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Publié le 6 Mars 2022

Le Crépuscule des Dieux (Richard Wagner – 1876)
Représentation du 27 février 2022
Teatro Real de Madrid

Siegfried Andreas Schager 
Gunther Lauri Vasar
Alberich Martin Winkler
Hagen Stephen Milling
Brünnhilde Ricarda Merbeth
Gutrune Amanda Majeski
Waltraute Michaela Schuster
Les trois Nornes Claudia Huckle, Kai Rüütel, Amanda Majeski
Woglinde Elizabeth Bailey
Wellgunde Maria Miró 
Flosshilde Claudia Huckle

Direction musicale Pablo Heras-Casado
Mise en scène Robert Carsen (2002)                            
Claudia Huckle (Une Norne)
Chœur et Orchestre du Teatro Real de Madrid

Créé à Cologne de 2000 à 2002 où il sera repris intégralement en 2007 après un passage à Venise ('La Walkyrie' joué à la Sérénissime en 2006 avait été commenté ci-après - La Walkyrie à la Fenice), le Ring mis en scène par Robert Carsen a ensuite voyagé au Liceu de Barcelone de 2013 à 2016 pour être finalement monté au Teatro Real de Madrid à partir de 2019.

Andreas Schager (Siegfried) et Ricarda Merbeth (Brünnhilde)

Andreas Schager (Siegfried) et Ricarda Merbeth (Brünnhilde)

La soirée du 27 février 2022 clôt ainsi la reprise de ce cycle dans des conditions bien particulières, trois jours après le début de l’attaque Russe en Ukraine.

La scénographie de Robert Carsen se limite à seulement trois unités de lieu avec une économie de moyens qui explique la facilité à la déployer de théâtres en théâtres. 

Andreas Schager (Siegfried)

Andreas Schager (Siegfried)

Ainsi, le prologue se déroule dans une pièce désertée d’un palais où les Nornes scellent le vieux mobilier entassé au centre de la pièce principale sous une lumière orangée crépusculaire tout en prédisant l’incendie prochain du Walhalla.

Quant aux trois actes qui suivent, ils alternent entre un champ de bataille dévasté jonché des restes vestimentaires de soldats morts au combat, auxquels s’ajouteront ultérieurement des débris de bombardements, et le palais des Gibichungen transformé en état major militaire d’une nation dictatoriale où trône, en arrière plan, deux cartes du Rhin qui s'étendent respectivement au nord et au sud de Cologne, le lieu de création de la production.

Stephen Milling (Hagen) et Lauri Vasar (Gunther)

Stephen Milling (Hagen) et Lauri Vasar (Gunther)

Incarnant les trois filles d’Erda, Claudia Huckle, Kai Rüütel, Amanda Majeski forment un groupe de femmes visionnaires et soudées aux timbres bien distincts et complémentaires, avec une certaine âpreté dans leur brillance, et quand apparaissent Andreas Schager et Ricarda Merbeth, la scène s’enflamme une première fois de par le rayonnement héroïque avec lequel ils confrontent Siegfried et Brünnhilde à la salle dans une exaltation vocale et orchestrale formidablement galvanisante.

Andreas Schager (Siegfried) et Lauri Vasar (Gunther)

Andreas Schager (Siegfried) et Lauri Vasar (Gunther)

Le ténor autrichien s'avère d’une solidité à toute épreuve, d’une grande clarté légèrement ombrée et un soupçon de tendresse qu’il détourne progressivement pour jouer un personnage sûr de lui et plaisantant de manière fort drôle, même avec ses ennemis, tant il est inconscient de la situation. Probablement est-il toujours aujourd’hui le Siegfried le plus complet de sa génération qui allie générosité et innocence adolescente attachante.

Stephen Milling (Hagen)

Stephen Milling (Hagen)

Depuis le temps qu’elle apparaît sur toutes les scènes wagnériennes, Ricarda Merbeth tient toujours fièrement une vaillance chevillée au corps, sa voix peu colorée dans les graves se déployant largement dans l’aigu en vibrations soyeuses aux teintes d’ivoire, comme si une joie transcendante irradiait en permanence son chant.

Quand on la retrouve plus loin avec Michaela Schuster qui apporte à Waltraute un sens de l’urgence dramatique dans une tessiture médium grave à l’homogénéité assez bien maîtrisée, la soprano allemande renvoie aussi une image de grande force intérieure naturellement poignante.

