Publié le 19 Novembre 2023
Cendrillon (Jules Massenet – Opéra Comique, le 24 mai1899)
Représentation du 14 novembre 2023
Opéra Bastille
Cendrillon Jeanine De Bique
Madame de la Haltière Daniela Barcellona
Le prince charmant Paula Murrihy
La fée Caroline Wettergreen
Noémie Emy Gazeilles
Dorothée Marine Chagnon
Pandolfe Laurent Naouri
Le roi Philippe Rouillon
Le Doyen de la faculté Luca Sannai
Le Surintendant des plaisirs Laurent Laberdesque
Le Premier Ministre Fabio Bellenghi
Six Esprits Corinne Talibart, So-Hee Lee, Stéphanie Loris, Anne-Sophie Ducret, Sophie Van de Woestyne, Blandine Folio Peres
Direction musicale Keri-Lynn Wilson Keri-Lynn Wilson
Mise en scène Mariame Clément (2022)
18 mois seulement après son entrée au répertoire, ‘Cendrillon’ de Jules Massenet revient à l’opéra Bastille ce qui, au premier abord, parait un pari bien risqué.
C’est sans compter sur une approche artistique, commerciale et de communication fort originale qui n’avait jamais été mis en place auparavant.
En effet, alors que généralement le prix moyen affiché par place pour une production lyrique à l’opéra Bastille oscille entre 145 euros pour les grands tubes et 90 euros pour les œuvres plus difficiles, la reprise de ‘Cendrillon’ a été d’emblée proposée à un tarif moyen de 57 euros, sans qu’aucune place ne dépasse 95 euros.
Pas ailleurs, ont été distribués dans les rôles de Noémie et Dorothée deux membres de la nouvelle troupe de l’Opéra de Paris, Emy Gazeilles et Marine Chagnon, ainsi que trois membres des chœurs, Luca Sannai, Laurent Laberdesque et Fabio Bellenghi dans les rôles secondaires, en plus des six choristes qui avaient déjà été programmées l’année précédente pour interpréter les Six Esprits.
A cela, vous ajoutez une campagne de communication publique orientée vers le public jeune, et vous obtenez un spectacle sold-out et d’impressionnantes files d’attente à l’extérieur de la salle 15 minutes avant chaque représentation.
Cela rappelle ce qui était arrivé avec la production de ‘Don Quichotte’ de Jules Massenet en septembre 2000 qui avait été remontée 15 mois plus tard en atteignant 99% de taux de fréquentation.
Et même l’esprit en salle change, les spectateurs rajeunis s’enchantent de manière très communicative lors des précipités, car la mise en scène de Mariame Clément mêle habilement décors industriels qui s’illuminent poétiquement lors des interventions de la fée, surcharge la mise en scène en perruques bouclées et vêtements roses outrés qui ridiculisent les prétendantes et dont Cendrillon se débarrassera elle-même pour retrouver une relation authentique avec le Prince, et s’appuie aussi sur un surjeu qui invite à la comédie.
Pour cette reprise, Keri-Lynn Wilson, fondatrice et directrice musicale de l’Ukrainian Freedom Orchestra qui a engagé une tournée internationale en Europe et aux États-Unis contre la guerre de conquête menée par la Russie, fait ses débuts à l’Opéra national de Paris et concoure à l’enthousiasme soulevé par la soirée grâce à une magnifique direction qui fait vivre l'orchestre en communion avec l'allant des solistes et qui colore avec finesse et rutilance les lignes mélodiques.
La chef d’orchestre canadienne, qui a également des ascendants ukrainiens, montre un amour prévenant pour l’écriture de Jules Massenet et procède par touches très précises et enlevées en éclairant avec beaucoup de raffinement les structures orchestrales.
Les solistes réunis permettent de retrouver dans le rôle de Cendrillon Jeanine De Bique qui a déjà interprété récemment à l'Opéra de Paris Alcina (‘Alcina’ de Haendel) et Suzanne (‘Les Noces de Figaro’ de Mozart).
Douée pour incarner sensibilité et joie pétillante, la soprano trinidadienne donne au chant de l’héroïne une coloration très vibrée dans une tonalité sombre et ambrée assez atypique qui la démarque de son entourage. L’unité vocale qui en émane aspire cependant à lisser l’articulation du français qui se fond dans cette tessiture très fine.
En Prince charmant, Paula Murrihy, qui chantait Didon (‘Les Troyens’ de Berlioz) deux mois plus tôt à l’Opéra de Versailles, est mieux rodée à la langue française, et sa voix dramatique suggère dans son incarnation un tempérament beaucoup plus extraverti et moins dépressif comme un timbre plus ténébreux pourrait le faire ressentir.
Avec son abattage impayable et déjà une longue carrière belcantiste, Daniela Barcellona fait à nouveau sensation dans le rôle de Madame de la Haltière qui ne manque pas de faire sourire la salle au moment où elle témoigne toute son affection intéressée à Cendrillon lorsque le Prince la choisit officiellement, et Laurent Naouri, comme toujours très sonore et expressif avec ses accents indignés, est parfait en père attentionné.
Lumineuse, Caroline Wettergreen reprend le rôle de ses débuts lorsqu’elle interpréta pour la première fois au Komische Oper de Berlin en 2016 la fée de ‘Cendrillon’ dans la mise en scène de Damiano Michieletto, et se plaît avec aisance à faire rayonner le brillant et la netteté de ses aigus avec un effet surnaturel qui charme spontanément.
Jeanine de Bique, Alessandro Di Stefano, Keri-Lynn Wilson, Paula Murrihy, Caroline Wettergreen et Laurent Naouri
Quant à Marine Chagnon et Emy Gazeilles, idéalement appariées, elles ne manquent ni d’entrain, ni de projection et d’intelligibilité dans les passages parlés, et font entendre une éloquence vocale bien timbrée qui leur vaut, elles aussi, un chaleureux retour de la part du public.
Et l’ensemble des artistes des chœurs distribués sont naturellement d’une musicalité ironique impeccable.
Un engouement pour cette soirée qui se vit avec beaucoup de plaisir et de légèreté!