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Publié le 23 Mars 2025

Katia Kabanova (Leoš Janáček – Brno, le 23 novembre 1921)
Représentations du 17 mars et 07 juillet 2025
Bayerische Staatsoper - Munich

Dikoj Milan Siljanov
Boris Pavel Černoch
Kabanicha Violeta Urmana
Tichon John Daszak
Káťa Corinne Winters
Kudrjáš James Ley
Varvara Emily Sierra (17 mars)
             Rachael Wilson (07 juillet)
Kuligin Thomas Mole (17 mars)
             Tim Kuypers (07 juillet)
Glaša    Ekaterine Buachidze
Fekluša Elene Gvritishvili
Ein Mann Samuel Stopford
Eine Frau Natalie Lewis

Direction musicale Marc Albrecht (17 mars)
                                Petr Popelka (07 juillet)
Mise en scène Krzysztof Warlikowski (2025)
Décors et costumes Małgorzata Szczęśniak
Lumières Felice Ross
Vidéo  Kamil Polak
Chorégraphie Claude Bardouil
Dramaturgie Christian Longchamp

                      Lukas Leipfinger
Bayerisches Staatsorchester, Choeur du Bayerische Staatsoper

Située à 380 km de Prague, Munich défend bien le répertoire tchèque. Mais si le public du Bayerische Staatsoper est familier avec ‘Jenůfa’ – la production de Barbara Frey fut jouée de 2009 à 2018 -, ‘Káťa Kabanová' n’avait plus été représenté depuis 25 ans, la dernière production de David Pountney, avec Catherine Malfitano dans le rôle titre et Paul Daniel à la direction musicale, n’ayant connu que 14 représentations de mars 1999 à juillet 2000.

Corinne Winters (Káťa) et Emily Sierra (Varvara)

Corinne Winters (Káťa) et Emily Sierra (Varvara)

Pour redonner vie à cette figure féminine sous pression de son environnement social, Serge Dorny s’est tourné naturellement vers Krzysztof Warlikowski qui connaît bien l’univers de Leoš Janáček pour avoir mis en scène deux de ses ouvrages, ‘Věc Makropulos’ (Opéra de Paris, 2007) et 'Z mrtvého domu' (Royal Opera House Covent Garden, 2018). Il s’agit par la même occasion de sa huitième production présentée en ce même lieu depuis ‘Eugen Onegin’ en 2007.

Káťa Kabanova (Winters Černoch Urmana Warlikowski Albrecht Popelka) Munich

Le décor conçu par Małgorzata Szczęśniak peut s’apprécier avant le début du spectacle, car le rideau est déjà levé pour permettre à plusieurs couples de danseurs d’interpréter un tango au centre d’un grand hall. En apparence, les murs sont recouverts d’un bois laqué clair laissant apparaître des nervures aux drapés ondoyants, et une pièce en forme de parallélépipède est encastrée à l’arrière. Cette pièce pourra s’avancer et s’ouvrir pour recréer des scènes d’intérieur plus intimes.

L’idée du tango qui illustre une fête contemporaine autour de laquelle une vie de quartier s’anime, avec nombre de personnages ayant leur propre ligne de vie autonome très précisément articulée, peut au premier abord intriguer, mais il s’agit d’une image sereine et subtile de l’harmonie du couple très agréable à regarder pour le spectateur, et qui d’emblée ne pose pas un univers misérabiliste.

Ces danseurs réapparaîtront au cours de l’interlude du début du second acte en suivant le mouvement chaloupé et fluide de l’orchestre et des bois.

Pavel Černoch (Boris)

Pavel Černoch (Boris)

A l’écart de ce petit monde, Káťa Kabanova est d’abord présentée à travers sa propre joie intérieure. Une vidéo grand champ montre celle-ci chantant dans sa tête comme une jeune adolescente, une image qui pourrait-être celle de la jeune femme heureuse avant qu'elle ne se marie au médiocre Boris que Krzysztof Warlikowski fait entrer en étant jeté à terre avec brutalité sous les humiliations de son oncle Dikoj. 

Mais un peu plus loin, lorsqu’elle est rejointe par Varvara, sa fille adoptive qui joue le rôle de sœur confidente, un habile jeu où on la voit mimer une scarification avant d’ouvrir les bras en croix révèle les pulsions suicidaires de Káťa nées de son environnement religieux. Cette tendance sera à nouveau suggérée de façon subliminale dans la chambre des Kabakov, à travers une mystérieuse séquence de visionnage d’un film en images de synthèse prémonitoires où une jeune femme provoque un accident de voiture et décède sous les regards des badauds.

Ces regards fixes réapparaîtront sous forme d’ombres à la toute fin, lors de l'inéluctable suicide.

