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Publié le 23 Mars 2025

Katia Kabanova (Leoš Janáček – Brno, le 23 novembre 1921)
Représentations du 17 mars et 07 juillet 2025
Bayerische Staatsoper - Munich

Dikoj Milan Siljanov
Boris Pavel Černoch
Kabanicha Violeta Urmana
Tichon John Daszak
Káťa Corinne Winters
Kudrjáš James Ley
Varvara Emily Sierra (17 mars)
             Rachael Wilson (07 juillet)
Kuligin Thomas Mole (17 mars)
             Tim Kuypers (07 juillet)
Glaša    Ekaterine Buachidze
Fekluša Elene Gvritishvili
Ein Mann Samuel Stopford
Eine Frau Natalie Lewis

Direction musicale Marc Albrecht (17 mars)
                                Petr Popelka (07 juillet)
Mise en scène Krzysztof Warlikowski (2025)
Décors et costumes Małgorzata Szczęśniak
Lumières Felice Ross
Vidéo  Kamil Polak
Chorégraphie Claude Bardouil
Dramaturgie Christian Longchamp

                      Lukas Leipfinger
Bayerisches Staatsorchester, Choeur du Bayerische Staatsoper

Située à 380 km de Prague, Munich défend bien le répertoire tchèque. Mais si le public du Bayerische Staatsoper est familier avec ‘Jenůfa’ – la production de Barbara Frey fut jouée de 2009 à 2018 -, ‘Káťa Kabanová' n’avait plus été représenté depuis 25 ans, la dernière production de David Pountney, avec Catherine Malfitano dans le rôle titre et Paul Daniel à la direction musicale, n’ayant connu que 14 représentations de mars 1999 à juillet 2000.

Corinne Winters (Káťa) et Emily Sierra (Varvara)

Corinne Winters (Káťa) et Emily Sierra (Varvara)

Pour redonner vie à cette figure féminine sous pression de son environnement social, Serge Dorny s’est tourné naturellement vers Krzysztof Warlikowski qui connaît bien l’univers de Leoš Janáček pour avoir mis en scène deux de ses ouvrages, ‘Věc Makropulos’ (Opéra de Paris, 2007) et 'Z mrtvého domu' (Royal Opera House Covent Garden, 2018). Il s’agit par la même occasion de sa huitième production présentée en ce même lieu depuis ‘Eugen Onegin’ en 2007.

Káťa Kabanova (Winters Černoch Urmana Warlikowski Albrecht Popelka) Munich

Le décor conçu par Małgorzata Szczęśniak peut s’apprécier avant le début du spectacle, car le rideau est déjà levé pour permettre à plusieurs couples de danseurs d’interpréter un tango au centre d’un grand hall. En apparence, les murs sont recouverts d’un bois laqué clair laissant apparaître des nervures aux drapés ondoyants, et une pièce en forme de parallélépipède est encastrée à l’arrière. Cette pièce pourra s’avancer et s’ouvrir pour recréer des scènes d’intérieur plus intimes.

L’idée du tango qui illustre une fête contemporaine autour de laquelle une vie de quartier s’anime, avec nombre de personnages ayant leur propre ligne de vie autonome très précisément articulée, peut au premier abord intriguer, mais il s’agit d’une image sereine et subtile de l’harmonie du couple très agréable à regarder pour le spectateur, et qui d’emblée ne pose pas un univers misérabiliste.

Ces danseurs réapparaîtront au cours de l’interlude du début du second acte en suivant le mouvement chaloupé et fluide de l’orchestre et des bois.

Pavel Černoch (Boris)

Pavel Černoch (Boris)

A l’écart de ce petit monde, Káťa Kabanova est d’abord présentée à travers sa propre joie intérieure. Une vidéo grand champ montre celle-ci chantant dans sa tête comme une jeune adolescente, une image qui pourrait-être celle de la jeune femme heureuse avant qu'elle ne se marie au médiocre Boris que Krzysztof Warlikowski fait entrer en étant jeté à terre avec brutalité sous les humiliations de son oncle Dikoj. 

Mais un peu plus loin, lorsqu’elle est rejointe par Varvara, sa fille adoptive qui joue le rôle de sœur confidente, un habile jeu où on la voit mimer une scarification avant d’ouvrir les bras en croix révèle les pulsions suicidaires de Káťa nées de son environnement religieux. Cette tendance sera à nouveau suggérée de façon subliminale dans la chambre des Kabakov, à travers une mystérieuse séquence de visionnage d’un film en images de synthèse prémonitoires où une jeune femme provoque un accident de voiture et décède sous les regards des badauds.

Ces regards fixes réapparaîtront sous forme d’ombres à la toute fin, lors de l'inéluctable suicide.

Corinne Winters (Káťa)

Corinne Winters (Káťa)

Car à travers la narration et les interactions vives entre protagonistes, le monde imaginaire et étrange de Káťa est aussi projeté à des moments bien choisis par l’insertion sur le décor de séquences vidéos aux teintes irréelles. L'osmose de la jeune femme avec la nature et les champs de fleurs, si bien racontée lors de sa confidence à Varvara au premier acte, recouvrira toute la scène au moment de sa mort, en contraste fort avec la vitrine d’animaux empaillés dressée côté jardin, qui traduit en revanche un rapport à la nature plus mortifère de la part de la société. 

En exposant ainsi le monde intérieur de Káťa, Krzysztof Warlikowski fait ressentir à quel point son esprit vit dans un monde parallèle, et son rapport aux désirs du corps est également décrit avec beaucoup de sensibilité, par exemple lorsqu’en nuisette elle semble vouloir éveiller Tichon.

Corinne Winters (Káťa) et Emily Sierra (Varvara)

Corinne Winters (Káťa) et Emily Sierra (Varvara)

Mais Boris, le futur amant, est dès son entrée décrédibilisé à travers sa perruque orange et bouclée, le metteur en scène choisissant de ne pas l’épargner au troisième acte en masquant son visage afin de pointer la lâcheté de son humanité, et montrer l’aveuglement de l’héroïne. Leur rencontre chez Varvara est ici transposée dans un bar branché, lui aussi incrusté dans la partie mobile et recadrée du décor. Et les variations de couleurs et de lumières (Felice Ross) sont toujours nuancées avec une extrême justesse dans cette alcôve confidentielle.

Violeta Urmana (Kabanicha)

Violeta Urmana (Kabanicha)

S’admire également l’excellente caractérisation de Tichon et de sa mère Kabanicha par deux grands artistes, John Daszak et Violeta Urmana. Le premier, affublé comme une employé tout à fait dans la norme, use de son grand sens déclamatoire claquant et puissant, alors que la mezzo-soprano lituanienne est fascinante par l’expressivité du regard, l’animalité du chant et sa façon flambante d’imposer son autorité et ses attentes sur son entourage. D’ailleurs, loin d’être uniquement froide et cassante, il ressort aussi beaucoup d’ironie dans son personnage très bien joué.

Quant à la relation entre Kabanicha et Dikoj - Milan Siljanov campe un Dikoj redoutable -, elle virera à un rapport purement physique et pragmatique au corps, la disparition de la sensualité solaire de leur jeunesse étant pathétiquement soulignée en mettant en miroir celle d’un couple d’amoureux extrait d’un film glamour.

John Daszak (Tichon) et Corinne Winters (Káťa)

John Daszak (Tichon) et Corinne Winters (Káťa)

Tout au long du spectacle, l’auditeur s’imprègne ainsi de l’âme de Káťa tout en jaugeant le comportement des autres personnages, jusqu’au troisième acte où une fracture nette se forme : toute la communauté se réunit, même les individus les plus anodins, pour s’installer sur plusieurs rangs latéraux, comme lors d’un jury populaire, afin de pointer leur regard sur Káťa Kabanova laissée seule avec sa culpabilité sur une simple chaise située au centre de la scène. 

Cette question du regard des autres traverse toutes les couches sociales, car le conformisme est généralement perçu comme le meilleur moyen de survie de l’homme, surtout qu’il est très confortable de s’afficher dans le camp du ‘bien’.

Dans sa grande scène finale, à la solitude poignante de Káťa Kabanova s’oppose toute une société semblant unie en apparence contre celle qui a osé ignorer les règles.

Violeta Urmana (Kabanicha)

Violeta Urmana (Kabanicha)

Au fur et à mesure que la jeune femme s’enferre dans l’attente de la mort, son rapport spirituel à la nature est sublimé à travers une très belle projection d’un tapis de fleurs, Krzysztof Warlikowski prenant bien soin d’élaguer le conditionnement religieux qui s’entend aussi dans les paroles.

Et c’est à un Boris au visage masqué qu’elle s’adresse, celui-ci étant dans l’impossibilité d’être lui-même. Pavel Černoch, chanteur tchèque d’une grande sincérité expressive, est ici totalement idiomatique dans son répertoire de prédilection qui lui colle à la peau. Les modulations slaves de son chant permettent facilement de l’identifier au-delà du maquillage qui en recouvre les plus beaux traits.

Corinne Winters (Káťa) - 3e acte (Photo Geoffroy Schied)

Corinne Winters (Káťa) - 3e acte (Photo Geoffroy Schied)

Dans le rôle principal qu’elle défend régulièrement – elle en est à sa septième production de 'Kat'a Kabanova' depuis Seattle en 2017 -, Corinne Winters est absolument irradiante avec son apparence si fragile et son beau timbre aux inflexions subtilement sombres et finement filées. Elle peut délier une ligne vocale d’une souplesse très harmonieuse, même dans les moments les plus intenses, sans pour autant exagérer le sentiment de souffrance. Cette unité vocale imperturbable contribue ainsi à affirmer une constance dans sa personnalité.

En Varvara, Emily Sierra est d’une grande fraîcheur, avec des couleurs aux reflets changeants et une pétillance qui contraste avec la nature plus hors du temps de Káťa, et son duo drôle avec James Ley, un éloquent Kudrjáš, est un grand moment de respiration de la soirée.

Krzysztof Warlikowski, Małgorzata Szczęśniak, Claude Bardouil entourés de Milan Siljanov, John Daszak, Corinne Winters et Marc Albrecht.

Krzysztof Warlikowski, Małgorzata Szczęśniak, Claude Bardouil entourés de Milan Siljanov, John Daszak, Corinne Winters et Marc Albrecht.

Et pour lier cet univers à la fois poétique et chaotique, Marc Albrecht insuffle à l’écriture de Leoš Janáček une lecture très sensuelle, tout en restant très souple dans la charge dramatique, ce qui donne l’impression de vivre en phase avec l’intériorité de Káťa Kabanova. Dans cette production qui voit l’héroïne se fondre dans l’absolu de la nature, le sentiment de communion prédomine.

Il sera alors très intéressant de découvrir la lecture qu’en fera le jeune chef d’orchestre tchèque Petr Popelka qui dirigera cette production pour un seul soir le 07 juillet prochain.

Krzysztof Warlikowski et Corinne Winters

Krzysztof Warlikowski et Corinne Winters

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Publié le 19 Mars 2025

Saison 2025/2026 du Bayerische Staatsoper de Munich (BSO)

Depuis le dimanche 16 mars 2025 10h, la saison 2025/2026 du Bayerische Staatsoper est rendue publique en direct via la chaîne Staatsoper.tv.

Il s'agit de la 5e saison de Serge Dorny à la direction de ce théâtre de référence, saison qui marque une étape intermédiaire puisque le directeur a été prolongé pour 5 saisons de plus jusqu’en 2031.

Cependant, du fait que le Théâtre national sera fermé pour travaux de début août à fin octobre 2025, cette saison lyrique sera un peu plus courte avec seulement 152 représentations pour 36 ouvrages, contre un peu plus de 170 représentations et 40 ouvrages habituellement. Et seules 6 nouvelles productions seront créées dans les grandes salles, et une septième sera donnée par l’Opéra Studio.

Par ailleurs, les opéras des XXe/XXIe siècles (hors Puccini) ne représenteront que 15% des soirées, en net retrait par rapport à l’édition en cours, mais une création mondiale sera à l’affiche, ‘Of one Blood’ de Brett Dean.

Of One Blood - Brett Dean

Of One Blood - Brett Dean

Et comme chaque saison, Serge Dorny propose une nouvelle production d’un grand ouvrage dramatique italien du XIXe siècle, ‘Rigoletto’ de Giuseppe Verdi. 

Mais le fait le plus flagrant est que toutes les reprises concernent des spectacles vus au cours des 3 dernières années (toutes ont été jouées après ‘Der Freischütz’ donné en janvier 2023), et 40% des soirées sont dédiées à des spectacles déjà programmés cette saison.

Toutefois, si seulement 6 ouvrages du XX et XXIe siècles seront présentés sur 23 soirées au total, 2 nouvelles productions leurs seront associées.

'Der Freischütz' - ms Dmitri Tcherniakov

'Der Freischütz' - ms Dmitri Tcherniakov

Après ‘Hamlet’ qui fut créé en 2017 au Festival de Glyndebourne sous la direction de Vladimir Jurowski, ‘Of one Blood’ de Brett Dean est le second opéra du compositeur australien.

