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Publié le 24 Janvier 2025

La Petite Renarde Rusée (Leoš Janáček  – Brno, le 06 novembre 1924)
Répétition générale du 13 janvier 2025 et représentation du 21 janvier 2025
Opéra Bastille

Le Garde-Chasse Milan Siljanov
La Renarde Elena Tsallagova
Le Renard Paula Murrihy
Le Prêtre Frédéric Caton
L'Instituteur, le Moustique Éric Huchet
Le chien Maria Warenberg
Le Blaireau Slawomir Szychowiak
Le Coq, le Geai Rocio Ruiz Cobarro
La Poule huppée Irina Kopylova
Le vagabond Tadeáš Hoza
Le Pivert Marie-Cécile Chevassus
L'Aubergiste Se-Jin Hwang
La femme de l'Aubergiste Anne-Sophie Ducret
Le Hibou, la femme du Garde-Chasse Marie Gautrot

Direction musicale Juraj Valčuha
Mise en scène André Engel

(Opéra de Lyon 2000 – Opéra de Paris 2008)
Prague Philharmonic Children’s Choir

 

Entrée tardivement au répertoire de l’Opéra national de Paris le 13 octobre 2008, ‘La Petite Renarde Rusée’ (‘Příhody lišky Bystroušky’ en tchèque) est une œuvre qui porte en elle une croyance en la vie, une croyance que tout se renouvelle.

La renarde représente ici la projection de cette jeunesse, de cet éternel féminin pour lequel Leoš Janáček était tombé amoureux sous l’inspiration de Kamila Stösslová, une femme mariée âgée de 38 ans de moins que lui.

Elena Tsallagova (La Renarde)

Elena Tsallagova (La Renarde)

André Engel porta sur la scène de l’opéra de Lyon, au mois d’avril 2000, une production de ‘La Petite Renarde Rusée’ taillée pour une scène d’une quinzaine de mètres d’ouverture, qui fut reprise au Théâtre des Champs-Élysées deux ans plus tard.

Puis, cette production fut adaptée à l’immense scène Bastille en 2008, bien plus vaste, qui est celle présentée encore aujourd’hui. Naturellement, un effet de dilution se ressent, mais l’avantage est que les changements de décors peuvent se dérouler avec une meilleure fluidité derrière un rideau finement décoré des portraits des différents personnages.

Le Prague Philharmonic Children’s Choir

Le Prague Philharmonic Children’s Choir

Le principal tableau comprend un champ de tournesols – en lieu et place de la forêt - traversé par une voie ferroviaire qui représente l’empreinte de l’homme sur la nature, et, au troisième acte, le metteur en scène fait varier les saisons de manière à représenter cet acte en hiver et sous la neige avec des teintes lumineuses subtilement dosées

Ce dernier acte revient en effet au conflit entre l’homme et la nature au moment de la mort brutale de la petite renarde – un choc pour les jeunes spectateurs, qui se trouve amplifié par le silence stupéfiant qui règne sur scène après la violence du coup de fusil tiré par le vagabond -, et l’ouvrage s’achève sur la prise de conscience que le cycle de la nature est bien plus court que celui de l’homme et se régénère plus rapidement. Le Garde-chasse finit par s’effacer sous les tournesols pour laisser la nature reprendre son cours.

Paula Murrihy (Le Renard) et Elena Tsallagova (La Renarde)

Paula Murrihy (Le Renard) et Elena Tsallagova (La Renarde)

Mais le cœur de l’ouvrage se situe en fait au second acte, à travers le développement de la relation amoureuse entre la renarde et le renard, où la musique évoque si finement les sentiments intérieurs par une mélodie douce et triste-heureuse.

Tout au long de la soirée, les chanteurs et les figurants apparaissent grimés en différents animaux dans des costumes colorés et parfois très inventifs et ludiques, telle la chenille jouant du bandonéon où bien les moustiques opérant des prises de sang sur le Garde-chasse, et les différentes interactions entre les multiples protagonistes en restent à des gestes simples et naturels. 