Corinne Winters (Káťa)

Corinne Winters (Káťa)

Car à travers la narration et les interactions vives entre protagonistes, le monde imaginaire et étrange de Káťa est aussi projeté à des moments bien choisis par l’insertion sur le décor de séquences vidéos aux teintes irréelles. L'osmose de la jeune femme avec la nature et les champs de fleurs, si bien racontée lors de sa confidence à Varvara au premier acte, recouvrira toute la scène au moment de sa mort, en contraste fort avec la vitrine d’animaux empaillés dressée côté jardin, qui traduit en revanche un rapport à la nature plus mortifère de la part de la société. 

En exposant ainsi le monde intérieur de Káťa, Krzysztof Warlikowski fait ressentir à quel point son esprit vit dans un monde parallèle, et son rapport aux désirs du corps est également décrit avec beaucoup de sensibilité, par exemple lorsqu’en nuisette elle semble vouloir éveiller Tichon.

Corinne Winters (Káťa) et Emily Sierra (Varvara)

Corinne Winters (Káťa) et Emily Sierra (Varvara)

Mais Boris, le futur amant, est dès son entrée décrédibilisé à travers sa perruque orange et bouclée, le metteur en scène choisissant de ne pas l’épargner au troisième acte en masquant son visage afin de pointer la lâcheté de son humanité, et montrer l’aveuglement de l’héroïne. Leur rencontre chez Varvara est ici transposée dans un bar branché, lui aussi incrusté dans la partie mobile et recadrée du décor. Et les variations de couleurs et de lumières (Felice Ross) sont toujours nuancées avec une extrême justesse dans cette alcôve confidentielle.

Violeta Urmana (Kabanicha)

Violeta Urmana (Kabanicha)

S’admire également l’excellente caractérisation de Tichon et de sa mère Kabanicha par deux grands artistes, John Daszak et Violeta Urmana. Le premier, affublé comme une employé tout à fait dans la norme, use de son grand sens déclamatoire claquant et puissant, alors que la mezzo-soprano lituanienne est fascinante par l’expressivité du regard, l’animalité du chant et sa façon flambante d’imposer son autorité et ses attentes sur son entourage. D’ailleurs, loin d’être uniquement froide et cassante, il ressort aussi beaucoup d’ironie dans son personnage très bien joué.

Quant à la relation entre Kabanicha et Dikoj - Milan Siljanov campe un Dikoj redoutable -, elle virera à un rapport purement physique et pragmatique au corps, la disparition de la sensualité solaire de leur jeunesse étant pathétiquement soulignée en mettant en miroir celle d’un couple d’amoureux extrait d’un film glamour.

John Daszak (Tichon) et Corinne Winters (Káťa)

John Daszak (Tichon) et Corinne Winters (Káťa)

Tout au long du spectacle, l’auditeur s’imprègne ainsi de l’âme de Káťa tout en jaugeant le comportement des autres personnages, jusqu’au troisième acte où une fracture nette se forme : toute la communauté se réunit, même les individus les plus anodins, pour s’installer sur plusieurs rangs latéraux, comme lors d’un jury populaire, afin de pointer leur regard sur Káťa Kabanova laissée seule avec sa culpabilité sur une simple chaise située au centre de la scène. 

Cette question du regard des autres traverse toutes les couches sociales, car le conformisme est généralement perçu comme le meilleur moyen de survie de l’homme, surtout qu’il est très confortable de s’afficher dans le camp du ‘bien’.

Dans sa grande scène finale, à la solitude poignante de Káťa Kabanova s’oppose toute une société semblant unie en apparence contre celle qui a osé ignorer les règles.

Violeta Urmana (Kabanicha)

Violeta Urmana (Kabanicha)

Au fur et à mesure que la jeune femme s’enferre dans l’attente de la mort, son rapport spirituel à la nature est sublimé à travers une très belle projection d’un tapis de fleurs, Krzysztof Warlikowski prenant bien soin d’élaguer le conditionnement religieux qui s’entend aussi dans les paroles.

Et c’est à un Boris au visage masqué qu’elle s’adresse, celui-ci étant dans l’impossibilité d’être lui-même. Pavel Černoch, chanteur tchèque d’une grande sincérité expressive, est ici totalement idiomatique dans son répertoire de prédilection qui lui colle à la peau. Les modulations slaves de son chant permettent facilement de l’identifier au-delà du maquillage qui en recouvre les plus beaux traits.