A nouveau, le directeur musical du Bayerische Staatsoper dirigera cette nouvelle création mondiale – dont le Garsington Opera et le State Opera South Australia sont également commanditaires -, dans une mise en scène de Claus Guth en coproduction avec le Santa Fe Opera.
Johanni van Oostrum et Vera-Lotte Boecker incarneront respectivement Elizabeth Tudor et Marie Stuart.

Hans Werner Henze - ‘Die englische Katze’

Hans Werner Henze - ‘Die englische Katze’

Par ailleurs, en début de saison, le Théâtre Cuvilliés accueillera une nouvelle production des artistes de l’Opéra Studio, ‘Die englische Katze’ de Hans Werner Henze, ouvrage originellement basé sur un texte en anglais, mais qui fut créé en allemand en juin 1983 au Schwetzingen Festival, puis à l’Opéra de Paris (Salle Favart) en février 1984 dans une traduction française.

Faute de grande salle ouverte avant novembre, ‘Ariane à Naxos’ sera donné en version de concert pour deux soirs en octobre 2025 au Herkulessaal (1270 places assises) au sein du Münchener Residenz, sous la direction de Daniele Rustioni.

'Salome' - ms Krzysztof Warlikowski

'Salome' - ms Krzysztof Warlikowski

Également, deux autres opéras de Richard Strauss seront repris, ‘Salome’ dans la production de Krzysztof Warlikowski, avec Asmik Grigorian sous la direction de Thomas Guggels, et ‘Elektra’ dans la production d’Herbert Wernicke et sous la direction de Vladimir Jurowski.
Enfin, ‘Rusalka’ d’Anton Dvorak sera repris dans la production de Martin Kušej, avec Petr Popelka à la direction et Asmik Grigorian dans le rôle titre.

Barbara Wysocka - 'Rigoletto'

Barbara Wysocka - 'Rigoletto'

Comme chaque saison, le répertoire des compositeurs italiens du XIXe siècle est une composante solide et fondamentale qui va occuper 40% des représentations grâce à 14 ouvrages répartis sur 60 soirées, dont 5 de Giuseppe Verdi (‘La Traviata’, ‘Nabucco’, ‘Macbeth’, ‘Il Trovatore’ et la nouvelle production de ‘Rigoletto’ mise en scène par la réalisatrice polonaise Barbara Wysocka), et 4 de Giacomo Puccini (‘La Bohème’, ‘Tosca’, ‘Madame Butterfly’, ‘Turandot’) déjà repris cette saison

Ces grands classiques italiens seront complétés par la reprise de la ‘La Cenerentola’ de Gioachino Rossini, du diptyque ‘Cavalleria Rusticana / Il Pagliacci’ de Pietro Mascagni et Ruggero Leoncavallo, de ‘Norma’ de Vincenzo Bellini et de ‘L’Elixir d’Amour’ de Gaetano Donizetti.

Clay Hilley - 'Parsifal'

Clay Hilley - 'Parsifal'

Quant à Mozart, toujours bien représenté à Munich, il peut compter sur 4 de ses ouvrages les plus courus, ‘Les Noces de Figaro’, ‘Don Giovanni’, ‘L’enlèvement au Sérail’ et ‘La Flûte enchantée’ pour contribuer à la vitalité du théâtre.

Mais Wagner tombe à un minimum critique avec seulement 8 soirées que devront se partager la reprise de ‘Parsifal’, avec Clay Hilley, Nina Stemme et Sebastian Weigle à la direction, et la nouvelle production de ‘La Walkyrie’ mise en scène par Tobias Kratzer et dirigée par Vladimir Jurowski au cours du festival d’été 2026.

Toutefois, pas moins de 4 compositeurs germanophones du XIXe siècle vont se partager 16 soirées, Johan Strauss avec ‘Die Fledermaus’, Engelbert Humperdinck avec ‘Hänsel und Gretel’, Ludwig von Beethoven avec ‘Fidelio’, et Carl Maria von Weber avec la reprise de ‘Die Freischutz’ mis en scène par Dmitri Tcherniakov.

Nikolaï Andreïevitch Rimski-Korsakov - 'La Nuit de Noël'' ('Notch pered Rojdestvom')

Nikolaï Andreïevitch Rimski-Korsakov - 'La Nuit de Noël'' ('Notch pered Rojdestvom')

Et si le répertoire russe n’est représenté que par un seul ouvrage, ce sera une nouvelle production de ‘La nuit de Noël’ de Nikolaï Rimsky-Korsakov, un opéra rarement monté qui vient de connaître une excellente version à l’opéra de Frankfurt. La mise en scène sera confiée à Barrie Kosky en coproduction avec le Komischen Oper Berlin, et Vladimir Jurowski en assurera la réalisation musicale avec une distribution qui réunira Violeta Urmana, Sergei Leiferkus, Dmitry Ulyanov, Elena Tsallagova et Ekaterina Semenchuk.

Deux opéras tchèques compléteront ce portrait de famille slave, ‘Rusalka’ et ‘La fiancée vendue’ (direction Tomáš Hanus) ce qui fera au total 13 soirées dédiées à l’Europe centrale et orientale.

Nathalie Stutzmann - 'Faust'

Nathalie Stutzmann - 'Faust'

A l’instar de cette saison, la langue française sera également bien défendue avec la nouvelle production de ‘Faust’ confiée à la mise en scène de Lotte de Beer et la direction musicale de Nathalie Stutzman, et par les reprises de ‘La Fille du régiment’ de Donizetti sous la direction d’Antonino Fogliani, et de ‘Carmen’ sous la direction de Karel Mark Chichon.

Enfin, les baroqueux auront le plaisir de découvrir la nouvelle production d’’Alcina’ mise en scène par Johanna Wehner et dirigée par Stefano Montanari, ouvrage de Haendel qui n’avait plus été joué depuis juillet 2007 dans la précédente version de Christof Loy.

Jeanine De Bique - 'Alcina'

Jeanine De Bique - 'Alcina'

Cette programmation fait toutefois se détacher le rôle de Vladimir Jurowski, le directeur musical, qui dirigera 5 ouvrages ( les nouvelles productions de ‘La nuit de Noël’, ‘Of one blood’ et ‘La Walkyrie’, et les reprises de ‘Hansel und Gretel’ et ‘Elektra’), et met à nouveau en évidence la confiance accordée à Antonino Fogliani qui se réservera quatre opéras de compositeurs italiens, ‘Cavalleria Rusticana & Il Pagliacci’, ‘La fille du régiment’ et 'La Cenerentola'.

Par ailleurs, cette saison marquera les débuts de Nathalie Stutzmann au Bayerische Staatsoper afin d’assurer la direction de la nouvelle production de ‘Faust’ - le chef-d'œuvre de Charles Gounod n'avait plus été joué à l'opéra de Munich depuis 2005 - , 20 ans après y avoir incarné en tant que contralto le rôle d’Amastre dans l’opéra de Haendel ‘Xerxes’, ainsi que le retour après 8 ans d’absence d’Eun Sun Kim à la direction de ‘Madame Butterfly’.

Autre chef qui fera ses débuts dès l’été 2025 en dirigeant pour un soir ‘Katia Kabanova’ mis en scène par Krzysztof WarlikowskiPetr Popelka assurera la reprise de ‘Rusalka’ au festival d’été 2026.

Petr Popelka  - 'Rusalka'

Petr Popelka - 'Rusalka'

Et pour ceux qui scrutent les distributions de grands chanteurs, on pourra entendre cette saison Krassima Stoyaniova (Ariane à Naxos), Elina Garanca (Cavalleria Rusticana), Vittorio Grigolo (Cavalleria Rusticana), Wolfgang Koch (Il Pagliacci, Salome), Lisette Oropesa (La Traviata), Pretty Yende (La Fille du régiment), Xabier Anduaga (La Fille du régiment), Sonya Yoncheva (La Bohème, Norma), Benjamin Bernheim (La Bohème), Bogdan Volkov (La Flûte enchantée), Jessica Pratt (La Flûte enchantée), Rolando Villazon (Die Fledermaus), Rachel Willis-Sørensen (Die Fledermaus, Il Trovatore), Diana Damrau (Die Fledermaus, Les Noces de Figaro), Martin Winkler (Die Fledermaus), Pavol Brelisk (Die Fledermaus, La Fiancée vendue), Georg Zeppenfeld (Nabucco), Eleonora Buratto (Madame Butterfly, Carmen), Gerhard Siegel (Salome), Asmik Grigorian (Salome, Macbeth, Rusalka), Milan Siljanov (Fidelio), Ryan Speedo Green (Fidelio, Carmen), Johanni von Oostrum (Fidelio, Of one Blood), Camilla Nylund (Fidelio), René Pape (Fidelio), Nina Stemme (Elektra, Parsifal), Vida Miknevičiūtė (Elektra), Charles Workman (Elektra), Peter Mattei (Parsifal), Christof Fischesser (Parsifal, Rusalka, Don Giovanni, La Flûte enchantée), Clay Hilley (Parsifal), Ailyn Pérez (Faust, Tosca), Ludovic Tézier (Rigoletto, Tosca), Amartuvshin Enkhbat (Macbeth), Gerald Finley (Macbeth, Les Noces de Figaro), Saioa Hernández (Macbeth), Ambrogio Maestri (L’Elixir d’Amour), Arthur Rucinski (Il Trovatore), Judit Kutasi (Il Trovatore), Piot Beczala (Il Trovatore, Faust), Elena Stikhina (Norma), Aigul Akhmetshina (Norma, Carmen), Sondra Radvanovsky (Turandot), Dmitry Ulyanov (Turandot, La Nuit de Noël), Jonas Kaufmann (Turandot), Ermonela Jaho (Turandot), Golda Schultz (Turandot, Der Freischütz), Charles Castronovo (Carmen), René Barbera (La Cenerentola), Pavel Cernoch (Rusalka), Malyn Biström (Rusalka), Kyle Ketelsen (Der Freischütz, Faust), Stanislas de Barbeyrac (Der Freischütz), Violeta Urmana (La Nuit de Noël), Sergei Leiferkus (La Nuit de Noël), Elena Tsallagova (La Nuit de Noël), Ekaterina Semenchuk (La Nuit de Noël), Jonathan Tetelman (Faust), Florian Sempey (Faust), Nadine Sierra (Rigoletto), Ain Anger (La Walkyrie), Nicholas Brownlee (La Walkyrie), Ekaterina Gubanova (La Walkyrie), Jeanine De Bique (Alcina)

Ludovic Tézier - 'Tosca' et 'Rigoletto'

Ludovic Tézier - 'Tosca' et 'Rigoletto'

Un focus sur les grands chanteurs français invités cette saison permet enfin de mettre en valeur Ludovic Tézier (13 ans de maison en continu depuis ‘Don Carlo’ en juillet 2013), Stanislas de Barbeyrac, Florian Sempey et Benjamin Bernheim.

Enfin, seuls trois spectacles, ‘Hänsel et Gretel’, ‘L’Enlèvement au Sérail’ et ‘La Cenerentola’ auront une tarification qui ne dépassera pas 100 euros en première catégorie (il y en avait 6 au cours de la saison 2023/2024), mais la représentation de 'La Walkyrie' du 04 juillet 2026 sera projetée en direct sur la Max-Joseph Platz, avec saluts des artistes sur le parvis de l'opéra à la fin du spectacle.

Le détail de la saison 2025/2026 du Bayerische Staatsoper peut être consulté sous le lien suivant : Season 2025/2026 : Der Mensch ist, wozu er sich macht.

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Publié le 15 Octobre 2024

Die Tote Stadt (Erich Wolfgang Korngold –
4 décembre 1920, Hambourg et Cologne)
Représentation du 07 octobre 2024
Bayerische Staatsoper München

Paul Klaus Florian Vogt
Marietta/Die Erscheinung Mariens Vida Miknevičiūtė
Frank/Fritz Sean Michael Plumb
Brigitta Jennifer Johnston
Juliette Mirjam Mesak
Lucienne Xenia Puskarz Thomas
Gaston/Victorin Liam Bonthrone
Graf Albert Miles Mykkanen

Direction musicale Lothar Koenigs
Mise en scène Simon Stone (2016, Bâle / 2019, Munich)

En septembre 2016, Simon Stone, metteur en scène de théâtre originaire de Bâle, dirigea son premier opéra, ‘Die Tote Stadt’, sur les planches du Theater Basel, ce qui sera le point de départ d’un parcours original dans l’univers lyrique qui le mènera à Salzbourg, Vienne, Munich, Paris, Aix-en-Provence et New-York.

Puis, en 2019, le Bayerische Staatsoper reprit sa production bâloise de l’opéra le plus connu d’Erich Wolfgang Korngold avec Jonas Kaufmann et Marlis Petersen dans les rôles principaux, et c’est cette production qui est à nouveau à l’affiche avec un couple d’artistes qui se connaissent bien, Vida Miknevičiūtė et Klaus Florian Vogt, puisqu’ils ont déjà chanté ensemble cet ouvrage à Vienne en février 2022 (production Willy Decker) et à Hambourg en juin 2024 (production Karoline Gruber).