Milan Siljanov (Le Garde-Chasse)

Milan Siljanov (Le Garde-Chasse)

Pour cette reprise, la direction musicale est confiée à Juraj Valčuha, musicien slovaque qui a débuté sa carrière en France comme assistant auprès de l’Orchestre et l’Opéra national de Montpellier en 2003, et qui enregistra dès 2005, avec l’Orchestre national de France, ‘Mirra’ de Domenico Alaleona

Et depuis, il est l’invité de grandes scènes lyriques internationales telles le Bayerische Staatsoper, le Deutsche Oper Berlin, l’Houston Opera ou le Teatro di San Carlo.

Ce soir, il offre une lecture luxuriante de cette fable onirique, tissant avec les ensembles de cordes une texture dense aux chromatismes complexes extrêmement prenante et enveloppante dans l’enceinte Bastille. Une profonde respiration se ressent également, et les moindres détails sont dépeints avec vivacité et finesse de geste.

Jeunes chanteuses du Prague Philharmonic Children’s Choir

Jeunes chanteuses du Prague Philharmonic Children’s Choir

Elena Tsallagova incarnait déjà la petite renarde en 2008 sur cette scène, peu après son passage à l’Atelier lyrique de l'Opéra de Paris, mais dorénavant son parcours s’est étoffé et sa voix a acquis une luminosité ombrée et une intensité de projection qui lui permettent de soutenir aisément l’opulence de la direction de Juraj Valčuha. Et elle n’a rien perdu de son allure si svelte !

Elle est opposée au Garde-chasse incarné par Milan Siljanov qui est un jeune baryton-basse issu de l'Ensemble du Bayerische Staatsoper, chanteur doué d’une belle ligne de chant, sombre et noble, qui lui donne aisément la carrure d’un Barbe-Bleue, et donc un charme vocal supplémentaire.

Milan Siljanov (Le Garde-Chasse) et Tadeáš Hoza (Le Vagabond)

Milan Siljanov (Le Garde-Chasse) et Tadeáš Hoza (Le Vagabond)

Le Renard, lui, est chanté par Paula Murrihy qui démontre un lyrisme touchant que l’on n’entend pas toujours dans ce rôle, alors que le Chien joué par Maria Warenberg ne manque pas de ressort et d’enthousiasme.

Les nombreux petits rôles sont très bien tenus, notamment un jeune soliste attaché à l'Ensemble du Théâtre national de Brno, Tadeáš Hoza, qui incarne le vagabond avec caractère et noirceur.

Enfin, le Chœur d’enfants du Philharmonique de Prague, qui surprend tout le monde dès son arrivée en famille de petits renardeaux, apporte en seconde partie une vitalité et une touche d’authenticité qui rendent la représentation encore plus attachante.

Le Prague Philharmonic Children’s Choir

Le Prague Philharmonic Children’s Choir

A observer la salle et les nombreux enfants présents, l’Opéra de Paris a visiblement su attirer un large public grâce à une solide campagne d’annonces et une tarification attractive, ce qui ajoute à l’excellente soirée qu’il est permit de vivre à l’écoute du seul ouvrage lyrique d’Europe centrale et de l’Est programmé cette saison.

Paula Murrihy, Elena Tsallagova, une jeune choriste du Prague Philharmonic Children’s Choir, Juraj Valčuha, Petr Louženský (chef du chœur d'enfants) et Milan Siljanov

Paula Murrihy, Elena Tsallagova, une jeune choriste du Prague Philharmonic Children’s Choir, Juraj Valčuha, Petr Louženský (chef du chœur d'enfants) et Milan Siljanov

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Publié le 19 Novembre 2023

Cendrillon (Jules Massenet – Opéra Comique, le 24 mai1899)
Représentation du 14 novembre 2023
Opéra Bastille

