Publié le 17 Avril 2024
La dixième saison de Joan Matabosch à la direction artistique du Teatro Real de Madrid a été révélée le jeudi 04 avril 2024, soit avec plus d’un mois d’avance par rapport à l’annonce de la saison 2023/2024, et contraste fortement avec la saison en cours par la quasi absence d'œuvres post-romantiques.
Ainsi, la saison 2024/2025 présente 11 ouvrages lyriques en version scénique ou semi-scénique (contre 15 cette saison) et 8 opéras en version de concert pour un total de 96 représentations, soit 23 soirées de moins que l’exceptionnelle saison 2023/2024, mais tous seront joués dans la grande salle, ce qui est le volume habituel du théâtre madrilène.
Et 11 de ces 19 ouvrages n‘ont jamais été interprétés sur cette scène.
L’Opéra Italien du XIXe siècle
La langue italienne et le répertoire du XIXe siècle vont représenter tous deux les deux tiers des soirées, ce qui est la proportion que l’on observe dans les maisons d’opéra traditionnelles telle le MET de New-York, comme si cette saison était pensée pour offrir d’abord de beaux écrins à de grandes chanteuses et de grands chanteurs.
Ainsi, deux piliers du répertoire traditionnel italien ouvriront et clôtureront la saison 2024/2025 pour un total de 31 soirées, soit 1/3 de la programmation.
En ouverture, ‘Adriana Lecouvreur’ de Francesco Cilea (mis en scène par la production bien connue et internationale de David McVicar – Londres, 2010), fera son entrée au répertoire du Teatro Real à l’occasion du 50e anniversaire de l’interprétation de l’œuvre par José Carreras et Montserrat Caballé au Teatro de la Zarzuela les 6 et 8 juin 1974. Le public madrilène y retrouvera Ermonela Jaho, Maria Agresta, Elīna Garanča et Ekaterina Semenchuk selon les soirs.
Et à l’été 2025, ‘La Traviata' sera donné dans la production de Willy Decker (Festival de Salzbourg, 2005) sur une longue série avec d’excellentes distributions comprenant Nadine Sierra, Adela Zaharia, Xabier Anduaga, et Juan Diego Flórez notamment.
Deux autres ouvrages représentatifs du jeune Giuseppe Verdi seront interprétés en version de concert, deux soirs chacun, ‘Les Lombards à la Première Croisade’, avec Anna Pirozzi, et ‘Attila’, avec Sondra Radvanovsky.
Enfin, une œuvre belcantiste rejoindra ce groupe d’opéras verdiens et post-verdiens, ‘Maria Stuarda’ de Gaetano Donizetti, à nouveau dans une mise en scène de David McVicar (co-production avec le Gran Teatre del Liceu, le Donizetti Opera Festival - Bergamo et La Monnaie de Bruxelles), avec, selon les soirs, Aigul Akhmetshina, Silvia Tro Santafé, Lisette Oropesa ou bien Yolanda Auyanet.
La tragédie française selon Mozart
Les amoureux de la langue italienne chantée avec la finesse d’écriture de Mozart pourront ensuite retrouver deux ouvrages inspirés de tragédies françaises, ‘Mitridate, Re di Ponto’, d’après la pièce de Jean Racine, dans une nouvelle production de Claus Guth et sous la direction d’Ivor Bolton, avec la ravissante Elsa Dreisig en Sifare, et, en version semi-scénique, ‘Idomeneo, Re di Creta’ d’après l’œuvre éponyme d’André Campra, sous la direction de René Jacobs.