Corinne Winters (Káťa) - 3e acte (Photo Geoffroy Schied)

Corinne Winters (Káťa) - 3e acte (Photo Geoffroy Schied)

Dans le rôle principal qu’elle défend régulièrement – elle en est à sa septième production de 'Kat'a Kabanova' depuis Seattle en 2017 -, Corinne Winters est absolument irradiante avec son apparence si fragile et son beau timbre aux inflexions subtilement sombres et finement filées. Elle peut délier une ligne vocale d’une souplesse très harmonieuse, même dans les moments les plus intenses, sans pour autant exagérer le sentiment de souffrance. Cette unité vocale imperturbable contribue ainsi à affirmer une constance dans sa personnalité.

En Varvara, Emily Sierra est d’une grande fraîcheur, avec des couleurs aux reflets changeants et une pétillance qui contraste avec la nature plus hors du temps de Káťa, et son duo drôle avec James Ley, un éloquent Kudrjáš, est un grand moment de respiration de la soirée.

Krzysztof Warlikowski, Małgorzata Szczęśniak, Claude Bardouil entourés de Milan Siljanov, John Daszak, Corinne Winters et Marc Albrecht.

Krzysztof Warlikowski, Małgorzata Szczęśniak, Claude Bardouil entourés de Milan Siljanov, John Daszak, Corinne Winters et Marc Albrecht.

Et pour lier cet univers à la fois poétique et chaotique, Marc Albrecht insuffle à l’écriture de Leoš Janáček une lecture très sensuelle, tout en restant très souple dans la charge dramatique, ce qui donne l’impression de vivre en phase avec l’intériorité de Káťa Kabanova. Dans cette production qui voit l’héroïne se fondre dans l’absolu de la nature, le sentiment de communion prédomine.

Il sera alors très intéressant de découvrir la lecture qu’en fera le jeune chef d’orchestre tchèque Petr Popelka qui dirigera cette production pour un seul soir le 07 juillet prochain.

Krzysztof Warlikowski et Corinne Winters

Krzysztof Warlikowski et Corinne Winters

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Publié le 24 Janvier 2025

La Petite Renarde Rusée (Leoš Janáček  – Brno, le 06 novembre 1924)
Répétition générale du 13 janvier 2025 et représentation du 21 janvier 2025
Opéra Bastille

Le Garde-Chasse Milan Siljanov
La Renarde Elena Tsallagova
Le Renard Paula Murrihy
Le Prêtre Frédéric Caton
L'Instituteur, le Moustique Éric Huchet
Le chien Maria Warenberg
Le Blaireau Slawomir Szychowiak
Le Coq, le Geai Rocio Ruiz Cobarro
La Poule huppée Irina Kopylova
Le vagabond Tadeáš Hoza
Le Pivert Marie-Cécile Chevassus
L'Aubergiste Se-Jin Hwang
La femme de l'Aubergiste Anne-Sophie Ducret
Le Hibou, la femme du Garde-Chasse Marie Gautrot

Direction musicale Juraj Valčuha
Mise en scène André Engel

(Opéra de Lyon 2000 – Opéra de Paris 2008)
Prague Philharmonic Children’s Choir

 

Entrée tardivement au répertoire de l’Opéra national de Paris le 13 octobre 2008, ‘La Petite Renarde Rusée’ (‘Příhody lišky Bystroušky’ en tchèque) est une œuvre qui porte en elle une croyance en la vie, une croyance que tout se renouvelle.

La renarde représente ici la projection de cette jeunesse, de cet éternel féminin pour lequel Leoš Janáček était tombé amoureux sous l’inspiration de Kamila Stösslová, une femme mariée âgée de 38 ans de moins que lui.

Elena Tsallagova (La Renarde)

Elena Tsallagova (La Renarde)

André Engel porta sur la scène de l’opéra de Lyon, au mois d’avril 2000, une production de ‘La Petite Renarde Rusée’ taillée pour une scène d’une quinzaine de mètres d’ouverture, qui fut reprise au Théâtre des Champs-Élysées deux ans plus tard.

Puis, cette production fut adaptée à l’immense scène Bastille en 2008, bien plus vaste, qui est celle présentée encore aujourd’hui. Naturellement, un effet de dilution se ressent, mais l’avantage est que les changements de décors peuvent se dérouler avec une meilleure fluidité derrière un rideau finement décoré des portraits des différents personnages.

Le Prague Philharmonic Children’s Choir

Le Prague Philharmonic Children’s Choir

Le principal tableau comprend un champ de tournesols – en lieu et place de la forêt - traversé par une voie ferroviaire qui représente l’empreinte de l’homme sur la nature, et, au troisième acte, le metteur en scène fait varier les saisons de manière à représenter cet acte en hiver et sous la neige avec des teintes lumineuses subtilement dosées

Ce dernier acte revient en effet au conflit entre l’homme et la nature au moment de la mort brutale de la petite renarde – un choc pour les jeunes spectateurs, qui se trouve amplifié par le silence stupéfiant qui règne sur scène après la violence du coup de fusil tiré par le vagabond -, et l’ouvrage s’achève sur la prise de conscience que le cycle de la nature est bien plus court que celui de l’homme et se régénère plus rapidement. Le Garde-chasse finit par s’effacer sous les tournesols pour laisser la nature reprendre son cours.