Klaus Florian Vogt (Paul) et Vida Miknevičiūtė (Marietta)

Klaus Florian Vogt (Paul) et Vida Miknevičiūtė (Marietta)

Le ténor allemand, figure majeure du Festival de Bayreuth, connaît parfaitement le personnage de Paul puisqu’il l’a interprété pour la première fois en 2002 à l’Opéra de Brême, un an avant son premier Lohengrin dans ce même théâtre, et qu’il le chante régulièrement jusqu’à nos jours.

Klaus Florian Vogt (Paul) et Vida Miknevičiūtė (Marietta)

Klaus Florian Vogt (Paul) et Vida Miknevičiūtė (Marietta)

Dans ce décor de maison tournante révélant au fur et à mesure les différentes pièces intérieures ainsi que la façade extérieure purement anonyme, Simon Stone présente Paul comme un homme d’apparence moderne, bien habillé en costume-cravate, mais qui vit hors de la réalité dans un univers clos dédié à la mémoire de sa femme défunte, Marie.

Et pour mieux montrer le pathétique de ce décalage, il occulte la dimension fantastique du second acte en transformant la troupe de Marietta, celle qui rappelle tant à Paul son amour disparu, en un groupe de jeunes d’aujourd’hui faisant la fête sans se soucier du monde qui les entoure, en se livrant à des beuveries et coucheries sans fin. C’est ce choc entre éducation bourgeoise et comportements libres et désaxés, et la très grande ambiguïté entretenue entre rêve et réalité, qui va sortir Paul de sa nostalgie mortifère.

Sean Michael Plumb (Fritz) et Vida Miknevičiūtė (Marietta)

Sean Michael Plumb (Fritz) et Vida Miknevičiūtė (Marietta)

Klaus Florian Vogt incarne totalement cette personnalité égarée en en faisant ressortir le caractère très émouvant au premier acte, la pureté de ses inflexions de voix évoquant une innocence retrouvée absolument bouleversante. Mais rien de la complexité de Paul ne lui échappe, y compris la virulence de son attachement à sa femme qui se transfère violemment dans sa relation à Marietta.

Dans ces moments, il exprime de l’agressivité en canalisant très fortement son chant mais toujours avec des inflexions claires qui rajeunissent son tempérament.

Il fait preuve d’une inaltérable résistance vocale ce qui est aussi l’apanage de Vida Miknevičiūtė dont les vibrations dynamiques du timbre ont la souplesse qui lui permette d’exprimer l’impertinence et la joie de vivre avec un rayonnement d’une très grande intensité.

Vida Miknevičiūtė (Marietta)

Vida Miknevičiūtė (Marietta)

Elle décrit ainsi avec aisance et fluidité une femme percutante et très vivante, tout en arborant un ensemble de nuances tendres, taquines, provocatrices mais aussi rassurantes qui créent un personnage qui échappe toujours à Paul.

Et de voir Klaus Florian Vogt, lui qui si souvent interprète des héros forts d’une grande force de conviction, s’approprier les états d’âmes de ce véritable anti-héros est quelque chose de très poignant à vivre car, surtout dans cette production, il figure un homme dans lequel nombre de spectateurs peuvent se reconnaître de façon très intime.

Vida Miknevičiūtė (Marietta) et Klaus Florian Vogt (Paul)

Vida Miknevičiūtė (Marietta) et Klaus Florian Vogt (Paul)

La conclusion, fort lisible, revient à une attitude d’une grande sagesse lorsque l’on voit l’homme esseulé se défaire une à une des photographies nostalgiques témoins de son bonheur passé mais qui ne lui permettaient plus de se tourner vers l’avenir.

La procession des enfants se ressemblant tous comprend également une réflexion de la part de Simon Stone sur le conformisme social qui participe aussi à un piège dont il faut pouvoir se défaire, la société entretenant insidieusement l'idée qu'il faut être comme tout le monde.

Klaus Florian Vogt et Vida Miknevičiūtė

Klaus Florian Vogt et Vida Miknevičiūtė

Scéniquement, les deux chanteurs principaux sont par ailleurs entourés de solistes très engagés parmi lesquels Sean Michael Plumb offre, en Franz et Fritz, une présence généreuse et ombrée qui manifeste une sensibilité palpable.

Quant à Jennifer Johnston, elle met beaucoup de cœur dans le personnage de Brigitta en s’extériorisant, certes, un peu trop, mais en faisant aussi entendre un timbre grave riche et résonnant.

Klaus Florian Vogt

Klaus Florian Vogt

A la direction de l’Orchestre d’État de Bavière, Lothar Koenigs se délecte à faire ressortir l’écriture luxuriante straussienne si présente dans la musique de Korngold, tout en tenant d’une poigne inflexible un geste théâtral fort mais un peu trop cadré. Il contribue également à créer un climat très présent qui pousse l’auditeur à garder un regard et une écoute acérés vis à vis de l’action dramatique, faisant ainsi en sorte qu’il vive quelque chose qui le remue sérieusement de l’intérieur et le marque sur la durée.

Lothar Koenigs, Klaus Florian Vogt et Sean Michael Plumb

Lothar Koenigs, Klaus Florian Vogt et Sean Michael Plumb

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Publié le 8 Octobre 2024

Turandot (Giacomo Puccini – 25 avril 1926, Scala de Milan)
Représentation du 06 octobre 2024
Bayerische Staatsoper München

La principessa Turandot Saioa Hernández
L'imperatore Altoum Kevin Conners
Timur, Re tartaro spodestato Vitalij Kowaljow
Il principe ignoto (Calaf) Yonghoon Lee
Liù Selene Zanetti
Ping Thomas Mole
Pang Tansel Akzeybek
Pong Andrés Agudelo
Un mandarino Bálint Szabó
Il principe di Persia Andrés Agudelo

Direction musicale Antonino Fogliani
Mise en scène Carlus Padrissa - La Fura dels Baus (2011)

En pleine ascension tardive au répertoire du Bayerische Staatsoper où l’ultime opéra de Giacomo Puccini a dorénavant rejoint les 30 premiers titres les plus joués des 25 dernières années grâce à la production de Carlus Padrissa - l’un des six directeurs artistiques de ‘La Fura dels Baus’ – créée sur les planches munichoises le 03 décembre 2011, ‘Turandot’ trouve dans cette réalisation une lecture d’une grande force expressive qui axe toutefois son propos sur la nature tortionnaire du régime chinois.

Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Ainsi, rarement Ping, Pang et Pong n’apparaîtront de façon aussi sordide comme les rouages majeurs de la machine répressive de Turandot, entreprenant au second acte une danse macabre devant un immense amas de crânes auxquels des vidéographies numériques stylisées ajouteront un vrai sentiment de malaise.

Cette machine répressive se manifeste sur scène à travers un discret service d’ordre se mélangeant à des mouvements de foules parfois exotiques, que ce soit par la présence de danseurs de hip-hop ou de patineuses qui se révèlent, elles, naturellement plus évocatrices de la nature ondoyante de la musique.

La plus troublante image du chœur proviendra pourtant d’un groupe d’enfants habillés en tenues blanches illuminées, trainant le char du Prince de Perse sacrifié comme si l’inconscience de l’enfance se laissait d’emblée pervertir pour devenir complice du système.

Turandot (Hernández Lee Zanetti Fogliani Padrissa) Munich

 

Des vidéographies se superposent à la scénographie pour renvoyer des images en lien avec les ressorts dramatiques et violents en jeu, ou bien pour représenter la glace intérieure de Turandot qui s’effondre sous forme d’immenses icebergs se dégradant au fur et à mesure que Calaf résout les énigmes.

A cela s'ajoutent des lunettes 3D prêtées au public qui permettent de visualiser les effets psychédéliques qui s’animent autour d’un large anneau descendant des cintres pour envelopper Turandot, sans que celles-ci soient pour autant l’attraction majeure de cette lecture flamboyante.

Selene Zanetti (Liù)

Selene Zanetti (Liù)

La version choisie étant celle inachevée par Puccini, l’opéra se termine sur la mort de Liù qui est mise en scène de façon très cruelle, car la jeune femme subit l’horrible supplice du bambou, pousse dure à croissance rapide pouvant transpercer la chair en quelques jours.

Si cette vision de la Chine est effrayante mais aussi haut-en-couleur au moment de l’entrée de celle-ci dans la société de consommation et de la drogue, le spectacle regorge de références symboliques et calligraphiques, mais a pour paradoxe de peu mettre en valeur les liens sentimentaux entre les personnages simples, Calaf, Liù et Timur, pour, au contraire, humaniser Turandot en la faisant descendre de son piédestal et la montrer en relation directe avec les personnages principaux.

Il est même rendu compte de son drame intérieur à travers une vidéo sombre montrant une jeune femme fuyant à travers la forêt mais ne pouvant échapper à un viol.

Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Pour cette reprise qui en est à sa 42e représentation en 13 ans, la soprano espagnole Saioa Hernández investit à nouveau le personnage de Turandot, un an après sa prise de rôle au Teatro Real de Madrid en juillet 2023, et son superbe aplomb s’impose sans faille d’autant plus qu’elle maîtrise une tessiture absolument inaltérable même dans les aigus les plus hauts et puissants.

Elle domine ainsi constamment l’orchestre, y compris dans les passages les plus éruptifs, en nourrissant et enrichissant le son d’une manière dynamique qui préserve l’unité de la texture vocale.

Il y a donc beaucoup d’assurance dans cette Turandot inflexible mais moins distante que d’autres interprétations, douée d’une humanité austère et sophistiquée à la fois.

Yonghoon Lee (Calaf)

Yonghoon Lee (Calaf)

Son partenaire, Yonghoon Lee, qui a abordé le rôle de Calaf pour la première fois il y a 12 ans au Teatro Comunale de Bologne, affiche une solide endurance avec une détermination et une expressivité de geste et de visage d’une sincérité très directe, sans jamais détimbrer.

Toutefois, s’il s’impose facilement quand l’orchestre est en retrait, sa puissance ne domine pas autant celle de Saioa Hernández, sa tessiture manquant un peu de corps. Par ailleurs, l’élocution est également moins bien définie, le métal de sa voix restant de toute façon très homogène avec une coloration uniformément mate.

Reste que son incarnation doloriste est pleinement convaincante, et qu’il fait preuve d’allègement et de nuance dans le célébrissime ‘Nessun dorma’.

Selene Zanetti (Liù) et Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Selene Zanetti (Liù) et Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Elle était déjà Liù auprès de Saioa Hernández à la Fenice de Venise début septembre, Selene Zanetti ne joue clairement pas le mélodrame en privilégiant une grande intériorité.

Elle peut compter sur un timbre somptueux gorgé de couleurs profondes, ce qui lui permet d’imposer une pure présence vocale à chacune de ses interventions, et ce d’autant plus qu’accompagnée du chœur murmurant c’est elle qui achève l’opéra dans une posture sacrificielle d’une grande dureté.

Turandot (Hernández Lee Zanetti Fogliani Padrissa) Munich

Sans la moindre drôlerie, bien au contraire, les trois ministres Ping, Pang et Pong trouvent en Thomas Mole, Tansel Akzeybek et Andrés Agudelo trois chanteurs consistants et homogènes.

Quant à Vitalij Kowaljow, il impose facilement ses résonances graves en Timur, mais sans affect sensible avec Liù, alors que l’Empereur Altoum de Kevin Conners s’inscrit dans la même tonalité sévère d’ensemble.

Selene Zanetti

Selene Zanetti

Aux commandes d’un Orchestre d’État de Bavière ronflant et chaleureux, Antonino Fogliani joue le grand spectacle à fond, n’hésitant pas à faire trembler les piliers du théâtre avec un vrai sens de l’influx dramatique. Il s’appuie sur des tempi modérés, découvre un ensemble de colorations foisonnantes, et fait même entendre des textures spatio-temporelles surnaturelles – air de Liù au premier acte - qui s’accordent fort bien avec la scénographie imaginative et visuelle de la production.

Selene Zanetti, Antonino Fogliani, Saioa Hernández et Yonghoon Lee

Selene Zanetti, Antonino Fogliani, Saioa Hernández et Yonghoon Lee

Les chœurs ont l’unité et le pouvoir inspirant que nous leur connaissons bien, et quand vous y ajoutez les effets acoustiques particuliers de ce théâtre, selon votre emplacement, ce spectacle offre dans toutes ses dimensions une énergie stimulante et une saturation de codes et de symboles d’une pénétrance fort connectée à l’univers impérial et sanguinaire de cette Chine fantasmée et inquiétante.