Ricarda Merbeth (Brünnhilde) et Michaela Schuster (Waltraute)

Ricarda Merbeth (Brünnhilde) et Michaela Schuster (Waltraute)

Dans la famille des Gibichungen et affiliés, Amanda Majeski dépeint une Gutrune noble et attendrissante, telle une Lady Diana œuvrant pour la paix, et Lauri Vasar, au spectre vocal nettement focalisé, incarne un Gunther empreint de fulgurances et de détermination, mais qui apparait aussi comme quelqu’un de facilement manipulable.

Amanda Majeski (Gutrune)

Amanda Majeski (Gutrune)

Stephen Milling est évidemment un impressionnant Hagen aux belles résonances inquiétantes, un peu atténuées toutefois par la grandeur de l’espace scénique, et ressemble fortement à une sorte d’apparatchik qui contrôle les leaders militaires, Gunther compris, pour arriver à ses fins.

Et si 'Le Crépuscule des Dieux' n’est pas le volet qui met le mieux en valeur le rôle d’Alberich, Martin Winkler investit cependant excellemment chaque instant à faire vivre la nervosité vociférante de son personnage.

Ricarda Merbeth (Brünnhilde)

Ricarda Merbeth (Brünnhilde)

Maîtrisant un ensemble de musiciens devenus une redoutable phalange depuis le travail de rénovation entrepris par Gerard Mortier 12 ans plus tôt, Pablo Heras-Casado emporte le flot musical en déroulant de splendides volutes aux colorations de fer forgé par des cuivres rougeoyants, une fusion de timbres où des tissures de lumières d’or se faufilent au milieu de cette lave vivante souple et majestueuse. 

Côté cour, s’admire une batterie de cuivres chauds disposés dans les premières loges, et côté jardin, une autre batterie de harpes induit une limpide poésie aux sonorités moirées de l’orchestre central, et nous avons donc là un récit fluide noir et crépusculaire, amplifié par de très belles images désolées et des contre-jours de brumes ou de feux.

Andreas Schager (Siegfried)

Andreas Schager (Siegfried)

Et soudain, survient un moment politique fort quand apparaît le corps de Siegfried enveloppé du drapeau Ukrainien après son lâche assassinat par Hagen. L’attitude digne et le regard en veille désespérée de Ricarda Merbeth à ce moment là resteront à jamais gravés dans les mémoires de chacun. 

Ricarda Merbeth (Brünnhilde) et Andreas Schager (Siegfried)

Ricarda Merbeth (Brünnhilde) et Andreas Schager (Siegfried)

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Publié le 4 Juillet 2021

La Clémence de Titus (Wolfgang Amadé Mozart - 1791)
Représentation du 03 juillet 2021
Palais Garnier

Tito Vespasiano Stanislas de Barbeyrac
Vitellia Amanda Majeski
Servilia Anna El-Khashem
Sesto Michèle Losier
Annio Jeanne Ireland
Publio Christian Van Horn

Direction musicale Mark Wigglesworth
Mise en scène Willy Decker (1997)

                                     Jeanne Ireland (Annio)

Au même moment où Philippe Jordan vient de rendre un dernier hommage à l’orchestre de l’Opéra de Paris dont il a été le directeur musical pendant 12 ans, le Palais Garnier joue pour la 7e fois une série de représentations de La Clémence de Titus donnée dans la mise en scène de Willy Decker qui fut créée au printemps 1997 sous la direction d’Armin Jordan.

Michèle Losier (Sesto)

Michèle Losier (Sesto)

Alors que ces 20 dernières années des chanteurs d’un format vocal parfois opulent ont été accueilli sur cette scène, Catherine Naglestad, Elina Garanca ou bien Hibla Gerzmava, pour interpréter cette œuvre tardive de Mozart, la distribution réunie ce soir se distingue par ses qualités d’homogénéité et sa finesse interprétative.

Amanda Majeski incarnait déjà le rôle de Vitellia en 2017, et l’on retrouve les courbes lissées et les formes fuselées d’un timbre couleur grenat qui définissent les contours d’une femme pernicieuse mais qui a quelque chose d’attachant. Peu de noirceur et des lignes aiguës trop fines et irrégulières, l’incarnation n’en reste pas moins entière et sensible tout en en faisant ressentir les contradictions.

