant partie des 30 opéras les plus joués de la maison.

Et la reprise de cette année atteint un niveau musical bien plus équilibré et très supérieur à celui de la dernière reprise où le couple d’ Erik et Senta formé par Klaus Florian Vogt et Adrianne Pieczoncka semblait être le cœur palpitant de la représentation.

Ricarda Merbeth (Senta)

Ricarda Merbeth (Senta)

Ce soir, la réalisation orchestrale repose sur un orchestre en pleine forme dirigé par un maître des grands espaces nordiques, Hannu Lintu, un chef finlandais qui fait des débuts fracassants à l’Opéra de Paris.

Musclée et flamboyante dans sa manière élancée et virile de faire résonner le corps des cuivres, mais avec de l’allant et une attention à faire ressortir les chaudes pulsations humaines dans les différents duos, cette direction empreint le spectacle d’une narration qui emporte les solistes dans un souffle subjuguant de vitalité.

L’entrée du marin de Thomas Atkins révèle un personnage plus tourmenté que contemplatif, et le chœur masculin, en partie non masqué, impose d’emblée un chant puissant qui a l’impact de l’argent massif.

Tomasz Konieczny (Der Holländer)

Tomasz Konieczny (Der Holländer)

Puis, l’apparition de Tomasz Konieczny s’inscrit splendidement dans le prolongement de cette introduction. Ce chanteur formidable dépeint non seulement le Hollandais errant avec un sens de l’éloquence incisive fantastique, mais il pare également son timbre d’une intense patine sombre aux reflets métalliques qui lui donnent une séduction et une prestance animale absolument souveraine.

L’acteur fait ainsi vivre son personnage avec énormément de justesse ce qui se lit dans sa manière d'interpénétrer sentiments ombrés et tourments intérieurs.

Günther Groissböck (Daland)

Günther Groissböck (Daland)

Günther Groissböck paraît du coup plus simplement humain face à lui, et rend même Daland sympathique. Sa gestuelle a quelque chose d’inclusif, de directement accessible, la variété des couleurs est sensible, mais son chant n’a pas encore retrouvé tout l’impact qu’on lui connaît.

Ricarda Merbeth (Senta)

Ricarda Merbeth (Senta)

Et Ricarda Merbeth, dont on ne compte plus les incarnations survoltées de Senta à Bayreuth, a certes aussi perdu un peu de puissance et de couleurs dans les aigus, mais force est de constater qu’elle est toujours une wagnérienne qui compte aujourd’hui. Le souffle et la vaillance d'une tessiture ouatée sont bien là, l’imprégnation romantique de cette femme si intérieure est rendue avec une crédibilité et une fierté qui accrochent au cœur, et son magnétisme rivalise en caractère avec celui de Tomasz Konieczny.

Michael Weinius (Erik)

Michael Weinius (Erik)

Erik n’est certes pas un être gagnant dans cette histoire qui le confronte à la violence des sentiments extrêmes de deux figures majeures du romantisme allemand, mais Michael Weinius lui rend un tempérament solide et de caractère, avec une voix mordante, qui a du brillant, et des accents un peu complexes qui donnent de l’épaisseur à un personnage qu’il n’est pas facile à imposer.

Quant aux noirceurs abyssales d'Agnes Zwierko, une fois entendues, elles ne vous quittent plus de la soirée.

Ricarda Merbeth (Senta)

Ricarda Merbeth (Senta)

Après avoir connu la réalisation d’une extrême finesse et la dramaturgie prenante élaborée par Dmitri Tcherniakov pour le Festival de Bayreuth cet été avec la nouvelle production du Fliegende Holländer, revenir au travail épuré de Willy Decker fait inévitablement ressortir certains statismes du jeu théâtral, mais cette épure et la qualité de ses lumières conservent un pouvoir psychique intact sur les spectateurs. 

Comment ne pas être sensible à ce tableau de paysage marin pris en pleine tempête où apparaît en surimpression le vaisseau hallucinatoire de Senta, ou à cette pièce aux dimensions surréalistes qui semble pointer, à la manière d'une proue de navire, au dessus d’une mer agitée ? 

Tomasz Konieczny (Der Holländer)

Tomasz Konieczny (Der Holländer)

Un décor unique, certes, mais plongé dans un univers aux éclairages d’une grande mobilité – hors le duo entre Senta et Le Hollandais qui est volontairement distancié - sans la moindre incongruité, une psychologie centrée sur Senta, où il est véritablement montré à quel point elle est sujette à une maladie qui induit au final un rejet de tous, et qu’elle va transmettre avant de mettre fin à ses jours à une jeune fille de compagnie qui se laissera prendre par l’imaginaire du portrait du Hollandais, c’est bien parce qu’il y a un chef expressif à la barre de l’orchestre et une solide distribution pour prendre émotionnellement l’auditeur, que ce retour a toutes les forces pour lui.

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