Turandot (Hernández Lee Zanetti Fogliani Padrissa) Munich

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Publié le 7 Juillet 2024

Le Grand Macabre (György Ligeti – Stockholm, le 12 avril 1978)
Représentations du 28 juin et 01 juillet 2024
Münchner Opernfestspiele 2024
Bayerische Staatsoper

Chef der Geheimen Politischen Polizei (Gepopo)
           Sarah Aristidou
Venus Sarah Aristidou
Amanda Seonwoo Lee
Amando Avery Amereau
Fürst Go-Go John Holiday
Astradamors Sam Carl
Mescalina Lindsay Ammann
Piet vom Fass Benjamin Bruns
Nekrotzar Michael Nagy
Ruffiack Andrew Hamilton
Schobiack Thomas Mole
Schabernack Nikita Volkov
Weißer Minister Kevin Conners
Schwarzer Minister Bálint Szabó
Refugees (Chorsoli) Isabel Becker, Sabine Heckmann, Saeyong Park, Sang-Eun Shim

Direction musicale Kent Nagano
Mise en scène Krzysztof Warlikowski (2024)               
      Kent Nagano
Décors et costumes Małgorzata Szczęśniak
Lumières Felice Ross
Vidéo Kamil Polak
Chorégraphie Claude Bardouil
Dramaturgie Christian Longchamp, Olaf Roth

Né au sein d’une famille juive hongroise le 28 mai 1923, György Ligeti étudia en Roumanie à Cluj-Napoca. Il désirait devenir scientifique, mais les lois antisémites nazis contrarièrent ce projet.

Il connut le travail forcé sous ce régime et perdit son père et son frère dans les camps de concentration. Sa mère survivra à Auschwitz, mais il devra fuir Budapest en 1956 au moment de la révolution hongroise qui sera écrasée par Staline.

Michael Nagy (Nekrotzar)

Michael Nagy (Nekrotzar)

Réfugié à Vienne puis à Cologne, il étudie la musique d’avant-garde et commence à composer. Il connaît son premier véritable succès avec ‘Atmosphères’ (1961), une pièce orchestrale d’une durée de 9 mn qui sera par la suite popularisée en 1968 à travers le film de Stanley Kubrick ‘2001, A Space Odyssey’ dont elle fera l’ouverture.

Sa créativité engendre par la suite nombre de concertos pour orchestre ou instrument seul, ainsi que des pièces chorales – le célèbre ‘Lux Aeterna’, autre composition utilisée dans ‘2001’ -, et ce sens pour le développement de textures denses et surnaturelles combinées à des sonorités mécaniques inspirera nombre de musiciens.

Le Bayerische Staatsoper, lundi 01 juillet 2024

Le Bayerische Staatsoper, lundi 01 juillet 2024

De 1974 à 1977, il compose son unique opéra ‘Le Grand Macabre’ d’après la pièce de Michel de Ghelderode ‘La balade du Grand Macabre’ (1934), qui connaîtra sa première le 12 avril 1978 à l’Opéra Royal de Stockholm, en suédois – le compositeur souhaitait que l’ouvrage soit interprété dans la langue du pays qui l’accueille -. Bien qu’amalgame d’inspirations diverses, la musique décrit un univers ayant son identité propre. 

La première à l’Opéra de Paris aura lieu trois ans plus tard, le 23 mars 1981.

Ouverture du 'Grand Macabre' - ms Krzysztof Warlikowski

Ouverture du 'Grand Macabre' - ms Krzysztof Warlikowski

György Ligeti crée par la suite, en 1996, une version révisée en langue anglaise qui réduit les passages parlés et retravaille la structure orchestrale. Cette nouvelle version sera mise en scène en 1997 par Peter Sellars au Festival de Salzbourg sous la direction de Esa-Pekka Salonen, en coproduction avec le Théâtre du Châtelet (une coproduction Gerard MortierStéphane Lissner, si l'on peut dire ainsi), et c’est celle-ci qui est jouée pour la première fois à l’opéra d’État de Bavière à l’occasion de l’ouverture du Festival lyrique d’été 2024.

Salle du Bayerische Staatsoper, lundi 01 juillet 2024

Salle du Bayerische Staatsoper, lundi 01 juillet 2024

Pour mettre en scène cet ouvrage difficile à interpréter, vocalement et musicalement, Serge Dorny a choisi Krzysztof Warlikowski qui en est à sa septième production munichoise depuis ‘Eugène Onéguine’ donné le 31 octobre 2007 sous la direction du chef d’orchestre américain Kent Nagano, lorsque ce dernier était directeur musical de l’institution.

Avec ‘Le Grand Macabre’, les deux artistes en sont dorénavant à leur quatrième collaboration en incluant ‘The Bassarids’ (Salzbourg, 2018) et ‘A Quiet Place’ (Palais Garnier, 2022).

Benjamin Bruns (Piet vom Fass)

Benjamin Bruns (Piet vom Fass)

Le décor monumental représente une salle d’accueil de réfugiés aux murs gris comprenant plusieurs larges fenêtres quadrillées de barreaux donnant une impression de grande froideur. Cette salle prendra de plus en plus la forme d’une salle de sport.

Dès l’ouverture, un écran longitudinal descend des cintres pour montrer à contre-jour l’arrivée de personnes dans ce centre où un gardien vérifie l’identité de chacun. Ce gardien, vêtu d’un long manteau noir, n’est autre que Nekrotzar qui annonce la fin du monde. Visage de mort, blanc blafard et les yeux cernés de noir, cette symbolique se retrouve sur tous les personnages qui incarnent une autorité policière. 

Seonwoo Lee (Amanda) et Avery Amereau (Amando)

Seonwoo Lee (Amanda) et Avery Amereau (Amando)

Éprises de narcissisme, le visage bandé par une opération de chirurgie esthétique traduisant leur désir de jeunesse éternelle afin de contrer l’arrivée de la mort, Amando et Amanda livrent une charmante danse d’amoureuses.

Krzysztof Warlikowski superpose les scènes selon un art du contrepoint théâtral qui lui est propre. Ainsi, au même moment que la première scène menée par Nekrotzar et l’ivrogne Piet se développe, les personnages principaux de la seconde scène, Astradamors et Mescalina, se préparent à l’exposition de leur relation sadomasochiste qui, une fois passée au premier plan, joue avec beaucoup d’humour sur les interprétations sexuelles qui tendent à accentuer l’identité homosexuelle du jeune astronome.

Sarah Aristidou (Gepopo), Bálint Szabó (Schwarzer Minister) et Kevin Conners (Weißer Minister)

Sarah Aristidou (Gepopo), Bálint Szabó (Schwarzer Minister) et Kevin Conners (Weißer Minister)

Une cage grillagée se plante en plein centre de la scène pour constituer une zone d’enfermement. 

Au fur et à mesure de la représentation, devient ainsi sensible, en trame de fond, l’expérience que connut Ligeti face aux régimes autoritaires avec leurs tribunaux administratifs chargés de sélectionner les personnes et de les enfermer, ce qui se produira dans cette production lorsque le prince Go-Go passera sous l’influence de deux ministres et du chef de la police, Gepopo.

Scène d'ouverture de 'Melancholia' de Lars von Trier

Scène d'ouverture de 'Melancholia' de Lars von Trier

Les impressions musicales, mélange de brusqueries et d’atmosphères métalliques, se retrouvent dans cette conception visuelle acerbe, mais l’équipe de production révèle aussi un rapport très poétique à l’univers par sa manière de présenter l’imminence de la catastrophe planétaire sous des lumières bleu nuit-orangé impressives (Felice Ross), toujours magnifiquement alliées à la musique surnaturelle de Ligeti, à travers un choix de vidéos montrant un astre incandescent tournant sur lui-même, ou bien en reprenant l’ouverture du film de Lars von Trier ‘Melancholia’ (2011mettant en scène la collision entre une planète gigantesque et la Terre.

Sam Carl (Astradamors) découvrant l'arrivée de la Comète

Sam Carl (Astradamors) découvrant l'arrivée de la Comète

Il y a ainsi l’apocalypse engendrée par une catastrophe stellaire – on peut d’ailleurs voir, à travers la scène des enfants écoutant Astradamors autour de son écran d’ordinateur, une référence à l’envie originelle de Ligeti de devenir scientifique, ce qui apparaîtra sous force de témoignage du compositeur en fin de spectacle -, mais il y a aussi l’apocalypse engendrée par la démesure et la folie humaine, l’holocauste, bien sûr, tout autant que les guerres dévastatrices des grands conquérants tels Gengis-Khan ou Napoléon.

Scène de la mort de Nekrotzar et de l'apocalypse

Scène de la mort de Nekrotzar et de l'apocalypse

Krzyzstof Warlikowski et Kamil Polak font défiler au moment de l’impact irrépressible une série d’extraits de plusieurs films muets issus de l’entre-deux-Guerres où naquit Ligeti, ‘Faust’ (Murnau), ‘Napoléon (Gance), ‘Les Dix Commandements’ (DeMille), ‘Sodom und Gomorrha’ (Curtiz), tous fascinants par leur imagerie poétique, ainsi que la scène finale de ‘Theorem’ (Pasolini) qui montre l’anéantissement de l’homme dans le désert.

En aparté, on peut remarquer qu'Abel Gance fut l'auteur en 1931 d'un film de transition entre le muet et le parlant intitulé 'La fin du monde', sur une musique d'Arthur Honegger et d'après le roman éponyme de l'astronome et écrivain français Camille Flammarion (1893), dont le thème du passage d'une comète, qui croise la trajectoire de la Terre en l'évitant de justesse, suscitant des scènes d'orgie, rejoint totalement l'histoire du 'Grand Macabre'.

Michael Nagy (Nekrotzar)

Michael Nagy (Nekrotzar)

Car le cataclysme a bien lieu – la manière dont le décor se recouvre d’une noirceur macabre le long des grilles est d’un très grand impact dramatique -, et à la toute fin, trois astronautes ayant découvert les restes de cette planète récupèrent le seul souvenir de tous ces gens que nous avons vu enfermés, puis revenir affublés de masques d’animaux fantomatiques, une émouvante collection de photographies de familles.

Lindsay Ammann (Mescalina) et Sam Carl (Astradamors)

Lindsay Ammann (Mescalina) et Sam Carl (Astradamors)

A travers le costume laid et dénudé de Nekrotzar, puis de Mescalina, au second acte, le grotesque insiste également sur l’obsession de la détérioration des corps, et c’est donc une réflexion sur l’angoisse de la vieillesse qui est renforcée dans ce spectacle en renvoyant férocement chaque individu à sa finitude.

Il y a donc quelque chose de particulièrement savoureux, mais aussi de malicieux de la part du directeur du théâtre, à programmer ‘Le Grand Macabre’ en ouverture de festival, lorsque le public munichois vient parader dans ses plus beaux effets. Il faut d’ailleurs souhaiter que la personne qui a fait un malaise au parterre, lors de la seconde représentation, au paroxysme de la brutalité musicale qui démultipliait les effets hystérisés du chef de la police, s’en est bien remise depuis.

John Holiday (Go-Go)

John Holiday (Go-Go)

Virevoltant sur leurs chaises à roulettes, comme en apesanteur, Go-Go et Piet semblent passés dans un autre monde, et les trois gardes qui les rejoignent révèlent, sous leurs tenues de policiers d’état, des vêtements résilles qui les érotisent. La perspective de la mort est ainsi faussement dédramatisée à travers un grand cocktail partagé à l’avant scène, en montrant en arrière plan ce qu’il reste de tous ceux qui ont disparu par la faute des régimes politiques, comme si le destin de l’homme n’était que dérisoire.

Scène finale

Scène finale

Pour un chanteur, travailler avec Krzysztof Warlikowski ne consiste pas seulement à s’intégrer dans une dramaturgie originale qui fait très souvent se croiser plusieurs histoires personnelles et parfois plusieurs niveaux temporels, mais également à étoffer sa propre manière d’incarner sur scène afin de conserver cet acquis dans le temps. Et c’est pour cela que beaucoup d’artistes apprécient de s'en remettre avec ce metteur en scène qui les fait se dépasser.

Ainsi, ceux qui ont connu Benjamin Bruns en Pilote du ‘Vaisseau Fantôme’ (Bayreuth, 2012), en Tamino (Vienne, 2015) ou bien Lohengrin (Munich, 2024) seront surpris du jeu absolument clownesque qu’il imprime à Piet, avec une expressivité sardonique mêlée de clarté adoucie.

Sarah Aristidou (Gepopo)

Sarah Aristidou (Gepopo)

La même sidération s’impose face à Sarah Aristidou, soprano franco-chypriote née à Paris mais surtout connue en Allemagne où elle chante régulièrement Zerbinette à Frankfurt et Berlin, tout en se passionnant pour la musique contemporaine, qui se retrouve dorénavant à interpréter les rôles de Vénus et du Chef de la Police après les avoir abordés à la Maison de la Radio et de la Musique, en français, en décembre 2023. 

Non seulement son agilité vocale fait merveille, mais elle tire aussi des sonorités formidablement malléables et puissamment effilées dans les aigus, tout en leur donnant un métal consistant d’une grande souplesse avec des glissandi surnaturels, en se livrant à un jeu qui peut se révéler assez acrobatique, notamment avec l’utilisation du cheval d’arçons. Cette soirée est autant importante pour elle que pour le public qui n’a pas manqué de lui transmettre, au rideau final, ses fortes impressions.

