Publié le 12 Mars 2011
/image%2F1429287%2F20210808%2Fob_342c33_les-troyens-04.jpg)
Les Troyens (Hector Berlioz)
Représentation du 11 mars 2011
Deutsche Oper Berlin
Cassandre Anna Caterina Antonacci
Didon Daniela Barcellona
Enée Ian Storey
Chorèbe Markus Brück
Panthée Krzysztof Szumanski
Narbal Reinhard Hagen
Iopas Gregory Warren
Ascagne Heidi Stober
Anne Ceri Williams
Priam Lenus Carlson
L’ombre d’Hector Reinhard Hagen
Andromaque Etoile Chaville
Direction Musicale Donald Runnicles Anna Caterina Antonacci (Cassandre)
Mise en scène David Pountney
Orchestre, chœurs et ballets du Deutschen Oper Berlin
Huit années se sont écoulées depuis la mémorable prise de rôle de Cassandre par Anna Caterina Antonacci, découverte que fît le public du Théâtre du Châtelet en même temps que l’évènement bénéficiait d‘une retransmission télévisuelle.
Elle renvoyait ainsi l’image transcendante d’une femme sublimement tragique.
Le doute se mêle inévitablement à l’impatience lorsque le Deutsch Oper de Berlin monte pour la première fois les Troyens avec sa participation, car quelque part il y a toujours l’attente d’une émotion à revivre.
/image%2F1429287%2F20210808%2Fob_25986a_les-troyens02.jpg)
En réalité, Anna Caterina Antonacci confirme qu’elle est toujours une des plus belles Cassandre de notre époque, avec néanmoins une altération de la pureté des couleurs quand la voix force, car son chant est d’une totale intelligibilité, les mots sont dits avec une frappante précision, et la singularité de son timbre reste intacte.
Trop souvent l’on oublie le pouvoir émotionnel du texte directement compris.
Le visage peint, la robe rouge sang - vision primitive qui était également celle de Pierre Audi l’année dernière à Amsterdam -, la beauté de la prophétesse se magnifie dans le détail du geste, et son expressivité théâtrale se fond dans l’articulation du texte.
Très révélateur d’une évolution, le tempérament de Cassandre devient parfois fortement sanguin, et le personnage de Carmen surgit derrière les accents vifs.
Anna Caterina Antonacci trahit ainsi la présence d’une autre héroïne qui l’a récemment investi.
Dans toute la première partie, David Pountney plonge Troie dans un univers apocalyptique, violent, loin d’une vision conventionnelle et aseptisée.
Les combattants se rapprochent de la salle avec des portraits de jeunes soldats, ayant sans doute existés, morts à la guerre, et rien n’est épargné de la vision cauchemardesque d’Hector, portée par la voix solide de Reinhard Hagen, transpercé de lances ensanglantées.
Très impressionnante est également l’arrivée du cheval, une gigantesque tête fantomatique en surplomb sur le peuple troyen, qu’un premier sabot, puis un second sabot viennent encercler.
Les chœurs démarrent de façon très chaotique, mais par la suite ils retrouvent une musicalité parfaite, avec beaucoup de finesse dans les terminaisons bouches fermées, et une ampleur naturelle sans véhémence.
Il y a quelque chose d’incompréhensible à la fin de Troie lorsque Cassandre se suicide au centre d’une forme circulaire portant les restes métalliques et rouillés de lits et de symboles de confort.
On ne le comprend qu’à la toute fin lorsque ces mêmes éléments cernent Didon, consolée par Cassandre, au moment où le destin de ces deux femmes se rejoignent. Elles ont cru à l’amour, et ont été abandonnées par leurs amants respectifs, Chorèbe et Enée.
/image%2F1429287%2F20210808%2Fob_6e22be_les-troyens05.jpg)
Esthétiquement, les costumes verts et jaunes du peuple carthaginois, la verdure et le soleil, montrent un retour de Pountney aux ambiances soulignées par le texte, mais il perd l’effet réaliste de Troie pour passer à un univers niais.
Tout dans la mise en scène souligne une ligne de force, l’arrivée brutale d’Enée déchirant symboliquement le voile au sol sur lequel vit la reine carthaginoise.
Cette annonce de la découverte physique de l’amour se matérialise au quatrième acte, où pantomime et ballets chorégraphient un peu lourdement la rencontre érotique des corps.
Le concept se tient, mais la réalisation scénique est trop naïve.
La danse des esclaves nubiennes, qui vont enfanter sous forme de bulles transparentes, est conservée, mais pas la danse des esclaves.
Daniella Barcellona (Didon)
Ce n’est pas la seule coupure car tout le duo entre Narbal et Anna est supprimé.
Le rôle de Ceri Williams en est considérablement réduit, mais l’on aura entendu des couleurs vocales communes à celles de Daniella Barcellona qui, en dépit d'une articulation peu soignée, impose une Didon forte, heureuse au milieu de son peuple, et pleine d'espoir.
Elle se départit de son jeu conventionnel seulement à la toute fin, comme débarrassée de ses illusions, et laisse l’empreinte d’une femme révoltée et vengeresse d’une violence inattendue.
Ian Storey a visiblement oublié tout ce que Patrice Chéreau lui a appris à Milan, à l’occasion de Tristan et Isolde avec Waltraud Meier, en particulier l’expressivité du corps, mais l’on ne peut que saluer son endurante implication vocale.
La voix est cependant trop lourde, et les passages les plus furtivement élégiaques sont hors de portée.
Si Markus Brück réussit un portrait sensible de Chorèbe sur une belle ligne de chant, Heidi Stober chante Ascagne avec la diction la plus précise après Anna Caterina Antonacci, et sa spontanéité enthousiaste lui vaut l’un des plus chaleureux accueils au rideau final.
L’orchestre du Deutsch Oper est une découverte. Sous la baguette de Donald Runnicles, la musique de Berlioz prend une teinte allemande où s’hybrident la fluidité du discours et les ondes continues de Wagner, la dynamique théâtrale de Beethoven, et la grâce symphonique de Mozart.
En revanche, ce qui fait la particularité des sonorités du compositeur français, les convolutions très spécifiques des cordes, le piquant des instruments à vents, est volontairement estompé.
On peut relever une légère baisse de souffle au quatrième acte, mais tout cela est dirigé avec une apparence de facilité et un professionnalisme saisissants.