L’Opéra romantique russe
L’un des cœurs de cette saison est la présentation de deux ouvrages russes basés sur des textes d’Alexandre Pouchkine, ‘Eugène Onéguine’ de Piotr Ilitch Tchaïkovski, dans une nouvelle production de Christof Loy (coproduction Den Norske Opera & Ballett d’Oslo et Gran Teatre del Liceu), qui sera dirigée par Gustavo Gimeno, le nouveau directeur musical du Teatro Real de Madrid à partir de septembre 2025, et ‘Le Conte du Tsar Saltan’ de Nikolaï Rimski-Korsakov, une merveilleuse production de Dmitri Tcherniakov qui a déjà circulé à Strasbourg et à Bruxelles, sous la direction de Karel Mark Chichon.
Le Festival baroque
Ensuite, c’est toute une série d’opéras baroques dans les langues italienne, française et anglaise qui seront interprétés pour près de 20% des soirées.
Œuvre à forte dimension spirituelle, ‘Théodora’ de Georg Friedrich Händel fera son entrée au répertoire dans la production londonienne de Katie Mitchell sous la direction d’ Ivor Bolton avec Julia Bullock, Joyce DiDonato et Iestyn Davies.
Les madrilènes pourront également découvrir des extraits des ‘Indes Galantes’ de Jean-Philippe Rameau sous la direction de Leonardo García Alarcón et dans la mise en scène de Bintou Dembélé.
Tous deux participaient déjà à la production marquante de Clément Cogitore réalisée pour l’opéra Bastille en 2019.
Puis, 6 ouvrages en version de concert seront joués chacun pour un soir, ‘David et Jonathas’ de Marc-Antoine Charpentier (direction Sébastien Daucé), une trilogie Händel avec ‘Tamerlano’ (direction René Jacobs), ‘Alcina’ (direction Francesco Corti avec Elsa Dreisig, Sandrine Piau et Emily d’Angelo) et ‘Jephté’ (direction Francesco Corti avec Michael Spyres et Joyce DiDonato), un opéra du compositeur catalan Domènec Terradellas ‘La Merope’ (direction Francesco Corti avec Emoke Baráth et Pia Francesca Vitale), et enfin, ‘L’Uomo Femmina’ de Baldassare Galuppi (direction Vincent Dumestre avec Eva Zaïcik et Lucile Richardot), opéra récemment redécouvert et que les Français pourront notamment voir avec la même équipe à Versailles et à Dijon dans une mise en scène d’Agnès Jaoui au cours de la saison 2024/2025.
L’Opéra espagnol du XXe et XXIe siècle
A l’opposé de la saison 2023/2024, seul un spectacle donné sur 6 soirées sera consacré à l’opéra postromantique et contemporain.
Il s’agira d’un diptyque de deux compositions musicales en langue espagnole mis en scène par Rafael R. Villalobos et dirigé par Jordi Francés, ‘La Vida Breve’ de Manuel de Falla, une œuvre inspirée du courant vériste italien, et, en création mondiale, ‘Tejas Verdes’ de Jesús Torres, compositeur né à Saragosse qui appréhendera dans son second opéra la période de la dictature de Pinochet, une œuvre que l’on pourra rapprocher de ‘Die Passagierin’, de Mieczysław Weinberg, présenté cette saison.
Joan Matabosch (Directeur artistique), Gregorio Marañón (Président) et García-Belenguer (Directeur général)
Cette saison sans Richard Wagner, Richard Strauss, et même sans la moindre œuvre allemande, et sans Giacomo Puccini, est assez singulière dans le paysage lyrique, et elle montre l’avantage en terme de souplesse que peut avoir une maison qui cherche à se constituer une forte expérience musicale en attirant de grands artistes sans chercher à se créer une identité propre pour autant. La présence de deux opéras russes est par ailleurs un fait assez rare pour être souligné, et la création mondiale de 'Tejas Verdes’ de Jesús Torres sera suivie de près.
Reste que cette saison tranche tant avec l'ouverture programmatique constatée ces dernières années que la question sous-jacente est de savoir si elle annonce une durable inflexion dans le choix des œuvres, des sujets qu'elles abordent et de la façon de les représenter, où bien s'il s'agit d'une respiration dans un parcours mené de façon très ambitieuse ces dernières années.