Salut final

Salut final

Autre voix assez atypique, celle du contre-ténor américain John Holiday a une capacité à glisser de la clarté baroque à une étrange vocalité purement féminine qui ajoute une ambiguïté considérable à son personnage, accrochant en permanence l’auditeur par les changements de représentations mentales qu’il engendre naturellement. Il joue ainsi le rôle d’un homme politique qui vire au portrait d’un enfant gâté qui fuit ses responsabilités en envoyant au front médiatique ses deux ministres.

Baryton d’origine hongroise né à Stuttgart, Michael Nagy donne de l’épaisseur à Nekrotzar tout en suggérant une mélancolie désabusée qui fait penser à celle d’Amfortas. Son personnage, qui évolue de l’inquiétant au grotesque maladif, évoque pas son évolution esthétique glauque un rapport morbide à la mort.

Krzysztof Warlikowski avec en arrière-plan Avery Amereau et Sam Carl

Krzysztof Warlikowski avec en arrière-plan Avery Amereau et Sam Carl

En parallèle, la contralto Lindsay Ammann et le basse-baryton Sam Carl mettent beaucoup de vivacité et de drôlerie dans la peinture décomplexée de la relation entre l’astronome et sa femme, jouée avec beaucoup de présence.

Enfin, il y a une concordance idéale dans la fusion sensuelle des timbres des deux amants incarnés par Seonwoo Lee et Avery Amereau, Bálint Szabó et Kevin Conners sont deux ministres aux très grands talents de comédiens, et Andrew Hamilton, Thomas Mole et Nikita Volkov forment un groupe de trois soldats cerbériques aux profils de grands gaillards espiègles.

Kent Nagano, avec en arrière plan Sarah Aristidou, Sam Carl et Michael Nagy

Kent Nagano, avec en arrière plan Sarah Aristidou, Sam Carl et Michael Nagy

En grand défenseur des œuvres contemporaines, Kent Nagano impressionne beaucoup par sa maîtrise d’un orchestre d’une telle complexité, engageant les musiciens dans une théâtralité sans ambages dans les passages les plus violents – le paroxysme étant atteint dans la scène délirante de l’officier de la police secrète -, avec une très grande densité du son, mais aussi avec un soin merveilleux accordé à l'immatérialité des tissures orchestrales. La nature chaotique de la musique est aussi très bien contrôlée de manière à ce qu’elle respire avec le jeu des solistes, les jaillissements des cuivres sont toujours éclatants, et le sentiment d’unité du spectacle en est renforcé.

Seonwoo Lee, Krzysztof Warlikowski et Avery Amereau

Seonwoo Lee, Krzysztof Warlikowski et Avery Amereau

Avec une telle lecture d’ensemble, ce ‘Grand Macabre’ immerge l’auditeur dans le génie artistique de György Ligeti autant que dans son histoire personnelle, et montre à quel point celle-ci recouvre des résonances avec notre monde et ses images inquiétantes.

Kent Nagano, John Holiday, Felice Ross et Claude Bardouil

Kent Nagano, John Holiday, Felice Ross et Claude Bardouil

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Publié le 2 Juillet 2024

Elektra (Richard Strauss – Dresde, le 25 janvier 1909)
Représentation du 30 juin 2024

Münchner Opernfestspiele 2024
Bayerische Staatsoper

Klytämnestra Violeta Urmana
Elektra Elena Pankratova
Chrysothemis Vida Miknevičiūtė
Aegisth John Daszak
Orest Károly Szemerédy
Der Pfleger des Orest Bálint Szabó
Die Vertraute Natalie Lewis
Die Schleppträgerin Seonwoo Lee
Ein junger Diener Kevin Conners
Ein alter Diener Martin Snell

Direction musicale Vladimir Jurowski
Mise en scène Herbert Wernicke (1997)

 

Créée le 27 octobre 1997 au Bayerische Staatsoper, et reprise plusieurs fois au Festival de Baden-Baden où fut enregistré un DVD en 2010, la production d'’Elektra’ dans la mise en scène d’Herbert Wernicke (1946-2002) est un très bel exemple de lecture universelle d’une œuvre qui marque la première collaboration entre Richard Strauss et le dramaturge Hugo von Hofmannsthal.

Violeta Urmana (Klytämnestra)

Violeta Urmana (Klytämnestra)

Le décor sépare en deux l’espace d’avant scène de la scène centrale par un immense panneau rectangulaire frontal et incliné pouvant pivoter sur lui même pour révéler le grand escalier du palais mycénien édifié en arrière plan.

La symbolique des couleurs des costumes est très explicite également, le blanc pour la virginité et l’aspiration au mariage de Chrysothemis, le noir pour la nature dépressive et vindicative d’Elektra, le rouge pour la puissance sexuelle et la nature criminelle de Klytämnestra.

Les lumières qui filtrent le long des arêtes du mur mobile central prennent également des teintes qui s’alignent sur les intentions en jeu, le tout dégageant une épure fort lisible.

Vida Miknevičiūtė (Chrysothemis)

Vida Miknevičiūtė (Chrysothemis)

Elektra rumine ses pensées sur une estrade en bois où elle pourra planter sa hache au moment du meurtre du couple royal, et lorsque Orest apparaît depuis la loge située côté jardin pour rejoindre ensuite sa sœur, le temps qu’il prend à ajuster le manteau royal abandonné par sa mère, et que Chrysothemis avait refusé de porter au grand dam d’Elektra, laisse transparaître le conflit intérieur du jeune homme entre lien de parenté, envie de vengeance, conscience du mal et ambition personnelle.

Les meurtres respectifs des amants se dérouleront derrière les murs, et alors que nous assistons à l’avènement d’Orest, Elektra met fin à ses jours. Un nouvel ordre est établi.

Elena Pankratova (Elektra)

Elena Pankratova (Elektra)

Le jeu d’acteur reste très sobre, mais Vida Miknevičiūtė offre une jeunesse irradiante à Chrysothémis qui lui vaudra un immense succès au rideau final. La soprano lituanienne possède en effet une projection perçante mais sans dureté avec une très grande solidité de moyen qui exprime une forme d’idéalisme adolescent qui gagne facilement les cœurs.

Károly Szemerédy (Orest)

Károly Szemerédy (Orest)

Sa compatriote, Violeta Urmana, dresse une stature impériale de Klytämnestra, pouvant compter sur une opulence de timbre fascinante, un galbe des graves d’un luxe d’ébène, et un profil des aigus vrillé et très maîtrisé. Son visage et sa gestuelle très expressifs lui donnent dorénavant une force théâtrale saisissante, et ses inflexions vocales tranchées taillent les moindres reliefs de ce caractère prêt à s’effondrer aux pieds de sa fille sous le poids de la culpabilité, avant que la fausse nouvelle de la mort d’Orest ne lui redonne l’espoir de croire qu’elle ne subira aucun châtiment.

C’est toujours un émerveillement de voir comment le talent de cette grande artiste traverse le temps avec une telle densité.

Violeta Urmana (Klytämnestra)

Violeta Urmana (Klytämnestra)

L’ensemble de la distribution présente ce soir ayant déjà été réunie dans cette même production en novembre 2022, Elena Pankratova reprend donc le rôle d’Elektra, et si la puissance de ses aigus et sa longueur de souffle restent mesurées, son chant offre un lyrisme travaillé de fines nuances assez rare dans ce rôle où nombre d’interprètes chargent habituellement l’héroïne de raucités pour en traduire l’animalité blessée. Rien de tout cela ici, c’est la dignité dans la douleur qui est dépeinte avec une certaine douceur, pourrait on dire.

Impressionnant par sa stature inaltérable, Károly Szemerédy est un formidable Orest, doué d’une ligne vocale bellement homogène et de grande classe, et John Daszak décrit un Aegisth avec de l’éclat mais aussi une certaine mesure attendrissante.

Vida Miknevičiūtė (Chrysothemis), Károly Szemerédy (Orest) et John Daszak (Aegisth)

Vida Miknevičiūtė (Chrysothemis), Károly Szemerédy (Orest) et John Daszak (Aegisth)

Mais quel plaisir d'entendre dans cette salle la violence feutrée et la noirceur tristanesque de l’orchestre de l’Opéra de Bavière sous la conduite de Vladimir Jurowski! Ce son fantastiquement noir, d'une noblesse dispendieuse, enveloppe l’auditeur d’une plénitude fabuleuse, et de la fusion des timbres des cordes et des cuivres découle une lave d’une malléabilité fluide et sidérante par la manière dont des traits ardents, des lames rutilantes et clinquantes se cristallisent d’un coup sans altération de leur éclat. L’agilité des musiciens permet de maintenir un excellent rythme théâtralisant avec toutefois un niveau de contrôle qui évite les débordements excessifs, y compris dans les attaques sauvages toujours d’une nette précision.

Vida Miknevičiūtė, Elena Pankratova, Károly Szemerédy, Violeta Urmana, John Daszak et Vladimir Jurowski

Vida Miknevičiūtė, Elena Pankratova, Károly Szemerédy, Violeta Urmana, John Daszak et Vladimir Jurowski

Une interprétation magnifique à tous les niveaux, qui laisse de côté une vision par trop horrifique, pour raconter cette histoire de vengeance familiale à travers une intense somptuosité narrative.

Vida Miknevičiūtė, Elena Pankratova et Violeta Urmana

Vida Miknevičiūtė, Elena Pankratova et Violeta Urmana

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Publié le 30 Juin 2024

Il Trovatore (Giuseppe Verdi – 19 janvier 1853, Rome)
Représentation du 29 juin 2024

Münchner Opernfestspiele 2024 - Bayerische Staatsoper

Ferrando Tareq Nazmi
Inez Erika Baikoff

Leonora Marina Rebeka
Count di Luna George Petean
Manrico Vittorio Grigolo
Azucena Yulia Matochkina
Ruiz Granit Musliu

Direction musicale Francesco Ivan Ciampa
Mise en scène Olivier Py (2013)

Production qui fit l’ouverture du Festival lyrique de l’Opéra de Munich le 27 juin 2013, et qui est régulièrement reprise tous les 2 ou 3 ans, la vision macabre du 'Trouvère' par Olivier Py a pour elle de laisser planer en permanence la malédiction du meurtre de la mère d’Azucena dans un décor industriel sombre dont la complexité interroge encore, d’autant plus qu’il imbrique une scène théâtrale, l’histoire étant une narration. 

Marina Rebeka (Leonora)

Marina Rebeka (Leonora)

La mort est un acteur omniprésent qui prend la forme de figurants aux têtes d’Anubis, ou bien se revêt d’un corps totalement noir lorsque Leonora songe au suicide.

Manrico est dépeint comme un fanatique dont la ferveur atteindra son paroxysme devant une croix enflammée, et l’on peut dire que Vittorio Grigolo représente à outrance ce personnage animé par une flamme intérieure destructrice. Car le ténor italien affiche un rayonnement, une clarté et une richesse de couleurs d’une très grande insolence qui arrivent à susciter l’admiration malgré un jeu exacerbé et un rythme personnel qui ne doivent sûrement pas faciliter la tâche du chef d’orchestre. Rien ne résiste à son chant sanguin d’une implacable efficacité, comme si le chanteur était en recherche d'une rupture.

Vittorio Grigolo (Manrico) et Marina Rebeka (Leonora)

Vittorio Grigolo (Manrico) et Marina Rebeka (Leonora)

Ainsi, on ne peut pas trouver plus opposé de caractère que celui de Marina Rebeka, dont la technique sophistiquée fait entendre à quel point l’écriture verdienne est d’une grande finesse, parcellée de progressifs changements de teintes toujours chargées d’éclat.

Et comme très souvent chez cette élégante artiste, le panache dans la souffrance ne cède en rien aux effets mélodramatiques, comme si la retenue dans l’expression des tendres sentiments de Leonora était la manifestation d’une inséparable maîtrise de soi.

Yulia Matochkina (Azucena) et Vittorio Grigolo (Manrico)

Yulia Matochkina (Azucena) et Vittorio Grigolo (Manrico)

Grand interprète du style verdien également, George Petean porte avec lui l’essence de la vitalité italienne, un chant chargé d’une terre de caractère, ce qui s’entend le mieux lorsqu’il est en dialogue avec la salle. Toutefois, dans les ensembles où l’orchestre prédomine, son timbre se dilue plus nettement que ses partenaires, ce qui lui fait perdre en impact, notamment lorsqu’il est en duo avec le Manrico galvanisant de Vittorio Grigolo.
Mais cela humanise aussi  le portrait du Conte di Luna.

Et sans sembler trop forcer sur ses moyens, Yulia Matochkina inspire en Azucena un personnage d’un grand raffinement, capable autant de puiser dans une noirceur nobiliaire que d’extérioriser des aigus brillants.

Il Trovatore (Rebeka Grigolo Matochkina Petean Ciampa Py) Munich

Parmi les seconds rôles, Tareq Nazmi n’a aucun problème à donner du corps à ce Ferrando qui se révélera être le meurtrier de Manrico, et si le chant profondément moiré d’Erika Baikoff (Inès) a un contour trop flou, c’est d’une belle prestance et d’une forte coloration de timbre que Granit Musliu dote le personnage de Ruiz. Ce jeune chanteur découvert l’année dernière au Festival de Sanxay en Don Ottavio, n’a pas fini d’imprimer sa marque.