Cendrillon Jeanine De Bique
Madame de la Haltière Daniela Barcellona
Le prince charmant Paula Murrihy
La fée Caroline Wettergreen
Noémie Emy Gazeilles
Dorothée Marine Chagnon
Pandolfe Laurent Naouri
Le roi Philippe Rouillon
Le Doyen de la faculté Luca Sannai
Le Surintendant des plaisirs Laurent Laberdesque
Le Premier Ministre Fabio Bellenghi
Six Esprits Corinne Talibart, So-Hee Lee, Stéphanie Loris, Anne-Sophie Ducret, Sophie Van de Woestyne, Blandine Folio Peres

Direction musicale Keri-Lynn Wilson                                 Keri-Lynn Wilson
Mise en scène Mariame Clément (2022)

18 mois seulement après son entrée au répertoire, ‘Cendrillon’ de Jules Massenet revient à l’opéra Bastille ce qui, au premier abord, parait un pari bien risqué.
C’est sans compter sur une approche artistique, commerciale et de communication fort originale qui n’avait jamais été mis en place auparavant.

Paula Murrihy (Le Prince) et Jeanine De Bique (Cendrillon)

Paula Murrihy (Le Prince) et Jeanine De Bique (Cendrillon)

En effet, alors que généralement le prix moyen affiché par place pour une production lyrique à l’opéra Bastille oscille entre 145 euros pour les grands tubes et 90 euros pour les œuvres plus difficiles, la reprise de ‘Cendrillon’ a été d’emblée proposée à un tarif moyen de 57 euros, sans qu’aucune place ne dépasse 95 euros.

Pas ailleurs, ont été distribués dans les rôles de Noémie et Dorothée deux membres de la nouvelle troupe de l’Opéra de Paris, Emy Gazeilles et Marine Chagnon, ainsi que trois membres des chœurs, Luca Sannai, Laurent Laberdesque et Fabio Bellenghi dans les rôles secondaires, en plus des six choristes qui avaient déjà été programmées l’année précédente pour interpréter les Six Esprits.

Marine Chagnon (Dorothée), Daniela Barcellona (Madame de la Haltière) et Emy Gazeilles (Noémie)

Marine Chagnon (Dorothée), Daniela Barcellona (Madame de la Haltière) et Emy Gazeilles (Noémie)

A cela, vous ajoutez une campagne de communication publique orientée vers le public jeune, et vous obtenez un spectacle sold-out et d’impressionnantes files d’attente à l’extérieur de la salle 15 minutes avant chaque représentation.

Cela rappelle ce qui était arrivé avec la production de ‘Don Quichotte’ de Jules Massenet en septembre 2000 qui avait été remontée 15 mois plus tard en atteignant 99% de taux de fréquentation.

Et même l’esprit en salle change, les spectateurs rajeunis s’enchantent de manière très communicative lors des précipités, car la mise en scène de Mariame Clément mêle habilement décors industriels qui s’illuminent poétiquement lors des interventions de la fée, surcharge la mise en scène en perruques bouclées et vêtements roses outrés qui ridiculisent les prétendantes et dont Cendrillon se débarrassera elle-même pour retrouver une relation authentique avec le Prince, et s’appuie aussi sur un surjeu qui invite à la comédie.

Jeanine De Bique (Cendrillon)

Jeanine De Bique (Cendrillon)

Pour cette reprise, Keri-Lynn Wilson, fondatrice et directrice musicale de l’Ukrainian Freedom Orchestra qui a engagé une tournée internationale en Europe et aux États-Unis contre la guerre de conquête menée par la Russie, fait ses débuts à l’Opéra national de Paris et concoure à l’enthousiasme soulevé par la soirée grâce à une magnifique direction qui fait vivre l'orchestre en communion avec l'allant des solistes et qui colore avec finesse et rutilance les lignes mélodiques.

La chef d’orchestre canadienne, qui a également des ascendants ukrainiens, montre un amour prévenant pour l’écriture de Jules Massenet et procède par touches très précises et enlevées en éclairant avec beaucoup de raffinement les structures orchestrales.

