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Publié le 24 Février 2024

Pelléas et Mélisande (Claude Debussy – Opéra Comique, le 30 avril 1902)
Représentations du 15 et 21 février 2024
Athénée Théâtre – Louis Jouvet

Pelléas Jean-Christophe Lanièce
Mélisande Marthe Davost
Golaud Halidou Nombre
Arkel Cyril Costanzo
Geneviève Marie-Laure Garnier
Yniold Cécile Madelin
Pianiste Martin Surot (le 15), Jean-Paul Pruna (le 21)
Mise en scène Moshe Leiser et Patrice Caurier

Production : Fondation Royaumont.
Coproduction Châteauvallon-Liberté, La Scène nationale d’Orléans, Nouvelle scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise, Art et Création du Perreux-sur-Marne, Le Parvis Scène Nationale Tarbes-Pyrénées, Opéra de Vichy, Clermont-Auvergne Opéra, Saint-Quentin en Yvelines.

 

Créée le 15 janvier 2022 à Châteauvallon-Liberté, la scène national de Toulon, la production de ‘Pelléas et Mélisande’ mise en scène par Moshe Leiser et Patrice Caurier avec de jeunes chanteurs a circulé partout en France en 2022 et 2023, et fait enfin escale à Paris, au Théâtre de l’Athénée, quelques jours après Vichy, pour pas moins de 6 représentations.

Marthe Davost (Mélisande) et Jean-Christophe Lanièce (Pelléas)

Marthe Davost (Mélisande) et Jean-Christophe Lanièce (Pelléas)

Il y a toujours une appréhension à aller entendre une œuvre d’une grande puissance orchestrale donnée dans une version intégrale mais jouée au piano, ce qui, inévitablement, devrait la dépouiller d’une part de son mystère.

Et pourtant, c’est bien à une interprétation captivante qu’il est donné d’assister, tous ces excellents artistes étant doués, d’une part, d’une réelle force dramatique, et, d’autre part, de qualités d’élocution permettant de saisir l’essence du texte colorée par des timbres vocaux contrastés.

Halidou Nombre (Golaud) et Marthe Davost (Mélisande)

Halidou Nombre (Golaud) et Marthe Davost (Mélisande)

Moshe Leiser et Patrice Caurier contiennent l’action en une pièce unique située à l’avant-scène, délimitée à l’arrière par un long mur en contreplaqué, fendu d’une unique porte centrale. Un canapé, deux fauteuils et le piano, seuls objets de salon, serviront de reliefs imaginaires, évoquant balcon, fontaine ou surplomb d’un puits, concentrant ainsi l’action en un huis-clos oppressant.

Les lumières latérales qui se réféchissent sur la paroi longitudinale créent des jeux d’ombres et des ambiances plus ou moins crépusculaires, et permettent aussi de resserrer l’intimité des scènes entre Pelléas et Mélisande.

 Jean-Paul Pruna, Marie-Laure Garnier (Geneviève) et Cyril Costanzo (Arkel)

Jean-Paul Pruna, Marie-Laure Garnier (Geneviève) et Cyril Costanzo (Arkel)

Arkel, chanté par Cyril Costanzo, qui participera prochainement au ‘Platée’ de Rameau à l’opéra de Versailles, puis à ‘Médée’ de Charpentier au Teatro Real de Madrid, est incarné avec beaucoup de clarté sincère et de vibration émotive.

Désormais en fauteuil roulant, son empathie pour autrui le pousse à s’en extraire pour permettre à Golaud, puis Mélisande, de se reposer de leurs tensions. Chef de famille attentionné, même son regard sur la jeune femme est teinté de fascination, mais avec retenue et délicatesse.

Marie-Laure Garnier (Geneviève)

Marie-Laure Garnier (Geneviève)

Marie-Laure Garnier, qui impose une Geneviève très stable émotionnellement, attentive à ce qui se joue avec une véritable solidité intérieure, lui offre une jeunesse de timbre ambrée que l’on entend rarement dans ce rôle, doublée par une netteté de prononciation qui renforce tout ce qu’il y a de bienveillant en cette femme soucieuse des états d’âme de sa famille.

Halidou Nombre (Golaud) et Cécile Madelin (Yniold)

Halidou Nombre (Golaud) et Cécile Madelin (Yniold)

Le Golaud d’Halidou Nombre, ultérieurement Enée dans ‘Didon et Enée’ de Purcell à l’opéra de Versailles, est joué en apparence comme un homme de raison, mais dont l’impulsivité intériorisée peut très vite le faire changer de visage. 