George Petean (Le Comte di Luna)

George Petean (Le Comte di Luna)

Avec ces personnalités vocales assez disparates – seules Marina Rebeka et Yulia Matochkina sont les plus proches, stylistiquement parlant -, l’unité d’ensemble est confortée par la direction de Francesco Ivan Ciampa qui, non seulement insuffle un courant orchestral d’une grande puissance, mais combine aussi avec talent les différentes lignes de l’ouvrage afin d’en faire ressortir les traits dramatiques et sombres, comme pour faire ressentir une force sous-jacente à la manœuvre.

Le son de l'Orchestre de l'Opéra de Bavière conserve une excellente souplesse mêlée à une fougue italianisante qui ne vire jamais au vulgaire, et les cuivres sont très chaleureux. Le public n’en est que plus survolté, et avec un chœur d’une grande présence et très bien chantant, tous les ingrédients sont réunis pour faire de cette soirée une interprétation d’une grande générosité.

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Publié le 27 Mars 2024

Die Passagierin (Mieczysław Weinberg – composé en 1968, première à Moscou le 25 décembre 2006)
Livret d’Alexander Medvedev, d’après la pièce radiophonique ‘Pasażerka z kabiny 45’ (1959) et la nouvelle ‘Pasażerka’ (1962) de Zofia Posmysz (1923-2022)
Représentation du 16 mars 2024 au Bayerische Staatsoper de Munich et
Représentation du 24 mars 2024 au Teatro Real de Madrid

Distribution              Bayerische Staatoper            Teatro Real de Madrid

L’autre Lisa              Sibylle Maria Dordel            
Lisa                           Sophie Koch                         Daveda Karanas
Walter                       Charles Workman                  Nikolai Schukoff
Marta                        Elena Tsallagova                    Amanda Majeski
Tadeusz                     Jacques Imbrailo                   Gyula Orendt
Katja                                                                        Anna Gorbachyova-Ogilvie
Alte                                                                         Helen Field
Krystina                    Daria Proszek                        Lidia Vinyes-Curtis
Vlasta                       Lotte Betts-Dean                    Marta Fontanals-Simmons
Hannah                     Noa Beinart                            Nadezhda Karyazina
Bronka                      Larissa Diadkova                   Liuba Sokolova
Yvette                       Evgeniya Sotnikova               Olivia Doray
SS-Mann                  Bálint Szabó,                          Hrólfur Sæmundsson,
                                 Roman Chabaranok,               Marcell Bakonyi,
                                 Gideon Poppe                         Albert Casals
Älterer Passagier      Martin Snell                           Graeme Danby    
Oberaufseherin / Kapo    Sophie Wendt                  Géraldine Dulex
Steward                    Lukhanyo Bele                       Graeme Danby

Direction musicale   Vladimir Jurowski                  Mirga Gražinytè-Tyla
Mise en scène           Tobias Kratzer (2024)             David Pountney (2010)

Nouvelle production du Bayerische Staatsoper
Nouvelle production du Teatro Real, en co-production avec le festival de Bregenz, Le Théâtre Wielki de Varsovie, et l’English National Opera.
En hommage au 10e anniversaire de la disparition de Gerard Mortier (1943-2014)  

Au même moment, et pour commémorer le 10e anniversaire de la disparition de Gerard Mortier (1943-2014) , l’opéra d’État de Bavière et le Teatro Real de Madrid, respectivement dirigés par Serge Dorny et Joan Matabosch, montent une pièce du compositeur russe Mieczysław Weinberg (1919-1996) basée sur la nouvelle ‘La Passagère’ de Zofia Posmysz, une survivante du camp d’extermination d’Auschwitz.

Die Passagierin (Weinberg) - ms Kratzer à Munich / ms Pountney à Madrid

Die Passagierin (Weinberg) - ms Kratzer à Munich / ms Pountney à Madrid

L’œuvre fut achevée en 1968, mais elle ne fut donnée en version semi-scénique que le 25 décembre 2006 à la Maison internationale de la musique de Moscou, puis en version scénique au Festival de Bregenz, en juillet 2010, dans une mise en scène de David Pountney et sous la direction de Teodor Currentzis.

Gerard Mortier, coproducteur de ce spectacle, vint au célèbre festival autrichien pour y assister, mais il ne put le monter comme prévu à Madrid à cause de la crise économique qui sévissait en 2012 et 2013, et c’est donc Joan Matabosch, son successeur et fidèle admirateur, qui s’en charge cette saison après avoir programmé tous les ouvrages que le directeur flamand tenait à cœur de présenter.

Le Teatro Real de Madrid aux applaudissements finaux de 'Die Passagierin'

Le Teatro Real de Madrid aux applaudissements finaux de 'Die Passagierin'

L’idée d’écrire ‘Pasażerka z kabiny 45’ est venue à Zofia Posmysz lorsque, se rendant à Paris en 1959 pour écrire sur l’ouverture de la ligne Varsovie-Paris, elle crut reconnaître, place de La Concorde, la voix de sa surveillante à Auschwitz. Une fois chez elle, et incapable d’apaiser ses questionnements, son mari lui suggéra de rédiger une nouvelle.

Plus tard, Chostakovitch recommandera à Weinberg d’en faire un opéra.

L'orchestre du Bayerische Staatsoper de Munich

L'orchestre du Bayerische Staatsoper de Munich

Mettre en miroir les productions madrilène et munichoise est véritablement passionnant à vivre, et avant d’en venir à la nouvelle production de Tobias Kratzer, commencer par celle de David Pountney permet d’aborder, en premier lieu, une lecture qui ne cache rien de la vie dans les camps.

Le dispositif scénique représente en hauteur le pont du navire transatlantique qui emmène, en 1960, l’ancienne tortionnaire Lise et son mari Walter au Brésil. Mais au pied du décor, des rails circulaires enlacent la nacelle du bâtiment, et deux autres rails aboutissent directement sur l’orchestre. 

Toutes les scènes de brimades et d’humiliation dans le camp s'y déroulent, avec SS, prisonniers en tenues bariolées et exécutants qui retirent les cendres des fours. Les lumières sont constamment crépusculaires, et elles éclairent un misérabilisme réaliste qui happe le spectateur dans cet enfer étouffant.

Nikolai Schukoff (Walter) et Daveda Karanas (Lise) - Madrid (ms Pountney)

Nikolai Schukoff (Walter) et Daveda Karanas (Lise) - Madrid (ms Pountney)

L’opéra se déroule en alternant le présent, situé des années après le drame, et le passé inimaginable auquel Marta et l’autrice ont survécu.  Et l’on voit comment Lise devient un instrument au service d’un dispositif oppressif où elle occupe un rôle autoritaire qui la valorise. 

Marta, la détenue, évolue en permanence la tête courbée pour signifier son statut de victime de l’oppression, et elle ne relèvera la tête qu’aux saluts lorsqu’Amanda Majeski, maquillée de façon à ressembler à Zofia Posmysz, viendra se tenir humblement face au public.

Amanda Majeski (Marta / Zofia Posmysz) - Madrid (ms Pountney)

Amanda Majeski (Marta / Zofia Posmysz) - Madrid (ms Pountney)

La production munichoise est, elle, beaucoup plus distanciée - avec des coupures de scènes du camp - , et cherche à montrer l'incidence mentale du sentiment de culpabilité, approche shakespearienne qui rappelle 'Macbeth', tout en démontant en seconde partie les réflexes d’oubli que la société d’aujourd’hui pourrait élaborer afin d’éviter de se confronter à son passé.

En première partie, Tobias Kratzer représente en avant scène 3 ponts du paquebot, avec en arrière plan l’intérieur très cosy d’une des chambres où conversent Lise et Walter. S’ajoute un troisième personnage, une vieille dame, dont on comprend aisément qu’elle est Lise beaucoup plus âgée lors d’un voyage ultérieur en bateau, et les deux périodes temporelles qui s'interpénètrent sont donc l’année 1960 et notre époque. Le jeu de l’actrice Sibylle Maria Dordel, très émouvant, malgré son rôle, montre l’impact mental des souvenirs dont elle ne peut plus se débarrasser. 

Les scènes du camp sont interprétées par des passagers qui mêlent ainsi des paroles passées à leur situation présente et banale, ce qui entraîne une confusion et des questions sur ces personnages en apparence anodins. Et la victime, Marta, est dédoublée par des chanteuses et actrices habillées comme elle en tenues modernes, au lieu d’incarner plus littéralement des codétenues.

Sophie Kock (Lise) - Munich (ms Kratzer)

Sophie Kock (Lise) - Munich (ms Kratzer)

En seconde partie, et après une projection vidéo montrant Lise, âgée, se suicider dans la mer, nous nous retrouvons dans les profondeurs de l’âme, face à une grande salle à manger pouvant accueillir plus d’une centaine de convives huppés, où va être analysée la relation entre Lise et Marta.

Kratzer étudie beaucoup plus finement le caractère de Lise, et montre comment ses frustrations se projettent à travers le couple de la jeune Marta et du musicien Tadeusz. Sa jalousie, son attirance pour les corps, et donc tout ce qu’il y a d’irrésolu dans son être, devient ainsi le moteur de son goût pour la domination.

Jacques Imbrailo (Tadeusz) - Munich (ms Kratzer)

Jacques Imbrailo (Tadeusz) - Munich (ms Kratzer)

Cette approche très psychologique confronte ainsi le public à sa propre conscience lorsqu’il se voit en miroir à travers les tablées d’invités où gisent, de ci, de là, les corps des doubles de Marta.

Mais bien que Kratzer ne montre pas directement les camps, le tabassage de Tadeusz suite à son refus de jouer une valse est bien plus cru que dans la version de Pountney

Le personnage de Lise y est d’ailleurs incarné avec beaucoup d’intériorité, et Sophie Koch apporte une noirceur névrotique avec un sens de la vérité confondant, un superbe engagement de sa part qui montre à quel point elle saisit le tragique, et le désespoir, de cette femme qui ne peut s’empêcher d’avoir de l’emprise sur les autres.

Die Passagierin - ms Pountney (Madrid)

Die Passagierin - ms Pountney (Madrid)

A Madrid, Daveda Karanas induit également beaucoup d’intensité à la tortionnaire, en accentuant plus sur sa posture rigide et dure lorsqu’elle se remémore Auschwitz.

Son mari, chanté par un Nikolai Schukoff qui soigne avec attention le mordant de ses expressions très franches et sincères, est présenté comme un homme léger, presque clownesque et sympathique, alors qu’à Munich, Charles Workman, au timbre lunaire toujours aussi charmeur, montre la nature arriviste, et sensible au regard d’autrui, de Walter de manière plus saillante, en faisant ressentir son attachement à sa stature d’homme intègre lorsqu’il réalise le passé SS de sa femme.

Elena Tsallagova (Marta) - ms Kratzer (Munich)

Elena Tsallagova (Marta) - ms Kratzer (Munich)

Magnifique de rondeur de timbre au velouté slave, Elena Tsallagova est une très séduisante Marta moderne qui contraste beaucoup avec la femme atteinte et démolie que joue Amanda Majeski sur la scène madrilène, très expressive, et dont les couleurs de voix sont plus marquées par le temps.

Et le très beau chant ombré de Gyula Orendt ennoblit Tadeusz, alors que Jacques Imbrailo, sur la scène bavaroise, donne plus de présence réaliste au malheureux musicien.

Gyula Orendt (Tadeusz) - ms Pountney (Madrid)

Gyula Orendt (Tadeusz) - ms Pountney (Madrid)

Et s’il faut reconnaître qu’il est difficile de résister au fondu chaleureux de l’orchestre du Bayerische Staatsoper qu’exalte Vladimir Jurowski avec un sens de la rythmique redoutable et une capacité à créer une superbe unité de texture, la chef d’orchestre lituanienne Mirga Gražinytė-Tyla offre à Madrid une lecture sauvage d'un grand relief mais aussi d'une grande rigueur, avec un orchestre titulaire porté à son meilleur qui fait corps avec l'œuvre.

La musique de Weinberg n'est pas difficile à aborder, pourtant d'une grande violence dans les scènes sous haute tension, car elle innerve aussi le champ musical d'une poétique sereine, et se révèle même enjouée et jazzy quand elle accompagne le personnage de Walter. 

Et le fait que les cordes de l'orchestre madrilène n’aient pas le soyeux des cordes allemandes est ici un grand atout qui ajoute à l'âpreté de l’ambiance représentée sur scène, surtout quand elles vibrent avec vigueur et précision.

Sophie Koch, Vladimir Jurowski et Elena Tsallagova - Die Passagierin (Munich)

Sophie Koch, Vladimir Jurowski et Elena Tsallagova - Die Passagierin (Munich)

En ce jour de dernière représentation, le Teatro Real de Madrid affiche une salle tenue par un public au ressenti chevillé au corps, et qui réserve un accueil extraordinaire à l’ensemble de l’équipe artistique, d’une façon qui démontre que les spectateurs ne viennent pas forcément à l’opéra pour y voir du beau ou bien rêver, mais aussi pour être saisis par une histoire horrible qui dépasse l’entendement.