Paula Murrihy (Le Prince)

Paula Murrihy (Le Prince)

Les solistes réunis permettent de retrouver dans le rôle de Cendrillon Jeanine De Bique qui a déjà interprété récemment à l'Opéra de Paris Alcina (‘Alcina’ de Haendel) et Suzanne (‘Les Noces de Figaro’ de Mozart).

Douée pour incarner sensibilité et joie pétillante, la soprano trinidadienne donne au chant de l’héroïne une coloration très vibrée dans une tonalité sombre et ambrée assez atypique qui la démarque de son entourage. L’unité vocale qui en émane aspire cependant à lisser l’articulation du français qui se fond dans cette tessiture très fine.

En Prince charmant, Paula Murrihy, qui chantait Didon (‘Les Troyens’ de Berlioz) deux mois plus tôt à l’Opéra de Versailles, est mieux rodée à la langue française, et sa voix dramatique suggère dans son incarnation un tempérament beaucoup plus extraverti et moins dépressif comme un timbre plus ténébreux pourrait le faire ressentir.

Caroline Wettergreen (La fée)

Caroline Wettergreen (La fée)

Avec son abattage impayable et déjà une longue carrière belcantiste, Daniela Barcellona fait à nouveau sensation dans le rôle de Madame de la Haltière qui ne manque pas de faire sourire la salle au moment où elle témoigne toute son affection intéressée à Cendrillon lorsque le Prince la choisit officiellement, et Laurent Naouri, comme toujours très sonore et expressif avec ses accents indignés, est parfait en père attentionné.

Lumineuse, Caroline Wettergreen reprend le rôle de ses débuts lorsqu’elle interpréta pour la première fois au Komische Oper de Berlin en 2016 la fée de ‘Cendrillon’ dans la mise en scène de Damiano Michieletto, et se plaît avec aisance à faire rayonner le brillant et la netteté de ses aigus avec un effet surnaturel qui charme spontanément.

Jeanine de Bique, Alessandro Di Stefano, Keri-Lynn Wilson, Paula Murrihy, Caroline Wettergreen et Laurent Naouri

Jeanine de Bique, Alessandro Di Stefano, Keri-Lynn Wilson, Paula Murrihy, Caroline Wettergreen et Laurent Naouri

Quant à Marine Chagnon et Emy Gazeilles, idéalement appariées, elles ne manquent ni d’entrain, ni de projection et d’intelligibilité dans les passages parlés, et font entendre une éloquence vocale bien timbrée qui leur vaut, elles aussi, un chaleureux retour de la part du public.

Et l’ensemble des artistes des chœurs distribués sont naturellement d’une musicalité ironique impeccable.

Un engouement pour cette soirée qui se vit avec beaucoup de plaisir et de légèreté!

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Publié le 31 Août 2023

Les Troyens (Hector Berlioz – Théâtre Lyrique de Paris, le 04 novembre 1863)
Version de Concert du 29 août 2023
Opéra Royal de Versailles
Durée 5h20 avec deux entractes

Cassandre Alice Coote
Hécube Rebecca Evans
Ascagne Adèle Charvet
Didon Paula Murrihy
Anna Beth Taylor
Chorèbe et Sentinelle I Lionel Lhote
Narbal et Priam William Thomas
Helenus Graham Neal
Enée Michael Spyres
Panthée Ashley Riches
Ombre d’Hector et Sentinelle II Alex Rosen
Iopas et Hylas Laurence Kilsby
Un Soldat Sam Evans

Direction musicale Dinis Sousa
Mise en espace Tess Gibs                                                 
Beth Taylor (Anna)
Lumières Rick Fisher
Orchestre Révolutionnaire et Romantique
Monteverdi Choir

La Côte-Saint-André (22 et 23 août 2023), Festival de Salzbourg (26 août 2023), Philharmonie de Berlin (1 septembre 2023), Londres, BBC Proms (3 septembre 2023)

La tournée engagée par l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique et le Monteverdi Choir depuis La Côte-Saint-André, lieu de naissance d’Hector Berlioz, afin de représenter la grandeur des ‘Troyens’, est passée par le Festival de Salzbourg avant de s’arrêter à l’opéra de Versailles pour une seule soirée.