Son regard sur Mélisande et Pelléas est une emprise en soi, son chant sombre et naturaliste donne du poids à chacun de ses mots qui transmettent à l’auditeur ses intentions avec presque de l’effroi, et les metteurs en scène le chargent d’une agressivité qui s’exprime et se libère au fur et à mesure.

Le texte pris au mot, il étouffe de sa masse Pelléas, lors de la scène de la grotte, se décharge physiquement de sa violence sur Mélisande, et exécute Pelléas avec une froideur assumée.

Et en même temps, l’humain en lui reste prégnant, car se ressent aussi une souffrance en Golaud.

Marthe Davost (Mélisande) et Jean-Christophe Lanièce (Pelléas)

Marthe Davost (Mélisande) et Jean-Christophe Lanièce (Pelléas)

Avec une couleur vocale très proche de celle de Golaud dans le médium, et un délié plus lyrique qui s’éclaire dans les aigus, Jean-Christophe Lanièce, le futur Saül dans ‘David et Jonathas’ de Charpentier au Théâtre des Champs-Élysées, est extraordinaire par la simplicité qu’il donne à Pelléas, avec une poésie extrêmement touchante. Il a l’art d’exprimer les tressaillements des sentiments avec un mélange de vérité et de souplesse vocale qui rendent tout juste en lui.

Cécile Madelin, Halidou Nombre, Marthe Davost, Jean-Christophe Lanièce, Marie-Laure Garnier, Cyril Costanzo et Jean-Paul Pruna

Cécile Madelin, Halidou Nombre, Marthe Davost, Jean-Christophe Lanièce, Marie-Laure Garnier, Cyril Costanzo et Jean-Paul Pruna

Et Marthe Davost, Mélisande d’une très belle unité de timbre, exprimant l’oppression du cœur et une féminité innocente, joue, elle aussi, un personnage en quête de vie et de lumière, prise entre désir de séduire et convention sociale. Et tout ce qu’elle dit est d’une intelligibilité que l’on n’obtient pas toujours dans les grandes interprétations orchestrales.

Enfin, Cécile Madelin fait grandir Yniold avec ses touches d’espièglerie qui en font moins un ingénu manipulé par Golaud, qu'un être joueur laissant ondoyer et varier les couleurs au fil des émotions.

Marie-Laure Garnier, Halidou Nombre et Cécile Madelin

Marie-Laure Garnier, Halidou Nombre et Cécile Madelin

Que ce soit Martin Surot ou Jean-Paul Pruna au piano, l’atmosphère musicale debussyste est d’une empreinte poignante, d’une plénitude de résonance qui mêle noirceur et pureté cristalline, en rendant saillants les motifs mélodiques récurrents de la partition. Et c’est la cohésion d’ensemble de cet univers austère et désenchanté qui charge le drame, et qui donne envie de le revoir sans réserve, parce ce monde est sans artifice et sans fausse légèreté.

Moshe Leiser, Patrice Caurier et Halidou Nombre

Moshe Leiser, Patrice Caurier et Halidou Nombre

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Publié le 18 Novembre 2023

Orlando (Georg Friedrich Haendel – Londres, le 27 janvier 1733)
Représentation du 12 novembre 2023
Teatro Real de Madrid

Orlando Christophe Dumaux
Angelica Anna Prohaska
Medoro Anthony Roth Costanzo
Dorinda Tal Ganor
Zoroastro Florian Boesch

Direction musicale Ivor Bolton
Mise en scène Claus Guth (2019)

Production du Theater an der Wien
Diffusion sur France Musique le 18 novembre 2023

 

Fort emblématique de la collaboration fructueuse entre le Theater an der Wien et le Teatro Real de Madrid, le week-end du 11 et 12 novembre 2023 aura permis de découvrir au cœur de la cité madrilène deux ouvrages habituellement peu représentés, ‘Halka’ et ‘Orlando’, qui connurent tous deux en 2019 une nouvelle mise en scène sur les planches du troisième opéra de Vienne.

Christophe Dumaux (Orlando)

Christophe Dumaux (Orlando)

Metteur en scène probablement le plus prolifique d’Europe, Claus Guth profite de la construction très théâtrale de ce drame lyrique tiré de ‘L’Orlando Furioso’ d’Arioste – Peu après ‘Orlando’, Haendel composera deux autres ouvrages inspirés de ce même poème italien, ‘Ariodante’ et ‘Alcina’, liés aux aventures respectives de Renaud et Roger – pour le remodeler en laissant de côté les vieux conflits entre Carolingiens et Arabes et raconter ainsi un drame très contemporain, celui d’un homme traumatisé à son retour de la guerre et incapable de retrouver une sociabilité normale.