Enfin, très beaux murmures des chœurs lors des deux spectacles, avec sans doute un peu plus d’impression d’irréalité sur la scène du Teatro Real.

Mirga Gražinytė-Tyla - Die Passagierin (Madrid)

Mirga Gražinytė-Tyla - Die Passagierin (Madrid)

Il sera bientôt possible de retrouver Mirga Gražinytė-Tyla en août 2024 au Festival de Salzburg pour un autre opéra de Mieczysław Weinberg, 'Der Idiot', mis en scène par Krzysztof Warlikowski, et ensuite au Bayerische Staatsoper en mars 2025 pour 'Katia Kabanova' de Leoš Janáček, dans une nouvelle production confiée également à Krzysztof Warlikowski. Quelle chance!

Interview de Zofia Posmysz lors de la création de 'Die Passagierin' au Festival de Bregenz

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Publié le 18 Mars 2024

Saison 2024/2025 du Bayerische Staatsoper de Munich (BSO)

Depuis le samedi 16 mars 2024 10h, la saison 2024/2025 du Bayerische Staatsoper est enfin dévoilée au public venu à la grande salle de l’opéra de Munich pour la découvrir, ainsi qu’aux spectateurs qui ont pu suivre la présentation en direct sur internet via la chaîne TV de l’institution bavaroise.

Cette annonce de la 4e saison de Serge Dorny à la direction de ce prestigieux opéra se fait dans un contexte particulier car ni lui, ni le directeur de ballet Laurent Hilaire, ni le directeur musical Vladimir Jurowski ne savent à ce moment là s’ils seront reconduits au-delà de 2026, alors qu’ils programment déjà la saison 2027/2028, y compris la fin du cycle du ‘Ring’. Dans l’expectative, Serge Dorny a fait savoir qu’il a postulé à la direction du Festival de Salzburg.

Mais en attendant que l’incertitude soit levée d’ici fin août, la structure de la programmation qu’il propose n’opère aucun relâchement par rapport à la ligne initiale, et comporte un quart d’opéras du XXe/XXIe siècles (hors Puccini), ce qui est conséquent sans, néanmoins, revenir au niveau de la saison 2022/2023 qui atteignait 30% d’ouvrages postromantiques.

Ainsi, la saison lyrique 2024/2025 affiche 167 soirées dédiées à 41 ouvrages - dont 7 nouvelles productions - ce qui constitue une légère érosion par rapport à la saison en cours qui comprend 172 soirées et 8 nouvelles productions.

Toutefois, à ces 167 soirées de répertoire s’ajoutent 10 représentations supplémentaires pour le festival biannuel ‘Ja, Mai’ qui sera centré sur deux ouvrages du XXIe siècle.

 Krzysztof Warlikowski, Corinne Winters et Mirga Gražinytė-Tyla - Katia Kabanova (Première le 13 mars 2025)

Krzysztof Warlikowski, Corinne Winters et Mirga Gražinytė-Tyla - Katia Kabanova (Première le 13 mars 2025)

Comme la saison passée, Serge Dorny propose en nouvelles productions un grand ouvrage dramatique italien du XIXe siècle – il s’agit en fait de deux récits bien connus, le diptyque ‘Cavalleria Rusticana / Pagliacci’ – , et une œuvre plus légère ‘La Fille du régiment’, qui sont des opéras emblématiques et très prisés des maisons de répertoire.

Son cœur de projet s’axe donc sur les œuvres créées au XXe siècle, car elles apportent souvent une vision du monde plus crépusculaire, vraie et désillusionnée qui invite au regard intérieur.

Tobias Kratzer : Das Rheingold (première le 27 octobre 2024), Die Passagierin (reprise le 15 novembre 2024)

Tobias Kratzer : Das Rheingold (première le 27 octobre 2024), Die Passagierin (reprise le 15 novembre 2024)

Ainsi, 11 ouvrages de cette période - contre 7 pour la saison 2023-2024 en cours - seront présentés sur 43 soirées, parmi lesquels 3 auront droit à de nouvelles productions : ‘Katia Kabanova’ de Leoš Janáček mis en scène par Krzysztof Warlikowski, un familier des œuvres du compositeur tchèque, sous la direction de la chef d'orchestre lituanienne Mirga Gražinytė-Tyla avec Corinne Winters dans le rôle titre, puis ‘Die Liebe der Danae’ de Richard Strauss, une réflexion sur le pouvoir de l’argent qui sera confiée à Claus Guth sous la direction de Sebastian Weigle, et enfin, lors du festival d’été, la rare ‘Pénélope’ de Gabriel Fauré qui fut créée en mars 1913 à l’opéra de Monte-Carlo, puis en mai 1913 au Théâtre des Champs-Élysées, dont la lecture sera confiée à Andrea Breth qui fera donc ses débuts au Bayerische Staatsoper, sous la direction de Susanna Mälkki.

Vladimir Jurowski - Don Giovanni, Das Rheingold, Die Fledermaus, Der Rosenkavalier

Vladimir Jurowski - Don Giovanni, Das Rheingold, Die Fledermaus, Der Rosenkavalier

Si Vladimir Jurowski ne dirigera qu’un seul opéra de cette période, ‘Der Rosenkavalier’, son assistant Azim Karimov reprendra ‘Die Passagierin’.

Le chef Valentin Uryupin, qui a du quitter son poste du Nouvel Opéra de Moscou en 2022 suite à ses critiques de la guerre en Ukraine, dirigera ‘Erwartung’ (sous forme de diptyque avec ‘Didon et Enée’), Lothar Koenigs assurera les reprises de ‘Die Tote Stadt’ et ‘La Petite Renarde rusée’, Edward Gardner, le successeur de Vladimir Jurowski au London Philharmonic Orchestra, dirigera ‘Rusalka’, Kent Nagano reprendra ‘Le Grand Macabre’ dans la production de Krzysztof Warlikowski, et Ustina Dunitsky interprètera à nouveau pour deux soirées ‘Der Mond’ de Carl Orff, jouées dans le cadre du ‘UniCredit Septemberfest’ pour ouvrir la nouvelle saison lyrique avec seulement deux catégories de prix, 8 et 25 euros.

Francesco Micheli - Cavalleria Rusticana / Pagliacci (Première le 22 mai 2025)

Francesco Micheli - Cavalleria Rusticana / Pagliacci (Première le 22 mai 2025)

Comme pour la saison 2023/2024, le répertoire des compositeurs italiens du XIXe siècle est une composante solide et fondamentale qui va occuper 40% des représentations grâce à 17 ouvrages répartis sur 65 soirées, dont 6 de Giuseppe Verdi (‘Macbeth’, ‘I Masnadieri’, ‘La Traviata’, ‘Don Carlo’, ‘Un Ballo in maschera’, Aida’), 5 de Giacomo Puccini (‘Manon Lescaut’, ‘La Bohème’, ‘Tosca’, ‘Madame Butterfly’, ‘Turandot’), et 3 de Gaetano Donizetti (‘Lucrezia Borgia’, ‘Lucia di Lammermoor’, ‘L’Elixir d’Amour’).

Ces grands classiques italiens seront complétés par la reprise de la ‘La Cenerentola’ de Gioachino Rossini, ainsi qu'une nouvelle production du diptyque ‘Cavalleria Rusticana’ et ‘Pagliacci’ de Pietro Mascagni et Ruggero Leoncavallo mise en scène par Francesco Micheli, directeur artistique du Festival Opera Donizetti de Bergame, sous la direction de Daniele Rustioni.

David Hermann - Don Giovanni (Première le 27 juin 2025)

David Hermann - Don Giovanni (Première le 27 juin 2025)

Mozart a habituellement une place de choix à Munich, et c’est encore le cas cette saison avec 4 ouvrages dont la trilogie Da Ponte, ‘Cosi fan tutte’, ‘Les Noces de Figaro’ et une nouvelle production de ‘Don Giovanni’ confiée à David Hermann (le metteur en scène du récent ‘Tannhäuser’ à l’opéra de Lyon et du ‘Die Frau ohne schatten’ à l’opéra de Stuttgart’), ainsi que la reprise de ‘La Flûte enchantée’, mais Wagner devra se contenter de seulement 12 soirées avec les reprises de ‘Lohengrin’ et du ‘Vaisseau Fantôme’, et surtout la nouvelle production de ‘Das Rheingold’ mise en scène par Tobias Kratzer, premier volet d’un Ring qui se déroulera sur 4 ans.

Deux autres compositeurs germanophones du XIXe siècle sont également à l’affiche avec les reprises de ‘Die Fledermaus’ (Johan Strauss) et de ‘Hänsel und Gretel’ (Engelbert Humperdinck).

Susanna Mälkki - Les Noces de Figaro, Pénélope (première le 18 juillet 2025)

Susanna Mälkki - Les Noces de Figaro, Pénélope (première le 18 juillet 2025)

Et il n’y a pas que Wagner a être un peu en retrait cette saison devant l’importance du répertoire du XXe siècle, car le répertoire russe romantique ne pourra compter que sur une seule reprise, celle de ‘La Dame de Pique’ pour 4 soirs, dans la mise en scène de Benedict Andrews.

Mais la langue française se défend plutôt bien puisque qu’à la nouvelle production de ‘Pénélope’ viendront s’ajouter deux ouvrages créés à l’Opéra Comique, la nouvelle production de ‘La Fille du régiment’ de Donizetti dans la mise en scène de Damiano Michieletto, sous la direction de Stefano Montanari, et la reprise de ‘Carmen’ sous la direction d’Alexandre Bloch, le directeur musical de l’opéra de Lille.

Et les baroqueux seront à nouveaux déçus puisque seules deux soirées seront dédiées à ‘Didon et Enée’ de Purcell, mais avec Sonya Yoncheva dans le rôle titre et la mise en scène de Krzysztof Warlikowski.

Sonya Yoncheva - Didon et Enée / Erwartung (reprise le 13 juillet 2025)

Sonya Yoncheva - Didon et Enée / Erwartung (reprise le 13 juillet 2025)

Enfin, le festival ‘Ja, Mai’ permettra de découvrir deux ouvrages rares contemporains sur 5 soirs chacun, ‘Matsukaze’ de Toshio Hosokawa (La Monnaie – 2011 - mise en scène Sasha Waltz), donné à la salle Utopia (ehemals Reithalle) dans une nouvelle mise en scène de Lotte van den Berg et Tobias Staab, et ‘Das Jagdgewehr’ de Thomas Larcher (Bregenz – 2018) qui sera joué au Théâtre Cuvilliés dans une mise en scène d’Ulrike Schwab.

Il s'agit de pièces inspirées de deux nouvelles japonaises, respectivement une pièce de théâtre Nô, 'Matsukaze' (松風, 'Le Vent dans les pins'), et un roman de Yasushi Inoue, 'Ryōjū' (猟銃, 'Le fusil de chasse').

Antonino Fogliani - I Masnadieri, Lucrezia Borgia, Turandot

Antonino Fogliani - I Masnadieri, Lucrezia Borgia, Turandot

Cette programmation met ainsi en exergue d’excellents chefs d’orchestre, mais quatre se distinguent particulièrement, Vladimir Jurowski, le directeur musical, qui dirigera ‘Der Rosenkavalier’ , ‘Die Fledermaus’ et les nouvelles productions de ‘Don Giovanni’ et ‘Das Rheingold’, Sebastian Weigle qui dirigera ‘La Dame de Pique’, ‘Lohengrin’ et la nouvelle production de ‘Die Liebe der Danae’, Susanna Mälkki qui dirigera la reprise des ‘Noces de Figaro’ – il est assez rare d'entendre la chef d'orchestre finlandaise interpréter une œuvre lyrique du XVIIIe siècle – et la nouvelle production de ‘Pénélope’, et Antonino Fogliani qui se réservera trois opéras italiens, ‘I Masnadieri’, ‘Lucrezia Borgia’ et 'Turandot'.