Paula Murrihy (Didon) et Michael Spyres (Enée)

Paula Murrihy (Didon) et Michael Spyres (Enée)

Il est fort à parier que, 20 ans après la série de représentations des 'Troyens' donnée par ce même ensemble sous la direction de Sir John Eliot Gardiner au Théâtre du Châtelet en octobre 2003 – on se souvient que la matinée du 26 octobre diffusée en direct sur France 2 et France 3 avait réuni 1 million de téléspectateurs -, qui fut un jalon important pour les jeunes carrières d’Anna Caterina Antonacci, Nicolas Testé, Stéphanie d’Oustrac et Ludovic Tézier Gregory Kunde célébrait déjà ses 25 ans de vie professionnelle en tant que ténor -, une partie du public venue ce soir n’a pas oublié ce point culminant d’une période fastueuse de la vie lyrique parisienne.

Décor historique peint par Pierre-Luc-Charles Ciceri (1837)

Décor historique peint par Pierre-Luc-Charles Ciceri (1837)

Les dimensions de la salle ne sont certes pas les mêmes, et l’orchestre occupe la majeure partie de la scène devant ce fastueux décor historique peint par Pierre-Luc-Charles Ciceri en 1837 qu’Hector Berlioz a peut-être connu lorsqu’il vint diriger une ' Fête musicale' en octobre 1848 en ce même lieu, mais chacun des spectateurs s’apprête à vivre un rapport d’un rare intimisme avec un ouvrage aussi monumental que celui des ‘Troyens’.

Paula Murrihy (Didon)

Paula Murrihy (Didon)

D’une frénésie initiale bouillonnante semblant conçue pour éveiller tous les sens de l’auditeur, la direction de Dinis Sousa met sous tension le drame et l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique avec une vivacité claquante qui, non seulement, gagne en souplesse tout au long de la soirée, mais aussi réussit à fondre des alliages de timbres orchestraux de toute beauté comme s’il s’agissait de créer une ornementation où l’on ne distinguerait plus bois et ors précieux.

C’est absolument étourdissant à voir et entendre, et même si l’on aimerait ressentir plus profondément les vibrations des cordes les plus sombres – mais l’acuité du discours prime, dans cette version, sur les grands effets romantiques -, cette fougue tire des traits de couleurs tranchants d’une telle netteté que le spectateur se sent littéralement happé par la finesse d’un dessin vif constamment changeant.

Alice Coote (Cassandre)

Alice Coote (Cassandre)

Les sonorités dites ‘anciennes’ des instruments apportent également une touche de rusticité très expressive - c’est fort notable pour les cors, par exemple -,  et cette énergie fantastique se canalise magnifiquement lorsque viennent les moments de poétiser avec une pulsation douce et bien rythmée les multiples airs et duos propices à l’évasion rêveuse. 

A ce solide ensemble qui semble prêt à tout engloutir, le Monteverdi Choir s’unit avec une superbe clarté de diction et un chant puissant et exalté verni d’un splendide travail sur les couleurs et les nuances par groupes de choristes qui renforce l’enchantement que procure ce spectacle très impressionnant.

Et bien qu’anecdotique de par son écriture originale, le chant des esclaves nubiennes est ici saisissant par sa richesse rythmique et de coloris si bien mis en valeur qui, pour quelques minutes, nous font changer de monde.

L'orchestre Révolutionnaire et Romantique et le Monteverdi Choir

L'orchestre Révolutionnaire et Romantique et le Monteverdi Choir

La distribution artistique réunie à cette occasion se démarque par l’excellente caractérisation et différentiation vocales de chacun des personnages tout en permettant de découvrir plusieurs jeunes talents qui seront à suivre dans les années à venir.