Celle qu'il aime, Angelica, s’est elle même amourachée d’un homme plus jeune qu’elle, Medoro, et malgré l’amour sincère de Dorinda pour lui, Orlando ne peut se défaire de ses obsessions ce qui va le pousser à se débarrasser physiquement du couple pensant regagner ainsi une paix intérieure.

Anna Prohaska (Angelica)

Anna Prohaska (Angelica)

Le metteur en scène en fait un être fort et musclé au fond violent, mais dont les failles intérieures sont mises à nues, si bien que le spectateur peut opérer un transfert empathique sur lui.

Le décor comprend en son centre un immeuble de béton serti d’un balcon menant à une cour où vit Dorinda à l’intérieur d’une caravane. Medoro fait jeune et un peu mauvais genre, réparant une luxueuse berline autour de laquelle Angelica entreprend autour de lui une mimique fortement sexualisée.

Tous deux vêtus de cuirs noirs représentent évidemment le goût pour la vie libre et aisée.

Christophe Dumaux (Orlando) et Florian Boesch (Zoroastro)

Christophe Dumaux (Orlando) et Florian Boesch (Zoroastro)

Le réalisme du contexte ainsi présenté a pour effet de happer chacun dans un monde directement sensible et contemporain, et d’être confronté à une certaine dureté des aspirations matérialistes humaines à laquelle se heurtent aussi bien Orlando, déboussolé, que Dorinda trop honnête et sensible.

L’image où on les voit tous les deux sur un banc désolé, tentant de s’apprivoiser, tout proche d’une grande affiche vantant le goût pour les destinations exotiques au ciel bleu, montre leur inadaptation à une société ayant besoin d’artifice pour rêver.

Anthony Roth Costanzo (Medoro)

Anthony Roth Costanzo (Medoro)

Claus Guth fait sentir comment ce décalage peut amener quelqu’un à craquer nerveusement et passer à l’acte meurtrier.

Mais l’image finale – Orlando tenant une allumette au dessus de lui alors que le sol est arrosé d’essence - suggère tout autant une lueur d’espoir qu’une fin suicidaire tragique, si bien que ce sera au spectateur de décider quelle sera l’issue.

Pour cette reprise, nous retrouvons les mêmes chanteurs qu’au Theater an der Wien dans les rôles d’Orlando, Angelica et Zoroastro, l'intervenant chargé d’éviter la catastrophe et de détourner l’anti-héros de son aventure amoureuse.

Christophe Dumaux (Orlando)

Christophe Dumaux (Orlando)

Christophe Dumaux a découvert très jeune ‘Orlando’ lorsque l’on lui offrit à la sortie de l’adolescence l’enregistrement qu’avait réalisé le contre-ténor britannique James Bowman en 1989 sous la direction de Christopher Hogwood. Il participa à certaines de ses master classes, et commença à aborder son interprétation au CNSM de Paris à l’âge de 21 ans.

C’est finalement le 04 mars 2008, à 29 ans, qu’il se confronta  avec l’Atelier Lyrique de Tourcoing au rôle scénique d’Orlando sous la direction de Jean-Claude Malgoire, ce qui donnera lieu à un enregistrement live édité sous le label Harmonia Mundi, réédité ensuite par Pan Classics en 2018.

15 ans plus tard, il reste toujours attaché à ce personnage très structurant dans sa carrière, et cette maturité acquise se ressent fortement dans la figure qu’il dépeint au Teatro Real de Madrid.

Christophe Dumaux (Orlando) et Tal Ganor (Dorinda)

Christophe Dumaux (Orlando) et Tal Ganor (Dorinda)

Son incarnation est totale et violente, si bien que l’on ne lâche rien de cet homme, viril et névrosé, chargé de blessures et de tourments, dont Christophe Dumaux porte l’impulsivité avec une technique de trilles infaillible taillée dans une matière endurante ocrée qui exprime une forme de sévérité amère.

Si l’intensité vocale reste mesurée mais très fine et précise, des jaillissements soudains se libèrent de temps en temps, ce qui en fait un portrait abouti qui confine au désespoir par la manière avec laquelle Claus Guth l’enferme dans son petit appartement délabré, entouré de quelques compagnons et fantômes, où ne subsistent que quelques clichés de celle qui l’obsède. 