Amanda Majeski (Vitellia)

Amanda Majeski (Vitellia)

Michèle Losier, elle qui fut un si touchant Siebel dans Faust, cette saison, dessine un Sesto très clair avec du corps et des aigus parfois un peu trop soudains mais d’une impressionnante tenue, et elle est sans doute le personnage le plus présent, en contact de cœur avec la salle. Beaucoup de vérité est lisible dans ses expressions attachantes, et Michèle Losier est une personnalité idéale pour faire vivre le lien affectif entre les personnages.

Et le couple formé par Annio et Servilia est d’un parfait équilibre, Jeanne Ireland ayant un très beau timbre doré joliment orné et une vivacité d’élocution qui lui donne une allure très digne, et Anna El-Khashem, d’une frémissante légèreté, agit comme si une brise de printemps soufflait sur la scène.

Amanda Majeski (Vitellia) et Michèle Losier (Sesto)

Amanda Majeski (Vitellia) et Michèle Losier (Sesto)

Et peut être parce qu’il s’agit d’une distribution majoritairement féminine, il se dégage de cet ensemble un jeu d’un très grand naturel, juste et fluide, qui donne beaucoup de grâce aux mouvements sur scène, la représentation arborant un classicisme vivant qui fait honneur à la délicatesse de Mozart.

Christian Van Horn paraît évidemment plus dense et d’une noirceur noble et grisonnante, avec de nettes intonations Don Giovanesques, et Stanislas de Barbeyrac, un des plus beaux galbes ténébreux entendu dans ce rôle sur cette scène, se charge de faire de Titus, cet homme déçu par tout son entourage, un homme héroïque et obscur, auquel ne manque que ces petites inflexions légères, claires et fragiles qui trahiraient chez l’Empereur ses affectations intérieures.

Stanislas de Barbeyrac (Tito Vespasiano)

Stanislas de Barbeyrac (Tito Vespasiano)

La direction musicale de Mark Wigglesworth s’inscrit dans cette même tonalité claire et fine, d’une très agréable vélocité, sans toutefois forcer les effets de contrastes et assombrir les cordes, et la transition vers la scène de grâce des conjurés est menée avec brio sans pompe surfaite. Le chœur, malheureusement masqué, manque d’ampleur et d'éclat à ce moment là, ce qui est un peu dommage.

Jeanne Ireland (Annio), Amanda Majeski (Vitellia) et Christian Van Horn  (Publio)

Jeanne Ireland (Annio), Amanda Majeski (Vitellia) et Christian Van Horn (Publio)

Cette mise en scène sévère, avec ce buste qui se découvre au fur et à mesure que Titus se départit de ses illusions, est si bien dirigée qu’elle offre un spectacle de référence, ce que n’a pas manqué de reconnaître le public très diversifié et même très jeune venu ce soir nombreux.

Stanislas de Barbeyrac (Tito Vespasiano) et Michèle Losier (Sesto)

Stanislas de Barbeyrac (Tito Vespasiano) et Michèle Losier (Sesto)

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Publié le 29 Novembre 2017

La Clémence de Titus (Wolfgang Amadè Mozart)
Représentation du 28 novembre 2017
Palais Garnier

Tito Vespasiano Ramón Vargas / Michael Spyres
Vitellia Amanda Majeski / Aleksandra Kurzak
Servilia Valentina Naforniţă
Sesto Stéphanie d'Oustrac / Marianne Crebassa
Annio Antoinette Dennefeld / Angela Brower
Publio Marko Mimica

Direction musicale Dan Ettinger
Mise en scène Willy Decker (1997)

                                             Ramón Vargas (Tito)

Le succès populaire de La Clémence de Titus est une spécificité parisienne, car aucune autre capitale n’affiche le dernier opéra de Mozart parmi les 20 œuvres lyriques les plus jouées sur la scène nationale.

Ceci est d’autant plus remarquable que sa montée au répertoire de l’Opéra de Paris s’est intégralement déroulée sur les deux dernières décennies à partir de la production de Willy Decker, reprise ce soir, en ayant toutefois accordé l’alternance à deux séries représentées dans la mise en scène de Ursel et Karl-Ernst Hermann sous la direction de Gerard Mortier (2004-2009), moins austère et plus fouillée.

Ramón Vargas (Tito)

Ramón Vargas (Tito)

Que les deux grands dramaturges classiques auprès de Molière, Pierre Corneille et Jean Racine, aient tous deux adapté pour le théâtre, en 1670, la vie du fils de Vespasien sous les titres respectifs de 'Tite et Bérénice' et 'Bérénice' est naturellement la principale raison de cette reconnaissance unique dans le monde.