Paula Murrihy (Le Renard) et Elena Tsallagova (La Renarde)

Paula Murrihy (Le Renard) et Elena Tsallagova (La Renarde)

Mais le cœur de l’ouvrage se situe en fait au second acte, à travers le développement de la relation amoureuse entre la renarde et le renard, où la musique évoque si finement les sentiments intérieurs par une mélodie douce et triste-heureuse.

Tout au long de la soirée, les chanteurs et les figurants apparaissent grimés en différents animaux dans des costumes colorés et parfois très inventifs et ludiques, telle la chenille jouant du bandonéon où bien les moustiques opérant des prises de sang sur le Garde-chasse, et les différentes interactions entre les multiples protagonistes en restent à des gestes simples et naturels. 

Milan Siljanov (Le Garde-Chasse)

Milan Siljanov (Le Garde-Chasse)

Pour cette reprise, la direction musicale est confiée à Juraj Valčuha, musicien slovaque qui a débuté sa carrière en France comme assistant auprès de l’Orchestre et l’Opéra national de Montpellier en 2003, et qui enregistra dès 2005, avec l’Orchestre national de France, ‘Mirra’ de Domenico Alaleona

Et depuis, il est l’invité de grandes scènes lyriques internationales telles le Bayerische Staatsoper, le Deutsche Oper Berlin, l’Houston Opera ou le Teatro di San Carlo.

Ce soir, il offre une lecture luxuriante de cette fable onirique, tissant avec les ensembles de cordes une texture dense aux chromatismes complexes extrêmement prenante et enveloppante dans l’enceinte Bastille. Une profonde respiration se ressent également, et les moindres détails sont dépeints avec vivacité et finesse de geste.

Jeunes chanteuses du Prague Philharmonic Children’s Choir

Jeunes chanteuses du Prague Philharmonic Children’s Choir

Elena Tsallagova incarnait déjà la petite renarde en 2008 sur cette scène, peu après son passage à l’Atelier lyrique de l'Opéra de Paris, mais dorénavant son parcours s’est étoffé et sa voix a acquis une luminosité ombrée et une intensité de projection qui lui permettent de soutenir aisément l’opulence de la direction de Juraj Valčuha. Et elle n’a rien perdu de son allure si svelte !

Elle est opposée au Garde-chasse incarné par Milan Siljanov qui est un jeune baryton-basse issu de l'Ensemble du Bayerische Staatsoper, chanteur doué d’une belle ligne de chant, sombre et noble, qui lui donne aisément la carrure d’un Barbe-Bleue, et donc un charme vocal supplémentaire.

Milan Siljanov (Le Garde-Chasse) et Tadeáš Hoza (Le Vagabond)

Milan Siljanov (Le Garde-Chasse) et Tadeáš Hoza (Le Vagabond)

Le Renard, lui, est chanté par Paula Murrihy qui démontre un lyrisme touchant que l’on n’entend pas toujours dans ce rôle, alors que le Chien joué par Maria Warenberg ne manque pas de ressort et d’enthousiasme.

Les nombreux petits rôles sont très bien tenus, notamment un jeune soliste attaché à l'Ensemble du Théâtre national de Brno, Tadeáš Hoza, qui incarne le vagabond avec caractère et noirceur.

Enfin, le Chœur d’enfants du Philharmonique de Prague, qui surprend tout le monde dès son arrivée en famille de petits renardeaux, apporte en seconde partie une vitalité et une touche d’authenticité qui rendent la représentation encore plus attachante.

Le Prague Philharmonic Children’s Choir

Le Prague Philharmonic Children’s Choir

A observer la salle et les nombreux enfants présents, l’Opéra de Paris a visiblement su attirer un large public grâce à une solide campagne d’annonces et une tarification attractive, ce qui ajoute à l’excellente soirée qu’il est permit de vivre à l’écoute du seul ouvrage lyrique d’Europe centrale et de l’Est programmé cette saison.

Paula Murrihy, Elena Tsallagova, une jeune choriste du Prague Philharmonic Children’s Choir, Juraj Valčuha, Petr Louženský (chef du chœur d'enfants) et Milan Siljanov

Paula Murrihy, Elena Tsallagova, une jeune choriste du Prague Philharmonic Children’s Choir, Juraj Valčuha, Petr Louženský (chef du chœur d'enfants) et Milan Siljanov

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