Peu connue dans le répertoire français qu’elle a pourtant beaucoup interprété il y a une dizaine d’années, la mezzo-soprano britannique Alice Coote s’impose d’emblée par le soin qu’elle accorde au phrasé grâce, probablement, à sa grande expérience du lied, ce qui rend le discours de Cassandre parfaitement intelligible. 

Elle dessine un portrait classique et de grande ampleur avec une variété d’impressions où se mélangent aigus d’un métal saillant et vibrations claires riches en teintes moirées, ce qui donne beaucoup d’intensité à son incarnation angoissée et névrosée.

Alex Rosen (L'ombre d'Hector)

Alex Rosen (L'ombre d'Hector)

Lionel Lhote lui oppose un Chorébe austère et sévère avec beaucoup plus de flou et de reflets sombres dans les expressions qui permettent plus difficilement de sentir le tempérament de son personnage.

Et c’est évidemment un grand plaisir de retrouver le velours exceptionnel de Michael Spyres qui fait vivre en Enée une belle noirceur aristocratique qu’il développe avec cet art rare de la transition tout en douceur vers des clartés plus solaires dont, toutefois, il modère le brillant plus qu’à l’accoutumée.

Beth Taylor (Anna) et Paula Murrihy (Didon)

Beth Taylor (Anna) et Paula Murrihy (Didon)

Il forme ainsi un très beau duo avec Paula Murrihy – la soprano irlandaise sera prochainement Le prince charmant dans ‘Cendrillon’ à l’opéra Bastille - qui fait vivre une Didon qui rayonne d’un grand plaisir à vivre, de la classe sans maniérisme, une fermeté vocale qui s’accorde avec une plasticité qui permet de laisser filer avec beaucoup d’aisance des langueurs amoureuses romantiques, dont on apprécie énormément la communion de timbre avec celui de Beth Taylor.

Cette dernière donne en effet une présence à Anna, la sœur de Didon, qui se rencontre rarement avec autant d’expansivité. Le grave a une forte personnalité qui se déploie ensuite très chaleureusement, et la mezzo-soprano écossaise renvoie un tel sourire et une telle sensibilité qu’elle donne à son rôle une importance qui la propulse au premier plan, un véritable bonheur pour chaque auditeur.

William Thomas (Narbal)

William Thomas (Narbal)

Et parmi les rôles secondaires, tous très bien mis en espace par Tess Gibs, on découvre une Adèle Charvet vaillante en Ascagne, un jeune et beau Narbal sous la noirceur funèbre de William Thomas, un impressionnant fantôme d’Hector auquel Alex Rosen apporte une densité à raviver les morts, et un jeune interprète qui a fait son entrée à l’Académie de l’Opéra de Paris en début de saison 2022-2023, Laurence Kilsby, doué d’un chant d’une très agréable clarté avec de la couleur dans le médium, et d’un goût pour le raffinement de geste qui donne de l’élégance à Iopas et Hylas.

Adèle Charvet, Laurence Kilsby, Paula Murrihy, Michael Spyres, Beth Taylor et William Thomas

Adèle Charvet, Laurence Kilsby, Paula Murrihy, Michael Spyres, Beth Taylor et William Thomas

Et tous ces artistes, y compris le chœur qui est amené à prendre de nombreuses attitudes symboliques pour exprimer les enjeux dramatiques, sont pris dans une direction d’acteur simple mais vivante dans un espace scénique très restreint, mais dont les multiples changements d’ambiances lumineuses réglés par Rick Fisher offrent de nombreuses mises en relief et de jeux d’ombres qui se détachent magnifiquement sur le décor du fond de scène.

Dinis Sousa, Paula Murrihy et Michael Spyres

Dinis Sousa, Paula Murrihy et Michael Spyres

De par l’apparente aisance avec laquelle Dinis Sousa a porté tout au long de la soirée une telle équipe sans la moindre faille et avec une telle vigueur, on attend avec joie de retrouver ce chef pour animer d’autres répertoires avec la même intensité.

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