Klaus Florian Vogt - Die Tote Stadt (Reprise, le 01 octobre 2024)

Klaus Florian Vogt - Die Tote Stadt (Reprise, le 01 octobre 2024)

Et pour ceux qui scrutent les distributions de grands chanteurs, on pourra entendre cette saison Sonya Yoncheva (Didon et Enée / Erwartung), Lise Davidsen (Tosca), Asmik Grigorian et Franz-Josef Selig (Der Fliegende Holländer), Violeta Urmana (La Dame de Pique, Katia Kabanova), Ermonela Jaho (Manon Lescaut), Pretty Yende, Susan Graham, Lawrence Brownlee (La Fille du Régiment), Marlis Petersen (Der Rosenkavalier), Yulia Matochkina (Un Ballo in Maschera, Cavalleria Rusticana), Anja Kampe et René Pape (Lohengrin), Rachel Willis-Sørensen (Don Carlo, Lohengrin), Elena Guseva (Rusalka, Madame Butterfly), Nicole Car (Un Ballo in Maschera), Vida Miknevičiūtė et Klaus Florian Vogt (Die Tote Stadt), Charles Castronovo (I Masnadieri, Un Ballo in Maschera), Jonas Kaufmann (Pagliacci), Wolfgang Koch (Cavalleria Rusticana/Pagliacci, Lohengrin, La Petite Renarde rusée), Brandon Jovanovich (Pénélope), Pavol Breslik (Rusalka, Lucrezia Borgia), Xabier Anduaga (Lucia di Lammermoor, La Fille du Régiment), Peter Mattei, Golda Schultz, Willard White et Emily D’Angelo (Les Noces de Figaro), Elena Tsallagova (Die Passagierin, La Petite Renarde rusée), Charles Workmann (Die Passagierin), Piotr Beczala (Lohengrin, Carmen), Lisette Oropesa (I Masnadieri, La Fille du régiment), Erwin Schrott (Don Carlo, Lucrezia Borgia, I Masnadieri), Vera-Lotte Boecker (Don Giovanni), Simon Keenlyside (La Traviata), Ekaterina Semenchuk et Vittorio Grigolo (Cavalleria Rusticana), Ailyn Pérez (Pagliacci), Elena Stikhina (La Dame de Pique, Aida), Pavel Cernoch, Corinne Winters et John Daszak (Katia Kabanova), Angel Blue et Pene Pati (La Bohème), Christopher Maltman et Andreas Schager (Die Liebe der Danae), Angela Meade (Lucrezia Borgia), Jessica Pratt (La Flûte enchantée), Gerald Finley (Macbeth, Der Fliegende Holländer), Sondra Radvanovsky (Turandot, Macbeth), Elina Garanca (Aida), Ekaterina Gubanova (Das Rheingold)…

Sondra Radvanovsky - Turandot, Macbeth

Sondra Radvanovsky - Turandot, Macbeth

Cette saison est aussi marquée par la mise en avant de Konstantin Krimmel, baryton allemand et roumain membre de l'opéra de Munich depuis 2021, qui apparaitra dans les trois volets de la trilogie Da Ponte, où il fera l'ouverture du festival d'été en Don Giovanni.

Ce jeune chanteur a débuté en tant qu'enfant de chœur de l’église Saint-Georges à Ulm, et il se démarque aujourd'hui dans le répertoire du Lied. Une soirée de lieder lui sera d'ailleurs dédiée au Prinzregententheater le 24 juillet 2025, en fin de festival.

Konstantin Krimmel - Don Giovanni (Première le 27 juin 2025), Les Noces de Figaro, Cosi fan Tutte

Konstantin Krimmel - Don Giovanni (Première le 27 juin 2025), Les Noces de Figaro, Cosi fan Tutte

Un focus sur les grands chanteurs français permet enfin de mettre en valeur Clémentine Margaine et Jérôme Boutillier (Carmen), Loïc Félix (Pénélope), Julie Fuchs (Les Noces de Figaro) et Sandrine Piau (Cosi fan tutte).

Sandrine Piau - Cosi fan tutte (reprise le 12 mai 2025)

Sandrine Piau - Cosi fan tutte (reprise le 12 mai 2025)

Mais seuls deux spectacles, hors festival ‘Ja, Mai’, seront affichés avec des prix ne dépassant pas 100 euros en première catégorie, ‘Hänsel et Gretel’ et ‘La Cenerentola’. C’est moins que la saison 2023/2024 où 6 productions étaient à ce tarif, ce qui est aussi un indice que les contraintes financières sont un peu plus fortes chaque année, mais la représentation de 'Don Giovanni' du 06 juillet 2025 sera projetée en direct sur la Max-Joseph Platz, avec saluts des artistes sur le parvis de l'opéra à la fin du spectacle.

Le Bayerische Staatsoper n’en est pas moins une maison lyrique qui se porte encore très bien, et s’intéresse toujours autant aux œuvres rares.


Le détail de la saison 2024/2025 du Bayerische Staatsoper peut être consulté sous le lien suivant : Season 2024 /2025 : From Life - Throught Love.

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Publié le 27 Juillet 2023

Semele (Georg Friedrich Haendel - 10 février 1744, Théâtre Royal in Covent Garden)
Représentation du 22 juillet 2023
Prinzregententheater, Munich

Semele Brenda Rae
Jupiter Michael Spyres
Apollo Jonas Hacker
Athamas Jakub Józef Orliński
Juno Emily D'Angelo
Ino Nadezhda Karyazina
Iris Jessica Niles
Cadmus/Somnus Philippe Sly
Hohepriester Milan Siljanov

Direction musicale Gianluca Capuano
Mise en scène Claus Guth (2023)                               
 Michael Spyres (Jupiter)
Coproduction Metropolitan Opera de New-York

Opéra créé sous forme d'oratorio anglais à un moment où les opéras seria italiens étaient passés de mode, 'Semele' ne connut pas de grand succès du vivant de Haendel.

Brenda Rae (Semele) et Michael Spyres (Jupiter)

Brenda Rae (Semele) et Michael Spyres (Jupiter)

Il est donc tout à fait remarquable de constater qu'en ce mois de juillet 2023 deux nouvelles productions de cette œuvre font leur apparition sur les scènes lyriques, l'une à Glyndebourne dans la mise en scène d'Adele Thomas et sous la direction de Václav Luks, l'autre à Munich dans la mise en scène de Claus Guth et sous la direction de Gianluca Capuano.

Et c'est à un véritable enchantement que les spectateurs du Prinzregententheater se sont laissés aller au point d'offrir une mémorable standing ovation à toute l'équipe de la production.

Brenda Rae (Semele) et Jakub Józef Orliński (Athamas)

Brenda Rae (Semele) et Jakub Józef Orliński (Athamas)

Il faut dire que le spectacle proposé dans le cadre du festival d'opéras de Munich réussit à vaincre toutes les difficultés qui font la force du genre opératique, en ce sens qu'il conjugue une lecture dramaturgique claire qui varie les points de vue et qui est pertinemment évocatrice pour la société d'aujourd'hui, évite les surcharges inutiles, notamment au niveau des décors, exige un engagement scénique sans égal de la part des artistes, alors que ces derniers font montre d'une diversité de couleurs et de lignes vocales très expressives, et que l'orchestre et les chœurs se fondent à l'ensemble avec richesse de coloris et un liant d'une très harmonieuse fluidité.

Et par dessus tout, c'est avec un opéra issu du baroque tardif que cette proposition remporte l'adhésion générale, ce qui n'est pas une mince affaire.

Brenda Rae (Semele), Nadezhda Karyazina (Ino) et Philippe Sly (Cadmus)

Brenda Rae (Semele), Nadezhda Karyazina (Ino) et Philippe Sly (Cadmus)

Le travail de Claus Guth se distingue ainsi par la façon dont il permet de bien identifier les différents protagonistes en jeu, avec des costumes qui traduisent très bien l'intériorité de chacun d'eux, Semele passant du blanc au noir, Athamas invariablement en blanc et passe-partout, Ino, la sœur de Semele, bien plus complexe qui se dédouble avec une Juno en vamp dangereuse et très séductrice, tout en mettant en valeur ce qui fait la beauté de chacun des chanteurs.

Il ne s'attarde pas sur une représentation au premier degré des références mythologiques contenues dans le livret, et fait osciller les différents lieux entre la grande salle de cérémonie de mariage, où se déroulent des jeux de mises en scène volontairement kitchs et superficiels dans un univers blanc, d'une part, et l'intériorité névrosée de l'héroïne représentée par des méandres de décorations noires de plus en plus envahissantes, d'autre part.

Brenda Rae (Semele) et Michael Spyres (Jupiter)

Brenda Rae (Semele) et Michael Spyres (Jupiter)

L'humour, omniprésent, côtoie la gravité de situation d'une femme qui, progressivement, se marginalise tout en détruisant sa vie. Car Claus Guth raconte avec une brillante acuité imaginative le désir d'une femme d'échapper à une société corsetée, obnubilée par son positionnement social. Le symbole est aussi lisible quand Semele s'évade d'une robe de mariage rigide que lorsqu'elle détruit à coups de hache le mur de la salle cérémonielle.

L'une des scènes les plus drôles et les plus significatives fait d'abord intervenir Jupiter, l'idéal masculin auquel rêve Semele, qui pousse Michael Spyres à se livrer à un amusant numéro de cabaret avec les danseurs afin de répondre au désir d'illusion de la jeune femme, et qui, par la suite, fait réapparaitre Athamas qui se voit contraint de sortir de sa fadeur en se livrant devant sa fiancée à un splendide numéro de break dance, défi que seul un artiste tel Jakub Józef Orliński, champion dans ce domaine également, peut relever.

Brenda Rae (Semele) et Nadezhda Karyazina (Ino)

Brenda Rae (Semele) et Nadezhda Karyazina (Ino)

Malheureusement pour Semele, au fur et à mesure que le piège tendu par Junon et Ino se referme sur elle, elle s'enfonce elle aussi dans sa fantasmagorie, perd pied, et c'est finalement sa sœur qui gagne, même si finalement, dans cette société, personne n'est irremplaçable, et qu'un amour peut en remplacer un autre. Le miroir est bien plus grinçant qu'il n'y paraît.

Isolée, Semele a cependant le temps de mettre au monde un enfant, Dyonisos, alors que des plumes noires, celles de Jupiter, se mettent aussi à pleuvoir sur les nouveaux mariés, la malédiction étant prête à se réenclencher. 

Face à cette excellente construction dramaturgique parcellée de nombreux moments de respirations, le spectateur a ainsi la possibilité de se projeter dans cette histoire et ces personnages de manière concrète, et de vivre plus intensément cette rencontre avec une très belle œuvre.

Brenda Rae (Semele) et Jakub Józef Orliński (Athamas)

Brenda Rae (Semele) et Jakub Józef Orliński (Athamas)

Bien qu'annoncée souffrante, Brenda Rae a accepté d'assurer la représentation, et l'énergie et la virtuosité théâtrales qu'elle y consacre sont absolument phénoménales. Actrice née, elle doit aussi composer avec des airs très difficiles, fait preuve d'une extrême finesse, d'une grande attention aux nuances, avec une coloration très claire, ne déployant une luminosité ample et très intense qu'à des moments bien choisis. On imagine bien qu'à travailler avec une telle artiste, un metteur en scène tel Claus Guth doit se régaler.

Michael Spyres (Jupiter)

Michael Spyres (Jupiter)

Irradiant dès sa première apparition, Michael Spyres est fabuleux par sa façon hors du commun de passer en toute fluidité du registre barytonant à la légèreté caressante du ténor, avec une excellente homogénéité de timbre et une souplesse expressive qui justifie la fascination de Semele pour lui.

Emily d'Angelo (Junon)

Emily d'Angelo (Junon)

Jakub Józef Orliński est évidemment égal à lui même, avec cette luminosité angélique pleinement timbrée et subtilement ambrée qui, sur la durée, libère l'auditeur du temps présent, alors que la superbe Emily d'Angelo trouve sa séduction non seulement dans son physique de garçonne magnifié par Claus Guth, mais également dans cette voix grave au grain perlé de noirceurs minérales, conduite avec une animalité un peu sauvage.

Emily d'Angelo (Junon) et Brenda Rae (Semele)

Emily d'Angelo (Junon) et Brenda Rae (Semele)

Et quels contrastes dans la voix de Nadezhda Karyazina, que l'on retrouvera dans 'Die Passagierin' au Teatro Real de Madrid la saison prochaine, capable de traits de noirceur abyssaux bien appuyés, et de passer de la douceur à la passion échevelée qui montre que finalement Ino n'est pas meilleure que Semele, juste plus calculatrice.

Dans ce monde de fous, Jessica Niles apporte aussi une fraicheur splendide et joyeuse en Iris, et Philippe Sly s'amuse beaucoup à dépeindre le tempérament débonnaire et flegmatique de Cadmus et Somnus.

Jakub Józef Orliński (Athamas), Nadezhda Karyazina (Ino) et Philippe Sly (Cadmus)

Jakub Józef Orliński (Athamas), Nadezhda Karyazina (Ino) et Philippe Sly (Cadmus)

Chœurs d'une magnifique élégie spirituelle, orchestre doué d'une plénitude de timbres qui enveloppe avec une grande harmonie les galbes des voix, Gianluca Capuano, en toute modestie, dirige ces ensembles afin de donner une patine qui saisisse avec esprit la scénographie et ses ambiances lumineuses.

Emily d'Angelo, Michael Spyres, Brenda Rae et Jakub Józef Orliński

Emily d'Angelo, Michael Spyres, Brenda Rae et Jakub Józef Orliński

Si l'on peut s'interroger sur le passage de cette grande réussite d'une salle de 1400 places aux 3700 places de l'Opéra de New-York, il faut aussi espérer que cette production soit reprise prochainement dans la salle principale du Bayerische Staatsoper, tel que c'est envisagé actuellement face à un tel engouement public qui n'a, pour l'instant, été partagé que par 7000 spectateurs seulement.

Michael Spyres, Brenda Rae, Claus Guth et Gianluca Capuano

Michael Spyres, Brenda Rae, Claus Guth et Gianluca Capuano

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