Et si la première pièce fut jouée au Théâtre du Palais Royal – qui deviendra en 1673 la première véritable salle de l’Académie Royale de musique -, la seconde fut créée à l’Hôtel de Bourgogne qui sera la première salle de l’Opéra-Comique dès 1762.

Dans la continuité de cette reprise, Stéphane Lissner a de plus passé commande auprès de Michael Jarrell pour créer un nouvel opéra intitulé 'Bérénice' et basé sur la pièce de Racine, la tragédie la plus proche de La Clémence de Titus. Il sera donné en première mondiale au cours de la saison 2018/2019.

La Clémence de Titus (Vargas-Spyres-Majeski-Kurzak-d'Oustrac-Crebassa-Decker-Ettinger) Garnier

Malgré son âge et ses lumières qui semblent devenir de plus en plus blafardes avec le temps, la vision de Willy Decker pour le personnage de Titus conserve une réelle force, car elle n’a de cesse de confronter la solitude de l’empereur face au symbole de grandeur qu’il représente au fur et à mesure qu’il endure les épreuves que lui inflige son entourage.

La scénographie est en effet totalement axée sur la transformation d’un énorme cube de marbre qui se fracture petit à petit pour révéler une vision idéalisée et immuable du souverain. On peut y lire un double mouvement inverse entre la construction d’une image sociale et politique intemporelle et l’accumulation de cassures intérieures.

Stéphanie d'Oustrac (Sesto)

Stéphanie d'Oustrac (Sesto)

Deux distributions sont réunies pour cette reprise, l’une composée de chanteurs aguerris à ce répertoire et à cet ouvrage en particulier, l’autre plus jeune, ce qui promet une comparaison stylistique et théâtrale captivante.

On retrouve dans la première l’exceptionnel Sesto de Stéphanie d'Oustrac, sombre et tourmenté, d’un impact vocal à la fois sensuel et véhément qui est une de ses grandes incarnations depuis 2011, date où elle incarna ce personnage dans la même mise en scène sur les planches du Palais Garnier.

Ramon Vargas, par une composition humble et sensible, dépasse le léger retrait initial pour revenir dans la seconde partie du premier acte avec un chant bien timbré et d’une musicalité homogène et harmonieuse qui en fait toujours, après plus de 30 ans de carrière, un interprète profond de la mélancolie mozartienne.

Amanda Majeski (Vitellia)

Amanda Majeski (Vitellia)

Amanda Majeski, elle aussi grande technicienne mozartienne, possède des couleurs froides et oriente la personnalité de Vitellia vers des lignes taillées au fusain, ce qui lui permet de dessiner une personnalité intrigante fine et intellectuelle, plus que charnelle.

Elle se départit en effet de toute variation vériste, et se montre d’une habilité stylistique qui renforce l’impression de maîtrise d’elle-même et des évènements sur le complot qu’elle n’a de cesse de renouer.

Antoinette Dennefeld (Annio)

Antoinette Dennefeld (Annio)

Par contraste, les portraits de Servilia et d’Annio, brossés respectivement par Valentina Naforniţă et Antoinette Dennefeld, offrent une même chaleur dont la fraicheur vocale distingue, et ce n’est pas toujours le cas, leur idéal de jeunesse des névroses qui, désormais, ont gagné les autres protagonistes de l’intrigue.

Marko Mimica, bien moins mis en valeur que dans le Banquo noir et sonore qu’il a incarné au Théâtre des Champs-Elysées le mois dernier, donne en tout cas une prestance fantomatique à Publio qui mériterait d’être appuyée par un jeu plus prononcé.

Amanda Majeski (Vitellia) et Stéphanie d'Oustrac (Sesto)

Amanda Majeski (Vitellia) et Stéphanie d'Oustrac (Sesto)

Dans la fosse d’orchestre, Dan Ettinger donne l’impression de vouloir forcer une certaine indolence tout en travaillant la plénitude du son, mais déploie également une flamboyance aux couleurs d’airain qui préserve le classicisme de son interprétation entièrement vouée à l’aisance des chanteurs.

Le chœur, lui, soigne musicalité et élégie, mais, limité à une composition d’une dizaine d’artistes, ne peut rendre la dimension emphatique et l’essence divine de la grande scène du jugement final.

 

Cet article fera prochainement l'objet d'un complément à propos de la seconde distribution.

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