‘Fammi combattere’, chanté à la fin du premier acte, reste un air qui lui colle fortement à la peau.

Orlando (Dumaux Prohaska Ganor Costanzo Bolton Guth) Teatro Real Madrid

En Angelica, Anna Prohaska est la plus expressive par les variations de couleurs qu’elle trouve dans tout le registre medium de sa voix, où l’on sent les contradictions de cette vamp qui ne semble pas totalement détachée d’Orlando, mais qui ne peut résister à la sensualité de son nouvel amant.

Les lignes aiguës sont, elles, plus fluctuantes, parfois écourtées, ce qui joue aussi sur la perception des tiraillements quelle défend avec un grand talent d’actrice qui ajoute de l’étrangeté à sa personnalité féminine.

Anna Prohaska (Angelica) et Anthony Roth Costanzo (Medoro)

Anna Prohaska (Angelica) et Anthony Roth Costanzo (Medoro)

Régulièrement invité au Teatro Real de Madrid depuis décembre 2014 où il faisait vibrer la voix d’Apollon dans ‘Death in Venice’ de Benjamin Britten, Anthony Roth Costanzo charme énormément par la manière dont il distille la sensualité de son contre-ténor angélique qui trouble le personnage de Medoro. 

Très fin physiquement, à l’opposé de la musculature généreuse de Christophe Dumaux, cela le rajeunit également, si bien qu’il semble être un adolescent qui attire Angelica, alors que ces trois chanteurs ont en fait des âges très proches. 

Il se permet même, à un moment bien précis, de saisir l’audience par un suraigu ténu et soyeux complètement irréel, et sa souplesse corporelle est à l’image de la rondeur et de la très belle résonance de son timbre que le public parisien pourra bientôt découvrir lors de ses débuts à l’Opéra de Paris dans ‘The Exterminating Angel’ de Thomas Adès.

Car l’un des multiples talents de ce chanteur est de savoir aussi bien briller dans le répertoire baroque que l’opéra contemporain.

Tal Ganor (Dorinda)

Tal Ganor (Dorinda)

L’opéra est un art total mais aussi très fragile, et nous en avons encore la démonstration ce soir car, souffrante, Giulia Semenzato ne peut assurer le rôle de Dorinda, si bien que c’est la soprano israélienne Tal Ganor, quasiment inconnue en dehors de son pays natal, qui la remplace au pied levé.

Cette jeune chanteuse, membre du Meitar Opera Studio de l’Israeli Opera entre 2015 et 2017, montre d’emblée sa capacité à incarner son personnage et à se fondre dans l’esprit d’une mise en scène exigeante avec un naturel qui va vite séduire tout le monde.

Florian Boesch, Tal Ganor, Christophe Dumaux, Anna Prohaska et Anthony Roth Costanzo

Florian Boesch, Tal Ganor, Christophe Dumaux, Anna Prohaska et Anthony Roth Costanzo

La voix est très légère, fruitée, mais encore incertaine au début. Puis vient le moment où Dorinda révèle à Orlando la liaison entre les amants, en entrée du second acte, et la sensibilité de son air ‘Se mi rivolgo al prato’ est tellement prégnante, et nuancée si magnifiquement, que le public en est très ému, avec pour conséquence qu’elle en affermit son assurance.

C’est véritablement un très touchant portrait qu’elle dessine, d’autant plus qu’aux saluts finaux on pourra la voir chercher du regard sur scène à qui ses partenaires destinent leurs applaudissements, avant de comprendre que ces louanges lui sont dédiées personnellement.

L'Orchestre du Teatro Real de Madrid

L'Orchestre du Teatro Real de Madrid

Enfin, doué d’un diction bien franche et d’une autorité qu’il doit à une clarté bienveillante dans le timbre de voix, le baryton autrichien Florian Boesch est parfait dans le costume de Zoroastro qui représente pleinement une force d’équilibre de la vie et une forme de sagesse.

Inhérente à la cohésion du drame, la direction d’Ivor Bolton développe une profonde langue orchestrale qui exploite le métal des cordes pour lui donner un lustre dramatique d’une noirceur saisissante. L’enjouement mélodique agile et chaleureux peut ensuite s’y lover pour y distiller une légèreté tout aussi nécessaire.

Ivor Bolton

Ivor Bolton

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